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II

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Table des matières

LA SOCIÉTÉ ET LE MONDE DES BAIGNEURS. — LES EAUX MINÉRALES. — L’ANCIEN ET LE NOUVEL ÉTABLISSEMENT. — DU HAUT EN BAS, GRAND ASSAUT DE FÊTES. — LE CASINO MUNICIPAL ET SES DÉPENDANCES.

On vient à Évian, tantôt pour prendre les eaux ou faire une cure d’air, en vue de soigner sa santé, tantôt pour accompagner des parents ou des amis en traitement.

Quelques-uns, mais c’est le petit nombre, viennent simplement, en désœuvrés, faire de la villégiature. Ne parlons pas des artistes qui recherchent les beaux sites, des littérateurs qui affectionnent les retraites ombragées, des touristes, des amateurs de pêche ou de navigation, qui peuvent largement satisfaire aux alentours leurs goûts de prédilection et du reste ne s’en privent pas.

Tout ce monde fraye ensemble, plus ou moins, suivant ses sympathies, ses relations, et le hasard des circonstances. Mais en général, d’hôtel à hôtel, il y a peu d’entregent. La société élégante et aristocratique des grands hôtels se cantonne volontiers dans de petites chapelles, où le cant britannique célèbre son culte en grande pompe et d’où les profanes d’en bas sont sévèrement proscrits.

Là, les dames font assaut de toilettes, claires et vaporeuses, comme l’air qu’elles respirent. Les Valenciennes, les Malines, les Chantilly, les guipures, les rubans tracent tout autour des corsages des festons harmonieux, que fait adroitement valoir une rose, soit fixée à la taille, soit glissée dans l’échancrure parfumée. Les chapeaux à la Rubens, à la Montpensier, siéent très bien à certains visages et communiquent à la physionomie beaucoup de désinvolture.

Les messieurs, de leur côté, font ce qu’ils peuvent pour soutenir la comparaison et se parer de leurs avantages — si tant est qu’ils en aient!

On remarque ceux qui ont la boutonnière vierge de toute décoration, soit sérieuse, soit fantaisiste. Mais la plupart étalent au grand jour, qui un bout de ruban, qui la rosette d’un ordre étranger; ce sont les hommes mûrs ou en train de le devenir. Les jeunes, qui veulent se donner l’illusion ou frapper les regards, se décorent d’une fleur, placée en belle vue. Les pantalons de flanelle blanche, les gilets en cœur, les vestons légers, en surah ou tussore des Indes, révèlent, chez ceux qui les portent, d’évidentes prétentions au high-life.

Les simples mortels, qui vivent dans le terre-à-terre des sphères moins élevées, affichent des goûts plus simples, des allures moins solennelles, des poses moins recherchées. Les toilettes des dames revêtent des tons plus éclatants ou plus sombres, quelquefois moins harmonieux. Les tournures n’ont en général plus la même grâce; trop souvent, quand elles ne sont pas d’une platitude extrême, les tailles sont épaisses. Les femmes-colosses ne sont pas rares; et qui sait? Peut-être espèrent-elles retirer des eaux d’Évian quelque amoindrissement à leurs charmes? Ceci soit dit, sans offenser personne.

Les familles sont nombreuses: père, mère, grands-parents, enfants, toute la smala est là au grand complet. L’épidémie du ruban rouge ou multicolore sévit encore dans ce monde, avec pas mal d’intensité. Du reste, cela n’offusque personne, au contraire; on y est fait.

Enfin là, comme partout dans les villes d’eaux, on rencontre de ces jeunes ménages qui viennent savourer les derniers quartiers de leur lune de miel. Rien de plus facile que de les reconnaître; rien aussi de plus récréatif pour l’œil du psychologue. On les’ voit passer, bras dessus, bras dessous, la tête doucement inclinée, un vague sourire aux lèvres, les yeux brillants, la démarche nonchalante; et l’on se dit: c’est une idylle!

Par exemple, chose invraisemblable, les petites dames brillent par leur absence. A peine une fois par hasard une fille d’Ève s’égare-t-elle un jour dans ces jardins d’Armide, d’autant plus remarquée qu’elle se trouve plus isolée, et d’autant plus embarrassée qu’elle se sent plus déplacée dans ce milieu qui n’est pas le sien. Elle comprend vite, aux avanies qu’on ne lui ménage guère, que la place n’est pas tenable et qu’elle s’est trompée de porte. Aussi s’éclipse-t-elle avec empressement, au grand dam des Don Juans qui avaient jeté leur dévolu sur elle.

Il en résulte que la haute-gomme se trouve un peu désorientée. Parmi tous ces gens graves et si pleins de décorum, les gandins paraissent avoir perdu le nord et déclarent qu’on s’ennuie mortellement. Songez donc, pas de femmes! Pas la moindre petite noce en perspective! Pas de souper fin! Pas d’huîtres ou d’écrevisses en cabinet particulier! N’est-ce pas intolérable?

Il est vrai qu’il y a un chemin de fer, qui va plusieurs fois par jour à Genève, et même ailleurs; un lac sur lequel de petits et grands bateaux marchent tout seuls et peuvent vous déposer dans toutes les villes du littoral. Qu’en résulte-t-il? Si la montagne ne va pas à Mahomet, Mahomet va à la montagne. De toutes façons, on finit par se retrouver, quand on se recherche. Et il est si facile d’inventer des prétextes: un cordonnier, un tailleur, une coupe de cheveux, des affaires, que sais-je enfin!

Évian est-il donc un pays si vraiment déshérité sous le rapport des distractions? C’est ce que nous allons examiner, en décrivant le genre de vie qu’on y mène.

Tout le monde sait que ceux qui fréquentent les villes d’eaux appartiennent à trois catégories: ceux qui sont malades, ceux qui croient l’être et enfin ceux qui se portent bien. Dirai-je que les uns et les autres font tout ce qu’ils peuvent pour se rendre malades? On m’accuserait d’exagération. Sans doute, il en est qui après une cure réussie sont soulagés d’une affection, mais en ont gagné une autre; et d’autres qui, n’ayant rien guéri, ont malheureusement attrapé ce qu’ils ne cherchaient pas. On ne peut nier toutefois que quelques-uns s’en trouvent bien; et la preuve, c’est qu’empressés à payer le tribut que leur impose la reconnaissance, ils récidivent les années suivantes.

Les malades sont convaincus pour la plupart de l’efficacité des eaux qu’ils sont venus prendre. Ils se soignent en conséquence et exécutent à la lettre l’ordonnance doctorale. Ils ne songent guère à s’amuser, les malheureux! Car leur but est sérieux, et sérieuse est leur vie.

Les pseudo-malades, eux, sont sceptiques, en général; leurs souffrances étant imaginaires, ils ne peuvent s’astreindre à un traitement quelconque. Aussi, les voit-on tout essayer, d’inspiration; boire à toutes les sources, en fantaisistes; se fatiguer mal à propos, sous prétexte de mieux se porter; en un mot tout faire pour tomber sérieusement malades. Ils n’y parviennent que trop, hélas!

Quant aux bien portants, leur constitution a beau être des plus robustes, elle ne peut tenir coup longtemps, s’ils se surmènent inconsidérément. Un jour ou l’autre, ils sont fatalement condamnés à subir l’étreinte de la maladie, qui les guette et dont ils n’ont pas conscience.

A Évian, pas plus qu’ailleurs, il n’en est autrement. Les malades — il y en a, on n’en peut douter, — ont une foi aveugle dans la cure qu’ils font, et qui, du reste, leur a été ordonnée. Peut-être à ce sujet serait-il à propos de dire deux mots des eaux, dites minérales, de cette charmante localité ? D’aucuns même trouveront que j’aurais dû commencer par là.

N’étant ni chimiste, ni médecin, on me permettra de ne pas entreprendre un cours sur les classifications et les propriétés des eaux minérales. Je ne remonterai donc pas au déluge!

D’une façon générale, je me bornerai à dire qu’en fait d’eaux minérales, les unes sont froides, les autres chaudes; les unes acidulées, les autres alcalines; les unes sulfureuses, les autres gazeuses. J’en passe et des meilleures!

Les eaux d’Évian appartiennent au groupe des eaux froides— 11 degrés — ; elles sont légèrement alcalines et nullement gazeuses: l’acide carbonique qu’elles renferment, — à raison de i gramme par litre, — s’y trouve cependant en combinaison avec la chaux, la magnésie, la potasse et la soude. On prétend qu’à l’analyse, on y a trouvé des traces de divers acides: azotique, phosphorique, sulfurique, chlorydrique; et même d’ammoniaque! Sans en avoir l’air, cette eau est très compliquée, et sa composition donne l’explication de bien des choses! Toujours est-il qu’elle est légère, agréable à boire.. quand on a soif; et qu’elle n’offense nullement le palais. Fraîche et bonne; c’est un mérite, savez-vous? On en boirait... sans ordonnance et c’est tout dire!

Oui, mais il faut aussi en boire, par ordonnance; et c’est moins gai, pour peu qu’on soit hydrophobe. Il est de ces patients, soumis ainsi à la question de l’eau, qui quotidiennement à Évian avalent leurs cinquante à soixante verres! Grand bien leur fasse, et plaise à Dieu que leurs calculs s’en aillent grand train à vau-l’eau!

Vous n’attendez pas de moi, j’imagine, que j’aille vous énumérer les nombreuses maladies dont on cherche à avoir raison, grâce à ces eaux. Qu’il vous suffise de savoir que ces dernières sont une vraie panacée et que, si elles ne les guérissent pas toutes, elles ne les aggravent pas; c’est déjà beaucoup! Les eaux d’Aix, Vichy, Vals, Plombières, pour ne parler que des plus réputées, n’en pourraient peut-être pas dire autant.

C’est pourquoi on se rend à Évian-les-Bains; ainsi l’a décrété la mode du jour!

Les sources de la ville sont abondantes, nombreuses et habilement captées. Elles sont recueillies dans deux établissements situés à proximité l’un de l’autre et appartenant, celui d’en haut, à une société particulière, — sources Cachat, Bonnevie et Guillot, — et celui d’en bas, à la ville d’Évian, — sources Clermont et des Cordeliers.

La chimie, dit le docteur Taberlet, médecin inspecteur des eaux, trouve peu de différence dans la composition de ces sources. Et cependant, nous permettrons-nous d’ajouter, tel qui s’abreuvera à la fontaine Cachat, se gardera comme d’un poison de l’eau des Cordeliers.

D’où vient ce mystère?

La raison en est bien simple: les deux établissements se regardent un peu en chiens de faïence, et leurs clients réciproques agissent de même.

L’établissement Cachat, du nom de son fondateur, est le plus ancien. Il est placé au centre de la ville, entre cour et jardins; et du haut de ses terrasses, agrémentées de rocailles, ornées de corbeilles de fleurs soigneusement renouvelées, on respire un air frais et pur. Pleins de reconnaissance, les vieux clients de cet établissement lui restent fidèlement attachés; et parmi les nouveaux venus, bon nombre de baigneurs lui donnent également la préférence. Le genre, la tradition, la proximité, tout les y convie.

A l’ombre de la salle de verdure, dans les allées du parc, sur les terrasses, et autour du kiosque, où plusieurs fois par jour un orchestre exercé fait entendre des accents mélodieux, se répandent, vont et viennent les nombreux habitués. C’est là que se donne rendez-vous le monde élégant du grand hôtel des bains.

Du dehors, on pénètre dans la cour intérieure de l’édifice, par une double et large rampe d’escaliers. En haut et près de la porte de service, est affiché tous les matins le service télégraphique de l’agence Havas. A côté et en retour d’équerre, existe une assez vaste salle de lecture, où l’on peut faire sa correspondance et s’abriter en cas de pluie. A droite et à gauche, sont les entrées donnant accès aux cabines de bains ou de douches, pour messieurs et pour dames. Enfin, au milieu de la cour —vraie cour des miracles! — se trouve la fontaine de la source Cachat, dont une Hébé prévenante vous fait les honneurs, selon l’ordonnance.

De neuf à dix, avant le déjeuner, le monde afflue là de tous côtés. Chacun va à ses petites affaires; on jette un coup d’œil sur les dépêches, les buveurs assiègent les sources, les baigneurs vont au bain et les patients à leur douche. Les conversations se nouent; on s’entretient des faits divers de la veille, de la fête passée, de celle qui se prépare; on fait des potins, on cause même politique, au moment où passe le marchand de journaux.

Un vrai type que ce père Colliud! Bien qu’aveugle, il va partout sans demander son chemin à personne, portant noblement, comme un Saint-Sacrement, la pâture quotidienne, ce que, dans son scepticisme, il appelle sa fabrique de mensonges! Demandez-lui n’importe quel journal, français, bien entendu, il l’aura; saura sans se tromper vous le découvrir et distinguer rien qu’au toucher une Helvetia assise, d’une pièce du Pape! Étonnant, en vérité ! Ce n’est pas à lui qu’on ferait prendre des vessies pour des lanternes; et avec ça, toujours de belle humeur et ayant le mot pour rire!

A dix heures et demie, la musique cesse, la cour se vide, les cloches des hôtels tintent; c’est le moment du déjeuner.

Dans l’après-midi, vers trois heures, nouveau concert et nouvelle assistance. La foule des baigneurs se dirige vers les buvettes, se répand dans le parc, gravit les rampes en escaliers qui donnent accès, tout en haut, sur l’esplanade du grand hôtel, où a lieu un grand déploiement de toilettes.

Le moment est venu des causeries et des flirtations, des longues parties de crockett. A gauche, à droite, c’est un feu roulant d’œillades, de déclarations muettes, qui ont leur éloquence, tout en passant par-dessus la tête des maris. Les noms les plus armoriés volent en l’air; c’est tout à fait régence. On se croirait à Trianon!

— Eh, bonjour! mon cher marquis, comment allez-vous?

— Duchesse, je vous rends grâce!

— Princesse, vous êtes adorable, avec ce délicieux chapeau de fée!

Et patati, et patata. Les dames font assaut de minauderies; les messieurs s’inclinent, saluent, galants et empressés. Les décorations circulent à qui mieux mieux.

— Quel est donc ce monsieur, là-bas, à la barbe grisonnante, à l’air modeste, et que tout le monde regarde?

— Comment! ma chère, d’où sortez-vous? Ne reconnaissez-vous pas le grand Eiffel?

— Celui de la tour? Eh, quoi! c’est lui-même? C’est singulier! Je ne me le représentais pas ainsi.

Et les potins continuent, à bouche que veux-tu; tandis que, pimpants, des équipages stationnent à la porte de l’hôtel. Le cocher, tenant son fouet d’une main et les rênes de l’autre, est immobile sur son siège; les valets de pied, en tenue correcte, sont raides à l’arrière, attendant des ordres. Les nobles coursiers font impatiemment résonner leur gourmette et creusent le sol de leurs sabots. C’est l’heure des promenades et des excursions. De tous côtés, si le temps le permet, on s’ébranle, on se disperse.

Pour la table d’hôte du dîner, entre cinq et sept, les élégantes feront une nouvelle toilette et iront, soit passer la soirée au théâtre, soit esquisser au salon de l’hôtel quelques tours de valse, au bras de leurs danseurs préférés. Après quoi, la journée remplie sera enfin terminée: on la verra le lendemain recommencer dans les mêmes conditions!

L’Établissement municipal dépend du casino. Il est situé au bord du lac, sur un quai de création récente, délicieusement ombragé par une double rangée de platanes, qui se prolonge sur une longueur d’un kilomètre. C’est l’ancien manoir de la famille de Blonay, dont il reste une tour carrée, à caractère, et un corps de bâtiment à deux étages, auquel on accède par un escalier monumental à double rampe. Une élégante véranda en protège l’entrée, ainsi que la crypte pratiquée par-dessous, toute en rocailles, où coulent les sources minérales.

Un parc élégamment dessiné, à côté une terrasse ombragée, avec kiosque pour la musique, un café-restaurant à l’instar de Paris; enfin dans le fond, par derrière, les salles de bains et de douches, la piscine, les cabinets de toilette, les chambres de repos, la grande galerie vitrée, tout ornée de fleurs, complètent une installation très bien comprise, qui ne laisse pour ainsi dire rien à désirer.

Les salons du casino sont vastes et parfaitement décorés. Après avoir franchi le seuil du perron d’honneur, sous la véranda, on pénètre dans un grand vestibule carré, donnant accès partout. A gauche, s’ouvre une galerie vitrée, qui fait communiquer le casino avec le théâtre; à droite, sont les salons de jeux, petits chevaux, roulette, baccarat, billard. Par côté, se trouve la salle de lecture, pourvue d’une bibliothèque, et où tous les journaux, toutes les revues possibles sont réunis. On découvre en face un très joli boudoir pour dames, lequel est merveilleusement meublé dans le style Pompadour.

A lui seul, le Théâtre, orné d’une colonnade d’ordre composite, est un vrai bijou architectural; d’une blancheur éblouissante à l’extérieur, il est tout pimpant neuf à l’intérieur. La scène est vaste, bien disposée pour l’acoustique; et, de tous les points de la salle, divisée en stalles d’orchestres, loges d’avant-scène, de balcon et de galerie, parterre assis, on ne perd rien de l’action qui se déroule.

Avec son beau lustre, ses lambris dorés, ses décors, ses cariatides, ses peintures représentant les écussons héraldiques de Paris, Lyon, Marseille et Bordeaux, cette bonbonnière qui peut contenir 500 spectateurs, a très grand air. Elle ferait assurément les délices de plus d’une grande ville.

On y donne chaque soir des représentations intéressantes, tantôt avec la troupe de comédie, tantôt avec celle d’opérette; car il y en a deux, s’il vous plaît! et l’une et l’autre ont bien leur charme et leur mérite.

On conçoit que cette installation princière, dans cette demeure seigneuriale, soit coûteuse; si l’on songe qu’elle est du ressort de l’administration municipale, on ne peut s’empêcher de convenir que celle-ci fait bien les choses! Reste à savoir si l’affaire prospère; mais qu’importe au public? Cela ne regarde que les actionnaires et le bailleur de fonds. — L’exploitation du casino, actuellement confiée à M. Webb, concessionnaire, serait dit-on commanditée par un richissime commerçant de Paris. — Il est certain qu’à déployer ainsi un pareil faste, les dépenses doivent être en fin de saison assez considérables.

Malheureusement cet établissement, qui fait les plus louables efforts pour en rendre le séjour agréable, semble un peu délaissé jusqu’à présent. A part les représentations théâtrales du soir, qui sont assez suivies, et ce, à bon droit, car les troupes sont vraiment bonnes, le casino joue de malheur, et il y vient peu de monde dans la journée. Ce serait en vérité à se demander quel mauvais génie s’amuse à faire le vide autour de lui.

A cela, il y a plusieurs causes. De la concurrence naissent des intérêts naturellement opposés, des situations tendues, des rapports difficiles. Il suffit de peu de chose pour créer un état de rivalité, pouvant dégénérer en hostilité ; de là à se déclarer la guerre, il n’y a qu’un pas: guerre courtoise, je le veux bien, et tout au profit des armées en présence, mais qui n’en est pas moins regrettable.

Dans une petite ville comme Évian, de deux établissements appartenant à deux sociétés différentes, il en est un de trop, selon nous. Incapables de prospérer concurremment, ils se nuisent réciproquement, faute d’éléments suffisants. Un jour viendra bientôt, nous nous plaisons à le croire, où la société à la tête de laquelle se trouve M. Ch. A. Besson, fusionnera avec celle de la ville, pour n’en former qu’une seule, qui alors groupera tous les baigneurs. Ce sera l’occasion de réaliser certaines économies, d’apporter dans l’exploitation toutes les innovations que l’usage aura reconnues nécessaires. Pour le moment les choses n’en sont point là ; et la comédie qui se donne à Évian-les-Bains n’a pas toujours lieu dans le casino municipal.

Les deux établissements rivaux, ces deux frères ennemis, s’ingénient, chacun à qui mieux mieux, à flatter les goûts du public et à le décider en sa faveur. Il n’est sorte de distractions, d’attractions, qu’ils n’inventent pour lui faire plaisir et lui jeter de la poudre aux yeux.

Chaque jour, ce sont de véritables torrents d’harmonie, qui jaillissent à jet continu. Du matin au soir, des orchestres infatigables font résonner les échos d’alentour de leurs accords les plus mélodieux. Les fanfares locales sont parfois mises à réquisition; et, surexcités, les cuivres vibrent avec frénésie! O Orphée, que d’adorateurs, céans! Certes, la musique est une excellente chose, bien qu’un esprit morose ait prétendu que de tous les bruits c’est le plus désagréable; mais en conscience, il ne faut abuser de rien: quelquefois le silence a bien son charme!

Le soir, les fêtes succèdent aux fêtes, sans interruption. Ce ne sont partout, du haut en bas, que festons et astragales, lanternes vénitiennes, ballons, verres de couleur, illuminations à giorno, flammes de Bengale multicolores, persistantes, habilement écloses sous les bosquets de verdure! L’œil ébloui de tout ce faste, papillote, s’énerve et, fatigué, finit par demander grâce.

Après le concert obligatoire, religieusement écouté par une foule compacte, c’est le moment du feu d’artifice, impatiemment attendu.

Au signal donné, les fusées volantes font merveille, décrivant dans le ciel des courbes audacieuses, retombant en gerbes étincelantes ou en pluie d’étoiles. Les bombes alternent, semant dans l’espace leur bruit de tonnerre, que les montagnes voisines répercutent à l’infini. Les pièces décoratives s’embrasent à leur tour; les fontaines vomissent des flots d’or, les soleils se diaprent dans l’auréole lumineuse de leurs feux changeants, les chandelles romaines projettent dans les airs leurs boules radieuses, d’un éclat incomparable, les sifflantes, — la nouveauté du jour, — fendent la nue d’un long sillon de feu et éclatent tout en haut, à la satisfaction générale. Puis arrive l’apothéose finale, le bouquet, arrachant à toutes les poitrines des transports d’enthousiasme. Oh! Ah! Bravo! Bis! Hurrah! n-i-ni, c’est fini! Adieu la fête! A quand la prochaine? Et la foule ravie s’écoule lentement...

Tel est le programme qui s’exécute à la lettre, tantôt en haut, tantôt en bas, et même simultanément, mais avec des chances diverses, suivant l’état atmosphérique.

Dans ce duel à la fusée volante, les avantages varient; et il est amusant de suivre, impartial, les péripéties de la lutte. Actuellement, juillet 1889, l’établissement Cachat arrive bon premier. Ses fêtes nocturnes, heureusement favorisées par un temps à souhait, sont parfaitement réussies et attirent beaucoup de monde. Celles du casino, au contraire, s’en vont piteusement à l’eau et ratent, au grand regret des spectateurs déçus, au profond désespoir des organisateurs. Cette malchance est si prononcée, si persistante, qu’elle est ici passée en proverbe.

Par un temps incertain, prépare-t-on des réjouissances en haut? A l’heure dite, il fait beau. Une fête au casino est-elle annoncée, à grand renfort d’affiches étalées à profusion, urbi et orbi, voilà que la calotte des cieux se couvre, les nuées s’amoncellent, et, au moment psychologique, alors que la conflagration devient générale, l’orage, l’inévitable orage se déchaîne impitoyablement sur la tête des spectateurs! Les éclairs, le tonnerre, une pluie diluvienne, tout s’en mêle, semant partout un désarroi complet. Le sauve-qui-peut devient général et la fête est ratée!

Lugete veneres, cupidinesque...!

Rassurez-vous cependant, M. Webb, votre tour viendra aussi, que diable! Il faut espérer que le ciel ne vous tiendra pas toujours rigueur.

La Vie à Évian-les-Bains

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