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CHAPITRE PREMIER

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PROMENADE AU BOIS DE BOULOGNE AVEC UNE AIMABLE ÉTRANGÈRE. — RENCONTRE A MONTMARTRE.

J’avais été faire une station avec une amie au cimetière Montmartre; nous revenions lentement, après avoir payé un tribut de souvenir et de regrets à une personne qui nous était bien chère, lorsque nous fûmes dépassées par quatre enfants: deux garçons dé neuf à dix ans au plus, et deux jeunes filles de sept à huit; les deux jeunes garçons étaient en costume de collégiens, les deux jeunes filles étaient en grand deuil. Ces quatre enfants marchaient vite et en silence; ils étaient porteurs de couronnes, mais ces couronnes n’étaient pas des couronnes consacrées par l’usage au culte des tombeaux; c’étaient des couronnes obtenues en prix.

Une femme, aussi en grand deuil, belle, quoique n’étant plus de l’extrême jeunesse, accompagnée d’une nourrice qui portait un jeune enfant, suivait les quatre premiers; de longs rubans noirs se mêlaient à la blonde chevelure du pauvre petit; leur marche était hâtive; je cédai, ainsi que mon amie, au désir de les suivre.

Arrivés près d’une tombe modeste, les quatre enfants s’agenouillèrent, et après une fervente prière, s’empressèrent d’attacher leurs couronnes au signe rédempteur qui dominait la tombe de leur père.

La mère, debout à quelque distance, contemplait, les yeux pleins de larmes, ce touchant spectacle, et vint ensuite elle-même déposer pendant quelques instants sur la tombe le jeune enfant, dont les petites mains cueillirent une pensée, que la pauvre mère porta à ses lèvres et enferma sur son cœur.

—Voilà, me dit mon amie en nous éloignant, la tombe d’un homme vertueux, bien digne de regrets, puisqu’il a su inspirer à ses enfants de pareils sentiments de piété.

Nous nous éloignâmes en silence...

Nous avions formé le projet de passer la journée ensemble, et de la terminer par une promenade au bois de Boulogne, ce bois qui, au temps de Philippe le Bel, était une assez grande forêt beaucoup moins rapprochée de Paris.

Je m’y trouvai donc par une belle nuit d’été.

A l’époque où le Régent habitait le château de la Muette, le Ranelagh fut créé. Le bois de Boulogne était alors le temple des divertissements les plus en faveur; dans la première révolution, il fut le rendez-vous des excentricités républicaines: on vit, dans la même contredanse, figurer les déesses de la Raison et de la Liberté.

Depuis longtemps il avait une grande vogue; sous la Restauration, il était devenu le rendez-vous de la belle société.

C’était à l’une des extrémités du bois, près de la Seine, qu’Isabelle, sœur de saint Louis, avait fondé, en 1269, l’abbaye de Longchamp, où elle mourut en odeur de sainteté. Ce couvent devint nombreux et célèbre; le hasard ayant, pendant la semaine sainte, conduit à ce monastère quelques personnes pieuses, elles furent ravies d’entendre les voix des religieuses chanter les ténèbres: on en parla beaucoup, et bientôt ce fut la mode d’aller à Longchamp le mercredi, le jeudi et le vendredi saint.

—Voilà des détails qui m’intéressent vivement, me dit l’aimable madame C... en donnant l’ordre à son cocher d’aller doucement, afin de ne rien perdre de l’historique du bois de Boulogne.

— La piété ne fut pas toujours, lui dis-je en reprenant la conversation, le motif de ses pérégrinations; peu à peu elle fut remplacée par des luttes plus profanes, et l’on y vit rivaliser à l’envi le luxe des équipages et l’élégance des toilettes; combien de personnes se souviennent encore d’avoir vu, même depuis les révolutions, ces rassemblements d’hommes et de femmes, moins jaloux de voir que d’être vus.

On n’a point oublié les dévastations commises au bois de Boulogne, en 1814 et 1815, par les armées étrangères.

— Des jours plus heureux ont fait disparaître tous ces désordres, dit le jeune consul américain qui nous accompagnait à cheval. Voyez ces vastes boulevards si bien entretenus, ces parcs d’animaux si soignés, si agréables à voir, ces hôtels si élégants et entourés de grilles si magnifiques, ces plantations renouvelées, ces lacs, ces canaux, cette rivière, ces cascades si pittoresques et ce Pré-Catelan, rendez-vous de tous les divertissements.

Dans cet instant nous arrivions près du lac; quelques calèches découvertes étaient stationnaires; le plus profond silence annonçait que tout le monde était livré à de douces méditations, inspirées sans doute par le calme et la beauté de la nuit; seulement quelques oiseaux aquatiques, en se jetant dans le le lac, faisaient tourbillonner l’eau; pendant quelques instants on voyait aussi quelques ombres silencieuses se promener en se donnant le bras, deux à deux, se grandir d’une manière gigantesque sur les eaux argentées du lac et disparaître soudain suivant le changement de direction qu’elles prenaient. Madame C..., l’aimable étrangère, me dit: —Passons, en nous en allant, devant la pyramide du troubadour provençal que, dans le quatorzième siècle, Béatrix de Savoie, comtesse de Provence, envoya au roi Philippe le Bel, qui habitait alors le château de Passy.

— Vous nous avez promis, chère madame, son histoire; et la vue de son tombeau, et cette heure silencieuse, vous donnera, j’en suis certaine, en invoquant son souvenir quelque heureuse vision.

— J’étais préoccupée de la même pensée, lui dis-je, et j’allais vous prier, aimable amie, avant de sortir du bois, de venir avec moi faire une pause au pied de la pyramide.

Le jeune consul américain qui nous accompagnait à cheval venait tous les jours se promener au bois de Boulogne.

Ayant précédé la calèche, il nous orienta parfaitement dans la direction que nous devions prendre, et ayant été rencontre par plusieurs jeunes gens de ses amis et presque tous ses compatriotes, ils se réunirent autour delà calèche et nous formèrent un élégant cortége.

La pyramide élevée à la mémoire du malheureux troubadour s’offrit bientôt à notre vue; une étoile brillante l’éclairait en ce moment, et quelques accents mélodieux qui expirent dans le lointain, nous rendent, pour ainsi dire, présente par la pensée l’horrible trahison dont l’infortuné fut victime. Ce fut, dit-on, à minuit, dans ce bois, à cette place, que ce crime mystérieux fut commis sur la personne du poëte aimé de Béatrix, qui n’avait consenti à son départ de la Provence que dans l’espoir de dissiper la sombre mélancolie qui mettait en danger l’existence de Philippe le Bel, ce prince qui lui était si cher.

Vivement impressionnée, j’écrivis quelques lignes sur mes tablettes, que l’aimable madame C... put lire facilement, tant la lune et les étoiles étaient radieuses en ce moment.

Cette délicieuse soirée ne s’effacera jamais de ma mémoire; en rentrant chez moi je m’empresserai d’en écrire les impressions.

Armand Catelan, ou Le troubadour provençal au Bois de Boulogne, XIIIe siècle

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