Читать книгу Les Aventures d'Arsène Lupin (La collection complète) - Морис Леблан - Страница 101
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ОглавлениеCe fut, dans le cerveau de Lupin, comme un ouragan, un cyclone, où les fracas du tonnerre, les bourrasques de vent, des rafales d’éléments éperdus se déchaînèrent tumultueusement dans une nuit de chaos.
Et de grands éclairs fouettaient l’ombre. Et à la lueur fulgurante de ces éclairs, Lupin effaré, secoué de frissons, convulsé d’horreur, Lupin voyait et tâchait de comprendre.
Il ne bougeait pas, cramponné à la gorge de l’ennemi, comme si ses doigts raidis ne pouvaient plus desserrer leur étreinte. D’ailleurs, bien qu’il sût maintenant, il n’avait pour ainsi dire pas l’impression exacte que ce fût Dolorès. C’était encore l’homme noir, Louis de Malreich, la bête immonde des ténèbres ; et cette bête il la tenait, et il ne la lâcherait pas.
Mais la vérité se ruait à l’assaut de son esprit et de sa conscience, et, vaincu, torturé d’angoisse, il murmura :
– Oh ! Dolorès… Dolorès…
Toute de suite, il vit l’excuse : la folie. Elle était folle. La sœur d’Altenheim, d’Isilda, la fille des derniers Malreich, de la mère démente et du père ivrogne, elle-même était folle. Folle étrange, folle avec toute l’apparence de la raison, mais folle cependant, déséquilibrée, malade, hors nature, vraiment monstrueuse.
En toute certitude il comprit cela ! C’était la folie du crime. Sous l’obsession d’un but vers lequel elle marchaitautomatiquement, elle tuait, avide de sang, inconsciente et infernale.
Elle tuait parce qu’elle voulait quelque chose, elle tuait pour se défendre, elle tuait pour cacher qu’elle avait tué. Mais elle tuait aussi, et surtout, pour tuer. Le meurtrier satisfaisait en elle des appétits soudains et irrésistibles. À certaines secondes de sa vie, dans certaines circonstances, en face de tel être, devenu subitement l’adversaire, il fallait que son bras frappât.
Et elle frappait, ivre de rage, férocement, frénétiquement.
Folle étrange, irresponsable de ses meurtres, et cependant si lucide en son aveuglement ! Si logique dans son désordre ! Si intelligente dans son absurdité ! Quelle adresse ! Quelle persévérance ! Quelles combinaisons à la fois détestables et admirables !
Et Lupin, en une vision rapide, avec une acuité prodigieuse de regard, voyait la longue série des aventures sanglantes, et devinait les chemins mystérieux que Dolorès avait suivis.
Il la voyait, obsédée et possédée par le projet de son mari, projet qu’elle ne devait évidemment connaître qu’en partie. Il la voyait cherchant, elle aussi, ce Pierre Leduc que son mari poursuivait, et le cherchant pour l’épouser et pour retourner, reine, en ce petit royaume de Veldenz d’où ses parents avaient été ignominieusement chassés.
Et il la voyait au Palace-Hôtel, dans la chambre de son frère Altenheim, alors qu’on la supposait à Monte-Carlo. Il la voyait, durant des jours, qui épiait son mari, frôlant les murs, mêlée aux ténèbres, indistincte et inaperçue en son déguisement d’ombre.
Et une nuit, elle trouvait M. Kesselbach enchaîné, et elle frappait.
Et le matin, sur le point d’être dénoncée par le valet de chambre, elle frappait.
Et une heure plus tard, sur le point d’être dénoncée par Chapman, elle l’entraînait dans la chambre de son frère, et le frappait.
Tout cela sans pitié, sauvagement, avec une habileté diabolique.
Et avec la même habileté, elle communiquait par téléphone avec ses deux femmes de chambre, Gertrude et Suzanne qui, toutes deux, venaient d’arriver de Monte-Carlo, où l’une d’elles avait tenu le rôle de sa maîtresse. Et Dolorès, reprenant ses vêtements féminins, rejetant la perruque blonde qui la rendait méconnaissable, descendait au rez-de-chaussée, rejoignait Gertrude au moment où celle-ci pénétrait dans l’hôtel, et elle affectait d’arriver elle aussi, ignorante encore du malheur qui l’attendait.
Comédienne incomparable, elle jouait l’épouse dont l’existence est brisée. On la plaignait. On pleurait sur elle. Qui l’eût soupçonnée ?
Et alors commençait la guerre avec lui, Lupin, cette guerre barbare, cette guerre inouïe qu’elle soutint tour à tour contre M. Lenormand et contre le prince Sernine, la journée sur sa chaise longue, malade et défaillante, mais la nuit, debout, courant par les chemins, infatigable et terrifiante.
Et c’étaient les combinaisons infernales, Gertrude et Suzanne, complices épouvantées et domptées, l’une et l’autre lui servant d’émissaires, se déguisant comme elle peut-être, ainsi que le jour où le vieux Steinweg avait été enlevé par le baron Altenheim, en plein Palais de Justice.
Et c’était la série des crimes. C’était Gourel noyé. C’était Altenheim, son frère, poignardé. Oh ! La lutte implacable dans les souterrains de la villa des Glycines, le travail invisible du monstre dans l’obscurité, comme tout cela apparaissait clairement aujourd’hui !
Et c’était elle qui lui enlevait son masque de prince, elle qui le dénonçait, elle qui le jetait en prison, elle qui déjouait tous ses plans, dépensant des millions pour gagner la bataille.
Et puis les événements se précipitaient. Suzanne et Gertrude disparues, mortes sans doute ! Steinweg, assassiné ! Isilda, la sœur, assassinée !
– Oh ! L’ignominie, l’horreur ! balbutia Lupin, en un sursaut de répugnance et de haine.
Il l’exécrait, l’abominable créature. Il eût voulu l’écraser, la détruire. Et c’était une chose stupéfiante que ces deux êtres accrochés l’un à l’autre, gisant immobiles dans la pâleur de l’aube qui commençait à se mêler aux ombres de la nuit.
– Dolorès… Dolorès, murmura-t-il avec désespoir.
Il bondit en arrière, pantelant de terreur, les yeux hagards. Quoi ? Qu’y avait-il ? Qu’était-ce que cette ignoble impression de froid qui glaçait ses mains ?
– Octave ! Octave ! cria-t-il, sans se rappeler l’absence du chauffeur.
Du secours ! Il lui fallait du secours ! Quelqu’un qui le rassurât et l’assistât. Il grelottait de peur. Oh ! Ce froid, ce froid de la mort qu’il avait senti. était-ce possible ?… Alors, pendant ces quelques minutes tragiques, il avait, de ses doigts crispés…
Violemment, il se contraignit à regarder. Dolorès ne bougeait pas.
Il se précipita à genoux et l’attira contre lui.
Elle était morte.
Il resta quelques instants dans un engourdissement où sa douleur paraissait se dissoudre. Il ne souffrait plus. Il n’avait plus ni fureur, ni haine, ni sentiment d’aucune espèce rien qu’un abattement stupide, la sensation d’un homme qui a reçu un coup de massue, et qui ne sait s’il vit encore, s’il pense, ou s’il n’est pas le jouet d’un cauchemar.
Cependant il lui semblait que quelque chose de juste venait de se passer, et il n’eut pas une seconde l’idée que c’était lui qui avait tué. Non, ce n’était pas lui. C’était en dehors de lui et de sa volonté. C’était le destin, l’inflexible destin qui avait accompli l’œuvre d’équité en supprimant la bête nuisible.
Dehors, des oiseaux chantèrent. La vie s’animait sous les vieux arbres que le printemps s’apprêtait à fleurir. Et Lupin, s’éveillant de sa torpeur, sentit peu à peu sourdre en lui une indéfinissable et absurde compassion pour la misérable femme – odieuse certes, abjecte et vingt fois criminelle, mais si jeune encore et qui n’était plus.
Et il songea aux tortures qu’elle avait dû subir en ses moments de lucidité, lorsque, la raison lui revenant, l’innommable folle avait la vision sinistre de ses actes.
– Protégez-moi, je suis si malheureuse ! suppliait-elle. C’était contre elle-même qu’elle demandait qu’on la protégeât, contre ses instincts de fauve, contre le monstre qui habitait en elle et qui la forçait à tuer, à toujours tuer.
– Toujours ? se dit Lupin.
Et il se rappelait le soir de l’avant-veille où, dressée au-dessus de lui, le poignard levé sur l’ennemi qui, depuis des mois, la harcelait, sur l’ennemi infatigable qui l’avait acculée à tous les forfaits, il se rappelait que, ce soir-là, elle n’avait pas tué. C’était facile cependant : l’ennemi gisait inerte et impuissant. D’un coup, la lutte implacable se terminait. Non, elle n’avait pas tué, soumise, elle aussi, à des sentiments plus forts que sa cruauté, à des sentiments obscurs de sympathie et d’admiration pour celui qui l’avait si souvent dominée.
Non, elle n’avait pas tué, cette fois-là. Et voici que, par un retour vraiment effarant du destin, voici que c’était lui qui la tuait.
« J’ai tué, pensait-il en frémissant des pieds à la tête ; mes mains ont supprimé un être vivant, et cet être, c’est Dolorès ! Dolorès… Dolorès… »
Il ne cessait de répéter son nom, son nom de douleur, et il ne cessait de la regarder, triste chose inanimée, inoffensive maintenant, pauvre loque de chair, sans plus de conscience qu’un petit tas de feuilles, ou qu’un petit oiseau égorgé au bord de la route.
Oh ! Comment aurait-il pu ne point tressaillir de compassion, puisque, l’un en face de l’autre, il était le meurtrier, lui, et qu’elle n’était plus, elle, que la victime ?
« Dolorès… Dolorès… Dolorès… »
Le grand jour le surprit, assis près de la morte, se souvenant et songeant, tandis que ses lèvres articulaient, de temps à autre, les syllabes désolées « Dolorès… Dolorès… »
Il fallait agir pourtant, et, dans la débâcle de ses idées, il ne savait plus en quel sens il fallait agir, ni par quel acte commencer.
« Fermons-lui les yeux, d’abord », se dit-il.
Tout vides, emplis de néant, ils avaient encore, les beaux yeux dorés, cette douceur mélancolique qui leur donnait tant de charme. était-ce possible que ces yeux-là eussent été les yeux du monstre ? Malgré lui, et en face même de l’implacable réalité, Lupin ne pouvait encore confondre en un seul personnage les deux êtres dont les images étaient si distinctes au fond de sa pensée.
Rapidement il s’inclina vers elle, baissa les longues paupières soyeuses, et recouvrit d’un voile la pauvre figure convulsée.
Alors il lui sembla que Dolorès devenait plus lointaine, et que l’homme noir, cette fois, était bien là, à côté de lui, en ses habits sombres, en son déguisement d’assassin.
Il osa le toucher, et palpa ses vêtements.
Dans une poche intérieure, il y avait deux portefeuilles. Il prit l’un d’eux et l’ouvrit.
Il trouva d’abord une lettre signée de Steinweg, le vieil Allemand.
Elle contenait ces lignes :
« Si je meurs avant d’avoir pu révéler le terrible secret, que l’on sache ceci : l’assassin de mon ami Kesselbach est sa femme, de son vrai nom Dolorès de Malreich, sœur d’Altenheim et sœur d’Isilda. »
« Les initiales L et M se rapportent à elle. Jamais, dans l’intimité, Kesselbach n’appelait sa femme Dolorès qui est un nom de douleur et de deuil, mais Laetitia, qui veut dire joie. L et M – Laetitia de Malreich – telles étaient les initiales inscrites sur tous les cadeaux qu’il lui donnait, par exemple sur le porte-cigarettes trouvé au Palace-Hôtel, et qui appartenait à Mme Kesselbach. Elle avait contracté, en voyage, l’habitude de fumer.
« Laetitia ! Elle fut bien en effet sa joie pendant quatre ans, quatre ans de mensonges et d’hypocrisie, où elle préparait la mort de celui qui l’aimait avec tant de bonté et de confiance.
« Peut-être aurais-je dû parler tout de suite. Je n’en ai pas eu le courage, en souvenir de mon vieil ami Kesselbach, dont elle portait le nom.
« Et puis j’avais peur… Le jour où je l’ai démasquée, au Palais de Justice, j’avais lu dans ses yeux mon arrêt de mort.
« Ma faiblesse me sauvera-t-elle ? »
« Lui aussi, pensa Lupin, lui aussi, elle l’a tué ! Eh parbleu, il savait trop de choses ! Les initiales… ce nom de Laetitia… l’habitude secrète de fumer »
Et il se rappela la nuit dernière, cette odeur de tabac dans la chambre.
Il continua l’inspection du premier portefeuille.
Il y avait des bouts de lettre, en langage chiffré, remis sans doute à Dolorès par ses complices, au cours de leurs ténébreuses rencontres…
Il y avait aussi des adresses sur des morceaux de papier, adresses de couturières ou de modistes, mais adresses de bouges aussi, et d’hôtels borgnes… Et des noms aussi… vingt, trente noms, des noms bizarres, Hector le Boucher, Armand de Grenelle, le Malade…
Mais une photographie attira l’attention de Lupin. Il la regarda. Et tout de suite, comme mû par un ressort, lâchant le portefeuille, il se rua hors de la chambre, hors du pavillon, et s’élança dans le parc.
Il avait reconnu le portrait de Louis de Malreich, prisonnier à la Santé.
Et seulement alors, seulement à cette minute précise, il se souvenait : l’exécution devait avoir lieu le lendemain.
Et puisque l’homme noir, puisque l’assassin n’était autre que Dolorès, Louis de Malreich s’appelait bien réellement Léon Massier, et il était innocent.
Innocent ? Mais les preuves trouvées chez lui, les lettres de l’Empereur, et tout, tout ce qui l’accusait indéniablement, toutes ces preuves irréfragables ?
Lupin s’arrêta une seconde, la tête en feu.
– Oh ! s’écria-t-il, je deviens fou, moi aussi. Voyons, pourtant, il faut agir… c’est demain qu’on l’exécute… demain… demain au petit jour… Il tira sa montre.
– Dix heures… Combien de temps me faut-il pour être à Paris ? Voilà j’y serai tantôt oui, tantôt j’y serai, il le faut… Et, dès ce soir, je prends les mesures pour empêcher… Mais quelles mesures ? Comment prouver l’innocence ? Comment empêcher l’exécution ? Eh ! Qu’importe ! Je verrai bien une fois là-bas. Est-ce que je ne m’appelle pas Lupin ? Allons toujours…
Il repartit en courant, entra dans le château, et appela :
– Pierre ! Vous avez vu M. Pierre Leduc ? Ah ! Te voilà… écoute…
Il l’entraîna à l’écart, et d’une voix saccadée, impérieuse :
– écoute, Dolorès n’est plus là… Oui, un voyage urgent… elle s’est mise en route cette nuit dans mon auto… Moi, je pars aussi… Tais-toi donc ! Pas un mot, une seconde perdue, c’est irréparable. Toi, tu vas renvoyer tous les domestiques, sans explication. Voilà de l’argent. D’ici une demi-heure, il faut que le château soit vide. Et que personne n’y rentre jusqu’à mon retour ! Toi non plus, tu entends, je t’interdis d’y rentrer… je t’expliquerai cela… des raisons graves. Tiens, emporte la clef, tu m’attendras au village…
Et de nouveau, il s’élança.
Dix minutes après, il retrouvait Octave.
Il sauta dans son auto.
– Paris, dit-il.