Читать книгу Les Aventures d'Arsène Lupin (La collection complète) - Морис Леблан - Страница 103

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Impassible, Lupin se contracta des pieds à la tête. Il ne voulait pas s’abandonner à un geste de désespoir. Il ne voulait pas prononcer une seule parole de violence. Après les coups atroces que la destinée lui assenait, après les crimes et la mort de Dolorès, après l’exécution de Massier, après tant de convulsions et de catastrophes, il sentait la nécessité absolue de conserver sur lui-même tout son empire. Sinon, sa raison sombrait…

– Idiot ! fit-il en montrant le poing à Pierre Leduc… triple idiot, tu ne pouvais pas attendre ? Avant dix ans, nous reprenions l’Alsace-Lorraine.

Par diversion, il cherchait des mots à dire, des attitudes, mais ses idées lui échappaient, et son crâne lui semblait près d’éclater.

– Ah ! Non, non, s’écria-t-il, pas de ça, Lisette ! Lupin, fou, lui aussi ! Ah ! Non, mon petit ! Flanque-toi une balle dans la tête si ça t’amuse, soit, et, au fond, je ne vois pas d’autre dénouement possible. Mais Lupin gaga, en petite voiture, ça, non ! En beauté, mon bonhomme, finis en beauté !

Il marchait en frappant du pied et en levant les genoux très haut, comme font certains acteurs pour simuler la folie. Et il proférait :

– Crânons, mon vieux, crânons, les dieux te contemplent. Le nez en l’air ! Et de l’estomac, crebleu ! Du plastron ! Tout s’écroule autour de toi !… Qu’èque ça t’fiche ? C’est le désastre, rien ne va plus, un royaume à l’eau, je perds l’Europe, l’univers s’évapore ?… Eh ben, après ? Rigole donc ! Sois Lupin ou t’es dans le lac… Allons, rigole ! Plus fort que ça… À la bonne heure… Dieu que c’est drôle ! Dolorès, une cigarette, ma vieille !

Il se baissa avec un ricanement, toucha le visage de la morte, vacilla un instant et tomba sans connaissance.

Au bout d’une heure il se releva. La crise était finie, et, maître de lui, ses nerfs détendus, sérieux et taciturne, il examinait la situation.

Il sentait le moment venu des décisions irrévocables. Son existence s’était brisée net, en quelques jours, sous l’assaut de catastrophes imprévues, se ruant les unes après les autres à la minute même où il croyait son triomphe assuré. Qu’allait-il faire ? Recommencer ? Reconstruire ? Il n’en avait pas le courage. Alors ?

Toute la matinée il erra dans le parc, promenade tragique où la situation lui apparut en ses moindres détails et où, peu à peu, l’idée de la mort s’imposait à lui avec une rigueur inflexible.

Mais, qu’il se tuât ou qu’il vécût, il y avait tout d’abord une série d’actes précis qu’il lui fallait accomplir. Et ces actes, son cerveau, soudain apaisé, les voyait clairement.

L’horloge de l’église sonna l’Angélus de midi.

– À l’œuvre, dit-il, et sans défaillance.

Il revint vers le chalet, très calme, rentra dans sa chambre, monta sur un escabeau, et coupa la corde qui retenait Pierre Leduc.

– Pauvre diable, dit-il, tu devais finir ainsi, une cravate de chanvre au cou. Hélas ! Tu n’étais pas fait pour les grandeurs… J’aurais dû prévoir ça, et ne pas attacher ma fortune à un faiseur de rimes.

Il fouilla les vêtements du jeune homme et n’y trouva rien. Mais, se rappelant le second portefeuille de Dolorès, il le prit dans la poche où il l’avait laissé.

Il eut un mouvement de surprise. Le portefeuille contenait un paquet de lettres dont l’aspect lui était familier, et dont il reconnut aussitôt les écritures diverses.

– Les lettres de l’Empereur ! murmura-t-il. Les lettres au vieux Chancelier !… tout le paquet que j’ai repris moi-même chez Léon Massier et que j’ai donné au comte de Waldemar… Comment se fait-il ?… Est-ce qu’elle l’avait repris à son tour à ce crétin de Waldemar ?

Et, tout à coup, se frappant le front :

– Eh non, le crétin, c’est moi. Ce sont les vraies lettres, celles-là ! Elle les avait gardées pour faire chanter l’Empereur au bon moment. Et les autres, celles que j’ai rendues, sont fausses, copiées par elle évidemment, ou par un complice, et mises à ma portée… Et j’ai coupé dans le pont, comme un bleu ! Fichtre, quand les femmes s’en mêlent…

Il n’y avait plus qu’un carton dans le portefeuille, une photographie. Il regarda. C’était la sienne.

– Deux photographies… Massier et moi… ceux qu’elle aima le plus sans doute… Car elle m’aimait… Amour bizarre, fait d’admiration pour l’aventurier que je suis, pour l’homme qui démolissait à lui seul les sept bandits qu’elle avait chargés de m’assommer. Amour étrange ! Je l’ai senti palpiter en elle l’autre jour quand j’ai dit mon grand rêve de toute-puissance ! Là, vraiment, elle eut l’idée de sacrifier Pierre Leduc et de soumettre son rêve au mien. S’il n’y avait pas eu l’incident du miroir, elle était domptée. Mais elle eut peur. Je touchais à la vérité. Pour son salut, il fallait ma mort, et elle s’y décida.

Plusieurs fois, il répéta pensivement :

– Et pourtant, elle m’aimait… Oui, elle m’aimait, comme d’autres m’ont aimé… d’autres à qui j’ai porté malheur aussi… Hélas ! Toutes celles qui m’aiment meurent… Et celle-là meurt aussi, étranglée par moi… À quoi bon vivre ?…

À voix basse, il redit :

– À quoi bon vivre ? Ne vaut-il pas mieux les rejoindre, toutes ces femmes qui m’ont aimé ?… et qui sont mortes de leur amour, Sonia, Raymonde, Clotilde Destange, miss Clarke ?…

Il étendit les deux cadavres l’un près de l’autre, les recouvrit d’un même voile, s’assit devant une table et écrivit :

J’ai triomphé de tout : et je suis vaincu. J’arrive au but et je tombe. Le destin est plus fort que moi Et celle que j’aimais n’est plus. Je meurs aussi.

Et il signa : Arsène Lupin.

Il cacheta la lettre et l’introduisit dans un flacon qu’il jeta par la fenêtre, sur la terre molle d’une platebande.

Ensuite il fit un grand tas sur le parquet avec de vieux journaux, de la paille et des copeaux qu’il alla chercher dans la cuisine.

Là-dessus il versa du pétrole.

Puis il alluma une bougie qu’il jeta parmi les copeaux.

Toute de suite, une flamme courut, et d’autres flammes jaillirent, rapides, ardentes, crépitantes.

– En route, dit Lupin, le chalet est en bois : ça va flamber comme une allumette. Et quand on arrivera du village, le temps de forcer les grilles, de courir jusqu’à cette extrémité du parc… trop tard ! On trouvera des cendres, deux cadavres calcinés, et, près de là, dans une bouteille, mon billet de faire-part… Adieu Lupin ! Bonnes gens, enterrez-moi sans cérémonie… Le corbillard des pauvres… Ni fleurs, ni couronnes… Une humble croix, et cette épitaphe :

CI-GÎT

ARSÈNE LUPIN, AVENTURIER

Il gagna le mur d’enceinte, l’escalada et, se retournant, aperçut les flammes qui tourbillonnaient dans le ciel…

Il s’en revint à pied vers Paris, errant, le désespoir au cœur, courbé par le destin.

Et les paysans s’étonnaient de voir ce voyageur qui payait ses repas de trente sous avec des billets de banque.

Trois voleurs de grand chemin l’attaquèrent, un soir, en pleine forêt. À coups de bâton, il les laissa quasi morts sur place…

Il passa huit jours dans une auberge. Il ne savait où aller… Que faire ? À quoi se raccrocher ? La vie le lassait. Il ne voulait plus vivre… il ne voulait plus vivre…

– C’est toi !

Mme Ernemont, dans la petite pièce de la villa de Garches, se tenait debout, tremblante, effarée, livide, les yeux grands ouverts sur l’apparition qui se dressait en face d’elle.

Lupin !… Lupin était là !

– Toi ! dit-elle… Toi !… Mais les journaux ont raconté…

Il sourit tristement.

– Oui, je suis mort.

– Eh bien !… eh bien !… dit-elle naïvement…

– Tu veux dire que, si je suis mort, je n’ai rien à faire ici. Crois bien que j’ai des raisons sérieuses, Victoire.

– Comme tu as changé ! fit-elle avec compassion.

– Quelques légères déceptions… Mais c’est fini. écoute, Geneviève est là ?

Elle bondit sur lui, subitement furieuse.

– Tu vas la laisser, hein ? Ah ! Mais cette fois, je ne la lâche plus. Elle est revenue fatiguée, toute pâlie, inquiète, et c’est à peine si elle retrouve ses belles couleurs. Tu la laisseras, je te le jure.

Il appuya fortement sa main sur l’épaule de la vieille femme.

– Je veux… tu entends… je veux lui parler.

– Non.

– Je lui parlerai.

Il la bouscula. Elle se remit d’aplomb, et, les bras croisés :

– Tu me passerais plutôt sur le corps, vois-tu. Le bonheur de la petite est ici, pas ailleurs… Avec toutes tes idées d’argent et de noblesse, tu la rendrais malheureuse. Et ça, non. Qu’est-ce que c’est que ton Pierre Leduc ? Et ton Veldenz ? Geneviève, duchesse ! Tu es fou. Ce n’est pas sa vie. Au fond, vois-tu, tu n’as pensé qu’à toi là-dedans. C’est ton pouvoir, ta fortune que tu voulais. La petite, tu t’en moques. T’es-tu seulement demandé si elle l’aimait, ton sacripant de grand-duc ? T’es-tu seulement demandé si elle aimait quelqu’un ? Non, tu as poursuivi ton but, voilà tout, au risque de blesser Geneviève, et de la rendre malheureuse pour le reste de sa vie. Eh bien ! Je ne veux pas. Ce qu’il lui faut, c’est une existence simple, honnête, et celle-là tu ne peux pas la lui donner. Alors, que viens-tu faire ?

Il parut ébranlé, mais tout de même, la voix basse, avec une grande tristesse, il murmura :

– Il est impossible que je ne la voie plus jamais. Il est impossible que je ne lui parle pas…

– Elle te croit mort.

– C’est cela que je ne veux pas ! Je veux qu’elle sache la vérité. C’est une torture de songer qu’elle pense à moi comme à quelqu’un qui n’est plus. Amène-la, Victoire.

Il parlait d’une voix si douce, si désolée, qu’elle fut tout attendrie, et lui demanda :

– écoute avant tout, je veux savoir. Ça dépendra de ce que tu as à lui dire… Sois franc, mon petit… Qu’est-ce que tu lui veux, à Geneviève ?

Il prononça gravement :

– Je veux lui dire ceci : « Geneviève, j’avais promis à ta mère de te donner la fortune, la puissance, une vie de conte de fées. Et ce jour-là, mon but atteint, je t’aurais demandé une petite place, pas bien loin de toi. Heureuse et riche, tu aurais oublié, oui, j’en suis sûr, tu aurais oublié ce que je suis, ou plutôt ce que j’étais. Par malheur, le destin est plus fort que moi. Je ne t’apporte ni la fortune, ni la puissance. Je ne t’apporte rien. Et c’est moi au contraire qui ai besoin de toi. Geneviève, peux-tu m’aider ? »

– À quoi ? fit la vieille femme anxieuse.

– À vivre…

– Oh ! dit-elle, tu en es là, mon pauvre petit…

– Oui, répondit-il simplement, sans douleur affectée… oui, j’en suis là. Trois êtres viennent de mourir, que j’ai tués, que j’ai tués de mes mains. Le poids du souvenir est trop lourd. Je suis seul. Pour la première fois de mon existence, j’ai besoin de secours. J’ai le droit de demander ce secours à Geneviève. Et son devoir est de me l’accorder… Sinon ?…

– Tout est fini.

La vieille femme se tut, pâle et frémissante. Elle retrouvait toute son affection pour celui qu’elle avait nourri de son lait, jadis, et qui restait, encore et malgré tout, « son petit ». Elle demanda :

– Qu’est-ce que tu feras d’elle ?

– Nous voyagerons… Avec toi, si tu veux nous suivre…

– Mais tu oublies… tu oublies…

– Quoi ?

– Ton passé…

– Elle l’oubliera aussi. Elle comprendra que je ne suis plus cela, et que je ne peux plus l’être.

– Alors, vraiment, ce que tu veux, c’est qu’elle partage ta vie, la vie de Lupin ?

– La vie de l’homme que je serai, de l’homme qui travaillera pour qu’elle soit heureuse, pour qu’elle se marie selon ses goûts. On s’installera dans quelque coin du monde. On luttera ensemble, l’un près de l’autre. Et tu sais ce dont je suis capable…

Elle répéta lentement, les yeux fixés sur lui :

– Alors, vraiment, tu veux qu’elle partage la vie de Lupin ?

Il hésita une seconde, à peine une seconde et affirma nettement :

– Oui, oui, je le veux, c’est mon droit.

– Tu veux qu’elle abandonne tous les enfants auxquels elle s’est dévouée, toute cette existence de travail qu’elle aime et qui lui est nécessaire ?

– Oui, je le veux, c’est son devoir.

La vieille femme ouvrit la fenêtre et dit :

– En ce cas, appelle-la.

Geneviève était dans le jardin, assise sur un banc. Quatre petites filles se pressaient autour d’elle. D’autres jouaient et couraient.

Il la voyait de face. Il voyait ses yeux souriants et graves. Une fleur à la main, elle détachait un à un les pétales et donnait des explications aux enfants attentives et curieuses. Puis elle les interrogeait. Et chaque réponse valait à l’élève la récompense d’un baiser.

Lupin la regarda longtemps avec une émotion et une angoisse infinies. Tout un levain de sentiments ignorés fermentait en lui. Il avait une envie de serrer cette belle jeune fille contre lui, de l’embrasser, et de lui dire son respect et son affection. Il se souvenait de la mère, morte au petit village d’Aspremont, morte de chagrin…

– Appelle-la donc, reprit Victoire.

Il s’écroula sur un fauteuil en balbutiant :

– Je ne peux pas… Je ne peux pas… Je n’ai pas le droit… C’est impossible… Qu’elle me croie mort… Ça vaut mieux…

Il pleurait, secoué de sanglots, bouleversé par un désespoir immense, gonflé d’une tendresse qui se levait en lui, comme ces fleurs tardives qui meurent le jour même où elles éclosent.

La vieille s’agenouilla, et, d’une voix tremblante :

– C’est ta fille, n’est-ce pas ?

– Oui, c’est ma fille.

– Oh ! Mon pauvre petit, dit-elle en pleurant, mon pauvre petit !…

Les Aventures d'Arsène Lupin (La collection complète)

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