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Ce n'est pas le théâtre d'Henrik Ibsen que je me propose d'étudier dans ce volume; mon but, c'est de dégager la philosophie sociale qu'il renferme.

Les pièces d'Ibsen sont moins des productions dramatiques que des essais philosophiques touchant les questions vitales de l'humanité. L'action y joue une importance secondaire, les incidents sont forcés, inattendus, brusques; l'intérêt principal réside dans le conflit des idées. L'auteur ne se soucie guère de l'appareil théâtral, il ne prend même pas la peine de dessiner nettement les positions réciproques de ses héros. Le spectateur n'assiste pas aux événements, aux actions des personnages en scène, mais leurs réflexions, leurs pensées, leurs aspirations sont toujours présentes et vivantes. Leurs caractères, leurs passions ne se traduisent pas par des gestes, par des attitudes, par des mouvements, mais se révèlent par une analyse psycho-philosophique.

Le théâtre d'Ibsen est une succession de préceptes où la psychologie de l'individu comme celle de la société fait disparaître le déroulement progressif de l'action. L'auteur analyse minutieusement les mouvements d'âme, les crises de conscience, de passion, de pensée; il étudie les révolutions morales individuelles, l'antagonisme entre l'individu et la société, les mensonges et les préjugés sociaux. Le théâtre d'Ibsen est, avant tout, un théâtre d'idées.

M. Max Nordau, tout en constatant qu'«Ibsen a créé quelques figures d'une vérité et d'une richesse telles qu'on n'en trouve pas chez un second poète depuis Shakespeare[1],» prétend que le dramaturge norvégien est incapable «d'élaborer une seule idée nette, de comprendre un seul des mots d'ordre qu'il pique çà et là dans ses pièces, de tirer des prémisses les conséquences justes[2]».

Certes, «les sots seuls admirent tout dans un écrivain estimé[3]», mais le savant auteur de la Psychologie du génie et du talent[4] force un peu trop sa plume satirique en affirmant qu' «Ibsen ne comprend pas un seul des mots d'ordre qu'il pique çà et là dans ses pièces». On peut considérer certaines de ses pièces comme absolument étrangères à l'art dramatique; dire qu'elles manquent d'idées, c'est ne pas vouloir les comprendre. Il se peut que l'idée de telle ou telle pièce soit un peu embrumée, mais «il faut considérer le théâtre d'Ibsen en bloc. Alors nous avons devant les yeux un imposant monument de la pensée moderne».[5]

Ibsen ne s'impose pas tout de suite. Lorsqu'on voit ou qu'on lit pour la première fois une de ses pièces, l'impression est puissante, mais confuse; elle éveille dans le spectateur ou le lecteur des émotions fortes, mais indécises; ce n'est qu'après une longue analyse qu'on en détermine l'idée. Quelles que puissent être les erreurs qu'on trouve dans son oeuvre, comme dans celles de tant d'autres écrivains, l'impression générale est grande et profonde, l'émotion qui en jaillit n'est pas affective mais cérébrale; une atmosphère fraîche de pensée enveloppe ses personnages; ils forment tout un organisme social, toute une philosophie. Ce n'est pas de la spéculation abstraite, ce n'est pas de la philosophie construite, c'est de la philosophie vécue. Les héros d'Ibsen ne jettent pas à profusion «les sophismes comme un ciment dans l'intervalle des vérités, par lesquels on édifie les grands systèmes de philosophie qui ne tiennent que par le mortier de la sophistique»;[6] mais si l'esprit de système leur fait défaut et aussi l'art des ordonnances symétriques, ce ne sont point certes des idées, des pensées qui leur manquent. Et «les systèmes de philosophie sont des pensées vivantes»[7] affirme l'un des plus nobles penseurs modernes.

Nous sommes loin des temps où la philosophie était le domaine d'une poignée de privilégiés. Aujourd'hui nous admettons qu'il n'y a point de castes dans l'intelligence humaine. «Il n'y a point des hommes qui sont le vulgaire, d'autres hommes qui sont les philosophes. Tout homme porte en lui-même le vulgaire et le philosophe.»[8]

La philosophie n'est pas le fruit d'un syllogisme. Il ne faut faire dépendre la philosophie d'aucun système, d'aucune méthode.

«Mon dessein, dit Descartes, n'est pas d'enseigner la méthode que chacun doit suivre pour bien conduire sa raison, mais seulement de faire voir en quelle sorte j'ai tâché de conduire la mienne.»[9]

La philosophie n'existe et ne se développe que dans l'esprit de l'homme. Les idées les plus profondes, les investigations les plus sensées resteraient lettre morte sans la vivification que leur communique l'esprit du penseur. C'est lui seul qui crée la valeur des idées philosophiques. La philosophie n'est que la manifestation de l'esprit indépendant, aspirant à se faire—par la critique générale—une conception personnelle de l'Univers.

Ibsen nous montre, dans son théâtre, quelle est sa contemplation du Monde, comment il envisage les hommes et les choses, quel est l'enseignement qu'il tire de la vie, car c'est la vie seule qui l'intéresse; ce qui le préoccupe, c'est l'éternelle contradiction de la vie, c'est la lutte entre l'idéal et le réel.

«Quel est le péché qui mérite l'indulgence? Quelle est la faute qu'on peut doucement effacer? Jusqu'à quel point la responsabilité, cette charge qui pèse sur la race entière, obère-t-elle le lot d'un de ses rejetons? Quelle déposition, quel témoignage admettre quand tout le monde est au banc des intéressés? Sombre et troublant mystère, qui pourra jamais t'éclaircir! Toutes les âmes devraient trembler et gémir, et il n'en est pas une entre mille qui se doute de la dette accumulée, de l'engagement écrasant né de ce seul petit mot: la Vie.»[10]

La philosophie sociale dans le theatre d'Ibsen

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