Читать книгу La Force - Paul Adam - Страница 4
ОглавлениеIl jeta son chapeau et le défonça par coups de talons.
—Mais que vous fait-on, père?
—Ce qu'on me fait! Tu oses me demander ce qu'on me fait!… Ô Dieu!… Mais hier encore! Le Représentant vient me voir, c'est Praxi-Blassans qui se lève, qui tend la main au seuil… Moi, je ne suis plus chez moi. Je suis, paraît-il, chez Monsieur de Praxi-Blassans. C'est lui qui reçoit à ma place… Voilà ce qu'on me fait.
—Mais ils se connaissent.
—Qu'importe, Monsieur? On ne se permet pas de recevoir chez les autres. Cela est d'une insolence sans nom! Une injure impardonnable. Et je ne pardonnerai pas. Je m'en irai. Je mendierai sur les routes jusqu'à ce que je meure dans le fossé…, puisque je ne suis plus bon qu'à cela.
—Mais je vous assure que Praxi-Blassans…
—Suffît! Taisez-vous lorsque je parle!… Qui a donné de la poudre à
Augustin?
—Je ne sais.
—Vous ne savez! Vous soutenez le jean-f…, par esprit de contradiction, pour me désobéir et me nuire!… Oh! vous irez jusqu'au bout du crime;… je suis faible maintenant. Je souffre comme un enragé. Les intestins me sortent du fondement!… Je pisse le sang et je ne vois plus clair!… Je n'ose plus manger sans que j'aie entendu l'un de vous manger du plat qu'on apporte… Je sais que des pas me suivent le soir… On veut en finir! Et peut-être t'a-t-on fait revenir à dessein, toi, le soldat, qui as l'habitude de ces besognes!… Ah! laisse-moi! je sais ce que je dis.
—Mon Dieu! sanglotait une voix frêle…
Bernard se retourna. Les sœurs pleuraient là, Caroline dans ses blancheurs de mariée, Aurélie frissonnant à travers l'écharpe. Les deux beaux-frères gesticulaient à l'ombre de la charmille, et les groupes de nymphes timides s'effaçaient au fond du jardin entre les habits bleus, les habits verts, les habits puce et les profils à oreilles de chien blondes ou brunes.
—Père, voulez-vous rentrer? dit Bernard.
Une angoisse infinie gonflait sa gorge, noyait ses yeux. L'ancêtre évidemment croyait à ses craintes, imaginant le complot de la famille pour se débarrasser, d'une vieillesse infirme et encombrante…
—Ah! le calvaire, gémit-il.
Cependant il s'apaisa; comme si la voix de Bernard et les pleurs de ses filles le pouvaient convaincre. Joseph le marin, avec ses oreilles percées pour de légers anneaux d'or, le prit au bras.
—Allons, le père…, vous n'y pensez point… Venez dire adieu à Caroline. Quoi, nous vous aimons tous. C'est bien à cause de vous que le frère et moi nous essuyons les grains et que l'adjudant fait campagne. Est-ce que Caroline ne tenait pas votre maison comme il faut, est-ce que le beau-frère Praxi ne vous a pas gagné les fournitures militaires, est-ce qu'Aurélie ne joue pas de la harpe à ravir, dans l'espoir de vous contenter, et moi j'éduque des perroquets qui vous amusent.
Il reformait le tricorne du vieux avec sa grosse main, dont le goudron avait noirci les rides…
—Vous avez voulu qu'il y eût un soldat dans la famille? Eh bien! me voici soldat, dit Bernard. Un diplomate? Aurélie a épousé un diplomate. Un fonctionnaire? Caroline épouse un fonctionnaire.
—Des marins? Nous parons à virer, le frère et moi, reprit Joseph. Nous avons laissé notre Émile dans le golfe de Biscaye… Vous comprenez bien que c'est des imaginations, tout cela…, et des songeries pas bonnes… Rentrez…
Le vieil Héricourt radota… Ses rides et sa couperose pâlissaient. Ils le laissèrent aller seul par le jardin jusque la maison. Planté de travers, troué, le tricorne tenait mal sur la tête branlante, qui s'inclina vers le sol. Les hautes épaules remontèrent, et le vieillard marchait pensif, en tâtonnant du bout de la canne. Il discourut. Son bras menaçait. Son geste parfois renonçait. Le chef branlant affirmait et niait tour à tour.
—Malheu.eux vieillà, zézayait Aurélie…, déjà tu touches au tombeau, et tu ignô.es les douceu.s d'une tend.e confiance… Pou.tant le labou.eu. ve.tueux, à la fin du jou., s'assied devant sa chaumiè.e, l'âme apaisée; ses enfants l'entou.ent, il leu. sou.it. Tu ne connais point, pè.e info.tuné cette cha.mante émotion… Au sein de la .ichesse… un ho.ible soupzon empoizonne ton cœu… Qui ne se.ait zenzible à tant d'ala.mes… ma sœu… Ô chè. époux, aidez-moâ à rend.e à mon Pè.e la paix du cœu…
Délicieuse, elle fléchit sa taille sur le bras amoureux du diplomate, et pleura contre l'épaule virile parmi ses boucles. Le frère détourna les yeux, car il la désirait encore, et les feuilles roussies par l'automne, en tombant, l'attristèrent de leur mort.