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LES DEUX PAYSAGES
ОглавлениеQu’il était affreux ce village
Entre deux falaises assis,
Offrant, pour tout attrait, sa plage
Aux durs galets mal dégrossis.
Ses distractions étaient rares,
Son hôtel manquait de confort,
Ses baigneurs semblaient tous bizarres
Et paraissaient s’ennuyer fort;
Un ciel brumeux, de faux artistes,
De vrais sots, un douanier bleu,
Vingt malheureux pêcheurs très tristes,
Telle était la gaîté du lieu.
Pourtant, par un mirage étrange,
Je n’ai qu’à fermer les deux yeux
Pour que soudain le décor change
Et m’apparaisse merveilleux.
C’est que ton souvenir, mignonne,
Le transforme encore aujourd’hui
Ce pays perdu qui rayonne
Dès que je te revois en lui.
Il devient charmant ce village:
Par une subite clarté
Ses environs, son ciel, sa plage,
Tout s’embellit de ta beauté.
L’hôtel était très confortable,
Puisque, malgré ses airs navrés,
Malgré son lit, malgré sa table,
Nous nous y sommes adorés.
Les affreux galets de la grève
Prennent des aspects moins grognons
Lorsque je te revois, en rêve,
Y promener tes pieds mignons.
Des baigneurs tu disais, si bonne:
«Ils ont l’air de bien braves gens.»
Ce brevet que ton cœur leur donne
Me les fait croire intelligents.
Près des faux artistes je pense
Que s’est arrêté ton pas lent
Et, gagné par ton indulgence,
Je leur trouve à tous du talent.
Gràce à l’esprit que tu leur prêtes,
Les sots même, oui, même les sots
A mes yeux deviennent moins bêtes;
Je pourrais citer leurs bons mots!
Le douanier réglementaire,
Avec sa raideur d’empaillé,
Prend une allure militaire,
Puisque tu ne l’as pas raillé.
Tout s’illumine à ton passage!
Jusqu’à ces pêcheurs malheureux
Dont s’attendrit le dur visage
A ta voix si douce pour eux.
Pour donner une autre apparence
A ce village inanimé,
Il a suffi de ta présence;
Tu passas, tout s’est transformé.
Et, pour moi, cet endroit vulgaire
Demeure immuablement beau;
C’est comme un cadre qui s’éclaire
De la lumière du tableau.