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CHAPITRE IV.
L'HOMME COMME IL Y EN A PEU.
ОглавлениеCe fut deux mois après le départ de d'Orméville, que le baron de Frobourg annonça à sa fille qu'elle devait regarder le colonel Framberg comme son futur époux.
Que pouvait dire Clémentine? elle craignait trop son père pour oser lui avouer sa faute. Nous avons vu que tout ce qu'elle put obtenir fut un délai de trois mois. Elle alla pleurer dans le sein de sa bonne nourrice, à laquelle elle avait depuis longtemps confié tous ses chagrins. La vieille Germaine ne put que l'engager à prendre courage; mais, pour comble de maux, depuis près d'un mois Clémentine ne recevait plus de nouvelles de d'Orméville. Que pouvait-il lui être arrivé?... Était-il prisonnier? avait-il été tué sur le champ de bataille? Toutes ces idées étaient affreuses, et ne faisaient que rendre plus terrible sa situation.
Un soir, que le comte Hermann et son fils étaient chez le baron, Mullern entra pour donner à son colonel des nouvelles de la dernière affaire.
«Eh bien! Mullern, dit le colonel, qu'y a-t-il de nouveau?—Ah! mon colonel, les ennemis ont joliment été frottés!...—En es-tu certain?—Oui, mon colonel, car c'est le vieux Franck, qui arrive de l'armée, qui me l'a raconté. Triple cartouche!... Il dit que l'affaire a été chaude!... L'ennemi s'est vaillamment défendu; il nous a d'abord fait du ravage: de toute notre première compagnie du 36e de hussards, pas un n'est échappé...—Que dites-vous, s'écria Clémentine? Quoi! pas même les officiers?...—Ah! mon Dieu, pas un!... Tout est resté sur la place!...»
Clémentine n'en entendit pas davantage, elle s'évanouit: on courut la secourir, tandis que Mullern, enflammé par le récit de la bataille, ne s'apercevait pas de l'événement auquel il avait donné lieu.
On emporta Clémentine dans sa chambre, où elle ne reprit ses sens que pour se livrer à la plus vive douleur. C'était dans la première compagnie du 36e de hussards que servait d'Orméville; et la nouvelle qu'elle venait d'apprendre, jointe au silence qu'il gardait depuis longtemps, lui persuada aisément qu'il avait cessé de vivre.
Effectivement, depuis ce temps, aucune nouvelle de d'Orméville ne parvint plus à Clémentine, qui passait ses journées dans les larmes, en songeant à celui qu'elle avait perdu. Cependant le temps s'écoulait: les trois mois, accordés pour délai à Clémentine, étaient sur le point d'expirer; elle sentait aussi qu'elle serait bientôt mère, et chaque instant ajoutait à l'embarras de sa position.
Il fallait prendre un parti: Clémentine se détermina à tenter le seul moyen qui lui restait pour goûter, non le bonheur, elle y avait renoncé depuis la mort de celui qu'elle adorait, mais au moins la tranquillité et le repos dont elle était privée depuis longtemps.
Le caractère du colonel Framberg, que Clémentine avait su apprécier, lui avait inspiré l'idée de lui avouer sa faute, et de se confier à sa générosité. Un jour, peu de temps avant le terme fixé pour leur mariage, Clémentine pria le colonel Framberg de lui accorder un moment d'entretien; le colonel y consentit volontiers. Ils se rendirent dans un endroit écarté du parc, et là, Clémentine lui confia son amour et ses malheurs.
Le colonel demeura frappé d'étonnement lorsque Clémentine lui apprit qu'elle serait bientôt mère.
«Eh quoi! madame, lui dit-il, vous que j'aurais crue la plus innocente des femmes!...» Il s'arrêta: Clémentine devint rouge de honte... «Ah! pardon, madame, ajouta-t-il, je ne connais pas l'amour, et j'ignore les fautes qu'il fait faire. Mais parlez, ordonnez: qu'exigez-vous de moi? Votre confiance mérite tout mon attachement et mon respect; elle est une preuve de votre estime pour moi; et je vous prouverai que si le colonel Framberg ne peut être votre amant, il mérite au moins votre amitié.»
Clémentine, enhardie par ce discours, lui dit qu'elle se confiait à sa générosité, et que c'était à lui d'ordonner de son sort.
«Eh bien! madame, puisqu'il en est ainsi, si vous y consentez, nous ne changerons rien à nos projets. Si celui qui possédait votre amour existait encore, je me garderais bien de me proposer pour votre époux; cela serait vouloir vous condamner à des regrets éternels; mais il n'est plus, et vous êtes mère: votre enfant aura besoin d'un père; je lui en tiendrai lieu, et j'aurai toujours pour lui la même tendresse que s'il était mon véritable fils.—Quoi! colonel, vous consentiriez à m'épouser! Oubliez-vous que les préjugés, l'honneur même vous défendent ce mariage?...—Les préjugés, je ne les connais pas; et mon honneur à moi, madame, est de secourir l'infortune et de servir de père à l'orphelin. C'est à ce titre que je veux être votre époux; et si par la suite on blâme ma conduite, on ne pourra pas au moins m'ôter la satisfaction d'avoir agi en galant homme.—Ah! colonel, quel serait l'être assez hardi pour censurer la conduite d'un homme qui ne se plaît qu'à faire le bien?—D'ailleurs, madame, puisque les convenances l'exigent, je vous réponds que le plus profond secret enveloppera cette aventure.»
C'est ainsi que se termina cet entretien, et, huit jours après, Clémentine devint l'épouse du colonel. Si elle n'avait pas connu d'Orméville, elle aurait trouvé le bonheur dans cet hymen; mais le souvenir de celui qu'elle adorait venait sans cesse troubler son repos, et elle retombait dans une triste mélancolie, qu'elle cherchait vainement à cacher à son époux.
Un mois après ce mariage, le comte Hermann mourut; le colonel Framberg donna les larmes d'un tendre fils à la mémoire de son père, et passa son temps renfermé avec sa femme, et ne voyant que Mullern. C'est à cette époque que la comtesse mit au monde un enfant, qui fut baptisé secrètement, sous le nom de Henri d'Orméville, mais que le colonel éleva et fit passer pour son fils.
Le vieux baron de Frobourg, qui était alors au château, n'eut pas connaissance de cet événement, et il mourut peu de temps après le mariage de sa fille, sans avoir deviné ce mystère.
Mullern fut le seul qui pénétra la vérité; mais il garda pour lui ses réflexions, sans dire à son colonel ce qu'il pensait.
Le jeune Henri devint l'idole de sa mère; ses traits lui retraçaient ceux de l'homme qu'elle avait tant aimé. Si Clémentine avait eu le bonheur d'élever son fils, il est probable que notre jeune héros aurait hérité de ses qualités douces et tendres; mais elle mourut lorsqu'il n'avait encore que quatre ans, emportant avec elle les regrets et les larmes de tous ceux qui l'avaient connue.
Le colonel Framberg, au désespoir de la mort de sa femme, fut obligé, pour se distraire de son chagrin, de s'absenter pour quelque temps du château. Il résolut de retourner à l'armée; mais comme le petit Henri lui était bien cher, il voulut laisser auprès de lui quelqu'un qui pût veiller assidûment sur sa jeunesse, et lui inculquer de bonne heure les principes de la vertu; ce fut Mullern que le colonel choisit pour remplir cet emploi. Il connaissait sa loyauté, sa franchise; et, certain qu'il ne quitterait pas un instant son fils (c'est ainsi qu'il nommait Henri), il ne balança pas à en faire son précepteur.
Mullern aurait bien autant aimé suivre son colonel à l'armée, que de rester tranquillement au château de Framberg: mais comme les désirs de son supérieur étaient des ordres pour lui, il jura de remplir fidèlement ses intentions. Le colonel partit donc du château, y laissant commander Mullern en son absence, et lui recommandant de faire de Henri un homme brave et vertueux.