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L’ESPÈCE. — LA RACE. — LA VARIÉTÉ LA VARIATION

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En étudiant dans un autre ouvrage les phénomènes de la précocité, en examinant les méthodes de sélection, consanguinité, etc., nous avons considéré l’individu pris isolément ou rattaché simplement à sa famille.

La notion de famille et de descendance est si claire quand il s’agit du cheval de race pure, qu’on a pu poser avec précision la base des faits étudiés; il n’en est pas de même si l’on passe à l’application des méthodes de reproduction relatives aux métis dérivés du pur sang qui nécessitent la définition de l’espèce, de la race, de la variété et, partant, de la variation.

L’espèce. — La notion d’espèce est une notion spontanée qui résulte naturellement chez l’homme de l’examen rapide des êtres qui l’entourent. Nos ancêtres ont eu cette notion dès le début; et le problème de la parenté des espèces, de leur origine commune, de leur descendance d’ancêtres communs a toujours préoccupé les naturalistes et tous les animalculteurs en général.

Chacun prend parti, qui pour, qui contre la théorie transformiste; mais les plus acharnés adversaires de cette théorie, les plus chauds partisans de la création séparée de chaque espèce sont obligés d’admettre dans l’espèce une certaine variabilité que l’observation de tous les jours permet de constater. Seulement, disent-ils, cette variabilité indéniable ne va jamais jusqu’à la formation d’espèces nouvelles; il apparaît seulement des variétés, des races, jamais des espèces. Demandez-leur quelle différence ils établissent entre les variétés et les espèces, ils vous répondront précisément qu’ils réunissent dans une espèce les variétés susceptibles de dériver les unes des autres, de se transformer les unes dans les autres.

Darwin lui-même a conclu à l’impossibilité de définir l’espèce: «Nous serons obligés de reconnaître, dit-il, que la seule distinction à établir entre les espèces et les variétés bien tranchées consiste seulement en ce que l’on sait ou que l’on suppose que ces dernières sont actuellement reliées les unes aux autres par des gradations intermédiaires, tandis que les espèces ont dû l’être autrefois. En conséquence, sans négliger de prendre en considération l’existence présente de degrés intermédiaires entre deux formes quelconques, nous serons conduits à peser avec plus de soin les différences qui les séparent et à leur attribuer une plus grande valeur. Il est fort possible que des formes, aujourd’hui reconnues comme de simples variétés, soient plus tard jugées dignes d’un nom spécifique; dans ce cas, le langage scientifique et le langage ordinaire se trouveront d’accord. Bref, nous aurons à traiter les espèces comme de simples combinaisons artificielles inventées pour une plus grande commodité. Cette perspective n’est peut-être pas consolante, mais nous serons au moins débarrassés des vaines recherches auxquelles donne lieu la définition absolue non encore trouvée et introuvable du terme espèce.»

La plupart des auteurs ne séparent pas la question de la définition de l’espèce de cette autre question que les produits sont, par hérédité, de même espèce que leurs parents. Cuvier a défini l’espèce: «la collection de tous les êtres organisés descendus l’un de l’autre ou de parents communs, et de ceux qui leur ressemblent autant qu’ils se ressemblent entre eux».

Si l’on acceptait cette définition, il deviendrait impossible d’affirmer l’identité spécifique de deux individus sans connaître leur histoire; de plus, comment faire accorder cette définition avec le problème transformiste? Voici, en effet, comment se poserait ce problème avec la définition de Cuvier: Nous appelons êtres de même espèce, des êtres qui descendent d’un ancêtre commun, et nous voulons démontrer que beaucoup d’espèces actuellement vivantes descendent d’un ancêtre commun, autrement dit que des êtres d’espèces différentes sont de même espèce.

Il faut séparer la définition de l’espèce de la démonstration de la transmission héréditaire de l’espèce; il faut surtout que cette transmission héréditaire ne serve pas à la définition.

L’établissement de la valeur relative du terme a déterminé de nombreuses discussions et l’accord n’est pas encore parfait; nous ne reproduirons pas les différentes opinions émises à ce sujet; aussi bien, ces définitions sont purement conventionnelles et sans intérêt pratique. Nous dirons simplement que tout être vivant provenant d’une simple cellule, on peut affirmer que dans les conditions données cette cellule centrale détermine complètement l’être qui en sortira. On doit donc pouvoir définir complètement l’espèce à laquelle appartient l’animal adulte par l’espèce à laquelle appartient son œuf; or l’œuf est une simple cellule que nous pouvons étudier chimiquement.

Indépendamment de toute autre considération, nous concevons donc, d’ores et déjà, que l’espèce des êtres supérieurs soit susceptible d’une définition qualitative, celle des œufs qui leur donnent naissance; et même, parlant le langage chimique le plus rigoureux, nous constatons que le développement de l’œuf, c’est-à-dire la série des phénomènes par lesquels l’œuf donne naissance à l’adulte, est la réaction la plus précise et la plus caractéristique parmi les réactions chimiques qui nous servent à étudier l’œuf; nous pourrons donc renverser notre proposition et conclure de la similitude des adultes à la similitude des œufs d’où ils proviennent; tout cela forme un ensemble d’une harmonie parfaite que nous nous contentons d’indiquer.

L’œuf, simple cellule, se multiplie par bipartitions successives en donnant un nombre croissant d’éléments cellulaires qui restent agglomérés et dont l’ensemble constitue l’individu issu de l’œuf Seulement, au lieu de rester tous semblables, ces éléments cellulaires sont l’objet de variations quantitatives. De sorte que tous les éléments d’un adulte sont de même espèce que l’œuf d’où ils proviennent, mais de variétés différentes (variété muscle, variété nerf, etc.). Donc, l’adulte lui-même, composé d’une agglomération de cellules de même espèce que l’œuf, est de même espèce que l’œuf, c’est-à-dire qu’il est formé uniquement de substances de l’œuf avec des coefficients variables. Il est bien entendu qu’il n’est ici question et ne peut être question que des substances vivantes qui entrent dans la constitution de l’individu. C’est la question fondamentale de la biologie, que la détermination de ce qui, dans un être donné, est substance vivante et la distinction de cette substance vivante d’avec les substances alimentaires squelettiques et excrémentielles.

Ces rapides considérations nous montrent que l’étude de l’espèce, définie qualitativement, est délicate et difficile, mais aussi qu’elle est possible; l’étude des phénomènes sexuels et des croisements facilite singulièrement cette étude chimique, mais je ne puis dire comment, sans faire appel à des considérations nouvelles et fort complexes, qui ne sont pas de mise dans un ouvrage comme celui-ci.

La race. — De même que la définition d’espèce, peu de notions sont devenues plus confuses que celle de la race, depuis que les savants en ont voulu donner une définition. Auparavant cette notion était d’une clarté merveilleuse. Dans l’esprit de tout le monde, la race et la famille étaient deux choses de même ordre, ne différant que par l’étendue. La première était tout simplement une extension de la seconde. Le noble, pouvant se glorifier d’une longue suite d’aïeux, parlait de sa race, comme les historiens parlent de la race des rois Carlovingiens et de celle des Capétiens. Voltaire, un écrivain qu’on n’accusera point de n’employer pas toujours le mot propre dit quelque part ceci: «Le fait est que la race d’Ismaël a été infiniment plus favorisée de Dieu que celle de Jacob. L’une et l’autre race a produit, à la vérité, des voleurs, mais les voleurs arabes ont été prodigieusement supérieurs aux voleurs juifs. Les descendants de Jacob ne conquirent qu’un très petit pays qu’ils ont perdu; et les descendants d’Ismaël ont conquis une partie de l’Asie, de l’Europe et de l’Afrique, ont établi un empire plus vaste que celui des Romains et ont chassé les Juifs de leurs cavernes, qu’ils appelaient la terre de promission.» Buffon qui passe généralement pour avoir su, lui aussi, le français, a dit dans son Histoire naturelle des oiseaux: «L’espèce de l’aigle commun est moins pure, et la race en paraît moins noble que celle du grand aigle.»

On voit qu’il ne s’agit, en tout cela, que de la notion de descendance. Le terme de race n’évoquait alors que l’idée d’une suite de générations de même origine. Le sens nouveau que ce terme a pris en zoologie ne paraît pas remonter plus loin que le commencement de notre siècle. Il serait embarrassant de décider si la faute en est aux éleveurs d’animaux qui s’en servent, ou si c’est eux qui ont obéi à une impulsion partie des régions scientifiques. A coup sûr, la définition acceptée par l’usage et que nous aurons à examiner ne vient point d’eux. Ils devaient être évidemment bien disposés à la recevoir, ou, tout au moins, à se conduire comme si elle eût été exacte, et c’est pour cela qu’elle a fait fortune; mais il est sans doute plus juste d’en faire remonter la responsabilité jusqu’aux naturalistes et particulièrement jusqu’à ceux qui se sont occupés spécialement d’anthropologie. Les autres, par leurs classifications se contentaient de la catégorie d’espèce, avec Linné, n’y faisant même pas entrer les variétés dites naturelles.

Le besoin de rattacher toutes les populations humaines du globe à une seule espèce et de les en faire dériver quel que pût être l’écart, exigeait davantage. De là, vint la nouvelle notion de la race qui ne pouvait manquer de s’imposer dans les sphères officielles, en ce qui concerne les chevaux. Le mal qu’elle y a fait durant longtemps en présence d’une zootechnie à peu près exclusivement empirique ne se voit peut-être point du premier coup. On ne saisit pas, à première vue, la relation nécessaire entre la façon de comprendre la notion de race et la conduite à suivre dans les opérations de production animale. Il semble, avant toute réflexion, que ce soient là choses de mince importance, de simples questions de mots, comme on le dit si volontiers. Que ceux dont l’intérêt public est le moindre souci, bien qu’ils en soient cependant chargés, pensent ainsi, cela se comprend. Il leur est de la sorte plus commode de donner satisfaction aux intérêts privés qui les sollicitent. Mais on ignore trop que les fortes notions, fondées sur la réalité, sont toujours, en toute chose, les guides les plus sûrs. Dans les choses pratiques, la meilleure voie à suivre ne peut être indiquée que par la connaissance exacte et précise des objets sur lesquels il y a lieu d’opérer. Que, dans le domaine de la spéculation pure, où il ne s’agit, en somme, que des satisfactions recherchées par certains genres d’esprits, on hésite entre des solutions également plausibles mais également indémontrables aussi, cela ne présente, en vérité, aucun inconvénient. Les définitions de rechange y sont de mise.. Ce n’est pas là de la science proprement dite, en tous cas, point de la science expérimentale. Celle-ci ne se fonde que sur les faits. Or, la race est un des faits fondamentaux de la zootechnie et c’est pourquoi il importe grandement, pour l’établissement solide de ses méthodes que ce fait soit mis en complète évidence. Mal compris ou méconnu, il entraîne les plus déplorables méprises ayant pour conséquence infaillible la perte du temps et des capitaux. Ces derniers se reconstituent par de nouveaux efforts mieux combinés. Le temps, lui, une fois perdu, ne se répare plus. C’est l’étoffe dont la vie est faite.

Etudions la race, c’est-à-dire, en prenant ce terme dans sa plus large acception, les rapports des individus avec la nature et entre eux, dans les groupes établis par leur filiation généalogique.

Cette définition de la race implique la descendance et l’on se demandera de quel droit nous l’employons sans avoir prouvé que nous en avions le droit. Nous écarterons, ici, la théorie de la descendance pour considérer la descendance et le problème au point de vue purement zootechnique. Les races sont des formes anormales à caractères mélangés et souvent régressifs, produites par le croisement de formes naturelles et entretenues artificiellement par l’homme. L’influence du croisement est ici tout à fait capitale; les races contiennent toujours le sang de deux ou plusieurs variétés naturelles et ce croisement est la cause des particularités que l’homme entretient et majore par une sélection attentive et des mariages judicieux.

Nous emprunterons à Sanson la définition de la race au point de vue zootechnique tout en nous gardant d’adopter pleinement son hypothèse nullement conforme, sur certains points, à nos opinions biologiques.

Si la notion d’espèce a donné et donne encore lieu à tant d’incertitude, attestée par les si nombreuses définitions qui en ont été proposées, on ne peut guère l’attribuer cependant à une véritable difficulté du sujet. A voir tant de naturalistes éminents échouer, selon la remarque d’Isidore Geoffroy-Saint-Hilaire dans l’éclaircissement de ce sujet, on serait volontiers tenté de qualifier d’outrecuidant celui qui le considérerait comme très clair par lui-même. En vérité, il en est pourtant ainsi. En l’envisageant d’un certain point de vue qui est le bon évidemment, on s’aperçoit qu’il a été obscurci comme à plaisir par des complications tout à fait superflues. La préoccupation des auteurs, depuis Buffon jusqu’à Cuvier, a été de trouver une formule qui fût particulièrement applicable à la notion de l’espèce organique et plus spécialement môme à celle de l’espèce zoologique. Ils ont, avant tout, tenu à y faire intervenir la faculté qu’ont les êtres vivants de se reproduire par génération. Quelques-uns même, entre autres Frédéric Cuvier et Flourens, ce dernier croyant ainsi interpréter la pensée de Buffon, n’y ont envisagé que cette faculté, le reste étant laissé de côté. La propriété de donner, par l’accouplement, des suites indéfiniment fécondes, devait suffire pour caractériser l’espèce. Il n’eût pas été nécessaire que ces suites se ressemblassent entre elles, comme le voulait, d’ailleurs, Buffon, comme le voulait aussi Cuvier et tous ceux auxquels sa grande autorité s’est imposée, autant dire presque tous les naturalistes du siècle dernier.

Il faut, pourtant, bien s’apercevoir que la notion d’espèce n’est point particulière aux corps organisés. Elle est universelle. Elle s’applique aux corps bruts comme à ceux-là. Elle est un des premiers besoins de l’esprit humain, sinon le premier de tous. Dès que l’homme se trouve en présence des objets, il éprouve l’insurmontable nécessité de les distinguer, de les rattacher à leur espèce, même pour nier la notion l’on est obligé de s’en servir. Ceux qui croient pouvoir s’en passer sont dupes de leur propre illusion. Dès qu’il commence à fonctionner, l’œil saisit d’abord confusément, puis de plus en plus distinctement, les similitudes et les différences que présentent les corps. Il arrive ensuite à les reconnaître d’après les propriétés qui ont été ainsi abstraites peu à peu, en commençant par les plus frappantes et les plus facilement saisissables. Les différences d’abord, puis les similitudes. Les corps se groupent par celles-ci précisément en rapprochant tous les similaires. De là, naît la notion d’espèce exprimée en toute langue par un mot appliqué aux objets d’un ordre quelconque, le même pour les corps bruts et pour les corps organisés, pour les minéraux comme pour les végétaux et les animaux. Aucun objet évidemment qui ne soit d’une espèce particulière, c’est-à-dire qui ne présente des caractères à l’aide desquels il puisse être distingué parmi ceux du même genre. La table sur laquelle ceci s’écrit, par exemple, est de l’espèce des tables carrées, qui n’est point celle des tables rondes. La plume qui trace sur le papier les caractères de l’écriture est de l’espèce des plumes de fer, qui n’est point celle des plumes d’oie.

Mais tout le monde est d’accord sur cela. La notion vulgaire est une évidence, comme, du reste, toutes les notions vulgaires. C’est en s’appliquant aux corps organisés qu’elle devient moins claire, sinon obscure, sans doute pour cause de moins facile analyse des caractères différentiels. Elle ne change toutefois point, pour cela, de sens. Avec la croyance qui s’imposait de son temps et dont la science s’est depuis affranchie, la laissant en dehors de son domaine, Linné l’a formulée, cette notion, d’une façon dont la netteté ne saurait être surpassée. «Nous comptons autant d’espèces qu’il a été créé de formes diverses à l’origine.» Ce qui revient à dire que la notion d’espèce est identique à celle de formes originelles, d’où que celles-ci puissent d’ailleurs venir et de quelque façon qu’elles se soient réalisées, même à quelque temps qu’elles remontent. En un mot, la notion d’espèce et la notion de formes distinctes sont, pour Linné, une seule et même chose. On a joint, depuis, pour ce qui concerne les êtres vivants, à cette notion précise celle de la transmission à la descendance qui n’est qu’une complication superflue, ou, pour mieux dire, une cause de confusion.

En effet, l’idée répandue maintenant, au sujet de l’espèce zoologique est que cette espèce est une collection ou une suite d’individus issus les uns des autres et se ressemblant entre eux. Ce qui domine dans une telle définition, c’est la notion de collectivité, n’ayant pourtant rien de nécessairement commun avec celle dont il s’agit. Un objet peut fort bien être seul de son espèce, ou autrement dit n’avoir de caractères communs avec aucun autre. Ce n’est pas le cas parmi les êtres vivants parce qu’ils ont la propriété de se reproduire en transmettant leurs caractères à leur descendance, mais leur qualité spécifique ne change point pour cela. Elle reste, ce qu’elle est dans tous les autres corps, exclusivement une qualité de forme.

En définitive, la notion d’espèce pour tous ceux qui en ont voulu donner une définition objective, n’a jamais été que la notion de type ou de modèle, d’un ensemble de lignes occupant une certaine partie de l’espace. L’accessoire de la reproduction indéfinie devenue pour Flourens le principal sous le nom de fécondité continue n’y pouvait rien ajouter. Considérée en soi, cette faculté de reproduction ne supporte pas un seul instant l’examen comme critérium spécifique. Les espèces notoirement distinctes qui, en s’accouplant, donnent des suites indéfiniment fécondes, ne se comptent plus. C’est donc la notion de type qui subsiste seule, et c’est la vraie pour tout le monde consciemment ou inconsciemment. L’espèce est aux êtres vivants ce que le type d’imprimerie est aux œuvres typographiques, ce que le coin est à la médaille ou à la monnaie. On ne peut pas s’en faire une plus juste idée que par ces comparaisons, qui se suivent même jusqu’à la reproduction par le tirage ou par la frappe en un nombre indéfini d’exemplaires. C’est ce qu’on appelle une parfaite illustration de l’idée.

Mais pour serrer de plus près notre notion, pour la définir en un mot, où est, chez les animaux, la caractéristique du type spécifique ou type naturel? Car encore une fois, type naturel ou espèce, c’est une seule et même chose pour tout le monde, qu’on s’en rende compte clairement ou non. Nous ne perdrons pas ici notre temps à nous égarer au milieu des nébulosités de la prétendue philosophie: à prendre parti entre les doctrines du créationnisme et du tranformisme ou de l’évolutionnisme. Sur l’origine première des choses, j’avoue pour mon compte, sans le moindre détour, ma complète ignorance. Je m’en tiens à la constatation des faits accessibles à l’observation, comme pouvant seuls fournir à la science des assises solides. En tout cas, si les types dont nous constatons l’existence ne sont, en réalité, que transitoires, par rapport à l’éternité, le temps qu’ils paraissent avoir duré depuis le moment où leurs premiers restes ont été déposés dans les couches terrestres est plus que suffisant pour nous autoriser à les qualifier de naturels. A plus forte raison si nous nous plaçons au point de vue de nos études spéciales, au sujet desquelles il y aurait presque du ridicule à faire intervenir les hypothèses cosmogoniques. N’oublions pas qu’il s’agit ici simplement d’arriver à l’exacte définition de la race, sur laquelle nos méthodes zootechniques doivent s’exercer, non pas d’exécuter des variations plus ou moins brillantes sur le thème offert aux virtuoses de la pensée. Ceux-là seuls peuvent s’y laisser aller qui ont plus de souci de mettre en évidence leur souplesse d’esprit que de servir les véritables intérêts de la science.

Hadda, jument barbe.


Où donc, disons-nous, est le type naturel en zoologie? où sont les formes spécifiques? plutôt où est la caractéristique de l’espèce chez les animaux vertébrés dont nous avons seulement à nous occuper ici? Il n’est pas, à ma connaissance, que les naturalistes qui ont tant discouru ou disserté sur la notion de l’espèce se soient posé d’une manière suffisamment précise cette question qui est cependant la principale. Indépendamment du principe, à lire les descriptions de la faune, on s’aperçoit sans peine qu’une caractéristique déterminée a toujours fait défaut. Les distinctions spécifiques y ont toujours un caractère flagrant d’arbitraire. Elles sont établies tantôt sur un système organique, tantôt sur un autre. On n’y reconnaît aucun type véritablement naturel. Les formes spécifiques y sont souvent méconnues, alors que de simples caractères de variété sont érigés au rang de caractères d’espèce. Les uns distinguent, dans un même genre, des espèces avec une véritable prodigalité, tandis que les autres les confondent comme à plaisir pour en restreindre le nombre. Les exemples s’offriraient en foule pour le montrer.

L’expérience, qui est le seul juge dans les sciences positives, a fait voir que les types naturels dépendent exclusivement du squelette, dont les formes ne varient point normalement d’une manière durable. Il y a longtemps, d’ailleurs, que les paléontologistes s’en sont aperçus, n’ayant point d’autres bases pour leurs diagnoses. Et dans le squelette, ces formes spécifiques, déterminantes de type, appartiennent surtout au rachis et à la tête, qui en sont les parties évidemment fondamentales et les parties essentielles. Dans l’embranchement des vertébrés, toutes les autres ou quelques-unes d’entre elles manquent à des classes entières: celles-là ne font jamais défaut, sauf chez l’Amphyoxus, ce vertébré ambigu, ce vertébré sans vertèbres.

Entre les types naturels ou spécifiques, le nombre des pièces rachidiennes et leur forme diffèrent parfois, mais non pas toujours. Dans chaque genre, il y a des groupes d’espèces se rattachant à un type rachidien, d’autres à un type différent. Chez les chevaux, par exemple on constate un type à trente-six vertèbres vraies, un autre à trente-cinq seulement. A ce dernier appartiennent tous les asiniens sans exception; à l’autre la plupart des caballins. D’irrégularités qui se présentent parfois et dont quelques-unes sont facilement attribuables à des conflits d’hérédité, si la condition déterminante des autres nous échappe, on s’est cru autorisé à douter de la valeur caractéristique attribuée à cette partie de squelette. Il faudrait, pour cela, n’avoir guère le sens zoologique, je ne veux pas dire philosophique, à cause de l’abus qui a été fait du terme. Il suffit, en tout cas, de posséder la notion de ce qui est l’état normal, pour reconnaître à ces irrégularités leur signification purement accidentelle, n’altérant en rien la constitution du type naturel. Dira-t-on que la classe des mammifères est établie arbitrairement, parce qu’on y aura rencontré un sujet accidentellement dépourvu de mamelles? Les irrégularités en question appartiennent à la tératologie, non à la zoologie. Elles ne peuvent enlever au type rachidien aucune parcelle de sa valeur.

Cette valeur, cependant, pour le motif qui vient d’être dit de la communauté entre plusieurs espèces, n’est pas à mettre en parallèle avec celle du type céphalique en comprenant par là tout l’ensemble de la tête osseuse. Celle-ci fournit, dans tous les cas, les formes véritablement spécifiques, celles qui caractérisent sûrement le type naturel. La caractéristique de celui-ci ressortit donc finalement à la craniologie. Tel crâne, telle espèce de vertébré, peut-on dire. Dans chaque espèce, les formes du crâne encéphalique et celles du crâne facial sont toujours absolument semblables. Les os y ont les mêmes directions de surface, les mêmes contours et les mêmes dimensions proportionnelles. Le crâne cérébral est court ou allongé, ce qui fait que, dans tous les genres, les espèces se groupent en deux types céphaliques. Il y en a aussi de brachycéphales et de dolichocéphales ainsi que Retzius l’a reconnu le premier, pour les crânes humains. Avec chacun de ces types céphaliques, les formes faciales, dépendantes des frontaux, des os du nez, des lacrymaux, des zygomatiques, des grands et des petits sus-maxillaires, sont toujours également typiques ou différentielles, imprimant à chaque espèce .sa physionomie propre. Quelques-unes le sont tellement, qu’isolées elles suffisent pour faire reconnaître l’espèce à laquelle elles ont appartenu.

Cette caractéristique craniologique, d’abord contestée chez nous par esprit évident d’opposition, est aujourd’hui admise partout en Europe, mais surtout sous la forme craniométrique qui n’est cependant point la meilleure. Cela est dû principalement à l’autorité de Rütimeyer, qui l’a saisie à peu près en même temps que nous en étudiant la faune des habitations lacustres de la Suisse. Dans une certaine mesure, les hippologues l’avaient aperçue bien longtemps auparavant, lorsqu’ils signalaient les diverses formes de tête, dont la signification leur avait toutefois échappé. Tous les connaisseurs en bétail en avaient la notion synthétique et ils s’en servaient pour distinguer les races, non point quand ils avaient à les décrire assurément, mais d’une façon en quelque sorte inconsciente. Ils reconnaissaient les types empiriquement.

En vain essaierait-on, du reste, de nier sa réalité. La pratique de l’enseignement zootechnique permet d’en vérifier chaque jour le fondement. Elle est, en effet, véritablement expérimentale car en présence d’un type naturel quelconque, dont l’analyse fait établir la diagnose, la recherche de l’origine ne manque jamais de la confirmer. Ce n’est pas arbitrairement que les caractères craniologiques ont été proclamés typiques ou spécifiques. Ils ont été reconnus tels parce qu’ils se transmettent infailliblement par l’hérédité, dans la suite des générations. Qu’une influence intrinsèque les trouble ou les altère, la réversion ne manque point de les faire réapparaître. Il est sans exemple, quoi qu’on ait pu dire pour les besoins d’une thèse préconçue, qu’aucun type naturel ait été authentiquement altéré d’une façon durable. Les faits cités, comme celui du chien bouledogue entre autres, ne sont que de pures affirmations. Nul n’a jamais pu remonter avec certitude jusqu’à sa première apparition. De même pour celui des bœufs sans cornes, dont l’existence est établie, dès la plus haute antiquité. Les explications qu’on en donne ne sont que des efforts d’imagination capables seulement de satisfaire les esprits peu difficiles sur les preuves.

Les seules modifications que le type craniologique puisse subir, comme, du reste, toutes les autres parties du squelette ne sont que des amplifications ou des réductions totales. Dans ces amplifications ou ces réductions, les proportions respectives des parties étant conservées, le type demeure intact, comme il en est de la statuette qui devient statue, ou inversement de la médaille ou de la monnaie qui change de module sans que son effigie soit elle-même changée.

Ce qu’il faut donc retenir de tout ce qui précède c’est que l’espèce est purement et simplement le type morphologique naturel que présentent chez les animaux vertébrés tous les individus de même origine. Aussi loin que nos observations puissent remonter (et cela va jusque par delà les temps quaternaires pour la faune qui nous intéresse directement), nous constatons que ce type se transmet sans changement de génération en génération, qu’il jouit, par conséquent, d’une fixité contre laquelle il n’y a aucun argument scientifique à opposer. Mais il importe surtout, l’espèce étant ainsi définie comme type morphologique, d’affranchir sa définition de toute idée de collectivité. La notion d’espèce en est absolument indépendante. Chaque espèce animale est, en fait, représentée, au moment actuel et dans la suite du temps, par une collection plus ou moins nombreuse d’individus, dont chacun reproduit son type ou en est un exemplaire, mais encore un coup elle le serait tout aussi bien et tout autant par un seul. Cette collection se rapporte à la notion de la race, que nous pouvons maintenant aborder avec tous les moyens de la rendre aussi claire qu’il est permis de le désirer.

Après ce qui vient d’être dit, il est à peine besoin d’ajouter que l’ensemble des individus de même type naturel ou de même espèce, forme la race de cette espèce. Chaque espèce a ainsi naturellement sa race plus ou moins nombreuse, considérée au moment actuel ou dans le passé, en voie de prospérité ou de décadence selon que les circonstances lui ont été plus ou moins favorables de même que chaque race est d’une espèce particulière. Il y a des espèces de races, comme il y a des espèces de cannes ou de chapeaux. Dans chaque genre d’animaux, nous comptons tout autant de races que d’espèces, ni plus ni moins.

Par cela seul que les vertébrés mammifères jouissent de la faculté de se reproduire et d’augmenter de nombre avec le temps, suivant une progression géométrique, c’est-à-dire de se multiplier; par cela seul aussi qu’en se reproduisant ils transmettent infailliblement leur type spécifique, comme nous l’avons vu, il nous est possible par le raisonnement de remonter avec certitude jusqu’à la première manifestation de ce type de race et de savoir sous quel état il n’a pu manquer de se manifester. De son origine propre nous ignorons tout, et dans l’état actuel de la science, on doit considérer comme sage de s’abstenir de la rechercher. Sur un tel sujet aucune hypothèse n’est vérifiable et, par conséquent, légitime. Des doctrines en présence, aucune ne dépasse les limites de la vraisemblance. Ce n’est pas assez pour l’esprit scientifique auquel la probabilité ne suffit même point. Laissons donc ce problème insondable à ceux qui se croient plus avancés parce qu’ils se leurrent de solutions hypothétiques. Chacun a, du reste, pour ce qui le concerne personnellement, sur ce sujet, pleine liberté.

La raison de la progression d’après laquelle les types naturels de mammifères se sont multipliés a été nécessairement variable puisque, d’une part, les générations s’y succèdent à des intervalles inégaux et que, de l’autre, le nombre d’individus produits à chaque génération est très différent. Les uns n’en font qu’un par gestation, les autres en font dix et au delà. Peu importe étant donné le nombre des représentants de la race au moment présent, il est évident parce que cela est nécessaire que ce nombre ne peut être autre chose que le résultat d’une progression géométrique ascendante. Celle-ci implique, par son caractère même, conséquence d’une propriété naturelle, une série descendante de même ordre, qui lui correspond nécessairement. Le plus grand nombre actuel, si l’on fait fonctionner en sens inverse les éléments qui l’ont formé conduit forcément jusqu’au plus petit. Ce plus petit nombre ici ne peut pas être moindre que deux, pour la raison que deux individus de sexe différent sont nécessaires pour la reproduction. Il est donc clair, d’après cela, que la race considérée a commencé par le couple et qu’elle n’a pu commencer autrement. En raison, d’ailleurs, des lois de l’hérédité, déjà visées, l’identité de type à tous les moments en est, elle aussi, une preuve irrécusable.

Il est donc facile de définir très simplement la race en disant que c’est la descendance d’un couple primitif. Sachant que ce couple primitif est d’un type naturel quelconque, on ne peut être surpris que celui-ci se perpétue dans sa descendance. Il en est ainsi pour l’excellente raison qu’il n’en peut être autrement. Le couple a donné une première famille qui est allée grandissant avec le temps d’après sa loi naturelle jusqu’à constituer la race à son état actuel. Et c’est ainsi que la notion réelle de race n’est pas autre chose que l’extension de celle de famille. La race est, en somme, un groupe de familles d’une même espèce, dont la population est d’importance essentiellement variable, selon qu’elle a rencontré pour se propager des conditions plus ou moins favorables, selon que le rapport entre la natalité et la mortalité a été dans un sens ou dans l’autre. Nous observons, au moment présent, des races en décadence et d’autres qui vont sans cesse prospérant. Il y en a qui sont complètement éteintes depuis longtemps, moins toutefois qu’on ne le croit en général, la connaissance exacte des types naturels comme nous les avons définis ayant montré parfaitement vivants encore plusieurs d’entre eux qui étaient considérés comme n’existant plus qu’à l’état fossile.

Mais telle n’est point l’opinion commune, au sujet de la notion de race. On ne songe pas, en général, que cette notion et celle de l’espèce se rapportent, en réalité, aux mêmes objets envisagés seulement à des points de vue différents l’un étant le point de vue morphologique, le point de vue du type naturel ou spécifique, l’autre, celui de la succession des générations qui le représentent dans le temps. Pour l’espèce, c’est exclusivement une question de forme; pour la race, une question de nombre. La première notion est concrète; la seconde est purement abstraite. Dans l’opinion commune, l’espèce, si confusément définie, est prise pour une collectivité d’individus, ce qui est, ainsi que nous venons de le voir, le propre de la race véritable, l’espèce, au contraire, se divise en races plus ou moins nombreuses plutôt plus que moins, car il semble y avoir une tendance insurmontable à en grossir le nombre. L’espèce et la race deviennent ainsi des choses de même ordre: l’une et l’autre des catégories morphologiques.

Des naturalistes contemporains, M. de Quatrefages paraît être le seul qui ait donné de la race ainsi comprise une définition claire. C’est sans doute à cause des besoins de sa spécialité anthropologique. Tous, pour des raisons difficiles à dégager répugnent à augmenter le nombre des espèces animales admises et semblent, au contraire, disposés à ne jamais trouver trop grand celui des races auxquelles, d’ailleurs, ils ne s’intéressent guère. Il n’en est pas de même, on le comprend sans peine, au sujet des races humaines dont l’étude est pleine d’intérêt. Les anthropologistes se divisent en deux groupes nettement distincts dont l’un n’admet qu’une seule espèce d’hommes, tandis que l’autre en reconnaît plusieurs. Dans notre champ particulier, où le nombre des races cataloguées va s’augmentant sans cesse, on dit aussi volontiers l’espèce chevaline, bovine, ovine, caprine et porcine que les anthropologistes du premier groupe disent, avec M. de Quatrefages, l’espèce humaine.

Pour lui, la race est une variété constante de l’espèce, ou encore une variété de l’espèce devenue héréditaire. Ce qui donc distingue la race de la simple variété c’est la fixité ou constance acquise, par transmission héréditaire, des caractères variables. Dans la variété, ces caractères sont instables, dans la race, ils sont devenus constants.

La valeur de cette définition est tout entière subordonnée à la question de savoir s’il y a, en fait, des caractères variables, des caractères de variété qui puissent ainsi acquérir la constance. Il ne suffit point de l’affirmer il faut le prouver. Or, je ne crains pas d’avancer qu’aucune observation valable ne pourrait être invoquée à l’appui d’une telle affirmation. Celles que l’auteur a tant de fois citées, sur la foi d’anciennes assertions, ne supportent pas un examen tant soit peu approfondi. La plus topique de toutes, à ses yeux, concernant la création de la prétendue race de mérinos à laine soyeuse de Mauchamp, peut donner une idée des autres. On sait que sa caractéristique consistait en ce que, au début, les sujets au lieu d’avoir la toison normale des mérinos formée de brins à courbures alternes, opposées et rapprochées en mèches denses et carrées, l’avaient en mèches pointues et constituées par des brins faiblement onduleux et à éclat soyeux. Le laboratoire de zootechnie de l’École de Grignon possède deux échantillons de laine, pris il y a longtemps sur le troupeau de la bergerie de Gevrolles, où était entretenue par l’État la prétendue race de Mauchamp. L’un de ces échantillons présente tous les caractères de la toison normale du mérinos. Ils sont là précisément pour montrer aux élèves le défaut de constance du caractère en question.

Quelque soin de sélection qu’on ait pris durant de longues années, pour maintenir le lainage soyeux, il a été impossible de s’opposer au fonctionnement de la loi de réversion. Du reste, les mérinos de Mauchamp n’existent plus, ce qui n’a pas empêché notre auteur d’en parler dans son dernier ouvrage comme s’il s’agissait d’une race parfaitement acquise et en pleine prospérité. Ne présente-t-on pas de même sur la foi de Darwin, la race des bœufs ñ̃atos des Pampas de Buenos-Ayres, qui n’a jamais été représentée que par quelques sujets très accidentellement dans les troupeaux là comme en Europe, particulièrement en Normandie.

Herm von Nathusius, le zootechniste le plus renommé de l’Allemagne, a consacré tout un long mémoire à nier la constance dans les races comprises à la façon commune dans le sens de variété. Elles sont, selon lui, essentiellement variables; et de fait il y a quelque chose de contradictoire dans l’association des deux idées de constance et de variété. Il n’y a, en réalité, point de variété qui ne soit susceptible de varier encore. Je n’en connais, pour ma part, aucune qui se soit montrée fixe, depuis que je l’observe, de quelque sorte qu’elle soit; on voit varier sans cesse tous les caractères des animaux, sauf ceux que nous avons qualifiés de spécifiques, sauf les traits fondamentaux du squelette. Sauf cela, rien n’est constant, tout est variable. Je ne pense pas qu’un seul zootechniste digne du nom, en Europe, s’inscrive contre l’assertion. Il y aurait plutôt tendance à renchérir, à y comprendre ce que nous exceptons. Comment admettre, après cela, que la définition puisse être acceptée?

Sans doute, on constate l’hérédité de certains effets de variation. Les cas en sont même nombreux; et cela est, en vérité, fort heureux pour la pratique zootechnique. C’est ainsi que nous pouvons créer des variétés de plus en plus aptes à satisfaire nos besoins. Mais il ne s’agit là malheureusement que d’une hérédité toujours précaire et momentanée donnant large prise à la réversion contre laquelle il faut sans cesse lutter. Ce n’est point cette hérédité naturelle de race, cet atavisme qui maintient imperturbablement le type spécifique, ou le rétablit quand des influences extrinsèques l’ont troublé ou altéré. En ce sens de la conservation indéfinie ou même seulement très prolongée, les variétés ne deviennent donc point héréditaires. Elles restent seulement temporaires et, par conséquent, de simples variétés, dont le maintien est toujours subordonné à la continuité des influences qui les ont formées, influences d’ailleurs parfaitement déterminées pour la plupart.

En vérité, l’on peut conclure d’après tout ce que nous savons en zootechnie que les prétendues variétés réellement constantes de M. de Quatrefages sont de véritables espèces, ainsi que le reconnaissent maintenant les anthropologistes affranchis du préjugé monogéniste, et que les prétendues races animales de la plupart des auteurs, dont la variabilité est notoire sont purement et simplement des variétés d’un nombre déterminé de types naturels ou spécifiques de race.

On conçoit difficilement que de bons esprits qu’aucun préjugé doctrinal n’engage, puissent résister à l’évidence de tels faits; que des définitions si claires et si simples de l’espèce et de la race, si manifestement conformes à l’état naturel des choses, qu’elles se bornent à traduire au profit incontestable de la pratique zootechnique aussi bien que de la vérité scientifique, n’aient pas depuis longtemps pris la place de la confusion commune. Cela n’est vraiment explicable que par la puissance de l’habitude qui dispense d’examiner ce qui est généralement admis. Je ne doute toutefois pas que l’avenir leur soit assuré. La vérité finit toujours par prévaloir; c’est pourquoi l’on ne doit point se lasser de la mettre en évidence par tous les moyens qui nous sont offerts. Celles en question ici peuvent être tenues pour incontestables puisqu’elles n’ont encore, à ma connaissance, rencontré aucune objection fondée sur un fait réel.

Il y a donc, dans chaque genre d’animaux, des races de diverses espèces, en plus ou moins grand nombre formant ou non des groupes secondaires, comme ceux, par exemple, des ânes, des chevaux, des hémiones et des zèbres dans le genre des équidés; des taureaux ou bœufs, des buffles, des zèbres et des yacks dans celui des bovidés; des brebis et des chèvres dans celui des ovidés. Ces races, dont chacune est d’un type déterminé et ainsi caractérisée en son espèce, se divisent en variétés qui sont dites naturelles ou artificielles ou encore zoologiques ou zootechniques.

Les premières se montrent chez les animaux sauvages comme chez les domestiques. Ce sont principalement des variétés de taille, dues à l’influence des variations dans la richesse du sol. Il y en a aussi de pelage, auxquelles le climat n’est pas sans doute étranger. Les secondes, les variétés artificielles résultent exclusivement de l’application des méthodes zootechniques. Ce sont des variétés d’aptitudes. Ces dernières variétés, à leur tour, se subdivisent en familles distinguées par les mérites particuliers de leur chef et établies à l’aide des livres généalogiques. Dans le langage des éleveurs, on dit que les membres de ces familles sont du sang de celui-là.

De la sorte, on voit que la race est, comme nous l’avons dit en commençant, un ensemble de familles distinctes ou non selon qu’on a pris le soin de leur dresser un état ou qu’on l’a négligé (ce qui est le cas le plus général) mais se groupant d’abord en variétés d’après leurs caractères de taille, de conformation corporelle, de couleur ou d’aptitude, toutes choses indifférentes pour la morphologie spécifique constituante du type naturel de la race. C’est d’après ce type que sont construits tous les descendants du couple primitif qui a été le point de départ de la population dont chaque individu n’est, selon une élégante formule de Baudement, qu’un exemplaire, tiré une fois de plus, d’une page une fois pour toutes stéréotypée.

Dans la nomenclature zootechnique, les races sont nommées en langue française, ainsi que les variétés, et autant que possible en conservant, pour celles-ci surtout, abusivement considérées d’ordinaire comme des races, les noms adoptés par l’usage. En fait de langage, il convient de ne rompre avec la tradition que quand cela est absolument nécessaire. Les objets restant les mêmes, les noms peuvent demeurer, tout en désignant des valeurs différentes, sur lesquelles il suffit de s’être au préalable entendu. Les espèces, dont la notion est purement zoologique, sur lesquelles nos méthodes n’ont aucune prise et dont elles subissent au contraire la loi, reçoivent des noms latins, conformément à l’usage universel. Étant aussi nombreuses que les races, puisque nous avons vu que chacune de celles-ci est d’une espèce particulière que l’espèce et le type d’après lequel sont construits tous les individus de la même race, il va de soi que les noms admis en zoologie pour les genres dont nous nous occupons ne pouvaient pas être suffisants. Dans le genre des équidés, par exemple, où ne figure qu’une seule espèce chevaline appelée E. caballus, il y en a en réalité huit parfaitement caractérisées. Il a bien fallu les nommer. De même pour les autres. Lorsque nous nous servons du nom latin, nous sommes dans le domaine de la zoologie pure, nous n’entendons désigner que le type naturel, que l’espèce, comme s’il s’agissait d’un animal sauvage. Ce nom correspond aux seuls caractères distinctifs du type de race. Le nom français, au contraire, désigne l’ensemble de la population de ce type avec toutes les variétés sous lesquelles il se présente.

Aire géographique de la race. — Piètrement, dans les savantes recherches préhistoriques et historiques où il a magistralement établi les rapports des chevaux avec les mouvements des populations humaines, a reconnu combien ces recherches lui avaient été facilitées par la découverte des types naturels et des aires géographiques de leurs races. Ne l’eût-il pas avoué avec sa loyauté bien connue, il suffirait pour s’en apercevoir de comparer son premier ouvrage sur le sujet avec le second, véritable monument d’érudition où l’histoire est venue confirmer tout ce que la zoologie des espèces chevalines nous avait fait conjecturer de leurs migrations. Il n’apasété le seul à rendre sur ce point justice à nos efforts. Nombre de fois à la Société d’anthropologie de Paris, notamment, ont éclaté les concordances entre les migrations des races animales et celles des populations humaines, les deux ordres d’études se prêtant un mutuel concours (Sanson) .

Ce n’est pas uniquement à ces points de vue élevés de l’ethnogénie des nations que la connaissance des aires géographiques des races animales a de l’intérêt. La pratique zootechnique y est, elle aussi, grandement intéressée. Entre ces races et le lieu d’habitat qui leur est en quelque sorte naturel, pour lequel elles ont du moins une longue accoutumance, les relations sont tellement étroites qu’il est bien difficile de les rompre sans qu’elles en subissent un dommage plus ou moins grand. Parmi tant de vérités scientifiques ignorées ou méconnues, en ce qui les concerne c’est peut-être celle-là qui l’a été et qui l’est encore le plus souvent, ne voyons-nous pas à chaque instant préconiser ou même pratiquer le déplacement des races sans aucun souci des différences de milieu qui peuvent exister? Il semble que les êtres vivants aient une puissance propre, indépendante de tout ce qui les entoure, qu’ils soient capables de s’approprier un milieu quelconque, en y conservant intacts tous leurs attributs. Rien n’est cependant plus faux, et il faudrait tout un volume pour énumérer seulement les cas dans lesquels l’expérience est venue cruellement démentir les prétentions nées de l’ignorance du fait que nous visons.

Chaque race animale s’est répandue sur le globe autour d’un point qui a été son berceau et c’est l’espace occupé par ses représentants qu’on nomme son aire géographique. Cette aire est entièrement naturelle ou en partie artificielle. Elle est naturelle lorsque le peuplement ne s’est effectué qu’en vertu de la propre loi d’extension de la race; artificielle quand l’homme est intervenu dans les déplacements. Les races sauvages n’ont que des aires géographiques naturelles. Elles les partagent avec d’autres de genres différents: non point, à notre connaissance, avec des races de même genre. Le cas de partage ne se présente que pour les races domestiques auxquelles il a été et est encore imposé ainsi que l’histoire et l’observation nous l’apprennent. La race chevaline asiatique, par exemple, dont l’aire naturelle est relativement restreinte, a été étendue dès les temps préhistoriques et aussi aux premiers temps de l’antiquité, sur la presque totalité de l’ancien continent.

Certes cette notion des aires géographiques n’est pas nouvelle en zoologie. De tout temps, les naturalistes ont constaté que certaines espèces animales avaient ainsi un habitat déterminé, ne les rencontrant nulle part ailleurs. La géographie zoologique a été l’objet de remarquables travaux. Mais elle n’était connue que dans ses grandes lignes, avant que fût établie la caractéristique précise des types naturels, permettant de distinguer nettement les espèces d’un même genre qui avaient été auparavant confondues.

Ne pensant pas sans doute avec raison que la progéniture d’un seul couple pût atteindre, quel que soit le temps admis, l’extension jusqu’aux distances où l’on voit des représentants de ce que l’on croyait une même espèce, Agassiz en était arrivé à la conviction que chaque espèce avait dû commencer sur plusieurs points à la fois. Le pin, disait-il, a commencé par la forêt, la bruyère par la lande, l’abeille par l’essaim ou la ruche. Il interprétait ainsi les les actes de ce qu’il nommait l’intelligence créatrice. Si les sujets sur lesquels se fondait sa conviction eussent été, en effet, de même espèce, comme le croyaient à peu près tous les naturalistes avec lui, l’argumentation d’Agassiz serait en effet assez difficile à réfuter. Créées ou non, des populations qui s’étendent de nos rivages occidentaux à ceux de la Chine, ne pouvaient guère être issues d’un couple unique, étant données surtout les nombreuses causes de destruction contre lesquelles elles ont eu toujours à lutter. Que la progéniture d’Adam et d’Ève ait de la sorte, d’après le récit biblique, peuplé le globe, cela n’ayant rien de commun avec la science, peut être admis, pourvu qu’on ne cherche point à le comprendre. De même pour cet autre récit de l’arche de Noé. Mais dans le domaine scientifique on a l’obligation d’être plus exigeant.

La difficulté soulevée par Agassiz disparaît dès lors qu’il est constaté que là où il ne voyait qu’une seule espèce il y en a en réalité plusieurs. Les berceaux ont été bien nombreux, comme il le pensait, mais chacun était celui d’une race multipliant sa propre espèce. Avec ce que nous savons maintenant des types et des lois de leur reproduction, il n’y a aucune vraisemblance qu’il y ait eu pour chacun plus d’un berceau. De ce berceau la race s’est irradiée dans toutes les directions et sa population s’est étendue aussi longtemps et aussi loin qu’aucun obstacle ne lui a été opposé. Ainsi s’est formée son aire géographique naturelle. L’extension de cette aire était pour elle une obligation, en raison de la loi du rapport nécessaire entre la population et les subsistances, de cette loi de population que les économistes appellent encore la loi de Malthus, dont Darwin a tiré si grand parti pour l’établissement de sa doctrine sur l’origine des espèces.

Le Struggle for life est une nécessité fatale. Les êtres vivants se multiplient et les subsistances s’additionnent seulement. Un moment vient fatalement où le sol ne peut plus produire assez de subsistances pour la population. Il faut émigrer ou périr. Tant que l’espace est libre autour du berceau, la lutte pour la vie n’a pas de motif, la race envahit les territoires vacants, et cela se continue jusqu’à ce qu’elle rencontre un obstacle naturel. Jusque-là sa prospérité n’a pas connu de bornes. La natalité a toujours largement surpassé la mortalité. La lutte pour la vie a été nulle ou à peu près. Elle ne commence qu’à partir du moment où, les limites de l’aire étant fixées, la loi de population entre en fonction. A ce moment-là, il n’y aura plus de place pour tous ceux qui naîtront, les subsistances seront seulement pour les plus forts. La mortalité compensera la natalité.

Parmi les obstacles à l’extension des aires géographiques, il va de soi que s’est nécessairement trouvé celui résultant de la rencontre, à un moment donné, des races émigrant en sens inverse. Ce moment ne pouvait pas manquer d’arriver plus tôt ou plus tard, selon la distance à laquelle étaient situés les berceaux. Ce que nous observons sur les confins des aires géographiques actuelles des races porte à penser qu’après un temps de lutte plus ou moins prolongé, sans doute avec des fortunes diverses, il est enfin intervenu entre les deux races voisines un modus vivendi, un véritable traité de frontière. Le plus souvent, toutefois, c’est le climat qui paraît s’être chargé de marquer la limite, rendant ainsi, toute dispute de terrain inutile. Mais cela n’a rien à voir dans ce qui concerne les aires des races chevalines, sur lesquelles notre attention doit surtout se porter.

Ces aires-là nous présentent une autre difficulté plus grande, qui est celle de la recherche du lieu de berceau, recherche importante en raison de ce que ce lieu influe nécessairement beaucoup sur l’aptitude plus ou moins étendue de la race au cosmopolitisme. Qu’elle soit due à la constitution originelle ou à l’accoutumance, c’est cette aptitude qu’il faut surtout apprécier exactement pour ne pas s’exposera tenter avec la race des entreprises dont le succès est impossible. Il ne suffit point que l’acclimatement sur un lieu nouveau puisse finalement se réaliser, comme l’histoire des races nous en offre l’exemple, pour qu’il soit sage de le tenter de propos délibéré, s’il ne devait être atteint qu’au prix d’un amoindrissement de la race, mieux vaudrait s’en abstenir. En bien des cas, en outre, ce qui se passe pour des acclimatements effectués n’en a nullement le caractère, la différence étant nulle ou à peu près entre le climat du milieu nouveau et celui du berceau de la race. C’est ce qui rend si utile pour la zootechnie pratique la connaissance aussi exacte que possible des lieux des berceaux des races domestiques et, tout au moins, de leurs aires géographiques naturelles, connais-sauce qui a été durant si longtemps négligée, parce que son importance était absolument méconnue.

La recherche de ces lieux d’apparition ou de formation des types naturels de ce que nous avons nommé l’origine ethnique des espèces, indépendamment de toute conjecture sur les causes mêmes de leur apparition ou de leur formation, n’est vraiment pas au-dessus des ressources de la science actuelle. Elle peut être conduite avec toutes les chances d’aboutir, en n’y faisant intervenir que les faits connus et sans avoir recours aux conceptions hypothétiques dont on abuse tant maintenant en ces matières. Encore une fois, nous nous résignons à ignorer ce que personne ne peut, en vérité, savoir, laissant à leur aise disserter sur ces choses insondables ceux qui s’intitulent ou créationnistes ou évolutionnistes. Nous prenons les faits tels que l’observation nous les offre, parce que les faits sont la seule base solide pour la science, ne nous croyant pas du tout obligé d’opter entre des hypothèses également indémontrables.

Il est connu d’abord que les espèces dont nous nous occupons appartiennent à la faune de la fin des temps tertiaires du globe, à cette période que Lyell a nommée post-pliocène. Avant la formation des terrains de cette période on n’en retrouve aucune trace. Les restes osseux n’ont été constatés que dans des gisements quaternaires où sans cesse des fouilles nouvelles en font découvrir. Il est clair, d’après cela, que le berceau d’aucune de leurs races n’a pu être là où ces terrains font défaut. De l’aire géographique actuelle il faut donc éliminer tout ce qui est de formation plus ancienne. Il est certain, par exemple, que pas une des races animales qui peuplent présentement notre Bretagne n’a eu là son berceau. Toutes y sont venues nécessairement d’ailleurs. Elles s’y sont étendues ou elles y ont été transportées ou plutôt conduites par des migrations humaines. C’est du reste ce que nous avons établi pour l’une d’entre elles, la race chevaline venue d’Asie avec les constructeurs de monuments mégalithiques. Si un seul point de l’aire présente la formation géologique dont il s’agit, il ne peut pas y avoir de doute: là est le berceau; c’est de là que la race s’est irradiée. Les meilleures conditions de vie pour la race s’y trouvent d’ailleurs réunies. Les sujets encore aujourd’hui, dans les conditions naturelles, y atteignent le développement le plus complet.

Mais le cas ne se montre maintenant que d’une façon exceptionnelle et pour les races dont l’extension a été exclusivement naturelie, par conséquent en général assez limitée. Le plus souvent, la formation se trouve sur deux ou plusieurs points de l’aire actuelle, qui alors n’est plus continue. Il arrrive que ses portions sont séparées par la mer et alors on constate que la séparation est due à un phénomène géologique postérieur à l’extension naturelle de la race. C’est ce que nous voyons notamment pour les Iles Britanniques. Sur des aires exclusivement continentales, les espaces intermédiaires plus ou moins nombreux et plus ou moins étendus sont occupés par d’autres races. En ce dernier cas, l’histoire des migrations et des invasions humaines est un guide sûr pour conduire au berceau. C’est ainsi que nous voyons la race chevaline germanique sur tous les points où les envahisseurs germains se sont établis dans les premiers siècles de notre ère. L’ethnogénie animale et l’ethnogénie humaine marchent à peu près toujours de front. En l’absence de faits historiques, reste notre première donnée. Entre deux lieux possibles sur la même aire géographique, les plus grandes probabilités sont évidemment en faveur de celui qui présente pour la race les meilleures conditions de vie. On se rattache de plus en plus dans les sciences naturelles, en géologie surtout, à ce qu’on nomme la doctrine des causes actuelles. On pense que les phénomènes se sont toujours passés comme ils se passent à présent et c’est en ce sens que la théorie de l’évolution prenant la place de celle des révolutions et des cataclysmes est celle qui a le plus de chances d’être vraie. Là où la race vit le mieux dans ses conditions naturelles, là a dû être son berceau. En la prenant vers un point quelconque de la périphérie et la suivant vers l’intérieur de son aire, on la voit toujours aller s’améliorant jusqu’à un point culminant qui se montre sur le lieu même du berceau. Cela, bien entendu, ne s’applique qu’à l’aire naturelle et reste en dehors de l’intervention des méthodes zootechniques.

En s’irradiant à partir du berceau, à la recherche des subsistances, les races n’ont pu manquer de rencontrer des conditions variées, différentes de celles de leur point de départ, les plus favorables nécessairement. A ces conditions variées il leur a fallu s’accommoder. L’étude des limites de l’accommodation à des milieux nouveaux nous intéresse au plus haut point. C’est encore là des données fondamentales de la zootechnie scientifique, dont nos devanciers ne se sont pas suffisamment occupés. Il serait plus exact de dire qu’ils ne s’en préoccupaient à aucun degré. Le cosmopolitisme absolu des races semblait être pour eux une sorte d’article de foi. A leurs yeux, les agents d’amélioration héréditaire pouvaient être pris n’importe où. Les considérations de sol et de climat ne comptaient pas. C’était, du reste, la conséquence obligée de l’absence de notion des aires géographiques. L’observation des races en partant, au contraire, de cette notion va nous permettre de déterminer avec une grande précision les limites de l’accommodation et de donner ainsi de ce chef aux opérations zootechniques des bases certaines.

L’accommodation concerne à la fois les fonctions de relation et les fonctions de nutrition. Celle des premières est certainement intéressante à étudier, mais seulement à l’égard des animaux sauvages. Nous nous en tiendrons ici aux fonctions de nutrition plus spécialement zootechniques. Ces fonctions sont influencées par la puissance productive du sol qui règle les subsistances et par les conditions atmosphériques de température, de pression et d’hygrométricité.

L’observation des races sur les différents points de leur aire géographique montre que l’organisme jouit, sous le rapport des besoins alimentaires, d’une grande élasticité. Les jeunes qui se développent avec une alimentation restreinte, en quantité ou en qualité, eu égard aux ressources du berceau de leur race, subissent tout simplement une réduction de taille et de volume proportionnelle à la restriction. Les exemples sont nombreux qui montrent que cette réduction peut aller fort loin. En comparant notamment les poneys des îles Shetland à ceux du pays de Galles, qui sont les uns et les autres de la même race irlandaise, ou encore les vaches de la Fionie à celles de la Frise néerlandaise de la race des Pays-Bas, mieux encore certains chevaux d’Andalousie et des Maremmes de la Toscane à ceux du Holstein, ou les bœufs des vallées des Hautes-Pyrénées à ceux du pays garonnais, on constate des écarts qui vont parfois du simple au double. Dans tous les cas, il est clair qu’en changeant de milieu la race s’est accommodée à une alimentation moins riche et que ses besoins nutritifs se sont réduits. Entre les extrêmes comme ceux que nous venons de citer pour rendre le fait plus frappant, on observe toutes les transitions intermédiaires, montrant que le phénomène s’est accompli lentement et progressivement à mesure que l’extension de la race se faisait. En ce sens il est permis de penser que la limite d’accommodation n’est guère posée que par la complète stérilité du sol. Le passage brusque de l’abondance à la disette met à coup sûr l’organisme à une épreuve difficile, sinon impossible à supporter. Mais pourvu que les transitions soient ménagées durant une suite suffisamment longue de générations il est évident qu’il n’y a point là d’obstacle insurmontable à l’extension des races. L’appareil digestif essentiellement actif jouit au plus haut degré de la faculté de s’accommoder. La race s’amoindrit jusqu’aux dernières limites, à mesure que les subsistances diminuent, mais tant qu’il en reste, si peu que ce soit, elle ne périt point. Le fait est certain. Le squelette n’acquiert que le développement proportionné à la richesse du sol en acide phosphorique et en chaux et c’est lui qui commande tout le reste de l’organisme, dont il forme la base. Étant donnée la composition d’un sol on en peut conclure à coup sûr la taille des animaux qui l’habitent et jusqu’à un certain point leurs aptitudes. En ce sens la géographie physique est donc une des connaissances les plus précieuses pour les études zoologiques. Elle doit être considérée comme un des éléments indispensables pour l’appréciation complète des races.

Quand on envisage les écarts de température atmosphérique comme ceux qui existent entre les régions tropicales et les boréales ou les australes, même seulement celles dites tempérées, on est conduit par les faits à reconnaître que les races de l’une de ces régions sont dans l’impossibilité d’accommoder leur organisme aux conditions de l’autre. Il ne peut pas se pliera des écarts si grands. Les animaux des pays tropicaux meurent de consomption dans les, régions froides. Ils ne peuvent pas davantage supporter les hivers des climats tempérés. Leur organisme s’use à dégager de la chaleur. Ceux des pays froids succombent dans les régions tropicales à la nutrition insuffisante qu’occasionnent les troubles intestinaux. Il n’y a pas, croyons-nous, d’exemple d’une accommodation de ce genre, même à la suite de transitions ménagées par un long temps et de lentes migrations.

Mais en deçà de ces écarts extrêmes il n’en est plus ainsi. Quelques degrés de différence dans la température moyenne du lieu ne paraissent pas être pour l’accommodation un obstacle insurmontable. Nous voyons entre autres la race bovine des steppes supporter les hivers longs et rigoureux de la Russie méridionale et vivre également depuis l’antiquité en Égypte et dans l’Italie centrale. Elle est, selon toutes les probabilités, originaire de l’Extrême-Orient, par conséquent d’un climat chaud. Elle a donc dû s’accommoder aux hivers russes. Les rennes qui, dans les temps quaternaires, étaient abondants au Sud de la Gaule comme en témoignent les nombreux restes qu’ils y ont laissés ne se trouvent plus que vers les régions boréales.

On croit communément qu’ils y ont émigré pour la raison d’un changement dans le climat. C’est possible, mais bien d’autres motifs peuvent aussi avoir contribué à les faire disparaître de leur ancien habitat. Le peu de difficulté qu’ils éprouvent à se maintenir dans nos ménageries, semble prouver que l’élévation de la température n’aurait pas suffi pour les faire disparaître. Quoi qu’il en soit il est bien certain que les faibles écarts se présentent assez fréquemment.

De même pour les écarts dans la pression atmosphérique, si la différence d’altitude dépasse 2.000 mètres, on observe des phénomènes que Jourdanet d’abord, puis Paul Bert ont bien étudiés sous le nom d’anoxyhémie. L’air raréfié n’alimente plus suffisamment en oxygène l’hémoglobine du sang habitué à une ration plus forte. L’organisme lutte durant un certain temps, mais il finit toujours par succomber. On en connaît, au contraire, plusieurs qui se sont accommodées de différences d’altitude d’un millier de mètres environ. Nous avons une race en France qui est dans ce cas, celle de nos monts d’Auvergne. Il y en a aussi en Suisse, celles des Alpes et du Jura. La première vit également sur les plaines du Languedoc et sur les Pyrénées ariégeoises: la seconde sur l’Oberland bernois et sur la vallée de la Saône ou les herbages du Nivernais.

L’expérience montre qu’entre ces limites les transitions ne sont même point indispensables. L’accommodation si elle est nécessaire n’est toutefois pas sensible. On voit à chaque instant des sujets transportés brusquement de la montagne sur la plaine y conserver la plénitude de leurs attributs.

Bien différentes sont, au contraire, les conditions à l’égard de l’état hygrométrique de l’atmosphère. Le moindre écart suffit pour que l’accommodation paraisse impossible, aussi bien dans un sens que dans l’autre. Les races originaires des climats humides périclitent sous les climats secs; celles dont le berceau est un climat sec, périssent encore plus vite quand on les transporte en un lieu saturé d’humidité. Ici rien en effet ne les met en mesure de réagir. Contre de telles influences, l’organisme est absolument passif, accoutumé à une certaine diffusion de son eau dans l’atmosphère par les poumons et par la peau, dépendante de la qualité de l’air qui l’entoure, il ne peut rien contre les changements qui se produisent dans le milieu intérieur par suite de la rupture de son équilibre normal. L’histoire de l’extension des races ovines dans le courant de ce siècle, particulièrement de celle des mérinos nous en fournit des preuves frappantes.

En présence des avantages considérables obtenus par l’introduction en France des bêtes à laine d’Espagne, vers la fin du XVIIIe siècle, le Premier Consul voulut que notre pays en fût doté dans toutes ses régions.

Par son ordre des bergeries nationales furent à cet effet établies en grand nombre, en vue de leur propagation. Pour des causes diverses certaines ne prospérèrent pas, mais le point intéressant, que nous visons, c’est que du côté de l’ouest on vit bientôt périr tous les mérinos établis au delà de la ligne où commence le climat océanien. Cette ligne bien connue des météorologistes marque la limite infranchissable (région septentrionale des mérinos français). Toutes les tentatives depuis lors ont échoué pour la leur faire franchir. Sous le climat océanien les mérinos originaires des régions méditerranéennes succombent infailliblement à l’hydrohémie. Ils ne peuvent s’accommoder à une atmosphère saturée (Sanson).

En somme, on voit qu’au point de vue de l’histoire naturelle pure, les races n’ont rencontré dans leur extension que des obstacles peu nombreux. La grande étendue de leur aire géographique en fait foi. Les variétés qu’elle présente montrent en outre les modifications auxquelles elles se sont prêtées pour s’accommoder aux conditions nouvelles. Si le cosmopolitisme n’est pas absolu, l’étude des types et l’histoire des migrations de bon nombre d’entre eux nous apprennent qu’il reste toutefois une grande marge. On se tromperait fort cependant et l’on commettrait une grave faute, si l’on déduisait du fait ainsi constaté la conclusion zootechnique qu’il semblerait comporter. Tout ce qui est possible en effet n’est pas nécessairement possible. En zootechnie comme en toute chose industrielle l’utile seul doit être entrepris. Le succès final ne suffit pas: il faut se demander à quel prix il pourra être obtenu. L’accommodation à un milieu nouveau est toujours le résultat d’une lutte dont nous devons payer les frais, dans la plupart des cas, sinon toujours, ces frais dépassent la valeur du bénéfice qui peut être tiré du résultat acquis. L’histoire de la zootechnie nous en fournirait de nombreux exemples au besoin. Tant que dure la lutte pour l’accommodation, qu’on appelle plus volontiers l’acclimatement bien que le terme soit moins approprié, la machine animale travaille pour elle en vue de sa propre conservation et non point pour nous. Pratiquement, il n’y a en vérité point de cas où l’avantage de faire les frais de cette lutte soit évident. Ce qui est évident, au contraire, c’est la notion toujours favorable que présente l’exploitation des races dans leur propre aire géographique. Là du moins on est sûr d’avoir constamment pour soi l’influence du sol et celle du climat et de n’avoir à lutter contre aucune circonstance naturelle contraire et par conséquent d’atteindre le but des méthodes zootechniques pourvu que l’application en soit faite convenablement. Le moins qn’il puisse advenir des sujets d’une race ainsi exploitée dans les limites de son aire naturelle, c’est qu’ils conservent leurs aptitudes normales. Et c’est à ce point de vue essentiellement pratique que la notion de l’aire géographique de la race a surtout un si grand intérêt.

La variété. — Après ce que nous venons de voir, nous pourrons appeler variété un groupe d’individus de même race se distinguant des autres par un ou plusieurs caractères qui sont des effets de la variation.

Les variétés, d’après cela, ne peuvent avoir et n’ont en effet qu’une fixité relative. Leur maintien est subordonné à celui des conditions dans lesquelles elles se sont formées. Elles ne subsistent qu’aussi longtemps que celles-ci ne varient point. On distingue dans les races, des variétés naturelles et des variétés artificielles. Les premières sont zoologiques et les secondes zootechniques. Ces dernières seules nous intéressent. Elles se produisent, soit sous l’influence des changements de fertilité du sol, ou, soit par l’application des méthodes zootechniques. Dans presque toutes les races animales domestiques on en constate de ces diverses sortes. L’objet essentiel de la zootechnie est d’en créer qui soient le plus possible aptes à satisfaire les besoins de la société, à répondre aux exigences du progrès.

La plupart des variétés animales existantes sont, dans l’état actuel des choses, généralement prises pour des races véritables et qualifiées en conséquence, non seulement dans le langage courant, mais encore dans les ouvrages spéciaux. Cela tient surtout à la fausse définition qui a été donnée de la race et que l’autorité de ses auteurs a fait passer dans la science. D’après cette définition, la race serait une variété constante de l’espèce. On ne s’est pas aperçu qu’elle implique une contradiction même dans les termes. Par cela seul que la variété est un effet de variation, elle ne peut pas cesser de varier pour devenir constante. Il a été dit aussi que la race est une variété héréditaire. La variété réelle est assurément héréditaire, mais sauf variation nouvelle, contre laquelle l’éleveur vise parfois à lutter, mais qu’il cherche au contraire à provoquer dans bon nombre de cas. Nous savons maintenant que seuls les caractères spécifiques sont constants. L’idée de constance et celle de variété ne peuvent donc point s’associer logiquement. En fait, parmi les variétés connues il n’y en a pas une seule dont la constance puisse, être établie même pour une courte série d’années. Les exemples qu’on en a quelquefois cités se rapportent au type spécifique, caractéristique de la race véritable, non pas à des effets réels de variation.

En réalité, dans les divers genres d’animaux il y a un certain nombre d’espèces naturelles, dont chacune est représentée, dans le temps et dans l’espace, par sa race, c’est-à-dire par la descendance du premier couple qui l’a manifestée à son début. Dans cette race il s’est formé et se forme encore, par variation naturelle ou artificielle, des variétés distinctes par la taille, par les formes corporelles, par la couleur ou les combinaisons de couleurs, par telle ou telle aptitude plus ou moins développée. La race de chaque espèce est donc toujours actuellement représentée par des variétés dont le nombre est d’autant plus grand que son aire géographique est plus étendue et qu’elle comporte des conditions de milieu plus variées.

La variation. — Le produit, disions-nous en commençant l’étude de la race, est semblable à ses parents, il ne leur est pas identique. Les ressemblances sont la part de l’hérédité, les différences sont celles de la variation.

Pour que la distinction ainsi établie soit vraie, il faut prendre le mot parents dans son acception la plus étendue, comprenant toute la lignée ascendante, depuis le père et la mère jusqu’aux ancêtres de l’espèce et du genre, en passant par les grands-parents et aïeux de tous les degrés. Il faut aussi rattacher à l’hérédité tous les caractères en apparence nouveaux qui ne sont que des combinaisons nouvelles de caractères hérités. Un mulâtre n’a jamais eu que des parents blancs ou noirs; sa nuance n’en est pas moins héréditaire.

Il ne faut mettre au compte de la variation que ce qui est vraiment nouveau, nouveau de toutes pièces, ou, du moins, comportant un élément essentiel qui ne soit pas hérité.

Les caractères hérités sont si innombrables, quand on les décompose en leurs éléments, leurs combinaisons paraissent si infiniment variées, quand on songe à tous les arrangements possibles, que l’on est en droit de se demander si vraiment la variation existe, si tout caractère en apparence nouveau n’est pas, comme la nuance brune du mulâtre, l’effet d’une combinaison à éléments plus multiples peut-être et intriqués d’une façon plus compliquée. On a des exemples de variation en apparence tout à fait nouvelle et qui n’étaient peut-être que des effets d’atavisme lointain.

Maupertuis, Girou ne voyaient dans la variation que des réapparitions de caractères ancestraux.

Weissmann a cru un moment que tous les caractères par lesquels les Métazoaires diffèrent des Protozoaires pouvaient provenir des caractères de ceux-ci majorés, et diversement combinés. Mais il admet maintenant l’apparition de caractères vraiment nouveaux et personne, je crois, ne la nie aujourd’hui. C’est seulement sur leur importance et leur étendue que porte la discussion entre les évolutionnistes des différentes écoles et entre ceux-ci et les rares partisans de la fixité de l’espèce.

Comment nier la variation après les travaux de Darwin et le récent ouvrage de Bateson! D’où le pigeon culbutant tire-t-il sa singulière habitude, si elle n’a pas apparu dans sa race à titre de variation nouvelle? Dira-t-on que, jusqu’à l’origine des êtres, il a toujours eu des ancêtres acrobates? Voici une femme qui a une mamelle supplémentaire dans l’aisselle. Où est son ancêtre à mamelles axillaires? On dira peut-être que la mamelle est une glande sébacée modifiée, que sa mamelle axillaire résulte d’une combinaison de l’existence de glandes sébacées dans l’aisselle et de la tendance héritée à transformer certaines glandes sébacées en mamelles. Mais il y a bien toujours ceci de nouveau que la transformation a porté sur un groupe de glandes qui ne prenaient jamais ce caractère chez ces ancêtres. C’est cela qui constitue la variation.

Et, si l’on va au fond des choses, on verra que la plupart des caractères ont nécessairement pour origine la variation.

Les croisements nous donnent la mesure des effets de la combinaison des caractères.

Avec un cheval et un âne, on peut faire un mulet, mais sans la variation, on ne fera jamais un équidé avec des bêtes à cornes, ni un ongulé avec des pachydermes et des carnassiers.

Non seulement la variation existe, mais elle est universelle, s’étend à tous les êtres et porte sur tous les caractères. C’est le grand mérite de Darwin d’avoir senti et montré que la nature n’est pas figée, que tout en elle est un mouvement de variation incessante.

Lamarck avait eu l’idée générale que les espèces peuvent varier pour se transformer; Darwin a compris qu’elles variaient sans cesse, même quand elles ne se transforment plus.

La variation porte sur tous les caractères: anatomiques, physiologiques et psychologiques.

Les exemples de variation anatomique sont si nombreux qu’il est inutile d’en citer ici pour démontrer leur existence. Pour la variation physiologique, comment nos éleveurs auraient-ils pu, sans elle, obtenir des chevaux plus rapides que tous les chevaux sauvages, des bêtes de boucherie plus aptes à l’engraissement que toutes celles qui vivent en liberté ? Comment nos agriculteurs eussent-ils obtenu des graines plus précoces, des fruits plus savoureux que tous ceux des plantes dont ils les ont tirés?

Enfin, la variation psychologique se manifeste dans les adaptations de l’instinct. Émery nous montre un grimpeur, le Nestor, devenu à la Nouvelle-Zélande, un oiseau de proie qui s’attaque à des mammifères plus gros que lui, et la Lucinia sericaria, qui vit sur les bêtes mortes et en putréfaction, devenue mouche parasite en Hollande.

Pour arriver à mettre un peu d’ordre dans la multitude disparate des faits de variation, il est indispensable d’établir quelques catégories. On peut d’abord distinguer les modes de la variation et ses sortes, suivant qu’on la considère en elle-même ou dans ses rapports avec les organes qu’elle atteint.

Ses modes peuvent être envisagés de diverses façons; à un point de vue, il est utile de distinguer les variations lente et brusque; à un autre, les variations indépendante, corrélative et parallèle.

Ses sortes diffèrent selon qu’elle portera sur le nombre, la disposition ou la constitution (taille, couleur, forme) des organes.

Nous devons laisser ici de côté les causes théoriques qui seront examinées plus loin et nous occuper seulement des causes de fait de la variation. Ces dernières sont au nombre de trois dont une seule est vraiment importante et réelle.

Cette cause réside dans les conditions de vie, qui se dédoublent elles-mêmes en causes secondaires très nombreuses; climat, alimentation, actions mécaniques, physiques, chimiques de toutes sortes, et rapports avec les autres êtres, en particulier, le parasitisme. La reproduction amphimixique est considérée comme une cause très puissante de variation.

En réalité, elle n’introduit pas d’éléments nouveaux, mais, comme elle varie leurs combinaisons, nous pourrons l’examiner ici sous cette réserve. Enfin, notre ignorance nous oblige à admettre une multitude de variations que nous appellerons spontanées faute de savoir ce qui les produit.

On a donné le nom mal justifié de lois de la variation à quelques faits généraux, ou, si l’on veut, à certaines règles, qui, sans être constantes, tant s’en faut, se vérifient assez souvent pour qu’il y ait intérêt à les énumérer. Elles n’expliquent rien d’ailleurs et demandent à être elles-mêmes expliquées par les théories de la variation.

Geoffroy Saint-Hilaire a remarqué que les organes nombreux sont plus variables par le nombre et la forme que ceux qui sont uniques ou peu nombreux. Il suffit de parcourir l’important recueil de Bateson pour trouver une confirmation de cette règle dans le fait que les variations méristiques sont beaucoup plus nombreuses que les autres. Darwin croit que cela peut tenir à la moindre importance physiologique de ces organes. Avant de chercher une explication de ce genre, il serait peut-être utile de chercher si cela ne tiendrait pas simplement à ce qu’étant plus nombreux, ils ont plus de chances d’être atteints par la variation. A-t-on bien compté si les dents dont nous avons 32 et les doigts dont nous avons 10 sont plus de 16 fois ou plus de 5 fois atteints par la variation que les yeux dont il n’y a que deux? Cela est possible, mais il serait prudent de le vérifier.

Darwin cite la loi suivante qu’il rapporte à Walsh: si un caractère est très variable ou très constant dans une espèce, il l’est aussi chez les espèces voisines. Darwin lui-même a exprimé presque la même idée, lorsqu’il a dit: les organes qui, chez nos races domestiques, varient le plus sous l’action de la domestication sont ceux qui diffèrent le plus dans les espèces naturelles du genre.

La variation parallèle nous a montré divers exemples de ces règles. D’autre part, Sageret a reconnu que plus un organe a déjà varié, plus il tend à varier encore et les éleveurs et horticulteurs sont d’avis que, pour obtenir une variation déterminée d’un organe, il faut chercher à produire des variations quelconques de cet organe, il faut l’affoler; c’est là le plus difficile; mais quand on y est arrivé, rien n’est plus facile que de diriger ces variations désordonnées et de leur faire produire ce qu’on veut.

Fort importante, mais non admise sans conteste, est la règle suivante de Darwin: les plantes soumises à la culture, on peut même dire, les animaux soumis à des changements quelconques dans leurs conditions de vie ne commencent à varier qu’au bout de quelques générations. Ainsi le Dalhier, transporté de la Nouvelle-Hollande en Europe, est demeuré plusieurs années sans varier; puis, tout à coup, des graines recueillies sur des plants de couleur uniforme, sont nées les variétés multiples, qui présentent toutes les nuances possibles à l’exception du vert et du bleu. Les faits de ce genre sont très nombreux, mais on en cite aussi de signification exactement inverse. On se rappelle les Huracium de Nægeli. Cet auteur affirme que toute variation due aux conditions de vie se produit totale dès la première génération et ne s’accroît plus ensuite! Weissmann, au contraire, est d’avis que les variations accumulées qui conduisent aux formes nouvelles ne se produisent jamais que lorsque plusieurs générations ont permis aux conditions ambiantes d’influencer le plasma germinatif moins accessible que le soma, Darwin paraît pencher vers une idée semblable, mais il semble que la chose dépend des circonstances, car il y a des faits indéniables en faveur des deux opinions.

Rappelons ici la règle citée d’après laquelle les variations qui se produisent de bonne heure tendent à passer aux deux sexes, tandis que celles qui apparaissent tard tendent à ne passer qu’au sexe de même nom.

Enfin, à ces règles, il me semble que l’on peut en ajouter une, entrevue par Krause et par Riley, savoir que: la différenciation organique favorise la production des variations, mais limite leur étendue.

Plus un être est élevé en organisation, plus il est sensible aux modifications de vie, et apte à varier comme elles, mais plus aussi, il est sensible aux conditions de destruction en sorte que les modifications étendues le détruisent sans lui permettre de s’adapter.

Le demi-sang trotteur et galopeur

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