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§ 2. — LES ORIGINES DE LA PEINTURE EN CASTILLE ET EN ANDALOUSIE.
Оглавление(DEPUIS LE XIVe SIÈCLE JUSQU’AU COMMENCEMENT DU XVIe.)
Les premiers noms de peintres qu’enregistre l’histoire de l’art en Castille sont des noms italiens. Juan Ier attire à sa cour le Florentin Gherardo Starnina, élève d’Antonio Veneziano, et le comble de richesses (1383); puis, sous le règne de Juan II, on voit arriver en Castille un autre Florentin, Dello, que le roi fait chevalier et qui mène à la cour un train de grand seigneur. Après être retourné quelque temps à Florence pour y faire parade de son titre et de sa fortune, Dello revint en Espagne où il mourait vers 1421. Aucun ouvrage de ces deux artistes, exécuté en Espagne, n’est du reste parvenu jusqu’à nous; il est toutefois à supposer que l’un et l’autre durent exercer une certaine influence sur les peintres indigènes, sans que cependant nous en puissions fournir des preuves. Quelques retables ou fragments de retables, d’un caractère italien marqué, sont conservés à l’Académie de l’Histoire, à Madrid; ils proviennent des monastères supprimés de Piedra, de San Millan de la Cogolla et de l’église de Yuso; mais les auteurs en sont inconnus et l’époque où ils furent exécutés, probablement le XVe siècle, ne saurait être plus exactement précisée.
Le règne de Juan II fut particulièrement favorable au développement des lettres et des arts. Le luxe s’était introduit à la cour de ce monarque qui fit, en 1428, le plus favorable accueil à l’illustre Jean Van Eyck. Attaché à la personne de Philippe le Bon, le maître flamand avait accompagné, en Portugal, l’ambassade envoyée, par le duc de Bourgogne, pour demander la main d’Isabelle, fille de Jean Ier. Il fit le portrait de l’infante, puis entreprit, avec les ambassadeurs flamands, un voyage à travers l’Espagne. Une relation de ce voyage, conservée aux archives du royaume, à Bruxelles, et où sont consignés quelques curieux détails sur les provinces visitées par l’ambassade, la Castille, l’Andalousie, le royaume de Grenade, ou régnait l’émir Mohammed, permet de supposer que Jean Van Eyck dut faire quelque emploi de son merveilleux talent pendant son séjour en Castille. Mais, ici encore, les témoignages irréfutables nous font faute. Fût-ce une conséquence de la grande réputation que l’artiste avait sans doute déjà conquise en Espagne qui détermina Enrique IV, fils de Juan II, à faire l’acquisition du Triomphe de l’Église chrétienne sur la Synagogue, ce tableau tant discuté et qui fait aujourd’hui partie du musée du Prado? On l’a attribué tantôt à Hubert Van Eyck, tantôt à Jean, tantôt aux deux frères réunis, alors que des critiques allemands n’y veulent voir qu’une copie exécutée au XVIe siècle. Ce qui est hors de conteste, c’est que ce précieux tableau fut donné, en 1454, au monastère du Parral, de Ségovie, et qu’il n’en est sorti qu’en 1836, à la suite de la sécularisation de ce couvent. Plusieurs peintures flamandes du plus grand mérite l’avaient déjà précédé en Espagne. En 1443, le pape Martin V avait offert à Juan II le petit triptyque de la Nativité, peint par Roger Van der Weyden, donné par le roi au couvent de Miraflorès, près de Burgos, et qui se trouve aujourd’hui au Musée de Berlin. Ce sont encore des ouvrages de Van der Weyden, ou de son école, dont ce monarque enrichit de son vivant le même monastère où, vers 1499, le mystérieux artiste, appelé Juan Flamenco, par les documents espagnols, achevait d’importantes peintures murales.
On constate, d’ailleurs, pendant tout le XVe siècle, une émigration constante d’oeuvres d’art entre les Flandres et la Castille, et qui s’explique par les liens de famille qui unissaient les deux maisons de Castille et de Bourgogne. Les dons, les acquisitions d’ouvrages de l’école flamande se multiplièrent encore sous le règne des rois catholiques et de leurs successeurs, ainsi qu’en témoignent les inventaires des collections royales, conservés aux archives de Simancas. On y rencontre, mêlés à des peintures byzantines, des tableaux de sainteté, des portraits de personnages royaux, des oratoires portatifs en forme de diptyques ou de triptyques, dont les auteurs ne sont pas toujours connus ou clairement désignés, mais parmi lesquels apparaissent fréquemment les noms de maître Michiel ou Miguel (?), de Van Eyck, Van der Weyden, Memling, Petrus Cristus, Jean de Mabuse, Gérôme Bosch, que ces documents appellent el bosco. de Joachim Patinier et de Quentin Metsys, et plus tard, quelques noms d’artistes allemands, tels que Albert Dürer, Cranach, Holbein, Lucas de Leyde, etc., etc. Le nombre des architectes, des sculpteurs et des peintres, attirés des Flandres et de Bourgogne pendant les XIVe et XVe siècles, pour diriger les constructions des cathédrales et des demeures royales, ou collaborer à leur décoration, fut également considérable. On s’explique, dès lors aisément, comment, de ce mélange des influences flamandes et italiennes, tour à tour ou simultanément subies par les artistes locaux, sans personnalité accusée, sont nées ces peintures espagnoles si difficiles à définir en tant qu’origines, tant elles sont hybrides et timides de caractère, dont l’exécution appartient au XVe siècle. Suivant les contacts, l’enseignement suivi, les exemples qu’ils se proposent d’imiter, ces artistes primitifs prennent aux uns, empruntent aux autres et, de ces amalgames, encore étrangement hésitants et débiles au début, ils dégageront, peu à peu, quelque chose comme une manière, comme un style intermédiaire, dont le caractère réaliste, plus conforme au génie national, ira peu à peu s’accentuant jusqu’à s’épanouir enfin au XVIIe siècle en une efflorescence originale et superbe.
Nulle part, comme en Castille et en Andalousie, on ne démêle mieux, en étudiant les productions primitives des artistes indigènes, par quelles phases d’imitations et de tâtonnements, par quelles lentes transitions a passé, en Espagne, l’art de peindre avant d’aboutir à une entière émancipation.
Le plus ancien peintre dont fassent mention les archives de la cathédrale de Tolède est JUAN ALFON, désigné, dans un document daté de 1418, comme l’auteur des peintures de deux retables depuis longtemps détruits. Il s’agissait, vraisemblablement, de retables de sculpture qu’Alfon eut charge de colorier.
Un testament, daté de 1455, nous révèle le nom d’un véritable peintre, JORGE INGLES, que le marquis de Santillan, D. Inigo Lopez de Mendoza, chargeait de décorer, pour l’hôpital de Buitrago, un retable composé de deux corps. De chaque côté de la statue de la Vierge, qui en occupait la partie centrale, l’artiste représenta le donataire, agenouillé et priant, son page derrière lui, et la marquise, à genoux, accompagnée de sa doncella. Au-dessus de ces personnages figurait un chœur d’anges, que surmontait un saint Georges. Ces peintures d’Inglès existaient encore, paraît-il, à la fin du siècle dernier, et Cean Bermudez en put examiner quelques fragments, dont il fait d’ailleurs de grands éloges.
Un contrat, daté de 1476, mentionne deux autres artistes, GARCIA DEL BARCO et JUAN RODRIGUEZ, que le duc d’Albe charge de décorer «à la morisque» diverses pièces et galeries de son château del Barco. Ce genre de décoration, dit style mudejar, relevait plutôt du métier que de l’art; il consistait à colorier des stucs, travaillés à la façon des Maures, et des plafonds en bois, et à mêler à leurs arabesques de capricieuses figures, et le plus habituellement des plantes, des fleurs, des oiseaux. DIEGO LOPEZ, ALVAR PEREZ DE VILLOLDO, MARTEL, ALONSO SANCHEZ et LUIS DE MEDINA, auteurs de la décoration du paranymphe ou théâtre scolastique de l’Université d’Alcala, n’exercèrent probablement pas un art plus relevé que les précédents.
Un acte authentique, daté de 1448, nous fournit les noms de JUAN DE SEGOVIA, PEDRO GUMIEL et SANCHO DE ZAMORA, qualifiés peintres et sculpteurs, qui exécutèrent en collaboration le retable composé de peintures et de sculptures de la chapelle de Saint-Jacques, à la cathédrale de Tolède. Ce précieux monument de l’art indigène, et l’un des plus anciens qui nous aient été conservés, est formé de plusieurs corps. Autour d’une statue polychrome de saint Jacques de Compostelle sont rangées quatorze figures peintes sur fond d’or; au sommet est la Vierge avec l’Enfant, assise sur un trône et adorée par des anges; au-dessous sont représentées des scènes de la Passion et diverses figures de saints évêques, de saintes et d’apôtres. En bas, dans la prédelle, deux des petits panneaux qui la composent sont remplis par les représentations de D. Alvaro de Luna, avec derrière lui son saint patron, et de doña Juana Pimentel, sa femme, enterrés tous deux dans cette chapelle. Le caractère de ces peintures est en général flamand, principalement dans les portraits des deux personnages agenouillés et priant. Mais on y démêle un apport indigène qui se montre nettement dans l’exécution chaudement colorée et un peu dure, ainsi que dans les contours accusés des figures.
Les biographes ne fournissent que bien peu de renseignements sur la vie et les ouvrages de PEDRO BERRUGUETE, qui travaillait en Castille vers la fin du xve siècle et probablement encore pendant les premières années du XVIe. Ce maître fut cependant le peintre en titre du roi Philippe le Beau, mari de Jeanne la Folle, et il eut pour fils le célèbre Alonso Berruguete. Il était né, croit-on, à Paredès de Nava, où il se maria en 1478. En 1483, conjointement avec un collaborateur, que l’on suppose être Antonio del Rincon, le chapitre de la cathédrale de Tolède chargea Pedro Berruguete de décorer de fresques l’ancienne sacristie, travail qu’il terminait en 1488. Un peu plus tard, en 1495, il peignit également à fresque le cloître de la même cathédrale. Rien ne subsiste aujourd’hui de ces deux grandes décorations, pour lesquelles l’artiste reçut des sommes considérables. On ignore si ce fut avant ou après son séjour à Tolède que Pedro Berruguete exécuta à Avila, en collaboration avec SANTOS CRUZ, des ouvrages nombreux et importants, tels que divers retables à la cathédrale, au couvent de Saint-Dominique et dans le cloître du couvent de Saint-Thomas. Neut peintures sur panneaux, provenant de ce dernier couvent, sont aujourd’hui conservées au musée de Madrid. L’une représente saint Dominique, la tête ceinte d’un nimbe d’or, où se lit en caractères gothiques l’inscription: Santo Domingo enquisidor, introduisant sa crosse dans la gueule d’un monstre qui vomit des flammes; sept autres ont trait à des sujets empruntés à la vie de saint Dominique, de saint Thomas d’Aquin et de saint Pierre martyr; la neuvième représente une communauté de Bernardins assistant à un Exorcisme. Un dixième panneau, appartenant au même musée et attribué selon toute vraisemblance à Pedro Berruguete, nous montre un Auto de Fe, auquel préside saint Dominique. Toutes ces peintures sont exécutées sur des fonds d’or ou d’argent et rehaussées d’ornements d’or en relief dans les draperies et les accessoires. L’exécution de ces dix ouvrages n’est pas homogène et l’on y distingue assez nettement le travail de deux mains différentes, dont l’une, peut-être celle de Santos Cruz, est plus débile que l’autre. Par la couleur, qui est puissante, plutôt que par le dessin, qui est sec, découpé et naïvement incorrect, ces peintures rappellent d’un peu loin les primitifs de l’école vénitienne.
Fig. 8. — JUAN DE SEGOVIA, P. GUMIEL et S. DE ZAMORA.
Portrait de D. Alvaro de Luna.
(Fragment d’un tableau d’autel de la chapelle Saint-Jacques, à la cathédrale de Tolède.
Fig. 9. — PEDRO BERRUGUETE, un Auto de Fe.
(Musée du Prado.)
ANTONIO DEL RINCON, qui paraît s’être associé à Pedro Berruguete pour certains travaux entrepris en commun à la cathédrale de Tolède, serait né, d’après les biographes espagnols, à Guadalajara, vers 1446. Passé de bonne heure en Italie, il y aurait étudié son art et aurait eu, d’après eux, pour maître, Domenico Ghirlandajo. Ce n’est pas impossible; la manière de Rincon est certainement italienne et offre quelques rapports avec les méthodes de Ghirlandajo. A son retour d’Italie, Rincon vit son talent hautement apprécié. Ferdinand et Isabelle, les rois catholiques, le nommèrent leur peintre, et il eut fréquemment à reproduire leurs portraits. Il peignit notamment ceux qui se voyaient jadis au-dessus du maître-autel de San-Juan-de-los-Reyes, à Tolède, de même que celui d’Antonio de Nebrija.
L’œuvre capitale de Rincon, encore heureusement conservée, est le retable de l’église de Robledo de Chavela, composé de dix-sept panneaux représentant divers sujets empruntés à la vie de la Vierge, avec l’Assomption pour sujet central. Ces peintures justifient pleinement la réputation dont l’Espagne a entouré le nom de l’artiste; le dessin s’y montre encore un peu naïf et timide, mais déjà plus souple et plus vrai que chez nombre de ses contemporains; ses types de figures sont expressifs et vivants.
Fig. 10. — École de Castille du XVe siècle. — Attribué à ANTONIO DEL RINCON, les Rois catholiques en prières devant la Vierge. (Musée du Prado.)
Dans son Iconografia española, D. Valentin Carderera a attribué à Antonio del Rincon le tableau catalogué au musée de Madrid sous le n° 2184, et qui représente les rois catholiques, agenouillés et priant devant la Vierge tenant l’Enfant et assise sur un trône de marbre de la plus riche décoration gothique. A côté des rois, vêtus de costumes estampés d’ornements d’or, figurent les infants, D. Juan et doña Juana. Derrière le roi est agenouillé l’inquisiteur Torquemada, et saint Pierre, martyr, derrière la reine. Saint Thomas d’Aquin se tient debout à la droite du tableau, et saint Dominique à la gauche. Exécutée vers 1491 pour le couvent de Saint-Thomas, à Avila, par l’ordre du grand inquisiteur, cette intéressante composition votive, destinée à rappeler les bienfaits de Ferdinand et d’Isabelle envers le couvent, n’est certainement point d’un artiste flamand, comme l’avance Cruzada Villaamil dans son catalogue du musée du Fomento, mais bien l’œuvre d’un pinceau espagnol. Toutefois, l’attribution à Rincon demeure douteuse. On croit que cet artiste mourut vers 1500 à Séville, où il avait accompagné la cour.
D’autres monuments de la peinture en Castille, au xve siècle, font également partie des collections du musée de Madrid. Nous citerons notamment, pour l’intérêt que présente leur exécution, rappelant tantôt l’école de Cologne, tantôt l’école florentine, la suite d’ouvrages comprise au catalogue sous les nos 2178 à 2183, dont l’auteur ou les auteurs sont demeurés inconnus. Ces tableaux proviennent du couvent de la Sisla, à Tolède; ils représentent la Salutation angélique, d’un style d’une grande noblesse et inspiré des Florentins; la Visite de la Vierge à sainte Élisabeth, œuvre particulièrement intéressante pour le caractère oriental des figures, et où l’artiste a peint une ville d’aspect mauresque; l’Adoration des Rois, la Présentation au Temple, la Circoncision et enfin la Mort de la Vierge. Ce dernier tableau répète presque textuellement la célèbre composition dite du Maître de Cologne, qui est au musée de Munich.
Fig. 11. — École espagnole du XVe siècle, Ecce Homo.
Vers la seconde moitié du XVe siècle naissait à Salamanque un peintre, FERNANDO GALLEGOS, sur qui les biographes ne nous ont transmis que des renseignements vagues, trop succincts, et parfois même inexacts. Auprès de quel maître avait-il appris son art, à coup sûr flamand d’inspiration? Il y a de lui, dans la cathédrale de Salamanque, plusieurs panneaux d’un grand intérêt: la Vierge assise, portant l’Enfant dans ses bras, et accompagnée de saint André et de saint Christophe, au bas duquel on lit la signature: Fernandus Gallecus. Passavant, dans ses Christliche Kunst in Spanien, rapproche cette peinture des ouvrages de Petrus Cristus, qu’il suppose avoir voyagé en Espagne, et émet l’hypothèse, en observant entre les deux artistes certaines affinités de dessin et d’exécution, que Gallegos pourrait être élève de ce maître. Mais D. Pedro de Madrazo, dans son savant catalogue du musée du Prado, trouve, de son côté, que la manière de l’artiste espagnol présente de grandes analogies avec celle de Thierry Bouts. Quoi qu’il en soit de l’une ou l’autre conjecture, nous observerons que Gallegos conserve dans son exécution certaines particularités de caractère et de coloration qui sont bien de son temps et de son terroir. Il donne à ses carnations cette teinte foncée, un peu fauve, dont nous avons déjà signalé le fréquent emploi dans divers ouvrages du XVe siècle; ses fonds de paysage sont aussi d’un ton roux, presque noir et sourd, bien différents des fonds clairs et fins des Flamands. En général, son dessin, surtout dans les extrémités, est gauche, et ses nus sont peints avec quelque sécheresse. On peut observer ces particularités dans les six tableaux représentant des sujets tirés de la vie de la Vierge et de celle de saint Jean-Baptiste, catalogués sous les nos 2155 à 2160 au musée du Prado, et provenus du monastère de Miraflorès.
Fig. 12. — FERNANDO GALLEGOS, le Christ mort.
(Panneau central d’un triptyque du musée de Cadix. )
Différentes oeuvres que l’artiste avait exécutées à Salamanque ont disparu; mais la cathédrale de Zamora a conservé de lui un retable, formé de six panneaux, qu’il terminait en 1470, date que l’on rencontre de nouveau sur un important triptyque portant la signature du peintre et qui fait partie du musée de Cadix.
Parmi les nombreux artistes qui travaillaient vers la fin du XVe siècle aux décorations picturales de la cathédrale de Tolède, nous citerons les frères COMONTÈS (INIGO et ANTONIO), qui étaient élèves d’Antonio del Rincon, et un maître plus important, JUAN DE BORGONA, dont la nationalité est obscure. Nous savons, par des documents conservés aux archives du chapitre, qu’il peint en 1495, à la fresque, dans le cloître, une Visitation; qu’en 1499, il achève, en collaboration avec Alvar Perez de Villoldo, de nouvelles décorations murales; qu’en 1502, il commence avec FRANCISCO DE AMBERES et FERNANDO DEL RINCON, fils d’Antonio, à estofar, c’est-à-dire à peindre au naturel, les sculptures en bois du grand retable de la cathédrale; qu’il est l’auteur d’une partie des peintures de la salle capitulaire, exécutées partie à fresque, partie à tempera, et qui représentent divers sujets empruntés à la vie de la Vierge, ainsi que Saint Ildephonse recevant des mains de la Vierge la chasuble miraculeuse; qu’il est également l’auteur des portraits des archevêques de Tolède, y compris celui du cardinal Cisneros, représentés en buste et placés, comme les peintures précédentes, dans la salle capitulaire; et qu’enfin il a peint, en 1514, la grande fresque représentant la Conquête d’Oran, de la chapelle mozarabe.
En 1508, Juan de Borgoña, peut-être par suite de la mort de Pedro Berruguete, était chargé par le chapitre d’Avila de peindre quatre panneaux destinés à compléter la décoration du maître-autel de la cathédrale.
Revenu à Tolède, il commence, en 1516, une suite de fresques pour la Libreria et peint à l’huile deux nouveaux portraits, ceux des archevêques de Croy et Fonseca, pour la salle capitulaire. Mais à partir de 1533 le nom de Juan de Borgoña ne paraît plus dans aucun document, et nous devons supposer qu’il mourait cette année-là ou l’année suivante. «Aucun peintre contemporain, écrit Cean Bermudez, pas même à Florence ou en Allemagne, n’a montré plus de talent dans l’exécution des draperies et n’a eu un plus brillant coloris que Juan de Borgoña.» Sans insister sur ces rapprochements, dont nous laissons la responsabilité au critique espagnol, nous reconnaissons volontiers que le talent de Juan de Borgoña est certainement supérieur à celui de nombre d’artistes espagnols, ses contemporains. Son style est italien, et sa manière de composer appartient encore à la tradition gothique; mais il empreint ses figures d’un caractère déjà plus aimable, plus vivant, ses figures de femmes surtout, et son exécution a de la fraîcheur, du charme et de la souplesse; ses portraits de prélats, rappelant Domenico Ghirlandajo, sont vraiment remarquables.
Séville possède de très anciens monuments de la peinture, et les plus anciens qu’il y ait en Espagne. Sa Vierge de la Antigua, dans la cathédrale, remonte très probablement au XIIIe siècle. C’est une peinture murale d’un caractère byzantin, exécutée sur fond d’or; elle représente, dans des proportions plus grandes que nature, la Vierge tenant l’Enfant, et que des anges couronnent. Si l’on en devait croire la tradition, son origine daterait même d’avant la conquête de Séville par le roi Ferdinand.
D’autres représentations de la Vierge, également de caractère byzantin, mais plus altérées par les restaurations que la Vierge de la Antigua, se voient encore à Séville dans les églises de Saint-Ildephonse et de Saint-Laurent.
Quelques peintures murales, paraissant dater de la fin du XIVe siècle, mais en très mauvais état de conservation, subsistent dans le cloître du couvent de San-Isidro del Campo, près de Séville. Elles représentent des saints, des saintes, et, dans un médaillon, saint Bernard entouré de moines et de divers personnages. Le style en est italien, et malgré leur état de dégradation, on peut encore entrevoir que l’exécution devait être remarquablement ferme et belle et l’ensemble d’un grand caractère. Sont-elles l’œuvre d’un artiste indigène? On n’oserait l’affirmer, surtout lorsqu’on les rapproche par la pensée de ce qu’étaient, si nous en croyons Pacheco, les naïfs ouvrages, tout réalistes et flamands, de JUAN SANCHEZ DE CASTRO, le plus ancien peintre indigène dont l’histoire de l’art en Andalousie rasse mention. Né à Séville, probablement dans le premier quart du xve siècle, cet artiste, dont le maître est demeuré inconnu, peignait en 1454 le retable dit de Sainte-Lucie, pour la chapelle de Saint-Joseph, dans la cathédrale. Cean Bermudez, qui nous donne ce renseignement, ajoute que ce retable a été détruit de son temps et remplacé par un autre plus moderne. Il attribue aussi à Sanchez de Castro un Saint Christophe, entièrement repeint au XVIIIe siècle, dans l’église de Saint-Julien, et signale encore du même artiste, qui l’avait signé, un Saint Ildephonse recevant la chasuble, disparu depuis longtemps. Il eut un élève, JUAN NUNEZ, qui continua sa manière. Un tableau de Nuñez, représentant une Pietà, est conservé à la cathédrale.
C’est entre 1470 et 1475 qu’il faut reporter l’exécution des peintures de la Salle de Justice, à l’Alhambra de Grenade. Comme facture, comme coloris, comme caractère, elles se rattachent aux traditions d’art venues d’Italie. On ignore cependant si leur auteur était Italien ou Espagnol.
Elles furent exécutées sous le règne de Muley-Aboul-Hassan (1465-1487), père de Boabdil, qui agrandit et embellit l’Alhambra. On sait que, contrairement aux préceptes du Coran, les Maures d’Espagne, au contact des mœurs et des coutumes chrétiennes, ne reculèrent pas devant la représentation des êtres animés et de la figure humaine. Muley-Hassan fit décorer la coupole de la salle, appelée de son temps Salle des Rois, de son propre portrait et de celui des neuf princes nazarites, ses prédécesseurs. Dans deux autres petites coupoles l’artiste peignit, en des costumes encore en usage en Espagne à la fin du XVe siècle, des épisodes de chasse et un combat singulier. Ces diverses représentations, d’un dessin assez naît, dont les contours sont accusés en noir et où la perspective est assez maltraitée, ont été exécutées sur des morceaux de cuir fixés sur un lattis de cèdre.
A Cordoue, c’est l’art italien, mais déjà amalgamé avec les procédés des écoles du Nord, qui fait son apparition en 1475. Un artiste indigène, PEDRO DE CORDOBA, peignit en effet à cette date, pour la cathédrale, un tableau votif, encore très bien conservé, représentant dans sa partie supérieure une Annonciation et, en bas, six saints, avec deux donataires agenouillés. Gothique d’arrangement, cette composition est dans les figures d’un dessin correct; les plis des vêtements sont minces et nombreux, et il y a surcharge d’ornements d’or dans la décoration des étoffes.