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PRÉFACE

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Table des matières

Au début de sa Physiologie du Mariage, Balzac raconte gaiement l’obsession à laquelle il a été en proie, jusqu’au jour où l’étude qu’il projetait sous ce titre lui sembla enfin prête à sortir de son cerveau.

Toute proportion gardée, je viens de passer par les mêmes tourments, depuis le moment où j’eus la pensée de faire précéder les pantomimes de Paul Legrand, que nous présentons aujourd’hui au public, d’une esquisse critique et historique sur cette branche de l’art théâtral. Après avoir vainement essayé de chasser l’idée qui, fugitive et vague tout d’abord, s’implantait peu a peu dans ma tête à l’état d’idée fixe, je renonçai enfin à lutter: j’obéis au démon de la pantomime, et me voilà, cherchant, furetant, plongeant dans les bibliothèques, afin de trouver les éléments de mon travail.

Hélas! au bout de dix pas, je m’aperçus que j’avais trop présumé de mes forces et surtout que le temps manquerait à mon entreprise: «La physique, où ça se trouve-t-il? demande un naïf valet de comédie. — Partout, et nulle part, lui répond son jeune maître!» Il en est de même de la pantomime et de son histoire. Les documents sont épars de ci, de là, dix lignes chez celui-ci, dix pages chez cet autre, c’est tout, et c’est assez pour qui voit devant lui plusieurs années de travail tranquille et mûri. Mais moi! J’étais sous presse! Je n’étais pas ambitieux pourtant: je me serais contenté d’une monographie sur le sujet et, modestement, j’en aurais été le vulgarisateur. Mais je n’avais pas même cette ressource. Du moins je ne trouvais pas.

Tout à coup, une idée, que dis-je, une inspiration d’en haut, vint me ranimer. Il y a, pensai-je, un homme, un maître en l’art de bien dire, un artiste ciseleur de rimes, qui connaît la question! Il ne refusera pas à un humble débutant le peloton de fil qui le guidera dans ce dédale!

Et j’allai trouver Théodore de Banville, qui m’arrêta dès les premiers mots:

— La pantomime! mais rien qu’à vous parler de Déburau, qui fut le Napoléon de cet art, nous en aurions pour sept ans!

— Ce serait un peu long, et d’ailleurs je ne voudrais pas me borner à parler de Déburau, en tête d’un volume dans lequel nous éditons quelques pantomimes de Paul Legrand. Je désirerais faire, à la course, l’histoire de cet art.

— L’histoire de la pantomime!!! Mais alors, mon cher monsieur, c’est l’histoire de l’humanité que vous voulez faire: il aurait fallu commencer à vingt ans, et il n’est pas sûr que vous ayez fini à soixante

J’étais un peu désarçonné. Cependant, je ne me décourageai pas.

— Mon Dieu! repris-je, mon intention n’est pas d’entreprendre, dans une préface, une aussi longue besogne. Je désirerais seulement condenser en quelques pages les travaux qui ont été faits sur la matière.

— Il n’y en a pas, me répondit le maître.

J’étais fixé. Nous échangeâmes quelques réflexions qui se retrouveront plus loin et je sortis en me disant: «Décidément, il en est de l’histoire de la pantomime, comme de l’histoire de France: il faut l’écrire en cent volumes ou en un seul!»

Et je n’ai que quelques pages à mon service!

Voilà pourquoi on ne doit pas s’attendre à trouver ici, même une esquisse raisonnée de l’histoire de la pantomime. Qu’on veuille donc bien prendre cette préface pour ce qu’elle est: une simple causerie sur un art, charmant et profond tout à la fois, causerie dans laquelle je me suis efforcé de réunir sans prétention quelques renseignements sur les personnages de la pantomine et sur cet art aujourd’hui oublié.

M. Saint-Marc-Girardin a écrit quelque part: «La pantomime est un art qui n’a pas de caractère national.» Si l’on entend par là que la pantomime met en scène des personnages n’appartenant à aucune époque, à aucune région précises, cela est vrai. Cassandre, Arlequin, Colombine, Pierrot, sont des types généraux: ils personnifient des vices, des qualités ou des états passionnels de l’homme. En ce sens, il est donc permis d’ajouter que la pantomime est un art classique par excellence. Incomplet par sa nature même — puisqu’il lui manque la parole — ses manifestations sont cependant des plus élevées, et ceci est la conséquence de cela.

En effet, qu’est-ce que la pantomime? Si nous demandons une définition à l’étymologie, nous trouvons que c’est l’art de tout exprimer par les gestes. Or, il s’en faut que la mimique puisse réellement tout exprimer. Art synthétique avant tout — puisqu’il est privé de l’instrument d’analyse — le domaine des idées précises lui est interdit: il ne se meut à son aise que dans celui des idées générales. Il ne peut donc montrer à nos yeux un amoureux, un vieillard, une jeune fille spécialement déterminés, mais au contraire l’éternel amoureux, l’éternel vieillard, l’éternel féminin. A ce point de vue, la pantomime, considérée en elle-même, nous apparaît comme un art plus profond qu’il ne semble au premier abord.

Mais ces personnages qu’elle a créés, est-il vrai qu’ils n’aient jamais eu qu’un caractère de généralité absolue? Il s’en faut. En quittant la terre natale, ils se sont déformés — ou transformés — pour se plier aux mœurs, aux idées des nations qui les adoptaient. Ils ont emprunté au génie de chacune d’elles des traits particuliers. Ils ont compris, avant Darwin, que l’adaptation au milieu dans lequel on vit, est une condition nécessaire d’existence, et en traversant la France, l’Allemagne, l’Angleterre, Arlequin, Pierrot, Polichinelle, Pantalon, se sont faits Français, Allemands, et Anglais. Quelques-uns même, ont obtenu chez nous des lettres de grande naturalisation: j’ai nommé Arlequin et Pierrot.

D’où vient-il ce bel Arlequin au costume bariolé, à l’allure fringante? Leste, agile, gracieux, spirituel, aimable et, sous son masque noir, mystérieux comme l’amour qu’il inspire aux Colombines et aux Isabelles, il est aujourd’hui chez nous la Jeunesse et l’Amour. Les Colombines, les Isabelles l’aiment, non seulement parce que tout révèle en lui la jeunesse, mais encore et surtout, parce qu’il possède l’attrait d’un mystère à pénétrer. Comme Psyché, elles brûlent de voir le visage du bel inconnu, qui, sans doute, leur révélera des choses qu’elles ignorent. Leur affection est faite d’une curiosité insatiable: elles ne seraient pas femmes, si elles n’aimaient pas l’amour.

Pourquoi donc l’ont-elles méconnu si longtemps? Pourquoi lui ont-elles préféré tour à tour, Léandre, Lélio, voire Scapin et même Pierrot? C’est qu’autrefois, il était bien différent de ce que nous l’avons fait, nous autres Français. A l’origine en effet, il se confond avec... Polichinelle! — Est-il possible? Avec ce grotesque? — Hélas, oui! Du moins, les érudits l’affirment, et nous le montrent, en Grèce, sous la figure d’un satyre barbu ou non barbu, vêtu d’une peau de bête exactement collée au corps, portant un masque de teinte brune, coiffé d’un petit chapeau noir ou blanc et maniant une baguette. C’est alors un bouffon, Maccô, qui représente le rustre athénien, d’une gaîté naïve et finaude à la fois; il y ajoute la grossièreté native du paysan. Nous le retrouvons à Rome sous le nom de Maccus. Il y paraît alors, barbouillé de suie, la tête rase, et portant un vêtement multicolore.

Voilà bien l’ancêtre d’Arlequin. Mais une figurine de bronze, retrouvée aux environs de Naples, nous montre, sous le nom de Maccus, un personnage au nez crochu, bossu par derrière, et dont il est souvent question dans les farces atellanes. C’est Polichinelle. Il joue, dans les levers de rideau de l’époque, appelés alors les jeux osques; car Maccus, pour les Latins, est né chez les Osques, renommés pour leurs bons mots et leurs piquantes saillies, et le bredouillement caractéristique du personnage n’est, parait-il, qu’un reste d’accent provincial dont il n’a pas pu ou voulu se défaire. A Rome, il est le type de la hâblerie, de la fatuité en amour, de la dépravation cynique.

Plus tard, il prend le nom de Sannio, mot qui signifie bas comique, et il est permis de penser que le nom familier de Zanni que les Italiens donnent à Arlequin en procède directement. Quel que soit son nom, Maccô, Maccus, ou Sannio, on reconnaît bien ici l’ancêtre de l’Arlequin et du Polichinelle. Il se dédouble plus tard, et pour créer Arlequin, les Italiens, qui possédaient déjà le personnage dans leurs traditions, n’ont eu besoin que de lui ajouter la baguette et le chapeau du Macco grec.

Il court plusieurs légendes sur la naissance de l’Arlequin moderne. Quelques-une me pasraissent douteuses, et la plus touchante est trop connue pour être rappelée ici. Sous ce nouvel avatar, Arlequin, malheureusement, reste un bouffon bas, impudent comme Polichinelle son frère, gourmand comme lui et poltron par dessus le marché. Mais, soyez sans crainte, il coule du sang athénien dans ses veines, et lorsque, sous les auspices de Mazarin, il pénétrera à la Cour de France, il dépouillera son enveloppe de rustre; il gardera son agilité primitive, mais il remplacera les grossières plaisanteries par des saillies aimables; il deviendra spirituel avec naïveté, comme il convient à un descendant de la pure Attique. Alors, il est choyé, fêté, adopté par l’esprit français qui le reconnait pour sien. Marivaux, Florian, s’en emparent. Ce dernier surtout, qui écrit à une époque de bergerie et de sensiblerie, arrive à en faire un bon époux, un bon père, et je dirais presque, un bon garde national. Profanation! Chez Florian, Arlequin prend du ventre! Heureusement pour notre héros, on laisse à l’auteur la responsabilité de ces maladroites tentatives, et pour nous désormais, il reste le type achevé que j’ai dépeint tout à l’heure.

Poursuis ta carrière, aimable fantôme de l’éternelle jeunesse et de l’éternel amour. Laisse à ton frère Polichinelle la goinfrerie et l’ivrognerie, l’impudence et le cynisme et que vos deux existences servent d’exemple aux enfants qui ne sont pas sages. Tandis que tu t’es amendé, corrigé, purifié, et que tu finis dans une apothéose, lui, l’incorrigible, il va échouer sur les tréteaux infimes des marionnettes, ou bien, châtiment plus honteux encore, personnifier chez les Allemands, sous le nom de Hanswurst (Jean Boudin), la balourdise et la voracité. Les peuples n’ont que les fantoches qu’ils méritent.

En quoi donc avons-nous mérité Pierrot? Car je l’avoue, la fortune de ce pâle et malfaisant personnage a de quoi surprendre un esprit français. Ayant adopté Arlequin, n’avons-nous accueilli Pierrot qu’en vertu d’une loi mystérieuse des contrastes? Car enfin, il n’est pas gaulois, ce valet niais, ingénu et bavard, et il n’a rien fait pour le devenir, au contraire. D’où sort-il cet enfariné ? Nul ne le sait. Nous le voyons à l’origine, valet d’un Pantalon, époux heureux de Colombine qui a jeté l’incendie dans le cœur du timide Arlequin, dont il se moque conjointement avec sa moitié. Arlequin à ce moment, n’est déjà plus le rustique que nous avons connu. Il court à travers la pièce comme un jeune chat et un enfant étourdi; comme Chérubin, et avant lui, il est amoureux tout bas, mais ses regards ne s’élèvent pas jusqu’à Isabelle: ils s’arrêtent à Colombine, la camériste qu’il peut contempler à son aise à l’office du seigneur Pantalon. Et Colombine lui préfère Pierrot, ce sinistre à face de traître qui finira mal, je vous le prédis! Eh bien! voilà qui me gâte Colombine. Je lui en veux de laisser ce pauvre Arlequin se morfondre au clair de la lune et supplieriez ami Pierrot de lui rendre un léger service. Son ami! Ce fourbe qui passe son temps à lui faire des niches! Pauvre et cher Arlequin!

Mais enfin, qu’a-t-il donc de si séduisant ce Pierrot? On ne sait ce qu’il pense; aucune émotion ne paraît sur son masque de plâtre. Je ne m’y fierais pas; en le voyant passer, effacé et sournois, dans la pièce, je pressens qu’il a en germe tous les vices.

En effet, attendez un peu, et le jour où un artiste de génie s’en empare, il se révèle enfin tel qu’il est, effronté et cynique comme Polichinelle, poltron comme Gille, gourmand comme l’était Arlequin jadis, et enfin voleur! Toujours au service de Pantalon — devenu Cassandre en France, — il le sert en le dérobant, et lâchement, il l’aide à persécuter Arlequin et Colombine, qui l’a enfin quitté, sans doute édifiée sur son compte.

Il passe désormais isolé et solitaire; il n’a plus ni femme, ni maîtresse; et si, d’aventure, on lui en donne une, soyez sùr qu’il la tuera: demandez à Richepin et à Paul Margueritte. Au milieu des péripéties qu’il traverse, battant, battu, il n’a qu’une convoitise: voler le pâté qu’il a entrevu à la cuisine; il le guette sournoisement, comme un chat surveille une crème, en paraissant sommeiller; et quand l’occasion se présentera, il volera le pâté et s’attablera sans souci et sans remords, indifférent à tout le reste.

Et voilà le personnage que Paris a acclamé et couronné de gloire vers 1832. Pour lui, les esprits les plus fins de ce temps n’ont pas dédaigné d’écrire des pantomimes, et ils ont concouru à son apothéose. En vérité, je m’y perds!

Ou plutôt non. Ce n’est pas Pierrot que les Nodier, les Jules Janin, les Champfleury, les Théodore de Banville ont chanté avec tant d’enthousiasme, c’est l’artiste qui, le premier, a fait sortir de l’ombre cette figure mélancolique et qui s’y est révélé homme de génie: c’est Gaspard Déburau. Il ne fallait rien moins que du génie, en effet, pour imposer à Paris ce muet terrible et fatal. J. Janin, qui a consacré à Déburau un volume étrange et paradoxal, voit dans le Pierrot créé par lui, l’image du Peuple avec ses instincts, ses convoitises brutales, et son insouciance fataliste. Qu’importe au Peuple les événements qui se pressent autour de lui? Il sait qu’il en sera toujours victime. Il tape quand il est le plus fort; sinon, il courbe l’échiné sans honte, et s’il n’a souci que d’un pâté, c’est que, pour lui, la question capitale est de manger! J’y consens d’autant plus volontiers que l’existence de Déburau l’a sourdement disposé à sentir ainsi. Nous le voyons, dès son enfance, battu plus souvent qu’à son tour, funambule roulant à travers l’Europe ensanglantée par les révolutions ou les batailles, en quête d’un morceau de pain. Mais alors pourquoi Déburau qui était, nous dit-on, un excellent cœur, et un honnête homme, n’a-t-il pas donné à son Pierrot quelques-unes de ces qualités, que l’on trouve également dans ce peuple?... Mais je me fais bien hardi d’oser interroger le génie! Il a conçu et exécuté son Pierrot de telle façon, et non de telle autre, parce qu’il lui a plu ainsi et puisque ses contemporains se sont inclinés devant cette création, il ne nous appartient pas de le juger, nous qui n’avons pas entendu le monstre, comme disait Eschine en parlant de Démosthènes à ses disciples.

Rassurez-vous, lecteurs, le Pierrot que vous trouverez ici, n’est pas aussi homérique.

Gaspard Déburau a laissé deux héritiers: son fils, Charles, qui en a conservé l’agilité, et Paul Legrand qui a poussé la pantomime du côté de la comédie et du sentiment. Théodore de Banville regrette, pour sa part, cette transformation. «Déburau me disait-il, savait être sentimental à l’occasion. Mais alors, il lui suffisait d’un froncement de sourcil, d’un geste furtif, d’un pli de la bouche, pour l’indiquer rapidement. Il n’avait garde de s’y arrêter: il se contentait de faire comprendre, que s’il l’avait voulu, lui aussi, il aurait pu émouvoir tout comme un autre.» En cela, Déburau était logique avec lui-même: son Pierrot ne comportait évidemment tout juste que la dose de sentiment qu’il lui attribuait.

Mais le Pierrot de Paul Legrand n’est pas le même. Il n’a pas la truculence de celui de Déburau. Soit. Mais il est bien de son époque: il a la gaîté inquiète d’un siècle décadent. Paul Legrand n’a pas voulu imiter Déburau, et il a eu raison, car il n’aurait pas pu. M. de Banville compare Débvrau à Napoléon; du même coup, il fournit à Paul Legrand sa meilleure réponse: «On n’imite pas Napoléon!» Prenons donc le Pierrot actuel pour ce qu’il est: il étonne moins sans doute; il est peut-être amoindri; mais il est plus sympathique, j’ose le dire, parce qu’il est plus près de nous.

L’art vit de transformations. Le Pierrot roman tique et shakespearien de 1840, s’est depuis modifié. Dans les pantomimes de Paul Legrand, il est devenu un valet honnête et bon. Certes, il fait encore de mauvaises farces à Cassandre; mais pourquoi ce vieux sot persiste-t-il à vouloir épouser Colombine? Ici, Pierrot protège les amours de Colombine et d’Arlequin aux dépens de Cassandre. Ailleurs, quand il agit pour son propre compte, nous ne sommes plus fâchés de le voir aimé de Colombine: il est si bon, si dévoué, si honnête! Car il l’est devenu, honnête, et s’il dérobe encore quelquefois Cassandre, c’est pour obtenir plus facilement Colombine, mais il ne gardera pas un centime du bien qui ne lui appartient pas. Enfin, quand il ne travaille, ni pour lui, ni pour Arlequin, il traverse la pièce, comme autrefois ce dernier, pour en être la gaité naïve et ingénue. C’est ce côté qui a séduit quelques-uns de nos jeunes peintres de talent. Sous le crayon des Willette et des Georges Lorin, Pierrot est en train de devenir un gros enfant joufflu, étourdi, sincère, déjà poète et amoureux, car il adresse des sonnets à la lune et s’éprend d’une marguerite ou d’une rose. Comme la grâce divine, un rayon de fantaisie poétique l’a touché ; il a dépouillé le vieil homme, et il recommence aujourd’hui une nouvelle existence dans le royaume de Titania.

Que réserve l’avenir à ces spirituelles et profondes créations du génie latin? Il est permis de se le demander, quand on voit la pantomime anglaise remplacer sur nos scènes la pantomime classique. A vrai dire, cet avènement de la pantomime acrobatique n’a rien de surprenant: il était à prévoir. Déjà en France, sous Déburau, on avait vu apparaître la pantomime sautante, sorte «de petite intrigue mêlée aux exercices du corps» ; les personnages entraient et sortaient en exécutant des sauts en rapport avec leur caractère. Mais nous n’avions pas poussé loin dans cette voie. Ce mélange de deux choses, en apparence étrangères, donnait à nos yeux une allure incohérente à des pièces que, par une pente naturelle à notre tempérament, nous considérions plutôt comme des vaudevilles sans paroles. Nous avions oublié que la pantomime est issue du ballet: elle en a conservé le mouvement, l’allure, et les attitudes plastiques. En pénétrant chez un peuple amoureux de tous les genres de sport, elle devait naturellement se développer dans ce sens. De l’autre côté du détroit, tandis que Polichinelle, le cynique gouailleur, devient journaliste, Pierrot se fait Clown, et c’est sous ce nom caractéristique que nous le retrouvons dans les pantomimes anglaises: on sait tout de suite à quoi s’en tenir, il ne s’agit plus ici de comédies sans paroles, mais de farces à outrance; nous sommes dans le domaine de la fantaisie exagérée, de la caricature, de la parodie, du grotesque. Comment pourrait-il en être autrement? Des personnages de comédie pure feraient d’étranges mines au milieu de cette avalanche de gifles et de coups de pied donnés, reçus, rendus, avec précision; à travers ces culbutes, ces dégringolades exécutées avec une aisance renversante, soit dit sans mauvais jeu de mot. On croit assister à un cauchemar, et c’en est bien un, car les scènes se suivent, comme en un mauvais rêve,, sans lien apparent, sans nul souci de la vraisemblance.

Par surcroît de fortune pour ce genre étrange, mais bien amusant malgré tout, au moment où la vieille pantomime agonisait chez nous, une troupe incomparable de mimes acrobates, les Hanlon-Lees, importait en France cette fantasmagorie, qui fut accueillie avec faveur. Comme on accepta jadis, des mains de Déburau, un Pierrot que tout autre n’aurait pu imposer, on pardonna aux Hanlon l’incohérence de leurs créations, en faveur de leur talent.

On alla plus loin. Des hommes d’esprit écrivirent des vaudevilles, dans lesquels ils furent intercalés avec plus ou moins d’adresse. Ceux qui ont vu jouer ces vaudevilles ont sans doute éprouvé, comme moi, une impression bizarre, pénible même, quand le dialogue cessait brusquemeut pour faire place aux scènes mimées: ces gens qui gesticulaient, sans dire un mot, avaient un air funèbre: on eût dit des muets et non des mimes; la musique, qui les accompagnait alors, était impuissante à rompre le silence de la scène.

La musique est, en effet, la langue de la pantomime: elle en est l’accompagnement obligé, et, sans elle, les scènes mimées seraient macabres. Impuissante, comme la pantomime, à rendre les idées précises et définies, elle convient, par sa nature même, à un art qui ne peut également exprimer que des idées générales: il est au moins singulier de voir comment ces deux arts, condamnés chacun à la même misère originelle, arrivent cependant à une richesse d’expression qu’ils ne sauraient atteindre isolément... Je n’insiste pas: le développement de considérations de ce genre, nous entraînerait trop loin.

Il y a quelques années, dans une revue des Variétés, on vit paraître sur la scène les principaux personnages de la pantomime italienne, mais dans quel triste état, hélas! L’Arlequin pouvait encore faire figure: sur son costume bâti de pièces et de morceaux, les reprises se dissimulaient; mais la Colombine, mais l’Isabelle, — le rire et le sourire — quelle pitié de les voir, avec leurs robes fripées, leurs rubans passés et leurs souliers éculés, sur la charrette qui portait ces misérables représentants d’un art presque disparu. Quant au Pierrot blanchi, jamais sa pâleur ne m’avait paru aussi famélique.

C’était lui qu’interrogeait le compère de la revue. A ses questions Pierrot — c’était Paul Legrand — mimait à peu près cette réponse: «Oui, nous sommes bien gueux aujourd’hui; nos habits sont misérables et souvent nous nous serrons la ceinture, faute d’un dîner. Autrefois, pourtant, il n’en fut pas ainsi. L’or emplissait nos poches; à notre appel, le public accourait et nous payait, en outre, en beaux éclats de rire et en bravos. Maintenant, il passe indifférent et même étonné ; il ne nous comprend plus!»

— Et où allez-vous ainsi? demandait le compère.

— A la grâce de Dieu, faisait alors Pierrot avec un geste, navrant de philosophie et d’amertume.

Et sur ce geste, commenté tristement par le refrain d’une complainte populaire, le lamentable cortège rentrait dans la coulisse.

La scène était touchante et malheureusement trop vraie. Il ne mérite pourtant pas de disparaître, cet art charmant fait de fantaisie et de philosophie aimables.

Je ne veux pas donner ici le signal d’une campagne contre la pantomime anglaise —que je ne déteste pas au fond — ni, à propos de pantins, exciter mes concitoyens à la haine les uns des autres. Le temps est passé de ces querelles artistiques. A Rome, à la fin du premier siècle avant J.-C., on a pu voir le théâtre et les rues ensanglantés par les luttes des partisans de Bathylle, mime comique, contre ceux de Pylade, mime tragique. Mais de nos jours, il n’y a plus que les Arlequins et les Polichinelles de la politique qui puissent nous affoler à ce point: triste privilège que l’art n’a point à leur envier.

Contentons-nous donc de rendre à la vieille pantomime la justice qu’elle mérite, et souhaitons qu’elle rencontre bientôt des interprètes de talent, capables de lui rendre sa gloire passée et de lui ramener un public de délicats et de lettrés, un public français, en un mot.

FÉLIX LARCHER.

Pantomimes de Paul Legrand

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