Читать книгу Projet de boisement des Basses-Alpes - Pierre-Henri Dugied - Страница 4
ОглавлениеINTRODUCTION.
430, 613hectares improductifs dans les Basses-Alpes.
La haute Provence autrefois plus fertile.
QUATRE cent trente mille six cent treize hectares [environ un million d’arpens] sont improductifs dans le département des Basses-Alpes; c’est plus de la moitié de sa superficie. A une époque probablement ancienne, la majeure partie de ces430, 613hectares était couverte de forêts; alors la température de la haute Provence, ses eaux, ses vallées, devaient être autres qu’elles ne sont aujourd’hui. La destruction de ces forêts a sans doute été long-temps l’affaire des siècles; tant qu’elle a été opérée par eux, elle a été lente, et l’effet n’en a été ressenti qu’imperceptiblement, si je puis m’exprimer ainsi. C’est quand les hommes y ont eu mis la main que le mal a fait de rapides progrès: aussi apprend-on, si l’on entend les vieillards du pays, que, depuis trente années sur-tout, on a vu disparaître plus de champs, plus de prairies, que peut-être il n’en avait été emporté par les torrens dans le cours des deux siècles antérieurs. Il est temps de remédier à cet état de choses, il est temps de recréer le passé: le Gouvernement y est intéressé aussi bien que le département, comme je le montrerai bientôt.
Nécessité de recréer les anciennes forets.
Première pensée de ce projet.
Mais, avant d’entrer en matière, je dois, pour les personnes qui s’étonneraient que j’eusse pu m’occuper d’un projet si important dans le cours d’une administration de huit mois, dire qu’en 1818, dès que je fus nommé préfet des Basses-Alpes, on me parla des ravages qu’y exerçaient les torrens; qu’ainsi je me rendis dans ce département avec l’intention de rechercher s’il serait possible de mettre un frein à ces ravages, et que cette pensée ne m’a point quitté pendant les huit mois qu’a duré mon administration.
Tournée dans le département.
J’étais à peine installé, lorsque le recrutement me fit faire une tournée dans les arrondissement. Cette opération et la saison avancée ne me permirent pas de les parcourir dans tous les sens; mais j’en vis assez pour reconnaître l’étendue du mal. Quant à ses causes, je n’ai point à me faire un mérite de les avoir découvertes: là tout le monde les connaît, même les habitans des campagnes; c’est un grand point, les esprits en sont plus disposés à adopter les moyens de les faire cesser.
En quoi consistent les désastres, quelles sont leurs causes, comment elles ont agi avec une effrayante progression, c’est ce qu’il faut d’abord exposer.
Sa situation sous le rapport des ravages exerces par les torrens.
Le département tire ses principales ressources de ses vallées: or les terres de ses vallées sont maintenant emportées plus d’à moitié. Sa partie haute, qui se compose de l’arrondissement Je Barcelonnette, de celui de Castellane, de la majeure partie de celui de Digne, offre le spectacle de la plus triste infertilité. Les montagnes y sont presque toutes déboisées: il faut pourtant en excepter la vallée de Barcelonnette; là elles se couvrent encore de riches herbages, et, chaque printemps, des milliers de moutons y arrivent en foule de la terre d’Arles, pour se refaire des fatigues de l’hiver et se mettre en état de supporter le suivant. Ailleurs les montagnes ont cessé et cessent successivement d’être couvertes de pâturages. L’œil ne rencontre que des rochers nus, ou de vastes parties noirâtres que l’on croirait formées de terre végétale, mais qui, n’étant que le résultat de la décomposition d’ardoises incomplètes, sans cesse altérées par l’intempérie des saisons, se refusent à toute végétation. Les monts hérissés de rochers sont encore moins hideux: du moins quelques buis, quelques genêts, croissent dans leurs fissures; malheureusement, chaque jour arrachés pour faire des fumiers, chaque jour ils deviennent plus rares; et quand ils auront cessé (époque qui n’est pas éloignée), la disette d’engrais, qui existe déjà, sera décuplée, l’agriculture aura décru dans la même proportion, et la population sera contrainte de quitter un sol qui ne pourra plus la nourrir.
Cette déplorable situation a deux grandes causes: la première est la destruction des forêts; la seconde, la manie des défrichemens.
Par suite de ces deux causes, les meilleures terres ont été emportées et le sont tous les jours par les torrens. Rien n’est affligeant comme de voir les vallées couvertes de cailloux dans presque toute leur largeur, et sillonnées seulement de quelques filets d’eau. En apercevant pour la première fois ces vastes lits de cailloux, on se demande quelle puissance inconnue a pu y amener tant de débris; mais, lorsqu’on s’élève sur les hauts sommets, que l’œil, après avoir embrassé les monts moins élevés, pénètre jusqu’au fond des vallées, alors le voile qui couvre la cause de tant de ravages se soulève, et l’on reconnaît que l’homme est le principal auteur de la désolation qui règne autour de lui.
Vallée de Barcelonnette encore riche en montagnes pastorales.
Buis et genêts, matières des engrais, devenus rares.
Cette situation a deux causes: le déboisement, les défrichemens.
Effets physiques produits par les hautes montagnes, lorsqu’elles sont boisées.
En effet, il est reconnu que les hautes montagnes exercent une attraction sur les nuages, et que cette attraction est la plus grande possible, lorsque les sommets sont boisés; alors les nuages sont non-seulement attirés, mais retenus: forcés de se résoudre en rosée, ils entretiennent le pied des forêts dans une humidité permanente. Pénétrant jusqu’aux réservoirs préparés par la nature, cette humidité alimente les sources et tient les eaux à un niveau presque constant: que si l’imprudence des hommes vient à détruire les forêts, la face des lieux change aussitôt.
Effets physiques résultant de leur déboisement.
L’effet du déboisement est de détruire la double attraction des forêts et des sommets; la première n’existant plus, la dernière seule ne suffit pas pour retenir les nuages: ils obéissent aux vents les plus légers, et portent ailleurs le bienfait de leurs eaux. C’est ainsi que l’on passe, dans les Alpes, des mois, presque des années, sans recevoir de pluies; puis tout-à-coup les nuages arrivent de tous les points de l’horizon, s’entassent comme pressés par des vents opposés, et fondent en torrens qui entraînent tout dans leur cours. Dans les pays très-élevés, dégarnis de forêts, il n’est guère, pour avoir des eaux, d’autre chance que celle des orages; mais, dans cette chance, on pourrait presque dire que le mal l’emporte sur le bien, car les eaux versées par les orages sont dévastatrices.
Résultats des défrichemens.
Degré d’inclinaison desmontagnes avec l’horizon.
Effets des pluies d’orage.
Si l’on ajoute au déboisement des sommets les défrichemens non moins imprudens qui ont été exécutés depuis trente ans sur les flancs des montagnes, on connaîtra la seconde cause de la situation des Basses-Alpes, et l’on concevra dans quelle progression le mal a dû s’accroître, sur-tout lorsqu’on saura que les pentes de ces montagnes forment avec l’horizon des angles de 65, 70, même75degrés. Sous une inclinaison si rapide, il est impossible à des terres remuées de résister aux orages: comment le feraient-elles, quand des pluies ordinaires suffisent pour les entraîner? Dans les pays très-élevés, les gouttes d’eau ont un volume beaucoup plus gros que dans les pays de plaine, parce que, parcourant moins d’espace, elles sont moins divisées par l’air. Ayant plus de volume, elles sont plus pesantes et tombent conséquemment avec plus de rapidité. On voit par là combien leur action est augmentée, puisqu’elle est le produit de leur masse par leur vîtesse: aussi ces terres imprudemment remuées, qui, par hasard, auront, la première année, échappé aux orages et présenté l’appât d’abondantes moissons, l’année suivante ont été emportées tout entières dans les vallées, et à leur suite les débris des rochers y sont aussi descendus. Ainsi s’est élevé le lit des torrens, et leurs eaux, déversées de plus en plus sur les bords, ont, chaque année, entraîné davantage de meilleures terres des vallées, et en ont couvert davantage des débris des rochers.
Crainte d’une prochaine dépopulation dans la partie haute du département.
Telles sont les causes de la triste situation du département. On peut avancer avec certitude que si l’on ne se hâte d’y porter remède, bientôt sa population ira diminuant dans sa partie haute, et cela avec une rapidité qui ne s’expliquera que par ce qui précède.
Qu’il est encore temps de remédier au mal.
Je ne sais si je m’abuse, mais je crois qu’on peut réparer le mal; je crois sur-tout qu’il est temps de s’en occuper: encore un quart de siècle, et peut-être serait-il trop tard, parce que les meilleures terres qui existent sur les montagnes, sillonnées par les orages, seraient emportées; or c’est par elles que doivent se recréer les champs dévastés, lorsque les digues à construire seront exécutées.
Hardiesse de l’entreprise;
L’entreprise est grande, et d’autant plus hardie, qu’il y faut une persévérance et une direction constantes de la part de l’administration, comme une docilité et des efforts soutenus de la part des habitans.
Temps qu’elle exigerait;
C’est d’environ trente années que datent les plus grands désastres; un demi-siècle sera nécessaire pour les réparer: mais il ne faut point s’en effrayer. Qui s’occupera des projets dont la brièveté de la vie des hommes ne leur permet pas même de tenter l’exécution, si ce n’est le Gouvernement? D’ailleurs, comme je l’ai dit plus haut, il est intéressé, plus qu’on ne croirait, à réaliser celui que je lui soumets.
Intérêt du Gouvernement à son exécution.
Influence du plateau des Alpes;
Que l’on ne s’imagine point en effet que le département des Basses-Alpes recueillera seul les fruits de l’opération que je propose; les trois départemens formés de l’ancienne Provence y participeront presque également: ceci pourrait surprendre au premier coup-d’oeil; mais, si l’on considère l’influence que le vaste plateau des Alpes, avec ses hauts sommets, ses profondes vallées, ses neiges et ses glaces éternelles, doit exercer sur l’atmosphère, à une distance qu’il n’est pas donné aux hommes de calculer, on sera persuadé qu’une partie de la France subit cette influence. C’est sans doute au déboisement des derniers gradins de ce plateau, du côté de la Provence, que cette contrée si renommée, si riche, doit d’avoir vu ses oliviers, ses fruits à noyau, et sur-tout ses amandiers, geler depuis vingt-cinq à trente ans plus souvent qu’autrefois. Peut-être aussi, ces vents inconnus, ces tardives gelées, qui ont désolé les vignobles de la Franche-Comté, de la Bourgogne et d’autres provinces, depuis le même temps, doivent-ils être attribués à la même cause.
Département qui la subissent.
Il dépendra du conseil général que les secourt du Gouvernement ne soient que des avances.
Si tant de mal découlait du déboisement des parties inférieures du plateau des Alpes, le Gouvernement ne serait-il pas intéressé à le réparer, et ne devrait-il pas y porter un prompt remède, sans s’arrêter à ce qu’il pourrait lui en coûter? Ce qu’il dépenserait d’un côté, l’agriculture le gagnerait de l’autre au centuple. D’ailleurs il dépend du Département que les dépenses du Gouvernement ne soient que des avances, et je connais trop le bon esprit qui anime les membres du Conseil général, pour ne pas être certain qu’il voudra tout ce qui dépend de lui.
Résultats à obtenir de l’exécution de ce projet.
J’entre denc dans l’exposé des mesures qui me semblent devoir être prises, afin de prévenir la dépopulation de la partie haute du département des Basses-Alpes, et de lui rendre son ancienne prospérité; je veux dire au moins toute celle dont il est susceptible. Pour arriver à ce but, il faut diminuer la masse et l’impétuosité de ses torrens, reconquérir sur eux, et par eux, les terres qu’ils ont enlevées à l’agriculture, et les empêcher principalement d’emporter ou d’ensabler le reste de celles des vallées.
Ces mesures seraient,
Mesures pour y arriver.
I.o D’empêcher tout nouveau défrichement sur le penchant des montagnes, et de rendre aux terres remuées par les défrichemens déjà exécutés leur adhérence primitive;
2.o De boiser le sommet et le flanc des montagnes;
3.o D’encaisser les torrens.
Ces mesures seront la matière de trois chapitres différens, dans chacun desquels je traiterai tout ce qui s’y rattachera. Un quatrième, et dernier, aura pour objet d’exposer les moyens qui me semblent devoir être adoptés pour couvrir les avances du Gouvernement.