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CHAPITRE I.er Des Défrichemens sur les flancs des Montagnes.

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Table des matières

Qu’il faut réparer le mal causé par les anciens défrichemens, et en empêcher de nouveaux.

Nous venons de voir que les premières mesures que je propose pour arriver à la régénération du département, consistent à empêcher tout défrichement nouveau, et à raffermir les terres déjà défrichées; ce chapitre sera conséquemment divisé en deux paragraphes.

§. I.er

Empêcher de nouveaux Défrichemens,

Les défrichemens, utiles dans les plaines, sont dangereux dans les pays très-élevés,

Empêcher de nouveaux défrichemens est aussi nécessaire dans les pays de hautes montagnes, qu’il est utile de les favoriser dans les pays de plaines. Dans les plaines, l’agriculture s’en augmente; dans les pays de montagnes, les défrichemens, après y avoir donné un accroissement éphémère, causent des dommages irréparables.

Ordonnance de1667 pour les y réprimer sur les terrains en pente, non boisés,

Trouvée trop rigoureuse par les tribunaux.

L’ordonnance de1667avait été rendue dans des vues d’une haute prévoyance; elle prononçait une amende de3000francs contre tous ceux qui défricheraient des terrains en pente, non boisés, parce qu’elle voulait prévenir la dépopulation du pays; mais depuis long-temps cette ordonnance a paru trop rigoureuse aux tribunaux; et, n’envisageant que les individus sur qui elle frappait, ils n’ont prononcé pour ce délit que de modiques amendes qui ont aggravé le mai au lieu de l’arrêter. En effet, ces amendes ne pouvant être mises en comparaison avec le bénéfice que présente une seule récolte dans un terrain nouvellement défriché, il n’est pas un habitant de la campagne qui n’en coure volontiers les risques.

Leurs amendes légères n’arrêtent point le mal.

La loi du9floréal an 11, qu’ils appliquent, ne concerne que les défrichemens dans les terrains boisés.

Les tribunaux ne s’appuient que sur la loi du9floréal an II; et, conduits à des conséquences erronées par l’application d’une loi qui ne concerne que les défrichemens commis dans les terrains boisés, ils ordonnent la remise en nature de bois, de terrains qui n’y étaient pas auparavant.

Inexécution des jugemens en ce qui concerne le boisement des terrains défrichés.

Nécessité d’une sévérité plus grande.

Dès-lors on pourrait croire que ces jugemens opèrent beaucoup de bien, et que, s’il y a de nombreux défrichemens, il y a de nombreuses condamnations, et, par suite, une quantité considérable de terrains non boisés mise chaque année en nature de bois. Si on le croyait, on se tromperait: d’abord, il s’en faut beaucoup que tous les défrichemens soient constatés par des procès-verbaux; tantôt par la difficulté de connaître les délinquans, tantôt par la crainte de se faire des ennemis,&c..... ensuite, parce que, sur vingt jugemens de cette espèce, très-peu reçoivent une entière exécution, peut-être même pas un, sous le rapport du boisement. Il vaudrait donc cent fois mieux arrêter les défrichemens par la crainte d’une amende, en apparence hors de proportion avec le délit, que d’ordonner des reboisemens qui ne s’effectuent point, et de prononcer des amendes qui n’effraient personne.

Essais à cet égard.

A différentes reprises, les tribunaux ont essayé l’effet que de plus fortes pourraient produire, mais ce n’était toujours pas celle prescrite par l’ordonnance de1667; et ces amendes étant, comme d’ordinaire, tombées sur des malheureux, ceux-ci, en justifiant de leur indigence, ont obtenu remise de la majeure partie de ia somme à laquelle ils avaient été condamnés. Alors, et bien malheureusement, les tribunaux ont vu là une sorte d’infirmation de leurs jugemens, de sorte qu’ils ont bientôt renoncé à être rigoureux.

Pourquoi ils n’ont pas duré.

Cependant ils n’auraient dû calculer que les résultats. La remise d’une partie de l’amende était toujours douteuse: lorsqu’on l’obtenait, cette remise était une grâce; celui même qui en avait été l’objet, avait encore à supporter des frais considérables pour lesquels il subissait souvent la contrainte par corps; il se ressentait long-temps d’un pareil jugement; long-temps il était l’exemple des dangers des défrichemens illicites.

Nécessité de faire exécuter l’ordonnance de 1667.

Je crois donc que, pour pouvoir arriver aux résultats que s’était proposés l’ordonnance de1667, il serait nécessaire que Son Excellence le Ministre de la justice rappelât aux tribunaux du département, que cette ordonnance étant locale, et n’ayant été abrogée par aucune loi postérieure, elle doit recevoir son exécution toutes les fois qu’il se commet des défrichemens dans des terrains en pente non boisés.

Une pareille invitation de la part de Son Excellence ne saurait être considérée comme une influence. Les tribunaux s’appuient sur une loi qui n’est applicable qu’aux terrains boisés. Les ramener à1observation d’une ordonnance spéciale non abrogée, est entièrement dans les attributions du Ministre de la justice. Au reste, je montrerai, au paragraphe suivant, que cette ordonnance est incomplète, et a besoin d’être modifiée.

§. II.

Raffermir les Terres défrichées.

Tout auteur de défrichemens dans un terrain en pente, non boisé, devrait être condamné à le convertir en prairies artificielles,

Et le propriétaire, à défaut de l’auteur.

L’administration devrait pouvoir l’y astreindre, lorsque l’action des tribunaux ne pourrait avoir lieu,

Prévenir les nouveaux défrichemens est sans doute très-important; mais il ne le serait pas moins de pouvoir réparer le mal causé par ceux déjà exécutés: il serait donc à desirer que l’on pût faire consolider les terres remuées sur les pentes, non encore descendues dans les torrens, par tous ceux qui en ont détruit l’adhérence, et pour cela qu’on pût les condamner, s’ils étaient connus, à convertir ces terres en prairies artificielles; que si les auteurs de ces défrichemens étaient inconnus, il faudrait qu’on pût condamner les propriétaires. Enfin, si les délais déterminés par la loi pour constater les délits, et les poursuivre lorsqu’ils sont constatés, étaient écoulés, et qu’il ne fût plus au pouvoir des tribunaux d’en connaître, il serait encore à desirer que l’administration pût faire ce qui ne dépendrait plus d’eux; sans cela, pour les quatre cinquièmes des terres défrichées, le mal est irréparable.

Je sais que les lois ne permettent pas plus à l’administration qu’aux tribunaux des actes rétroactifs: mais ici la chose a une conséquence si majeure, que si ce que je desire n’est pas possible, il ne saurait être blâmable de souhaiter qu’elle le fût.

Que s’il y a impossibilité pour le passé, il faudrait que cette disposition fût insérée dans la loi qui remplacerait l’ordonnance de1667.

Si, pour le passé, il n’y a rien à espérer; si, pour obtenir que les terres défrichées soient converties en prairies artificielles, il ne reste à l’administration que la voie de la persuasion, presque toujours stérile en résultats lorsqu’elle parle plutôt pour l’intérêt public que pour l’intérêt privé, du moins ce que je desire est possible pour les défrichemens à venir; et comme l’ordonnance de1667ne porte rien à cet égard, on pourrait la remplacer par une loi, et y insérer les dispositions ci-dessus.

Alors l’amende de 3000francs, qu’elle prononce, pourrait être modérée.

Ces dispositions étant une peine réelle, il y aurait lieu de modérer l’amende de3000fr., déterminée par l’ordonnance ci-dessus; alors on serait plus sur de son application.

La loi qui la remplacerait, pourrait aussi statuer qu’elle serait applicable à tels ou tels départemens qui y seraient nominativement désignés, leur position géographique en plaçant plusieurs dans la catégorie de celui des Basses-Alpes.

On prévient l’objection que les propositions ci-dessus tiennent de l’arbitraire.

Discussion de principes à ce sujet.

La proposition qui tend à ce que le propriétaire de tout terrain qui, à l’avenir, serait défriché, fût condamné par les tribunaux à le convertir en prairies artificielles, si l’auteur du défrichement n’était pas connu, ou s’il n’était pas légalement constaté, ne manquera pas de paraître arbitraire; et le vœu, que l’administration pût y contraindre le propriétaire, à défaut des tribunaux, ne le semblera pas moins. A l’inculpation qui pourrait m’être faite à ce sujet, je répondrai que à où le règne de la loi finit, l’administration a souvent le droit d’intervenir, parce qu’elle est protectrice des intérêts généraux. Ainsi là où un mal public est évidemment à craindre, elle doit prendre des mesures pour le prévenir. C’est d’après ce principe qu’elle oblige un propriétaire à démolir sa maison lorsqu’elle menace ruine, et même la fait démolir aux frais de ce propriétaire, s’il s’y refuse.

Quant au cas particulier qui nous occupe, rien n’est si aisé à justifier que mon opinion: le défrichement sur une côte rapide est une œuvre qui n’est pas seulement dommageable au propriétaire du fonds, elle l’est, on peut dire, à tous les propriétaires, riverains d’un torrent, qui sont placés au-dessous du point où le premier orage peut entraîner les terres dont l’adhérence a été détruite; parce que, comme il a été dit plus haut, à la suite des terres descendent les débris des rochers: or ces débris élèvent le lit du torrent; font, lors de leurs gonflemens soudains, déverser davantage les eaux sur leurs bords, et conséquemment hâtent la ruine des propriétés riveraines.

On ne serait pas reçu à dire que le dommage n’est pas palpable; qu’il n’est pas arrivé; que tant qu’il n’est pas arrivé, il ne peut y avoir lieu à une peine. C’est précisément parce qu’il n’est pas arrivé, qu’il faut le prévenir. S’il n’est point palpable, il n’en est pas moins évident; et comme il y a non pas un seul propriétaire intéressé à ce qu’on le prévienne, mais un grand nombre, c’est à l’administration d’intervenir pour empêcher qu’il n’arrive. Tout propriétaire qui laisse subsister sur son fonds une œuvre dont le dommage ne saurait être borné à lui seul, peut être obligé par elle à le prévenir à ses frais. Par le même motif, si le défrichement a été constaté en temps utile, et que l’auteur en soit inconnu, les tribunaux peuvent, à son défaut, condamner le propriétaire à remettre les choses dans un état qui ne nuise à personne; ce qui, dans ce cas-ci, ne peut se faire que par la conversion en prairies artificielles des terrains défrichés.

Les communes seraient, comme les particuliers, tenues de convertir en prairies artificielles les terrains défrichés dont elles seraient propriétaires.

Je n’ai pas besoin d’ajouter que les communes, propriétaires des terrains défrichés, seraient astreintes, de même que les particuliers, à couvrir ces terres de prairies artificielles; ce serait même un assez bon moyen d’amener les gardes champêtres à un peu plus de surveillance, et conséquemment aussi d’amener les communes à leur assigner un salaire suffisant. Je reviendrai plus tard sur cet objet. Les frais de semis, à la charge des communes, seraient portés à leurs budgets, et alloués par le préfet.

Le sainfoin est ce qui convient le mieux pour les établir.

Pour créer des prairies artificielles sur les penchans des montagnes, le sainfoin serait ce qui conviendrait le mieux; il réussirait d’autant plus sûrement qu’on emploierait plus de précautions pour le protéger contre le bétail. Les haies seraient, dit-on, indispensables pour sa conservation: mais, indépendamment de ce que ce moyen-là est trop dispendieux, je doute fort qu’il se trouvât du bois à portée de tous les terrains qui ont été défrichés. Voici, au reste, ce que m’écrivait à ce sujet M. Bermond de Vaulx, maire de Noyers, arrondissement de Sisteron. Lui et son frère sont deux agronomes très-distingués, qui ont reçu, il y a quelques années, une médaille d’or du Gouvernement, pour prix des travaux qu’ils ont exécutés, à quelques lieues de Sisteron, dans un domaine où tout était à créer, où les difficultés du terrain étaient extrêmes presque par-tout, et où, à force de persévérance, de lumières, de soins, et aussi d’argent, ils ont obtenu des succès qui tiennent du prodige.

Expérience de M. Bermond de Vaulx à ce sujet.

Je laisserai parler M. Bermond de Vaulx lui-même:

«Il y a douze ans environ, que, désirant utiliser à la commune de Noyers, des terres jadis couvertes de bois, défrichées depuis la révolution, puis épuisées à un point inconcevable, nous résolûmes de les affermer et de les couvrir de sainfoin. Nos semis réussirent à merveille. Rien n’était plus satisfaisant que de voir, à cette hauteur, le sainfoin substitué aux céréales qui n’y voulaient plus rien donner, et couvrir d’une riche verdure des terres qui, peu auparavant, ne présentaient qu’une image d’abandon et de stérilité. Peu à peu le terrain se raffermit en se gazonnant, et les eaux n’y firent plus de mal. Nous avons joui huit ans de cette prairie; et l’opération eût été avantageuse, si nous n’avions négligé, la première année, de la mettre à l’abri des troupeaux étrangers. Mais, faute de ce soin, que la brièveté de notre bail ne nous permettait pas de prendre, notre location fut trop souvent envahie par le bétail; et n’ayant plus le courage d’étendre notre culture, nous l’avons enfin abandonnée à la commune, qui n’en tire aucun revenu, mais qui voit sa propriété assurée contre les pluies d’orage, qui, divisées par le gazon, n’y font plus le moindre mal. «

Elle prouve l’utilité

Dans cette expérience, dont MM. Bermond de Vaulx n’ont pas été complètement satisfaits, je trouve tous les motifs d’encouragement qui peuvent porter à la tenter en grand. On y voit que les semis avaient parfaitement réussi, quoique sur un sol épuisé; que ces agriculteurs distingués ont joui huit ans de leur sainfoin, sans pourtant avoir rien fait pour le défendre du bétail; et enfin, ce qui est le but principal auquel je tends, que la terre s’était raffermie, au point que les pluies d’orage ne lui causaient plus le moindre mal.

dont seraient les prairies artificielles pour raffermir les terrains en pente ébranlés par les défrichemens,

Il y a donc là tout ce que l’on peut desirer d’obtenir, lorsqu’on ne prend aucune précaution; et, bien certainement, le propriétaire qui voudra en prendre davantage, sera bien sûr d’en recueillir les fruits.

Une fois raffermis, ces terrains pourraient être boisés à leur tour.

Lorsque le soi sera raffermi, et les sainfoins usés, ces terrains pourront être mis en nature de bois avec certitude du succès; ils concourront alors au grand but de l’opération.

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