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L’HOMME EST IMAGE ET RESSEMBLANCE DE DIEU

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C’est la Bible qui me l’affirme, ce vieux livre si longtemps consolateur:

«Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre... Puis Dieu vit que cela était bon et il dit: Faisons l’homme à noire image et selon notre ressemblance... Et Dieu créa l’homme à son image; il le créa, homme et femme, à l’image de Dieu.» (Gen., I, 1-27.)

Mais qu’est-ce donc alors que je suis? ou bien qu’est-ce donc que Dieu?

N’y a-t-il pas ridicule prétention à oser me comparer à Lui en quelque chose, sans lui faire injure?

M’est-il possible de le concevoir même, s’il est ce qu’il doit être?

«Il est.» Je ne puis rien ajouter à ce mot, qui ne le diminuerait. Il est. L’Être, la Vie, la Puissance, la Fécondité, l’Esprit, l’Intelligence, la Liberté, l’Amour... Celui qui est éternel et impérissable, un, vivant et permanent... Celui qui est.

Comment, après cela, m’interroger et trouver en moi quelque chose qui lui ressemble?

Ah! je porte trop devant mes yeux et dans mon cœur la ruine et la décomposition de mon être, les preuves de sa faillite et de sa fatalité.

A chaque heure, je change. Si jeune que je sois, combien me voilà donc loin d’être aujourd’hui ce que je fus! Pour beaucoup qui m’ont connu, peut-être aimé, je suis déjà méconnaissable. Quand je veux saisir mon être, je le sens qui m’échappe entre les doigts Il décrit une courbe si rapide et si fuyante, que je ne puis la comparer qu’au néant qui court au néant: mon corps, ma pensée, mes amours.

Encore moi, cependant, je vis. Je me sens vivre. Mais eux qui sont morts? Oh! je n’ai besoin d’aucune description réaliste ni qu’on me farde non plus la triste vérité : je sais bien qu’il est impossible de reconnaître ces chers corps, tombés il y a six mois à peine dans les champs d’Arras et dont je serrais la main chaude et vaillante, la veille où ils moururent. Quelques-uns qu’on n’a pu ensevelir sont devenus, noircis, desséchés par l’air et par le vent, de pauvres petites choses semblables à la terre, — quand même ils auraient gardé, sur le champ de bataille, l’attitude héroïque du soldat frappé dans la lutte. Et tant d’autres!... dont j’ai vu la chair se dissocier et se fondre, dans nos ambulances et nos hôpitaux! Non, non, je ne veux pas me souvenir de leurs souffrances et de leurs cris, de leurs mutilations vivantes et de la corruption qui dévorait leurs os. Nous sommes matière, donc une chose multiple et dispersée qui perpétuellement se dissout et s’en va, comme toutes les choses. Soumis à des lois de mort qui nous dominent, en vain nous leur opposons l’instinct et la volonté de vivre, de toute part nous subissons l’inévitable fatalité. Et dans la honte d’être perpétuellement vaincus, nous ne pouvons que chercher au-dessous de nous des comparaisons et nos origines, et nous prendre en pitié nous-mêmes.

Mais non! Je me révolte à la fin. Je veux me connaître tout entier! et, me jugeant si bas, je fais injure à mes morts: ils étaient davantage.

Ils me gourmandent d’avoir oublié si vite ce qu’ils furent, et, par leurs reproches, ils m’apprennent ce que je suis.

Matière? Allons donc! J’ai vu comme un germe qui croissait en eux, tout à l’opposé d’elle, et qui violentait ses lois. J’ai vu leur âme. J’ai vu leur âme.

Je ne saurais pas, il est vrai, la définir mieux qu’un germe de vie croissant dans un terrain de mort. Mais, de même qu’un grain de blé, jeté en terre, semence de vie, n’a rien de commun avec le sol qui lui donne seulement sa chaleur et sa nourriture; de même qu’il absorbe en sa mystérieuses unité les forces dispersées de la nature; de même qu’il s’échappe de l’humus inerte, tige vivante et féconde pour donner des fruits,... ainsi j’ai vu se dresser dans leur corps périssable un germe vivant et libre, qui ralliait à lui la dispersion de cette matière à laquelle il était mêlé.

Je me rappelle: quand la voix désespérée de la patrie leur cria qu’eux, ses fils, devaient la défendre, une force impérieuse se leva au-dedans d’eux-mêmes qui les précipita joyeux au sacrifice. Ils dirent simplement: Il faut! et ils partirent. En vain les longues joies du foyer, si douces dans la succession monotone de leurs jours, en vain de jeunes tendresses, violentes et farouches, s’accrochaient à eux sur le seuil des portes, et tout leur instinct de vivre leur criait: Reste! ils partaient sans tourner la tête, avec une attitude réfléchie, comme nous ne pensions pas que pouvaient en avoir de jeunes hommes. Ils se possédaient eux-mêmes par une discipline indomptable.

Ils partirent. Combien nous n’avons plus revus! mais dont nous avons gardé cette image, au moment de l’adieu, d’hommes nouveaux.

Les autres nous ont depuis donné leurs lettres, qui sont là, qui ne nous quittent plus, toutes remplies de cette âme qu’auparavant nous ne connaissions pas. Tendresse des fiançailles que la séparation et le danger ont fait revivre. Tout le lointain amour qui réapparaissait, sûr et fidèle, en des mots charmants que nous ne savions plus nous dire. Et leur conscience si délicate qui nous les montrait uniquement soucieux d’accomplir chaque jour plus vaillamment tout l’héroïque devoir; et leur mérite par la volonté continuée de leur sacrifice; et leur foi en Dieu renouvelée; et ces conseils tout empreints d’une sagesse de vivre que seul avait pu leur apprendre le voisinage de l’éternité.

O nos soldats, ô nos morts bien-aimés, combien cette guerre nous a révélé vos âmes!

Alors que toute matière s’effrite et se disperse, vous avez rassemblé, du fond des siècles, ces forces vives de la race que beaucoup croyaient perdues, et vous avez affirmé en vous l’unité permanente et la continuité de la patrie. Vous avez opposé le droit et le devoir, oeuvres de lumière et de raison, à l’indifférente brutalité des choses. Quand tout nous parlait d’une fatalité qu’on doit subir, vous avez été une liberté fougueuse et passionnée qui résiste.

Je sais peu ce que Dieu est; mais je sais que vous ne pouviez tenir que de Lui cette puissance de vie en face de la mort, ce commandement et cette domination ferme de vous-même, cette intelligence claire et disciplinée, l’ordre et l’harmonie de votre être, et l’amour.

Et vous étiez de la sorte, j’en suis sûr, un reflet admirable de Dieu.

S’il est la Vie parfaite éternelle et infinie, vous étiez son image, vous qui avec dompté la vie.

S’Il est Intelligence et Pensée souveraine, vous étiez son image, vous qui avez compris l’ordre absolu des êtres, et qui vous êtes disposé, par l’ascension du sacrifice, dans le devoir.

S’il est l’Amour, vous étiez son image, vous de qui la présence de la mort a fixé et rajeuni l’amour.

Puis-je même supposer maintenant, chères images de Dieu, chères âmes, que ce véritable mystère soit à jamais détruit par la mort? Ce qui est, éternellement subsiste, transformé.

Vous étiez hier en croissance d’infini. Donc la mort n’a pu que vous rapprocher de Dieu.

De Dieu qui vit éternellement.

Je dis: cette mort qui fut la vôtre, le geste volontaire qui vous a fait déchirer la lourde enveloppe sous laquelle Dieu se cachait.

Puissé-je ainsi comprendre, comme vous, ce que je porte en moi; ne plus travailler qu’à révéler pour l’éternité la divine image, à votre exemple.

Que je sache ainsi dompter et unifier ma vie;

L’ordonner dans le devoir;

La fixer dans l’amour.

Leur âme est immortelle

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