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DU TRANSPORT DES EAUX.

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De la pullulation des bactéries dans les eaux potables abandonnées à elles-mêmes. — De la nécessité de les refroidir pour leur conserver une composition micrographique à peu près constante. — De l’insuffisance du refroidissement à 0° à l’égard de quelques eaux. — Glacières pour le voyage des eaux destinées à l’analyse micrographique.

Si cela était toujours possible on devrait, de préférence, pratiquer l’analyse micrographique des eaux sur le lieu même du prélèvement, ou du moins y effectuer les expériences préliminaires de l’ensemencement; mais cela n’est pas toujours facile; le transport des milieux nutritifs stérilisés (bouillons et gélatine), des vases à dilution, des pipettes aseptiques, des appareils de flambage, etc., présente quelques difficultés que j’ai cherché à vaincre, comme on le verra plus bas, en faisant construire par M. Alvergniat un nécessaire portatif pour l’analyse biologique des eaux. Dans certains cas, par exemple, quand il s’agit d’effectuer le dosage des germes d’une eau très éloignée du laboratoire de bactériologie, il est nécessaire qu’elle subisse pendant un temps plus ou moins prolongé le transport en voiture ou sur les voies ferrées; il faut donc s’efforcer dans ces cas particuliers, encore très fréquents, de conserver aux eaux les qualités qu’elles possèdent au moment de la prise.

Par les précautions que j’ai indiquées plus haut, on les soustrait aux contaminations résultant de vices opératoires grossiers; par d’autres, il faut empêcher à tout prix une élévation notable de leur température, et même les refroidir fortement dans les trajets de quelque durée. Si l’on néglige ce soin, on voit se produire la cause d’erreur la plus grave qui puisse fausser les dosages quantitatifs des bactéries.

Dès l’année 1879, après avoir publié mes premiers essais sur le dénombrement des microbes contenus dans les eaux telluriques et météoriques, j’ai signalé en ces termes cette cause d’erreur insidieuse:

«Ces chiffres ont été trouvés avec les eaux analysées immédiatement après leur arrivée au laboratoire; si l’on attend vingt-quatre heures, les bactéries pullulent et les nombres qu’on vient de lire ne sont plus reconnaissables.»

Les expérimentateurs qui n’ont pas tenu compte de cette recommandation ont appris à leurs dépens combien elle est pleine de justesse, et combien il est utile d’analyser les eaux très peu d’instants après leur prélèvement, ou, si cela est impossible, de les porter à une basse température, de façon à immobiliser la vie des bactéries. Quelques exemples graveront dans l’esprit du lecteur cette nécessité absolue.

EXPÉRIENCE. — Durant l’été, un flacon d’eau de la Dhuis, d’une capacité de 200cc environ, est transporté directement en voiture de l’aqueduc de Ménilmontant à la caserne Lobau; le trajet s’effectue en 30 minutes. L’eau de l’aqueduc accuse 13°,2. Cet échantillon fait l’objet des trois analyses suivantes:

La température de l’air ambiant est restée voisine de 21°,5.


En trois heures de temps, et avant même que la température de l’eau ait atteint celle de l’air du laboratoire, le chiffre des bactéries s’est accru toutes les heures suivant les termes d’une progression géométrique dont la raison est 2.

Voyons maintenant les perturbations que peut introduire dans l’analyse micrographique des eaux une attente plus prolongée:

EXPÉRIENCE. — Un flacon d’eau de la Vanne, recueillie à la bâche d’arrivée du réservoir d’eau de Montrouge, titre à l’analyse immédiate:


Le lendemain, exactement 24 heures après, l’eau marque 21°,2 et accuse 32140 bactéries par centimètre cube.

Si l’analyse micrographique de l’eau de source est différée de plusieurs jours, les recrudescences que l’on observe deviennent prodigieuses et tellement fortes, qu’on ne saurait se prononcer sûrement sur l’origine de l’échantillon d’eau considéré.

EXPÉRIENCE. — Un nouvel échantillon d’eau de la Vanne, également puisée à la bâche d’arrivée au réservoir de Montrouge, marque, en me parvenant, une température voisine de 16° (15°,9) et donne:


Durant les premières heures, l’expérimentateur constate dans l’eau de la Vanne une richesse microbienne voisine de celle des eaux de source. Au bout de vingt-quatre heures, à ne considérer que les résultats numériques, il croirait avoir affaire à de l’eau de la Seine puisée entre les ponts d’Austerlitz et de l’Aima; deux jours plus tard, à de l’eau de la Seine puisée en amont du collecteur à Clichy; trois jours après, à de l’eau de la Seine prélevée en aval de ce même collecteur, c’est-à-dire souillée d’eau d’égout.

Cependant, si l’on examine par transparence l’eau où se sont multipliées avec tant de rapidité un si grand nombre de bactéries, rien ne fait présager le degré d’infection qu’elle a atteint; la limpidité d’une eau est donc un caractère microscopique auquel le micrographe doit attacher peu de valeur.

EXPÉRIENCE. — Le 30 décembre 1886, un flacon d’eau de la Vanne, après avoir fait l’objet d’un dosage immédiat, est placé à l’étuve à la température constante de 30°.


Ce phénomène d’accroissement rapide des bactéries dans les eaux de source n’est pas particulier aux eaux de Paris; toutes les eaux très pures sont le siège de semblables recrudescences, en d’autres termes, d’une auto-infection prompte et caractéristique.

EXPÉRIENCE. — Un échantillon d’eau des sources de Saint-Laurent, situées à 7km ou 8km du Havre (Seine-Inférieure), arrivé dans la glace, fournit:


A partir de cette date, le chiffre des micro-organismes répandus dans cette eau décrut lentement; au commencement de l’année 1888, il était inférieur à 100 000 bactéries par centimètre cube.

Ces exemples suffisent pour démontrer qu’on ne peut, sans inconvénient pour la sincérité des résultats analytiques, laisser la température de l’eau s’élever au-dessus de celle qu’elle accuse au moment du puisage.

Arriverait-on à conserver à l’eau sa composition microscopique exacte, en la maintenant au degré de chaleur qu’elle possède, soit au sortir du sol, soit dans les canalisations où elle circule avec plus ou moins de vitesse, sous des pressions sans cesse variables? L’expérience répond encore négativement.

Dès que l’on change la manière d’être d’une eau, son chiffre de bactéries augmente, par conséquent, les recrudescences bactériennes observées n’ont pas pour facteur unique l’élévation de la température.

EXPÉRIENCE. — Un flacon d’eau de la Dhuis, titrant au départ 95 microbes par centimètre cube, est maintenu pendant 48 heures entre 14°,7 et 15°, température supérieure seulement de 2° à la chaleur naturelle de cette eau circulant dans l’aqueduc de Ménilmontant.

Les 48 heures écoulées, elle accuse, à un nouveau dosage, 119 000 bactéries par centimètre cube.

EXPÉRIENCE. — Un échantillon d’eau de la Vanne (température 12°), riche de 48 bactéries par centimètre cube, 10 minutes après son prélèvement à la bâche d’arrivée au réservoir de Montrouge, est abandonné 26 heures entre 14°,8 et 15°,2; au bout de ce temps elle titre 25 000 microbes par centimètre cube.

Si un degré de chaleur légèrement supérieur à la température propre des eaux est incapable de s’opposer à la multiplication des espèces microscopiques qu’elles tiennent en suspension, il était intéressant de connaître si un degré de chaleur exactement pareil à celui qu’elles accusent pouvait s’opposer à ces recrudescences si gênantes pour l’analyste.

EXPÉRIENCE. — Une eau de la Vanne, donnant au thermomètre 12°,3 au moment de son prélèvement et à l’analyse 360 bactéries par centimètre cube: est abandonnée 48 heures entre 12°, 1 et 12°, 3. Après ces 2 jours d’attente, elle contenait 17800 microbes par centimètre cube.

Enfin, j’ai cherché si une température inférieure à la température normale des diverses eaux distribuées à Paris pouvait s’opposer aux pullulations bactériennes qui viennent d’être signalées. Ici encore, les faits sont venus démontrer que ces recrudescences, bien qu’enrayées dans leur allure, se poursuivaient sûrement avec une assez grande rapidité.

EXPÉRIENCE. — Un échantillon d’eau de la Dhuis puisé à l’aqueduc de Ménilmontant, titrant à son arrivée 214 bactéries par centimètre cube, est abandonné pendant 2 jours vers 9°, 5, c’est-à-dire une température inférieure de près de 3° à celle qu’elle possédait au moment de la prise.

Les 48 heures écoulées, cette eau accusa 1070 bactéries par centimètre cube.

EXPÉRIENCE. — De l’eau de la Vanne, d’une richesse initiale de 170 bactéries par centimètre cube et marquant 11°, 5, laissée pendant 3 jours entre 9° et 10°, décela au bout de ce temps 8570 bactéries par centimètre cube.

Mais, avant d’aborder les conditions efficaces de la réfrigération, il me reste à décrire les moyens qu’on peut employer pour prendre la température des eaux sans altérer leur composition micrographique, et pour les maintenir, ainsi que je viens de le dire, à des températures comprises entre celle de l’air ambiant et 0°.

La stérilisation des thermomètres peut se faire à la rigueur par un flambage rapide, mais quand ils sont sensibles, et que leur échelle ne dépasse pas 50° à 60°, ce qui est le cas des instruments exacts servant à mesurer avec précision les basses températures, ces flambages sont très imprudents: il vaut mieux recourir à la stérilisation par voie humide.

Pour cela, les thermomètres sont plongés un instant dans de l’acide azotique fumant, puis dans un flacon chargé d’une atmosphère ammoniacale, et enfin passés successivement dans trois flacons d’eau stérilisée à 110°. Je n’ai jamais vu de tige thermométrique intentionnellement infestée par des spores de bacilles très réfractaires résister à ce traitement, et les bouillons limpides où ces tiges ont été plongées n’ont jamais présenté la plus faible altération.

En dehors de l’étuve glacière qui sera décrite plus bas, j’emploie, pour maintenir les eaux aux températures variant de 4° à la température de l’atmosphère ambiante, un appareil formé de deux serpentins en plomb que je n’ai pas eu l’occasion de mentionner; le premier est immergé suivant les besoins dans un bain chaud ou un mélange réfrigérant, le second est placé dans une boîte cylindrique très soigneusement entourée de feutre, afin d’éviter, dans la mesure du possible, la déperdition de la chaleur ou du froid. C’est au centre de ce second serpentin que l’on engage presque à frottement le flacon d’eau qu’on désire maintenir à un froid déterminé.

Veut-on, par exemple, dans les laboratoires parisiens conserver un échantillon d’eau vers 13°, il suffit, sans autre précaution, de faire couler dans le serpentin qui entoure le flacon l’eau de la canalisation urbaine qui marque assez exactement cette température.

Si l’on désire obtenir un degré de chaleur supérieur à 13° et inférieur au degré de chaleur de l’atmosphère, qui peut s’élever en été jusqu’à 28° et 30°, on règle un bain d’eau vers 40° à 50°, on plonge le premier serpentin dans ce bain et l’on établit le débit de l’eau de la ville, de façon que l’eau amenée dans le second serpentin qui entoure le flacon marque le degré de chaleur désiré.

Les tâtonnements que cette opération de réglage nécessite ne sont pas longs: ils exigent à peine quelques minutes quand on fait usage d’un réservoir d’eau à niveau constant, produisant un écoulement uniforme, et quand on prend la précaution de mesurer la température de l’eau à l’orifice de sortie du serpentin qui enlace le flacon d’eau.

Pour les températures inférieures à 13° et descendant jusqu’à 4°, le bain chaud qui contient le premier serpentin est remplacé par de l’eau froide à la surface de laquelle doivent nager constamment des blocs de glace, de façon que le serpentin soit immergé dans de l’eau à 4°. Il suffit encore ici de régler la vitesse d’écoulement de l’eau de la ville, pour descendre jusqu’à 5° et 6°.

Quand, dans les études de bactériologie, on veut maintenir les liquides à 4°, tous les appareils peuvent être supprimés; le vase bien bouché et entouré d’une feuille mince de gutta-percha ou de caoutchouc est plongé dans un récipient d’eau au-dessus de laquelle doit sans cesse surnager de la glace. Si la température de 0° est rigoureusement nécessaire, tout le monde sait qu’il faut employer la glace fondante, avec la précaution indispensable de favoriser l’écoulement de l’eau de fusion de la glace, au fur et à mesure qu’elle se produit.

Pour l’étude générale des microbes des eaux, il est loin d’être superflu d’ignorer ces divers procédés, surtout à une époque où les étuves à froid constant n’existent pour ainsi dire pas. L’instrument composé de deux serpentins que je viens de décrire est si simple que tous les expérimentateurs peuvent le construire eux-mêmes au moyen de deux petits tubes de plomb enroulés en hélice serrée sur des mandrins cylindriques de grandeur voulue. Il n’est nullement besoin dans ce cas d’avoir recours à l’habileté des constructeurs, car cet appareil, je le dis encore, n’est ni volumineux, ni difficile à établir.

Il ne faut donc pas hésiter à porter les eaux dont l’analyse immédiate n’est pas possible à une température beaucoup plus basse que leur degré de chaleur propre; nous allons voir que le froid produit par la glace fondante donne des résultats assez satisfaisants.

Il ressort de ce qui vient d’être dit qu’au fur et à mesure que le froid augmente, la multiplication des bactéries devient de plus en plus pénible, et qu’à un moment donné elle doit cesser complètement; ce qui semblerait alors devoir permettre de conserver aux eaux une composition micrographique exactement pareille à celle qu’elle présente au moment du prélèvement. Malheureusement cela n’est pas, pour plusieurs motifs: d’abord parce qu’il existe des bactéries adultés qui meurent à 0°, ensuite parce que plusieurs d’entre elles peuvent se multiplier à cette basse température. Il en est pour les températures basses comme pour les températures élevées; on trouve des bactéries qui meurent déjà à 45° et d’autres qui vivent au delà de 70° ; en cette matière il n’existe rien d’absolu, et l’on m’affirmerait que plusieurs microbes peuvent se développer à — 10° que ce fait ne me surprendrait pas.

Le froid, comme je l’ai établi dès l’année 1882, en opérant sur des blocs de glace du lac de Joux, vieux d’une année, est d’ordinaire peu redoutable pour la majeure partie des microbes; MM. Raoul Pictet et Yung, de Genève, ont pu soumettre, pendant 36h, à une température inférieure à 100° au-dessous de 0°, toute une série d’organismes vulgaires que je leur ai fournis, sans pouvoir arriver à les détruire. Mais les eaux ne doivent pas être comparées aux cultures où la même espèce existe par milliards à tous les degrés de résistance, aussi il ne saurait surprendre que le froid prolongé puisse se montrer meurtrier à l’égard de quelques microphytes.

Cependant, établissons d’abord que la température de 0° semble se comporter comme un anesthésique fidèle, en ce sens que, dans les eaux communes soumises à ce degré de froid, le chiffre des microbes ne croît pas sensiblement durant des périodes d’assez longue durée.

EXPÉRIENCES. — 1° De l’eau de la Vanne, accusant par centimètre cube un chiffre de bactéries égal à 28, est maintenue 26 heures à une température moyenne de 3°, 3 (minimum 1°, 7, maximum 4°,9). Au bout de cette période de temps, l’analyse décèle, dans cette eau refroidie, 30 microbes par centimètre cube, chiffre qui démontre que les organismes de l’eau de la Vanne n’ont pas diminué ni sensiblement augmenté ;

2° De l’eau de Saint-Laurent (Seine-Inférieure), prélevée à une borne-fontaine voisine de l’Hôtel de Ville du Havre, accuse à son arrivée, le 17 septembre 1887, 8 bactéries par centimètre cube; 48 heures après, le 19 septembre, 7 bactéries;

3° Nouvel essai pratiqué avec de l’eau de Saint-Laurent, puisée à une borne-fontaine voisine des bains de Frascati. L’analyse immédiate du 27 septembre accuse 6 bactéries par centimètre cube; l’eau, replongée dans un mélange réfrigérant de glace fondante, montre le 28 septembre, 24 heures plus tard, 7,5 bactéries par centimètre cube.

4° Une nouvelle analyse, pratiquée cette fors avec de l’eau de source recueillie à Saint-Laurent, fournit 7,5 bactéries par centimètre cube et un jour plus tard, le 1er octobre, 8,3 bactéries par centimètre cube.

5° Un échantillon d’eau du puits de sable de la Loire, servant aux essais de M. l’ingénieur en chef Lefort, arrivé dans la glace, accuse immédiatement 55 bactéries par centimètre cube; 2 jours plus tard, le même échantillon, maintenu à 0°, titre 90 bactéries par centimètre cube.

Le pouvoir réfrigérant de la glace fondante semble donc bien remplir le but qu’on se propose d’atteindre, c’est-à-dire d’empêcher, d’une part, l’accroissement des bactéries dans les eaux, et, d’autre part, leur diminution.

J’ai essayé de conserver aux eaux une composition micrographique constante sans avoir recours au froid, au moyen de l’éther sulfurique, du chloroforme, de plusieurs éthers de la série grasse sans parvenir à des résultats satisfaisants. La plupart du temps, le chiffre des microbes diminuait avec une grande rapidité pour croître rapidement quand l’eau cessait d’être sous l’influence de la substance anesthésiante. Peut-être, en continuant ces recherches, arrivera-t-on à résoudre ce problème, dont la solution me paraît cependant très difficile et même impossible.

En effet, celui qui a étudié de près les organismes fragiles appelés bactéries sait que ces êtres infimes ont une existence éphémère, c’est-à-dire d’une durée très limitée. Quand ils ne peuvent se multiplier, il arrive qu’au bout d’un temps, variant de quelques heures à quelques jours, ils disparaissent complètement.

En veut-on un exemple frappant:

EXPÉRIENCE. — 20cc d’eau micrographiquement infertile (j’appelle ainsi une eau distillée à 30° ou 35° dans des appareils uniquement de verre, à l’abri de toutes les impuretés d’origine organique, atmosphérique ou autre, par conséquent dépourvue des éléments nutritifs habituellement répandus dans les eaux vulgairement distillées) reçurent 2 gouttes d’eau de la Vanne en pleine recrudescence bactérienne.


7 jours plus tard, 4gr de cette eau ne renfermaient pas trace d’organismes; au bout d’une semaine, il restait donc moins de 5 bactéries des 2560 qui avaient été primitivement ensemencées.

Il est donc bien certain que, là où les bactéries sont immobilisées par le froid ou par d’autres agents incapables d’exercer sur elles une action nocive, elles meurent par la seule raison que la durée de leur vie est très courte. C’est en se basant sur ce fait que l’on doit, il me semble, bannir de l’esprit l’espérance de conserver longtemps aux eaux prélevées un chiffre constant de bactéries.

Si l’on voit, dans les expériences que je viens de rapporter, les eaux de la Vanne, de Saint-Laurent, du puits d’essai de la Loire, conserver un nombre assez peu variable de microbes, c’est surtout parce que, à côté des microbes qui meurent, il en est d’autres qui se multiplient et que, de cette façon, il s’établit une sorte d’équilibre dans le chiffre des décès et des naissances, pouvant donner l’illusion d’une invariabilité du nombre des germes particuliers à chaque espèce.

EXPÉRIENCE. — De l’eau de la prairie des filtres de la ville de Toulouse est conservée pendant 4 jours dans la glace fondante. Toutes les 24 heures cette eau, qui accuse assez fidèlement le même chiffre moyen de bactéries (G50 à 776), fait l’objet d’un double dosage quantitatif vis-à-vis d’un bactérium mobile donnant une coloration violette, et d’un bacille fournissant une tache rouge; ces deux espèces liquéfiaient rapidement la gélatine. Voici les résultats de ces dosages quantitatifs:


Le bacille violet nous apparaît dans cette expérience comme un être résistant peu à la température de 0°, alors que le bacille rouge peut encore s’y multiplier assez promptement.

Le fait que je viens de signaler s’observe très fréquemment. Il mérite d’être pris en sérieuse considération, surtout quand il s’agit de déclarer si une eau est ou non pathogène; elle peut l’être au moment de son prélèvement et ne plus l’être si elle a séjourné 24h dans la glace.

Je n’ai pas besoin, je crois, pour amener la certitude dans l’esprit du lecteur, de rappeler les intéressantes recherches du Dr Justyn Karlinski, d’Emmerich et Pinto, sur la façon dont se comporte le bacille typhique dans diverses eaux, et en particulier la célèbre expérience de ces derniers savants, dans laquelle ils ont démontré qu’une eau de puits peuplée intentionnellement de 200 000 bacilles typhiques par centimètre cube s’en trouva absolument vierge au bout de 72h. De son côté, le Dr Karlinski, en pratiquant des essais sur de l’eau de canal et de l’eau stagnante maintenue à la température relativement peu basse de 8°, ne rencontra plus un seul bacille de la fièvre typhoïde au bout de 24h, bien que chaque nature d’eau eût reçu la veille par centimètre cube plusieurs dizaines de mille de bacilles d’Eberth.

En pesant bien toutes ces considérations, il apparaît clairement que, relativement à la présence de telle ou telle bactérie dans une eau ayant été abandonnée un jour dans la glace, les affirmations des bactériologistes n’ont de valeur que si elles sont positives; dans le cas contraire, je ne saurais trop leur recommander d’être prudents et réservés.

Il me reste maintenant à ajouter que le froid de 0° exerce un pouvoir anesthésiant absolument insuffisant sur les bactéries contenues dans certaines eaux, fortement chargées de substances organiques ou de sels minéraux pouvant servir de milieu de culture; au nombre de ces dernières je range les eaux d’égout, de vidange, de la mer, etc. Parmi les recherches auxquelles je me suis livré à cet égard, j’en citerai une seule.

EXPÉRIENCE. — Un échantillon d’eau de la mer, puisée au large, à plusieurs kilomètres du Havre, m’arrive dans la glace le 17 novembre 1887; il accuse à l’analyse immédiate 150 bactéries par centimètre cube.

Cet échantillon, toujours maintenu à 0°, décèle, 24 heures après, 520 bactéries par centimètre cube.

Le 21 novembre, c’est-à-dire 4 jours plus tard, le chiffre des bactéries s’élève à 1750 par centimètre cube.

La même eau de mer, laissée 2 heures à la température moyenne de 20°, fournit des chiffres fantastiques de bactéries, plusieurs millions par centimètre cube.

Ces faits connus, je serai beaucoup plus bref sur la description des moyens pratiques qui permettent de faire voyager les eaux à une température voisine de la glace fondante.

A cet effet, j’emploie la caisse représentée par la fig. 3, quand il s’agit de l’expédition des échantillons par les voies ferrées.

L’échantillon d’eau recueilli par le correspondant dans le flacon F, avec les précautions voulues, est bouché et cacheté à la cire d’Espagne., puis enveloppé de papier, et introduit à frottement doux dans une boîte métallique, de forme cylindrique, où il reste ainsi pendant le voyage à l’abri de tout ballottement, par conséquent des chocs qui pourraient le briser.

Cette première boîte est placée dans une seconde plus large de quelques centimètres dans toutes les dimensions, et l’espace vide est rempli de sciure de bois. Ce système bien fermé est ensuite déposé dans une boîte métallique beaucoup plus vaste qu’on remplit de glace concassée en gros morceaux. En été, pour les trajets qui durent 36h, ainsi que j’ai pu m’en assurer par les envois qui m’ont été faits des points de la France les plus éloignés de Paris, il faut employer de 3kg à 4kg de glace; enfin, cette troisième et dernière boîte, bien exactement fermée, est enfouie dans la sciure dans une caisse de bois B, munie d’un couvercle à charnières et d’une poignée P. L’expéditeur la livre alors sans retard aux messageries, avec la recommandation de la faire parvenir au destinataire dans le plus bref délai possible.

Fig. 3.

Glacière pour les longs voyages.


Par mesure de précaution, la boîte doit être scellée au départ et parvenir à l’analyste avec ses sceaux intacts. Dans les villes où, comme à Paris, il existe un octroi qui s’exerce rigoureusement, il est indispensable d’obtenir du directeur de ce service l’exonération de la visite à laquelle sont soumis les colis vulgaires.

On y arrive aisément en avertissant le directeur de l’octroi de l’arrivée de l’échantillon d’eau; ce dernier prescrit d’habitude de faire apposer sur la caisse le timbre du laboratoire auquel elle est destinée, le timbre de l’expéditeur et la mention expresse du contenu des vases. Il semble puéril d’insister sur ces questions de détail; je dois cependant avertir l’analyste que, s’il néglige de s’en préoccuper, il court la chance de recevoir les échantillons longtemps après la fusion de la glace avec les boîtes ouvertes, parfois cassées, les eaux remplies de sciure, etc., c’est-à-dire dans des conditions où les dosages ne peuvent plus avoir aucune signification.

S’il s’agit de faire voyager l’eau pendant quelques heures, on peut faire usage d’une petite caisse portative doublée de zinc, remplie de glace, au milieu de laquelle on place le flacon protégé par sa double enveloppe.

J’ai reçu de quelques correspondants d’autres systèmes de boîtes glacières au nombre desquelles je me permettrai d’en signaler une qui se prête au voyage simultané de plusieurs échantillons d’eaux.

Dans une boîte de zinc carrée ou circulaire, on introduit, en les calant soigneusement sur des supports de bois, les tubes à essais, les matras, les flacons renfermant les eaux. Cette boîte est placée au centre d’une caisse de bois et entourée d’un mélange de glace et de sciure; finalement cette caisse est à son tour placée au milieu d’une seconde beaucoup plus grande et recouverte d’une couche épaisse de sciure sur toutes ses faces; enfin le tout est solidement cloué. La glace fond lentement dans la sciure, et le froid produit est très vif. La température de l’air qui se trouve dans la boîte centrale contenant les échantillons reste toujours inférieure à 4°. Dans les glacières que j’ai fait construire, on peut descendre au-dessous de 2° ; mais, dès qu’il y a une quantité notable d’eau de fusion, la température remonte légèrement et peut atteindre 4° quand la glace est à peu près complètement fondue.

On voit donc que ces divers appareils présentent quelques imperfections, et qu’on devra s’estimer heureux quand l’eau, refroidie au départ, arrivera au laboratoire au-dessous de 5°.

En manière de conclusion je répéterai la première phrase de ce chapitre: toutes les fois que cela sera possible, l’ensemencement des eaux destinées à l’analyse micrographique devra être effectué sur les lieux mêmes de leur prélèvement.

Manuel pratique d'analyse bactériologique des eaux

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