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PRÉSIDENCE DE LA BARONNE DE SAINT-CLAUDE.
ОглавлениеLA BARONNE. — Mesdames, je n’ai pas, comme l’honorable préopinant, la prétention de diriger les masses. J’ai toujours été et serai jusqu’à mon dernier soupir de l’avis de la majorité. Donc, va pour un tour de secrétaire.
LE COMITÉ. — Bravo! à la bonne heure!
(Le Comité se met au travail avec ardeur. Les réponses suivent les questions de près. La duchesse se fait seule attendre.)
LA BARONNE. — Eh bien, duchesse, votre bulletin?
LA DUCHESSE. — Vous me pressez trop; c’est très-embarrassant cette question-là.
LA BARONNE. — Mettez n’importe quoi, mais n’interrompez pas les travaux du Comité.
LA DUCHESSE, tendant son bulletin. — Ma foi, tant pis!
LA BARONNE. — Du silence, mesdames, je vais relever les bulletins et en donner lecture. Ecoutez, Cléry.
CLÉRY. — C’est inutile, baronne, les pièces seront jointes au procès-verbal.
LA BARONNE. — Soit. Je commence.
«Demande: Quel est de tous les héritages le plus
» agréable à transmettre?
» Réponse: La vie.»
LA DUCHESSE. — Oh! oh! voilà qui me paraît léger.
LA BARONNE. — Il me semble que je reconnais l’écriture de...
LA VICOMTESSE. — Vous n’avez pas le droit de reconnaître les écritures.
LA BARONNE. — Cela me suffit. Nous savcns à quoi nous en tenir. Je continue.
«Demande: Quelles sont les eaux les plus désagréables?
» Réponse: Les os de Madame de...» — Faut-il nommer?
LA MARÉCHALE. — Pas devant Cléry. Faites passer le bulletin.
(Le bulletin passe de main en main jusqu’à Cléry exclusivement.)
LA BARONNE. — «Demande: Qu’est-ce qu’il y a de plus désagréable qu’un mari?»
Il n’y a pas de réponse.
LA DUCHESSE. — Dame! c’est une si drôle de question; est-ce que je sais, moi...
LA COMTESSE. — Voilà qui est flatteur pour le duc. Enfin, tout ceci est bien entre nous, n’est-ce pas?
LA BARONNE. — Je continue:
«Demande: La femme qui a quatre amants est-elle
» plus coupable que celle qui n’en a qu’un?
» Réponse: Assurément oui, puisqu’elle en enlève trois aux autres.»
LA DUCHESSE. — Ceci est d’une égoïste.
LA MARQUISE. — N’allez-vous pas défendre la femme aux quatre amants?
LA DUCHESSE. — Non certes, envieuse marquise.
LA BARONNE. — Je reprends.
«Demande: Quel est l’homme que vous aimez le mieux?
» Réponse: L’autre.»
LE COMITÉ, scandalisé. — Oh!
CLÉRY. — Je ferai remarquer que vous êtes toutes scandalisées; toutes, y compris l’auteur de cette réponse désespérante.
LA DUCHESSE. — Vous voulez dire: encourageante.
LA BARONNE. — Si nous reprenions la séance? Cléry, brûlez ces autographes, s’il vous plaît. — C’est cela. — Maintenant, mesdames, nous allons voter. Que chacune de nous inscrive sur un bulletin la fête par laquelle elle désire qu’on commence.
(Le vote se prépare. Toutes les plumes sont déclarées détestables, l’encre est trop blanche.)
LA BARONNE. — Résultat du scrutin. Inscrivez, Cléry.
CLÉRY. — J’y suis.
LA BARONNE, déployant un premier bulletin. — Spectacle.
CLÉRY. — Un pour spectacle.
LA BARONNE. — Bal.
CLÉRY. — Un pour bal.
LA BARONNE. — Petites boutiques.
CLÉRY. — Un pour les petites boutiques.
LA BARONNE. — Sermon de charité.
LA MARÉCHALE. — Voilà qui est trop fort.
CLÉRY. — Un pour le sermon.
LA BARONNE. — Loterie.
CLÉRY. — Un pour la loterie.
LA BARONNE. — Et pour finir: Quête à domicile.
CLÉRY. — Un pour la quête. En présence de ces avis tous différents le résultat du vote est nul.
(Le tumulte est à son comble, on discute, on se querelle.)
LA MARÉCHALE. — Mais, Dieu me pardonne! Cléry n’a pas voté.
CLÉRY. — Comme secrétaire, je ne sais si je dois... Et puis, ma situation est des plus embarrassantes.
LA BARONNE. — Cléry, si vous votez pour un bal, je vous accorderai ce que vous savez bien.
LA MARQUISE. — Cléry, si vous votez pour les petites boutiques, je vous accorde une discrétion.
LA DUCHESSE. — Je n’en aurai pas le démenti! Cléry si vous votez pour une loterie, nous ferons ce que vous m’avez demandé.
LA VICOMTESSE. — Cléry, mon cher petit Cléry...
LA COMTESSE. — Mon bon petit Cléry...
LA MARÉCHALE. — Mesdames! mesdames!... moins d’ardeur, je vous prie, et un peu plus de bonne foi. Tirons au sort.
CLÉRY. — C’est mal, madame la maréchale, ce que vous faites là. Pourquoi m’enlever tous mes petits profits?
LA MARÉCHALE. — Laissez-moi donc tranquille, bon apôtre, qui sait si vous n’avez pas été payé d’avance?
CLÉRY. — Je proteste.
LA MARÉCHALE. — C’est bon, c’est bon. Votons, s’il vous plaît.
LA BARONNE. — Nous n’en finirons jamais. Je passe la présidence à la marquise.
PRÉSIDENCE DE LA MARQUISE DE LA TOUR DE PISE.
LA MARQUISE. — Mesdames, nous allons tirer au sort.
LA VICOMTESSE. — Vous m’excuserez si je m’en vais, mais on m’attend à quatre heures à l’autre bout de Paris.
LA MARQUISE. — Attendez au moins le résultat du vote.
LA VICOMTESSE. — Impossible, ma chère amie, la duchesse votera pour moi.
(Elle sort. — La baronne met son chapeau devant la glace.)
LA MARQUISE. — Est-ce que vous partez aussi?
LA BARONNE. — Worth m’attend à quatre heures moins cinq. Il a promis de m’essayer le costume qu’il me fait pour le bal du ministère de la guerre.
LA MARQUISE. — Oh! dites-nous quel costume vous avez choisi?
LA BARONNE. — Non, non, c’est impossible.
LA COMTESSE. — Nous n’en parlerons à personne, parole d’honneur.
LA BARONNE. — Voyons, j’y consens; mais alors, confidence pour confidence?
LA MARQUISE. — Soit, et je donne l’exemple. J’ai fait choix d’un costume de «Pois de senteurs» rose et violet, avec des enroulements de feuillage autour de la jupe et une frange tout agrémentée de cassolettes.
LA DUCHESSE. — Oh! que je suis donc fâchée de n’avoir pas eu cette idée-là. Ce sera charmant.
LA MARQUISE. — Et vous, duchesse, quel costume porterez-vous?
LA DUCHESSE. — Je m’habille en «berger grec» une espèce de berger Pâris.
LA MARÉCHALE. — Est-ce que ce n’est pas un peu nu, ce costume-là ?
LA DUCHESSE. — C’est nu, oui, mais j’ai entendu dire cent fois que le nu n’est pas aussi inconvenant que le décolleté. Et alors...
LA MARÉCHALE. — Vous vous en donnez à cœur joie
LA COMTESSE. — Moi, je me déguise en «soupir d’amour.»
LA BARONNE. — Juste ciel! qu’est-ce que c’est que ce costume-là ?
LA COMTESSE. — Vous en aurez la surprise. C’est d’un vaporeux! d’un léger!... C’est Marcelin qui l’a dessiné.
LA BARONNE. — C’est tout dire. Eh bien, moi, j’hésite entre un costume de «marchande de mouron...»
LA MARÉCHALE. — Voulez-vous donc exploiter la gourmandise de vos danseurs?
LA BARONNE. — Et un costume de «Mappemonde.»
LA COMTESSE. — Comment entendez-vous cela?
LA BARONNE. — Eh bien, oui: — un plan en relief. Ici des montagnes, là des vallées, des forêts, etc., etc.
LA MARÉCHALE. — Il y aura de quoi se perdre.
LA COMTESSE. — C’est la géographie mise à la portée de tout le monde.
LA VICOMTESSE. — Il faut choisir ce costume, baronne, croyez-moi; vous ne trouverez rien de plus piquant.
LA MARÉCHALE. — Et où placerez-vous les antipodes?
LA BARONNE. — Puisque je vous dis qu’il n’y a encore rien de décidé.
LA MARÉCHALE. — Je vous garantis un succès fou.
LA BARONNE. — Mais vous, maréchale, comment vous costumerez-vous?
LA MARÉCHALE. — Oh! moi je bataille avec Mme Prevost. Elle veut me composer un costume d’«Océan Pacifique,» avec des poissons noyés dans la gaze verte, du corail, des perles, des roseaux, tout le diable et son train.
LA BARONNE. — Mais ce sera tout simplement adorable. Sur quoi pouvez-vous n’être pas d’accord?
LA MARÉCHALE. — Ah! voilà ! Elle veut absolument choisir l’heure de la marée basse et j’insiste pour la marée montante. Nous en sommes là. Mais, mesdames, si nous reprenions le vote? nous voilà, si je ne me trompe, bien plus près de Charenton que de Damas.
LA BARONNE. — Pardonnez-moi de vous dire adieu, mais je devrais déjà être partie.
LA MARQUISE. — Attendez-moi, nous partirons ensemble. Je ne vous demande que le temps de mettre mon chapeau.
LA COMTESSE. — Quoi! vous nous abandonnez? Vous renoncez à la présidence?
LA MARQUISE. — J’en suis désolée, mais mon mari m’attend.
LA COMTESSE. — Qu’il attende.
LA MARQUISE. — C’est pour m’acheter un bracelet.
LA COMTESSE. — C’est différent.
(La baronne et la marquise sortent.)
CLÉRY. — Faut-il inscrire le vote des absentes?
LA COMTESSE. — Assurément, non.
LA DUCHESSE. — Elles ont cependant aussi bien que nous le droit de voter; et puisque nous avons leurs bulletins...
LA COMTESSE. — Elles n’avaient qu’à rester.
LA DUCHESSE. — Je trouve cela abominablement injuste, et si vous procédez ainsi je ne voterai pas non plus.
LA COMTESSE. — A votre aise, ma chère amie.
(La duchesse sort.)
LA MARÉCHALE. — Décidément, tout cela n’est pas sérieux et je m’en vais. Une autre fois, comtesse, quand vous me demanderez mon concours, choisissez mieux votre Comité.
(La maréchale sort.)
LA COMTESSE. — Cléry, c’est votre faute aussi. Vous avez mené tout cela très-mal. Je ne vous reverrai de ma vie.
(La comtesse sort.)
CLÉRY seul. — C’est de la présomption, comtesse; vous savez bien que vous ne pouvez pas vous passer de moi. (il sonne.) Ce que je vois de plus clair dans tout ceci, c’est que j’aurai à payer le loyer, le mobilier.... et le reste.
(Entre l’employé.)
M. DUCLUSEAU. — Monsieur le marquis a besoin de moi?
CLÉRY. — Vous voudrez bien mettre de l’ordre dans ces papiers et les porter chez moi.
M. DUCLUSEAU. — Ils y seront avant une heure.
CLÉRY. — J’ai le plaisir de vous annoncer, que dans la séance de ce jour vos appointements ont été portés à 3,600francs.
DUCLUSEAU. — Oh! monsieur le marquis, que de bonté ; comment reconnaîtrai-je jamais?...
CLÉRY. — Je dois à la vérité de dire que je n’y suis pour rien. Ce sont ces dames que vous aurez à remercier.
(M. Ducluseau ayant ramassé les papiers épars sur la table, se dispose à sortir.)
CLÉRY. — Ah! à propos, je dois en même temps vous prévenir que vos fonctions cessent à partir de ce jour.
M. DUCLUSEAU. — Oh! monsieur le marquis!... pourquoi donc cela?
CLÉRY. — Pleurez, monsieur Ducluseau, sur l’œuvre du chemin de Damas; elle a cessé d’exister.