Читать книгу Voyage autour du grand monde - Quatrelles - Страница 18
AIR du vaudeville des Frères de lait.
ОглавлениеQui? moi, jaloux? madame et que m’importe,
Que vous logiez le puissant voyageur.
A la richess’ si vous ouvrez vot’porte,
Vous la fermez à l’aspect du malheur (bis).
Oui, j’en suis fier, ma modeste chaumière
Qui n’offre, hélas! aucun riche lambris,
N’attire point l’opulence étrangère,
Mais elle accueil’ l’indigent du pays (bis).
LA MARÉCHALE. — C’est crevant de vertu.
LA DUCHESSE. — Est-ce que cela finit comme cela?
LA COMTESSE. — Oh!non. Senneville revient. C’est lui que Kettly aime. Ils se rencontrent sur l’air: «Ah! si madame me voyait.»
SENNEVILLE.
Belle enfant!... un mot, s’il vous plaît.
KETTLY.
A vous répondre, je suis prête.
SENNEVILLE, à part.
Dieu! quelle gentille fillette!
Quel regard!...
KETTLY, à part.
Il me reconnaît!...
J’en suis sûre, il me reconnaît!...
SENNEVILLE, à part.
Mais, si jeune, hélas! tant de grâce,
Tant de charmes et tant d’appas,
Cachent encore un cœur de glace.
KETTLY, à part.
Ciel!... il ne me reconnaît pas! (bis).
LA MARÉCHALE. — Est-ce qu’il n’y a pas une scène un peu plus... corsée?
LA COMTESSE. — Oh! si fait. Dans la grande scène d’amour...
LA BARONNE. — Arrivez donc là tout de suite.
LA COMTESSE. — Senneville, qui aime Kettly, cherche à lui arracher son secret. La fillette lui répond:
AIR de Y Angélus.
Chaque matin, à mon réveil,
Quand du coq la voix éclatante
Chante le lever du soleil,
Je vais trouver ma confidente (bis).
SENNEVILLE. (Finement.)
Eh quoi! d’un aveu si discret
Une femme est dépositaire?
KETTLY.
Jamais je n’ai dit mon secret
Que sur la tombe de ma mère (bis).
LA MARÉCHALE. — .Grâce!... je demande grâce!
LA BARONNE. — Oh! grand Dieu!... et moi aussi.
LA MARQUISE. — J’étouffe!
LA VICOMTESSE. — Ouvrez les fenêtres; c’est trop de vertu pour une fois!
CLÉRY. — J’avoue que quand on en a perdu l’habitude cela fait un singulier effet.
LA COMTESSE, en colère. — Vous direz tout ce que vous voudrez; moi je vous soutiens qu’on ne fait plus de ces pièces-là.
LA MARÉCHALE. — Le fait est qu’à moins d’en commander dans les prisons..
LA BARONNE, sortant un rouleau de sa poche. — Moi, je vous apporte quelque chose de plus mouvementé.
LA MARÉCHALE. — Ne perdons pas de vue, mesdames, que nous avons à lutter contre le souvenir de Henri III.
LA BARONNE. — Bah! Henri III ne me fait pas peur.
LA MARÉCHALE. — Voyons, de quoi s’agit-il?
LA BARONNE. — D’une comédie de genre que le Vaudeville va recevoir et dont je puis vous offrir la primeur. Cela s’appelle: les Toquées.
CLÉRY. — J’aime le titre.
LA. MARQUISE. — C’est simple et de bon goût.
LA BARONNE. — L’auteur prend corps à corps les mille et une toquades du jour. Il y a des rôles pour tout le monde et des toilettes tapageuses en veux-tu, en voilà.
LA MARQUISE. — A la bonne heure!
LA COMTESSE. — Je crois qu’on peut refermer les fenêtres.
LA BARONNE. — Les trois premiers actes sont très-gais, le quatrième est très-dramatique. Il y a une scène tout à fait inattendue dans laquelle l’héroïne, fille d’un riche fabricant de biberons à musique, qui, lui, a la toquade des décorations étrangères et qui envoie des biberons à tous les souverains pour augmenter sa brochette... Vous voyez comme c’est amusant.. Je ne sais plus où j’en suis...
LA DUCHESSE. — Vous nous annonciez une scène très-dramatique.
LA BARONNE. — Ah! oui... c’est cela! L’héroïne, — un rôle pour Fargueil, vous comprenez?
LA MARÉCHALE. — Pas trop, mais cela viendra.
LA BARONNE. — L’héroïne, qui se nomme je ne sais plus comment, veut enlever un jeune accordeur de pianos qu’elle aime et auquel elle fait accorder deux fois par jour tous les pianos de la maison, ce qui dégoûte le mari de son intérieur.
LA MARQUISE. — Il y a de quoi, franchement.
LA MARÉCHALE. — Et l’héroïne, est-ce qu’elle n’ac corde pas quelque chose à votre héros?
LA BARONNE. — C’est à qui accordera le plus. Mais voilà que tout à coup le jeune homme devient triste, froid, réservé, et il parle de fuir. C’est là qu’arrive la fameuse scène en question. Elle est un peu risquée...
LA MARÉCHALE. — Non, je ne trouve pas.
LA COMTESSE. — Attendez donc qu’on vous l’ait racontée.
LA MARÉCHALE. — Ah ça! croyez-vous, par hasard, que je sois arrivée à mon âge sans savoir ce qui va se passer?
LA BARONNE. — La jeune femme a fermé toutes les portes, et jeté les clefs avec son bonnet, par-dessus les moulins. Les cordons des sonnettes sont coupés, elle a éloigné les domestiques, elle baisse la lampe... Alors commence une scène palpitante.
LA MARÉCHALE. — Hum! hum!... Cléry, fermez les yeux. (A la baronne.) Et alors?
LA BARONNE. — Alors commence une chasse sans pitié ni merci. Les meubles volent, tombent, s’entassent. L’accordeur forcé dans son dernier retranchement, menace de se tuer. Il y a là une très-belle tirade dans laquelle le jeune homme évoque le souvenir de l’époux outragé. — «Il est bien temps!» répond notre héroïne, et la lutte recommence.
LA MARQUISE. — Est-ce qu’elle est déjà reçue, cette pièce-là ?
LA BARONNE. — Pas encore, mais elle le sera. C’est tout à fait ce qu’il faut au Vaudeville.
LA MARÉCHALE. — N’interrompez donc pas. Nous disons que la lutte recommence!... Je suis curieuse de savoir comment ce pauvre accordeur va se tirer de là.
LA BARONNE. — La lampe s’éteint.
LA DUCHESSE. — Aïe!
LA BARONNE. — «Où tu iras, j’irai!» — dit la jeune femme éperdue. — «Suis-moi donc dans la!... » — reprend le malheureux qui, en effet, tombe écrasé par le piano à queue. Avant de mourir il lui révèle qu’il est son frère et que leur mère, trompée indignement par son mari, a mis au monde trois jumeaux de sexes différents...
LA MARÉCHALE. — Comment! comment!... trois jumeaux de sexes différents?
LA BARONNE. — J’ai voulu dire deux, cela va de soi.
LA COMTESSE. — Mais elle n’est pas gaie, votre pièce.
LA BARONNE. — Je vous assure que si.
LA DUCHESSE. — Je n’y ai rien compris du tout.
LA BARONNE. — Tant pis pour vous.
LA DUCHESSE. — Pourquoi tant pis?
LA BARONNE. — Parce qu’elle est admirable.
LA COMTESSE. — Je trouve que ce n’est pas à nous à produire toutes ces turpitudes qu’on nous attribue. Avez-vous jamais vu une femme du monde aimer un homme qui ne fût pas digne d’elle.
LA MARQUISE. — Je vois bien que c’est moi qui vous tirerai d’embarras.
CLÉRY. — Comment cela?
LA MARQUISE, tirant un rouleau de sa poche. — Voila le salut! — C’est frais, pimpant, distingué, neuf, amusant.
LA VICOMTESSE. — Et les costumes?
LA MARQUISE. — S’il y a des costumes, c’est pour dire qu’il y en a.
LA VICOMTESSE. — Comment?
LA MARQUISE. — Cela se compose d’un rien, mais d’un rien adorable.
LA MARÉCHALE. — Enfin, qu’est-ce que c’est?
LA MARQUISE. — Une pièce destinée à écraser «la Belle Hélène,» «Orphée» et «Barbe-Bleue,» rien que cela! Il y a trop longtemps qu’Offenbach a la corde. Halévy et Meilhac n’ont aussi qu’à se bien tenir. Les Variétés, le Palais-Royal, les Folies-Marigny, les Menus-Plaisirs se disputent le trésor en question.
LA MARÉCHALE. — Et cela s’appelle?
LA MARQUISE. — Léda!... C’est un chef-d’œuvre d’esprit et de grâce, de poésie et de musique. Le second acte, dans le poulailler de Tyndare, ferait à lui seul la fortune d’un théâtre. Je ne sais rien de comparable aux couplets que chante l’Eurotas lorsqu’il raconte l’aventure de la fille des Thestius. Quoi de plus joli que ce refrain?
«Et comme elle était bonne fille,
Léda
L’aida.»
La scène dans laquelle Tyndare, sur le point de manger l’œuf qui contient Castor, dit le couplet suivant, est un chef-d’œuvre.
«Par Jupin! le tour est baroque
Et je ne puis y croire encor.
Quoi!... c’est dans un œuf à la coque
Que je retrouve mon Castor.»
C’est dans le même acte que Léda chante la chanson de l’œuf à la coque, qui fera le tour du monde. Jupiter, plus épris que jamais de la femme de Tyndare, lui offre la moitié de son déjeuner, mais à de certaines conditions qu’elle repousse.
«Gardez pour vous votre mouillette,
Moi je garderai mon honneur!»
Le final du second acte ne peut être comparé qu’au célèbre: «Bu qui s’avance.» Les suivantes de Léda voulant la prévenir du retour de Tyndare, entrent effarées, à cheval sur des vélocipèdes et lui chantent:
A dada,
Léda!
A dada,
Léda!
Le roi Tyndare arrive.
C’est une trouvaille!
LA MARÉCHALE. — C’est adorable, merveilleux, unique, je veux bien le croire; mais qui se chargera du rôle de Léda?
LA MARQUISE. — Pas moi!
LA BARONNE. — Ni moi.
LA COMTESSE. — Ni moi.
CLÉRY. — Je me chargerais bien du rôle...
LA MARÉCHALE. — Tout cela est impossible à mettre en scène. Soyez sérieuses pendant quelques secondes si vous le pouvez, et écoutez-moi. Je vais vous dire ce qui fera de l’argent, ce qui sera original, ce qui ne coûtera rien à monter, ce qui fera rire à se tordre, ce qui...
LA DUCHESSE. — Princesse, ne nous tenez pas ainsi le bec dans l’eau.
LA MARÉCHALE. — Puisque nous jouons au profit de la myopie indigente, eh bien! choisissons: «les Deux Aveugles.» Je me charge du rôle de Patachon, la comtesse prendra celui de Girafier. On a bien travesti les «Rendez-vous bourgeois.»
TOUT LE MONDE. — C’est cela!... bravo!
LA COMTESSE. — Oui, mais je ne les connais pas, moi, ces aveugles.
LA DUCHESSE. — Ni moi.
LA BARONNE. — Ni moi.
LA MARQUISE. — Ni moi.
LA MARÉCHALE. — C’est tout simplement adorable. On n’a rien écrit de plus fin depuis «Le jeu de l’Amour et du hasard.»
LA COMTESSE. — Et puis, je ne sais pas chanter.
LA MARÉCHALE. — Ni moi non plus; mais qu’est-ce que cela fait; nous passerons la musique.
CLÉRY. — Ne craignez-vous pas que cela refroidisse un peu l’action?
LA MARÉCHALE. — Nous la réchaufferons.
CLÉRY. — Et puis, Offenbach renoncera-t-il facilement à cette occasion de se faire exécuter au Conservatoire?
LA MARÉCHALE. — Avec cela qu’il a l’air d’y tenir.
LA COMTESSE. — Aurai-je un joli costume?
LA MARÉCHALE. — Ne vous inquiétez donc pas de tout cela.
CLÉRY. — Permettez-moi de vous faire remarquer que cela ne remplira pas la soirée.
LA BARONNE. — Il y aura des trous.
LA MARÉCHALE. — On les bouchera avec de la musique.
CLÉRY. — Est-ce bien entendu?
TOUT LE COMITÉ. — Oui! oui!
CLÉRY. — Je résume les conclusions du Comité. — Il est décidé à l’unanimité que l’Œuvre du Chemin de Damas fera représenter, avant la fin du printemps, au Conservatoire impérial de Musique, au profit de la myopie indigente: «les Deux Aveugles» travestis et sans musique. (Tant pis pour Offenbach!) Madame la maréchale, princesse de Tilsitt, remplira le rôle de Patachon; madame la comtesse O‘Tempora O’Morès remplira celui de Girafier. Le Comité sera très-prochainement convoqué à domicile. Rien n’étant plus à l’ordre du jour, la séance est levée à 6 heures 20 minutes.
Le Secrétaire général,
MARQUIS DE CLÉRY.