Читать книгу Le chat de misère - Remy de Gourmont - Страница 14

LE FLEUVE DE LAIT

Оглавление

J'aime beaucoup à m'arrêter un instant devant les faits qui montrent clairement la solidarité de toute la nature, des nuages et de l'herbe, de l'homme et des saisons. Un peu de pluie en excès, un peu de chaleur de trop et on s'aperçoit aussitôt avec quelle étroitesse l'homme dépend de la terre. Ses inventions, ses conquêtes ne sont rien si, au cours d'une année, le soleil a brillé vingt ou trente jours de plus que d'habitude. Il peut construire des machines volantes et les diriger à peu près, il ne peut créer un verre de lait. Le lait coule des nuages avant de jaillir au pis de la vache. Sans nuages, pas de pluie; sans pluie, pas d'herbe; sans herbe, pas de lait. Les plantes sont ingénieuses à extraire de la terre la plus desséchée l'eau dont elles se nourrissent, mais la volonté des racines a des limites au delà desquelles vient la résignation au destin, puis la mort. Et quand l'herbe meurt, les enfants meurent aussi, car ils se nourrissent de lait, que leur mère, trop civilisée, ne peut pas toujours leur fournir. C'est tout ce qui n'est pas civilisé qui maintient d'abord la vie, c'est l'eau, c'est l'herbe, ce sont les animaux. Le fondement de tout est tout ce que nous méprisons. Nous croyons que le génie naît de la civilisation. Elle le cultive seulement et encore c'est la nature seule qui lui fournit les éléments de cette culture, et nous ne sommes jamais que son humble collaboratrice. Tout ce qui nous fait vivre est né d'un peu d'argile détrempé d'un peu d'eau; le fleuve de lait qui menace de tarir n'a pas d'autre origine. C'était à peine un mythe que l'histoire de la première fabrication de l'homme. La vie naquit le jour où la première goutte d'eau tomba sur le sable qui l'attendait.

Le chat de misère

Подняться наверх