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NOTICE HISTORIQUE SUR LES BATIMENTS
ОглавлениеLe Louvre au Moyen Age. — Dans les premiers temps de la monarchie et jusqu’à une époque où Paris était déjà une véritable ville, la Seine, au delà des murailles, était bordée de bois et de marécages sur ses deux rives. Le bois de Boulogne actuel n’est que le reste d’une forêt qui longeait le fleuve et dont les taillis épais s’étendaient jusqu’à l’emplacement où s’élève maintenant le Pont-Neuf. Le défrichement de ces terrains est dû à des établissements religieux; les principaux étaient, sur la rive gauche, l’abbaye de Saint-Germain des Prés, dont les possessions s’étendaient jusqu’à Issy, et sur la rive droite, le couvent de Saint-Germain-l’Auxerrois, dont les limites ne sont pas bien exactement connues. A-t-il existé de ce côté un manoir ou rendez-vous de chasse appartenant à nos rois? On n’est pas d’accord sur ce point, qui importe d’ailleurs assez peu, puisque le Louvre ne commence en réalité pour nous qu’avec Philippe-Auguste.
Le Louvre fut établi comme une forteresse, qui pût servir à la fuis de résidence pour le roi et de prison pour ceux qu’il voulait enfermer.
En effet, le Louvre était une prison d’État: on assure que ce fut le comte de Flandres, Ferrand, fait prisonnier à la bataille de Bouvines, qui l’inaugura. Il y fut enfermé après avoir été promené en spectacle dans Paris sur un char attelé de quatre chevaux. Le peuple accourait de toutes parts pour le voir et chantait une chanson de circonstance dont le refrain était:
Quatre ferrans bien ferrés
Traînent Ferrant bien enferré.
La sombre forteresse n’était pas seulement une prison: elle servait de refuge au roi dans les jours d’agitation populaire. Enfin, c’est de la grosse tour érigée au centre de de l’enceinte de ce château que relevaient tous les grands fiefs du royaume.
«C’était dans la grosse tour du Louvre, dit le comte de Clarac, que l’on mettait en dépôt les archives de l’Etat et le trésor de la Couronne. Philippe y renfermait le sien, qu’il gardait aussi quelquefois au Temple; Louis VIII, d’après son testament, fait en 1225 et rapporté par Guillaume le Breton, avait aussi réuni au Louvre le fruit de ses épargnes. Pendant plus de trois cents ans, cette tour conserva ce privilége. Comme pour réunir en un seul lieu tout ce qui contribue à la force des Etats, l’or et les armes, la grosse tour, pendant les deux premiers siècles de son existence, fut aussi l’arsenal de nos rois, et sous Philippe-Auguste non-seulement on y conservait les grands et les petits engins, les armures, ainsi que les nerfs, les cuirs de bœuf et le bois qui servaient à les faire, mais on y avait même établi une fabrique de toute-sorte d’ustensiles de guerre. En 1391, on retira de la grosse tour une partie des armes qu’elle contenait, et on les remplaça par des livres.»
CLARAC. (La Sculpture ancienne et moderne.)
Ce fut, en effet, Charles V qui fonda la bibliothèque royale, dont la place était naturellement au Louvre. Les constructions entreprises par Philippe-Auguste se multiplièrent sous ses successeurs et une foule de bâtiments accessoires vinrent compléter l’appropriation de l’édifice. Le Louvre, à la fin du moyen âge, présentait le type complet d’un château féodal avec toutes ses dépendances. Sauval nous a laissé une très-curieuse description du vieux Louvre, que nous rapportons ici:
«La grosse tour, nommée tour neuve ou forteresse du Louvre, dans l’histoire féodale, l’effroi des vassaux indociles, était ronde et entourée d’un large fossé. Elle communiquait à la cour par un pont, dont une partie bâtie de pierre était soutenue par une arche; l’autre partie se composait d’un pont-levis; l’entrée de ce pont était une construction couronnée par une forme angulaire et surmontée par une statue de Charles V tenant en main son sceptre. Cette grosse tour communiquait aussi aux bâtiments qui entouraient la cour par une galerie de pierre.
» Les bâtiments qui entouraient la cour principale et fortifiaient la grosse tour étaient, ainsi que les clôtures des basses-cours et jardins, surmontés d’une infinité de tours, de tourelles de diverses hauteurs et dimensions, les unes rondes, les autres quadrangulaires, dont la toiture en terrasse, en forme conique ou pyramidale, se terminait par des girouettes ou des fleurons.
» On a conservé le nom de quelques-unes de ces tours; celles du Fer-à-Cheval, des Porteaux, de Windal, situées sur le bord de la Seine, la tour de l’Etang, celle de l’Horloge, de l’Armoirie, de la Fauconnerie, de la Grande-Chapelle, de la Petite-Chapelle, de la Tornelle, la tour de l’Écluse, sur le bord du fossé, la tour de l’Orgueil, la tour de la Librairie, où Charles V avait réuni jusqu’à neuf cents volumes, collection immense pour le temps. La bibliothèque du roi Jean, son père, n’était composée que de huit ou dix volumes.
» Les faces des bâtiments qui entouraient la principale cour présentaient des pans de mur percés comme au hasard, et de petites fenêtres grillées, sans ordre et sans symétrie. Avant Charles V, ces bâtiments n’avaient que deux étages; ils en eurent quatre sous ce roi, ce qui diminua la clarté et la salubrité de la cour. L’intérieur de ces bâtiments, où le jour ne pénétrait qu’à travers des fenêtres étroites et grillées était sombre et triste comme celui d’une prison.
» Par quatre portes fortifiées, appelées porteaux, on pénétrait dans le Louvre. La principale entrée se trouvait sur le bord de la Seine. Entre les bâtiments du Louvre et cette rivière était une porte flanquée de tours et de tourelles, qui s’ouvrait sur une avant-cour assez vaste; on la parcourait en longeant une partie du fossé du château. Arrivé au milieu de la façade, on trouvait une autre porte, fortifiée par deux grosses tours peu élevées et couvertes d’une terrasse. Sous Charles VI, cette porte fut décorée de la figure de ce roi et de celle de son père, Charles V, figures placées dans des niches et sculptées par Philippe de Fontières et Guillaume Josse, habiles statuaires pour le temps.
» Une autre entrée se voyait en face de l’église Saint-Germain l’Auxerrois. Elle est encore sur pied et, comme on voit, fort étroite, bordée de deux tours rondes, avec une figure de chaque côté savoir: celle de Charles et l’autre de Jeanne de Bourbon, son épouse. Les autres portes, moins considérables, se trouvaient aux autres faces de l’édifice.
» Les pièces principales des bâtiments qui environnaient la cour intérieure consistaient en une grande salle, ou salle Saint-Louis; sa hauteur allait jusqu’au comble. On y trouvait la salle Neuve du roi, la salle Neuve de la reine, la Chambre du conseil, qui consistait en une chambre et en une garde-robe nommée Garde-robe du conseil de la Trappe; une chambre de la Trappe et une salle basse dont Charles V, en 1366, fit orner les murailles de peintures représentant des oiseaux, des cerfs et autres animaux au milieu de paysages. C’était dans une superbe salle que les rois régalaient les princes étrangers et que se donnaient les festins.
«La chapelle basse, dédiée à la Vierge, était la plus considérable de toutes celles que contenait le Louvre. On voyait sur sa porte des figures de Notre-Dame, de sainte Anne et d’anges qui les encensaient, tandis que d’autres anges semblaient exécuter un concert avec divers instruments de musique. Charles VI avait fait placer dans l’intérieur de cette chapelle treize statues de prophètes.
» Il existait dans l’enceinte du Louvre un arsenal, un grand nombre de basses-cours entourés de bâtiments dont voici les noms: la Maison du four, la Panneterie, la Saucerie, l’Épicerie, la Pâtisserie, la Fruiterie, le Garde-manger, l’Echansonnerie, la Bouteillerie, le lieu où l’on fait l’hypocras.»
Charles V habitait quelquefois le palais de la Cité, car ce fut là qu’il reçut en 1373 la visite de l’empereur Charles IV; mais il s’empressa de lui faire connaître son Louvre. L’empereur souffrait d’un violent accès de goutte, en sorte qu’on fut obligé de le conduire en bateau, et, dit Christine de Pisan, «le roi lui montra les beaux maçonnages qu’il avait faits au Louvre édifier. L’empereur, son fils et ses barons, moult bien y logea, et partout le lieu était moult richement paré. En salle dîna le roi, les barons avec lui, et l’empereur en sa chambre.»
Cependant le Louvre fut complètement abandonné après Charles V, et l’hôtel Saint-Pôl devint la demeure de nos rois qui néanmoins le quittèrent bientôt pour l’hôtel des Tournelles. Celui-ci devint à son tour résidence royale, et ne cessa de l’être que le jour où la mort de Henri II en fit décider la destruction. Pendant ce temps le Louvre fut complètement abandonné, et lorsque François Ier monta sur le trône, les anciens bâtiments étaient dans un état complet de délabrement.
De ce Louvre primitif il n’est rien resté, mais on connaît exactement la place des principales tours. Dans la cour intérieure du Louvre actuel, des lignes en asphalte blanc ou en granit, tracées sur le pavé en 1868, figurent exactement le plan de l’ancienne forteresse de nos rois. Des fossés larges et profonds, alimentés par les eaux de la Seine, environnaient l’ensemble de ces anciennes constructions.
Le Louvre sous la Renaissance. — Le roi François Ier voyant les bâtiments du Louvre tomber en ruines, résolut de les réparer; mais ce château délabré, construit en vue des habitudes féodales, pouvait difficilement convenir aux élégances mondaines de la cour de France sous la Renaissance, et le roi, renonçant à une restauration reconnue impossible, résolut d’élever une résidence nouvelle sur l’emplacement de l’ancienne. Il s’adressa d’abord à l’architecte Serlio, dont les plans ne furent pas agréés; Pierre Lescot fut alors chargé de la construction du nouveau palais. En 1541, on commença les démolitions, et peu après les travaux de reconstruction, qui durèrent jusqu’à la mort de Henri II, en 1556. Le nom de Jean Goujon, qui a exécuté les sculptures, est lié intimement, dans l’histoire de ce bâtiment, à celui de Pierre Lescot, qui a tracé le plan de l’édifice et dirigé la constuction.
«Ce n’était plus une forteresse redoutable qu’il s’agissait d’élever, dit M. de Guilhermy; il fallait un palais, disposé et décoré suivant le système nouveau qui, depuis la fin du quinzième siècle, tendait de plus en plus à supplanter les traditions du moyen âge. L’antique donjon central ne devait pas reparaître. Le plan de Pierre Lescot comprenait quatre façades dont deux existent encore; de grands pavillons, coiffés de combles d’ardoise à la française, devaient remplacer, aux quatre angles du monument, les vieilles tours féodales désormais proscrites. L’aile occidentale, entre le dôme de l’Horloge et l’angle sud-ouest de la cour, fut entreprise la première. Lorsque François Ier mourut, en 1547. l’œuvre n’avait pas fait de grands progrès. Henri II la poursuivit avec une plus grande activité. Sous son règne, l’aile occidentale fut achevée, et celle du midi à peu près construite jusqu’au guichet qui se trouve en face du pont des Arts; le pavillon destiné à garnir l’angle formé par la jonction de ces deux corps de logis fut aussi terminé et prit le nom de Pavillon du roi.»
GUILHERMY. (Itinéraire archéologique de Paris.)
Pierre Lescot avait été admirablement secondé par les sculpteurs qu’il avait appelés près de lui, Jean Goujon et Paul Ponce. La suite des sculptures de Jean Goujon commence aux deux œils-de-bœuf qui précèdent l’angle de gauche de la cour du Louvre. Ce sont des victoires, des renommées, diverses figures allégoriques, des cariatides et des petits génies, sculptés en bas-reliefs sur l’édifice. Paul Ponce avait fait les frontons où l’on voit la Terre, la Mer, l’Abondance, Mars, Bellone, la Géométrie, le Commerce, etc. Il avait aussi décoré l’attique du côté du sud; lors de la destruction de cette partie du bâtiment, les figures furent sciées et placées, les unes (la Justice et la Piété), sous le vestibule qui traverse le pavillon central de la colonnade; les autres ont été enlevées et sont aujourd’hui à l’École des beaux-arts.
Après la mort de Henri II, Catherine de Médicis vint habiter le Louvre, mais elle abandonna les projets de Pierre Lescot. C’est à elle qu’on doit la galerie qui se dirige perpendiculairement vers la Seine. Elle est actuellement occupée par une partie du musée des antiques. Vers 1564, la reine délaissa tout à fait le Louvre, pour ne s’occuper que du nouveau palais qu’elle fit commencer en dehors de la ville et qui est devenu le palais des Tuileries.
Charles IX et Henri III ont habité le Louvre et c’est dans les appartements du rez-de-chaussée que la Saint-Barthélemy a été organisée; une tradition erronée désigne une fenêtre du Louvre comme le point d’où le roi aurait tiré sur le peuple, mais cette fenêtre a été construite après la Saint-Barthélemy.
Examinons maintenant dans quel état était le Louvre, à la fin du seizième siècle, lorsque Henri IV monta sur le trône.
«Si, du côté des Tuileries, dit le comte de Clarac, ce qu’on devait à Henri II présentait un édifice d’une architecture sans faste, mais assez régulière, il n’en était pas de même du côté de Saint-Germain l’Auxerrois. On n’avait pas encore travaillé à cette façade. François Ier avait bien, il est vrai, fait disparaître plusieurs fois des anciennes tours; mais il en restait encore assez pour donner au Louvre l’aspect d’une forteresse ou d’une prison.
» On arrivait à la porte d’entrée que par un pont-levis flanqué de deux tours. A l’extrémité de cette façade orientale, vers la Seine, l’architecture élégante de Lescot venait se rattacher aux constructions gothiques de Philippe-Auguste et de Charles V. Près de riches sculptures, d’ordres décorés avec recherche, de portes et de fenêtres ornées dans le goût florentin, l’intérieur de la cour offrait des murs chargés d’ornements gothiques, des portes écrasées et des fenêtres petites, étroites, percées çà et là sans régularité, et où le jour ne pénétrait qu’avec peine. Vers la rivière, la façade n’était pas terminée, et il est à croire que Lescot y avait suivi le même système que dans la partie extérieure de l’aile tournée vers le couchant, et que l’architecture en était très-simple. Dans le côté du nord, l’aile du château de Charles V existait encore en entier; François Ier et Henri II n’y avaient pas touché : ainsi l’on se figure aisément l’effet singulier, mais piquant, que devaient produire les ogives, les galeries suspendues, les tourelles et les ornements fantastiques, les statues de Raymond du Temple, de Jean de Saint-Romain, à côté des arcs en plein cintre, des corniches bien profilées, des ordres grecs et de tout le luxe d’architecture et de sculpture de P. Lescot, de J. Goujon et de Paul Ponce.»
Henri IV chargea l’architecte Ducerceau de réunir les Tuileries au Louvre par une grande galerie. Après Ducerceau, ce furent Dupeirac et Metezeau qui travaillèrent pour Henri IV; ils élevèrent un étage au-dessus de l’appartement du Louvre, là où est actuellement la galerie d’Apollon. La grande galerie se trouvait achevée vers 1608, mais après la mort du roi tous les travaux furent de nouveau suspendus.
Henri IV a donné au Louvre une destination qu’il n’avait pas eue avant lui: il y établit des logements pour les artistes et les artisans les plus distingués. Ses intentions sont clairement manifestées par des lettres patentes du 22 décembre 1608.
«Nous avons eu cet égard en la construction de notre galerie du Louvre, d’en disposer les bâtiments en telle forme que nous y puissions loger commodément quantité des meilleurs ouvriers et plus suffisants maîtres qui se pourroient recontrer, tant de peinture, sculpture, orfévrerie, horlogerie, sculpture en pierrerie, qu’autres de. plusieurs et excellents arts, tant pour nous servir d’iceux, comme pour être par par ce même moyen employés par nos sujets en ce qu’ils auroient besoin de leur industrie, et aussi pour faire comme une pépinière d’ouvriers de laquelle, sous l’apprentissage de si bons maîtres, il en sortiroient plusieurs qui, par après, se répandroient partout notre royaume, et qui scauroient très-bien servir le public, etc.»
Le Louvre au dix-septième siècle. — Le dix - septième allait ouvrir pour le Louvre une ère nouvelle.
«Louis XIII, dit M. Ferdinand de Lasteyrie, qui fit si peu pour la France, a fait beaucoup pour lui. C’est au fils de Henri IV qu’on doit la reprise des travaux de la cour carrée, c’est-à-dire la continuation plus ou moins heureusement entendue de l’œuvre de Pierre Lescot. Dans le plan primitif, cette cour ne devait guère avoir que le quart de la superficie qu’elle occupe aujourd’hui. Le nouveau roi ayant décidé de donner un plus grand développement à son palais, l’architecte Lemercier, plein de respect pour l’œuvre de son devancier, eut l’excellente idée de se borner à répéter fidèlement le corps de bâtiment dû à Pierre Lescot, en séparant la copie de l’original, c’est-à-dire la nouvelle construction de l’ancienne, par un pavillon central qui, tout en rompant l’uniformité, devait en faire ressortir d’autant mieux la symétrie. C’est également à Lemercier qu’est due l’idée de répéter la même façade sur les quatre côtés de la cour, en élevant au centre de chacun d’eux un pavillon pareil au premier et percé aussi d’un vestibule à colonnes. Ce plan, en apparence modeste, était un trait de génie. Bien que modifié dans quelques-uns de ses détails, il a donné naissance à l’un des plus beaux et des plus nobles ensembles de bâtiments qui soient au monde.
Le premier pavillon seulement fut achevé par Lemercier. C’est celui qu’on appelle actuellement le pavillon de l’Horloge, et dont le vestibule met en communication la cour du Louvre avec la place du Carrousel. Là encore, bien que ce fût son œuvre personnelle, Lemercier, en homme de goût, s’est astreint à suivre pieusement, jusque dans les moindres détails, le style de Pierre Lescot.»
Lemercier trouva un habile collaborateur dans le sculpteur Jacques Sarrazin, auquel on doit les huit cariatides colossales, groupées par deux, qui décorent le pavillon de l’Horloge, qu’on nomme plus communément aujourd’hui pavillon de Sully.
Un incendie survenu en 1661 détruisit tout le corps de bâtiments où se trouve aujourd’hui la galerie d’Apollon, au moment même où l’on se préparait à y donner une grande fête. Cet événement est raconté avec les plus grands détails dans la Muse historique de Loret; l’auteur consacre à ce récit une lettre entière qu’il qualifie d’incendiaire et que nous reproduisons ici, parce qu’elle peint bien les mœurs du temps.
Dimanche un feu prompt et mutin,
Sur les neuf heures du matin,
Se prit à la maizon Royale,
Dans cette Galerie, ou sale,
Où l’on prétendait (à peu près)
Danser Balet dix jours après;
Et telle fut sa violence,
Que malgré toute diligence,
Pour détourner l’embrazement,
Ce magnifique Bâtiment
Qu’on nommait sale des peintures,
Devint d’effroyables mazures;
Et ce lieu charmant qui, jadis,
Des yeux étoit le paradis,
Parut lors un afreux image;
Le feu poussoit plus loin sa rage:
Mais, par grande dévotion,
Dans cette dézolation,
On y porta la sainte Hostie,
Par qui fut la flâme amortie;
Le vent changeant en un moment,
Cela sauva visiblement
Les chambres du Roy, de la Reine,
De cette incendie inhumaine.
Après cet éfet merveilleux,
Ou bien plutôt miraculeux,
Le Roy, Monsieur, les Reynes mesmes,
Avec des tendresses extresmes,
De reconnoissance et d’amour,
Et tous les Princes de la Cour,
Ducs, Marquis, Maréchaux de France,
Et Prélats de haute importance,
Conduizirent dévotement,
L’adorable Saint-Sacrement,
Jusqu’au Lieu de son tabernacle,
Touchez du précédent miracle,
Auquel ils avoient grande foy,
Sur tous, les Reynes et le Roy.
Dont les Ames très-éclairées,
Et de vices bien épurées,
Scavent discerner comme il faut
Les assistances du Très-Haut.
L’auteur énumère ensuite tous les braves gens qui, au risque de leur vie, ont contribué à arrêter les progrès du feu et termine ainsi:
Enfin ne faut point qu’on s’étonne,
Si le feu n’épargna personne,
S’il fait quelquefois des débris,
Des plus beaux et riches lambris,
Puisque cet élément barbare,
A la fin des temps se prépare,
De consumer en ce bas lieu
Les ouvrages même de Dieu,
Dans lesquels sa sagesse abonde,
Assavoir l’Air, la Terre et l’Onde
Et sans respecter mesmement
Les Astres ni le Firmament.
Après ce terrible incendie, les bâtiments furent réédifiés et Le Brun fut chargé d’en diriger la partie décorative. Mais le règne de Louis XIV a marqué son empreinte sur les bâtiments du Louvre d’une manière bien autrement décisive.
Lorsque Colbert prit la charge de surintendant des bâtiments, Le Vau était l’architecte du palais; seulement, le ministre goûtait peu les plans de cet artiste, qu’il ne trouvait pas assez grandioses pour la majesté royale. Comme il était difficile de changer sans motif l’architecture d’une aussi vaste construction, il fit exécuter en relief le projet de Le Van et appela les architectes à venir l’examiner et donner leur avis. Ceux-ci, naturellement, déchirèrent à l’envie le projet de leur confrère, et, fort de l’opinion publique, Colbert fit suspendre les travaux. Il ordonna en même temps un concours, décidant que celui qui aurait obtenu l’assentissement du roi serait chargé d’élever l’édifice.
Les concurrents se présentèrent en nombre, mais un seul projet plut à Colbert; il ne portait pas de nom d’auteur. On l’attribua d’abord à un artiste étranger qui n’aurait pas voulu se nommer. Quand on apprit que l’auteur n’était pas un architecte, mais un simple médecin, Claude Perrault, les quolibets commencèrent à pleuvoir sur les architectes battus au concours. et on disait partout que l’architecture en France devait être bien malade, puisqu’elle avait recours au médecin. Les hommes spéciaux froissés dans leur amour-propre en même temps que blessés dans leurs intérêts, s’écrièrent que le monument était inexécutable. Colbert, arrêté par des considérations techniques et redoutant un effondrement, se vit obligé de renoncer au seul projet qui le satisfit; mais les architectes n’y gagnèrent rien, car il résolut aussitôt de confier le travail à un étranger.
Le Bernin avait alors une réputation colossale que la postérité il est vrai, n’a pas ratifiée, mais qui était universellement admise: en Italie, on le plaçait sans hésiter à côté de Michel-Ange, et en matière de goût, l’Italie, à cette époque, était l’arbitre de l’Europe. Colbert, qui voulait mettre au service du roi les hommes les plus éminents de tous pays, songea donc au Bernin; mais il ne se contenta pas de lui demander des plans pour le Louvre, il voulut faire venir l’artiste lui-même. Ce projet pourtant présentait de sérieuses difficultés. Le Bernin avait soixante-huit ans, et on pouvait supposer qu’il hésiterait devant un voyage aussi fatigant. D’un autre côté, on savait que le pape tiendrait beaucoup à ne pas laisser partir un artiste qui depuis un demi-siècle n’avait cessé de travailler aux embellissements de la Ville-Eternelle, et que le peuple romain regardait comme la plus grande gloire de l’Italie. Mais l’idée de Colbert avait reçu l’agrément du roi, et Louis XIV n’était pas homme à abandonner un projet qui flattait sa vanité.
Les premières négociations traînèrent en longueurs, et, comme le roi commençait à s’impatienter, on eut recours aux grands moyens. Louis XIV écrivit au Bernin la lettre suivante:
«Seigneur cavalier Bernin, je fais une estime si profonde de votre mérite, que j’ai un grand désir de voir et de connaître une personne aussi illustre, pourvu que ce que je souhaite se puisse accorder avec le service que vous devez à notre Saint-Père le Pape et avec votre commodité particulière. Je vous envoie en conséquence ce courrier exprès, par lequel je vous prie de me donner une satisfaction, et de vouloir entreprendre le voyage de France, prenant l’occasion favorable qui se présente, du retour de mon cousin le duc de Créqui, ambassadeur extraordinaire, qui vous fera savoir plus particulièrement le sujet qui me fait désirer de vous voir et de vous entretenir des beaux dessins que vous m’avez envoyés pour le bâtiment du Louvre; et, du reste, me rapportant à ce que mon dit cousin vous fera entendre de mes bonnes intentions, je prie Dieu qu’il vous ait en sa sainte garde, seigneur cavalier Bernin. (Signé) Louis. (Contre-signé) DE LIONNE). A Paris, le 3 avril 1665.»
Le Bernin recevait en même temps le portrait de Louis XIV avec un encadrement enrichi de diamants, représentant une valeur de trois mille écus, et il apprenait que des artistes, envoyés de France par leur gouvernement, avaient reçu pour mission d’exécuter des copies d’après ses principaux ouvrages. Décidément le roi de France se faisait le courtisan du Bernin, et il était impossible à l’artiste de ne pas obtempérer à ses désirs: Mais il fallait encore obtenir l’assentissement du pape, et on savait combien Alexandre VII tenait à ne pas se séparer d’un homme qu’il regardait comme la plus grande illustration de son règne. Louis XIV lui écrivit donc:
«Très-Saint Père, ayant déjà reçu d’ordre de Votre Sainteté deux dessins pour mon bâtiment du Louvre, d’une main aussi célèbre que l’est celle du cavalier Bernin, je devrais plutôt penser à la remercier de cette grâce qu’à lui en demander une nouvelle. Mais comme il s’agit d’un édifice qui, depuis plusieurs siècles, est la principale habitation des rois les plus zélés pour le Saint-Siége qu’il y ait dans toute la chrétienté, je crois pouvoir m’adresser à Votre Sainteté avec toute confiance. Je la supplie donc, si son service le lui permet, d’ordonner au dit cavalier de faire un voyage ici pour terminer son travail. Votre Sainteté ne pourrait m’accorder une plus grande faveur dans la circonstance présente, et j’ajouterai qu’en aucun temps elle ne pourrait en faire à une personne qui soit avec plus de vénération et plus d’attachement que moi, Très-Saint-Père, votre dévoué fils. (Signé) Louis. — Paris, 16 avril 1665.»
Le duc de Créqui vint en grande cérémonie remettre cette lettre au pape et se rendit ensuite chez le Bernin, en compagnie de tout son cortège officiel. L’autorisation de voyage fut donnée mais pour trois mois seulement, et les termes mêmes de la lettre du pape montrent qu’il ne cédait qu’à contre-cœur au désir du plus puissant roi de l’Europe. Cette lettre est écrite en latin:
«A notre très-cher fils en Jésus-Christ, Louis, roi de France, très-chrétien, Alexandre, pape, salut:
» Mon bien-aimé fils, le très-noble seigneur duc de Créqui, ambassadeur de Votre Majesté, nous a remis vos lettres et nous prie instamment de vous accorder, pour trois mois, la présence à Paris de notre cher fils le cavalier Bernin. Bien que cet artiste soit nécessaire ici pour la construction des portiques du Vatican et pour les autres bâtiments de Saint-Pierre, néanmoins, voulant écarter tout obstacle, nous vous donnons volontiers cette preuve de notre grande bienveillance envers vous, saisissant cette occasion d’envoyer à Votre Majesté, du fond de notre cœur paternel, notre bénédiction apostolique. Donné à Rome, à Sainte-Marie-Majeure, sous l’anneau du pêcheur, le 23 avril 1665, de notre pontificat le onzième»
Le roi de France avait poussé la galanterie jusqu’à envoyer à l’artiste un maître d’hôtel et tout un personnel domestique, et le voyage triomphal du Bernin s’accomplit dans des conditions dont l’histoire de l’art n’offre pas d’autre exemple. A Florence, le grand-duc fit mettre à sa disposition le palais Riccardi et sa propre litière pour l’accompagner jusqu’à la frontière. A Lyon, les artistes, les ingénieurs et une quantité de curieux allèrent au-devant de lui dans la campagne, et les autorités, qui le reçurent aux portes de la villes, le complimentèrent au nom du roi, suivant un cérémonial qui n’était usité que pour les princes du sang. Partout où il passait la population accourait pour voir l’hôte du roi de France, et Baldinucci, qui a publié les lettres du Bernin, en cite une où l’artiste, pourtant bien habitué aux honneurs, dit en plaisantant qu’un éléphant en voyage n’inspirerait pas plus de curiosité dans la campagne.
Aussitôt que le Bernin fut arrivé à Paris, Colbert vint lui rendre visite et fixer l’entrevue avec le roi, qui eut lieu le 4 juin 1665. Toute la cour était piquée par la curiosité ; celle du roi fut tellement vive, qu’oubliant l’étiquette, il n’attendit pas que le cavalier lui fût présenté, et s’avançant vers la porte du salon, il souleva la portière de sa main royale pour voir plus tôt le grand artiste. Le Bernin était un homme d’esprit et un parfait courtisan: il demanda à faire avant tout autre chose le portrait du roi, et pendant qu’il y travaillait, il ne ménageait pas les flatteries à son modèle. Il savait y mettre un à propos que toute la cour admirait. Louis XIV, selon la mode du temps, portait des mèches de cheveux qui, descendant presque jusqu’aux sourcils, cachaient ainsi une grande partie du front. L’artiste travaillait à son buste, quand, cédant à une soudaine inspiration, il se lève et, relevant doucement les cheveux de son modèle, s’écrie qu’un pareil front devrait être connu de l’univers. Le mot fut trouvé adorable et tout Paris le répétait le lendemain: si bien que la mode survint de se coiffer à la Bernin, c’est-à-dire en laissant le front plus découvert.
Cependant Colbert, qui était homme de goût en même temps qu’homme d’Etat, ne goûtait nullement le plan adopté par le Bernin pour l’achèvement du Louvre. Il regrettait toujours la grande colonnade du médecin Claude Perrault, dont le frère, Charles Perrault, était premier commis à la surintendance des bâtiments. Celui-ci, qui désirait la commande pour son frère, ne manquait pas d’attirer l’attention de Colbert sur les défauts du projet et de lui faire mettre le doigt sur la plaie. Il faisait au Bernin une guerre sourde, une guerre de courtisan, dont il a lui-même raconté les pérépéties dans ses mémoires. Dans le projet, la porte d’entrée était mesquine, et la façade sur le bord de l’eau présentait une multitude de petites fenêtres trop rapprochées les unes des autres. Charles Perrault, se gardant bien de critiquer ouvertement, ne manquait pas d’insister sur l’importance de la porte d’entrée dans un palais, sur la solennité d’allure qu’exigeait la demeure d’un aussi grand roi. Colbert ne disait rien, mais il comprenait parfaitement.
L’Italien, qui était d’une vanité extrême, ne supportait pas la plus légère observation. Aussi Charles Perrault ne lui en faisait-il aucune, mais il posait parfois à son élève, nommé Mathias, les questions les plus embarrassantes. C’est ainsi qu’ayant remarqué l’absence de symétrie entre les diverses parties du bâtiment, il demanda des explications à cet élève. «Le cavalier, dit-il dans ses mémoires, qui m’entendit faire cette demande, entra aussitôt en fureur, et me dit les choses du monde les plus outrageantes, et entre autres que je n’étais pas digne de décrotter la semelle de ses souliers.»
Une autre fois Charles Perrault s’approche de Colbert et lui fait à l’oreille une petite observation. Le Bernin se fâche et veut savoir ce qu’on a dit. Quand Colbert lui eut fait part de l’objection, il répondit simplement: «On voit bien que monsieur n’est pas de la profession; il ne lui appartient donc pas de dire son sentiment sur une chose à laquelle il ne connaît rien.» — «M. Colbert, ajoute Charles Perrault, lui dit qu’il avait raison et qu’il ne fallait pas s’arrêter à ce que je disais. Le cavalier retourna chez lui et M. Colbert monta à l’appartement qu’il avait dans le Louvre. Je le suivis et en passant dans un corridor, je lui demandai pardon de la liberté que j’avais prise de parler sur le dessin de M. le cavalier. — «Croyez-vous, me dit-il tout en colère, que je voie pas tout cela aussi bien que vous? Peste soit du b..... qui pense nous en faire accroire.»
Cependant Colbert s’était tellement avancé qu’il était impossible de reculer. On avait fait grand fracas du voyage du Bernin, et toute l’Europe savait que le plus grand architecte du monde avait quitté le service de Sa Sainteté pour venir bâtir le palais du roi de France. La pose de la première pierre du monument eut donc lieu avec la plus grande solennité, et sous cette pierre on scella une médaille représentant d’un côté le roi et de l’autre la façade du Bernin. Ce projet, qu’on peut étudier dans l’ouvrage de Blondel, présentait, entre autres inconvénients, celui de détruire entièrement les constructions de Pierre Lescot, que l’artiste italien supprimait sans autre cérémonie. Mais outre l’édifice, on établissait une grande place s’étendant jusqu’au Pont-Neuf, ce qui eût entraîné la démolition de l’église de Saint-Germain-l’Auxerrois; sur cette place devait s’élever une fontaine mouumentale, en forme de rocher, avec Louis XIV au sommet et des divinités mythologiques tout autour.
Charles Perrault, obligé de céder, n’en continuait pas moins sa guerre sourde et ses petites intrigues. Les entrepeneurs et les ouvriers français, soit qu’ils ne fussent pas habitués à travailler selon les méthodes italiennes, soit qu’ils obéissent à un mot d’ordre, affectaient de ne pas comprendre le Bernin et le servaient tout de travers. Celui-ci, exaspéré, demandait qu’on fit venir des Italiens, et Charles Perrault se gardait bien de faire la moindre objection; seulement il présentait des devis formidables au malheureux ministre, qui enrageait, mais n’y pouvait rien.
Cependant les courtisans, qui avaient deviné la pensée de Colbert et qui voulaient s’en faire bien venir, lui vinrent en aide dans cette circonstance. On continuait avec le Bernin le système de flatteries et d’adulations, mais on parlait en même temps du beau climat de l’Italie et des rigueurs du nôtre. On se demandait avec anxiété si le grand homme pourrait supporter un hiver qui pourrait être rude. Et si son dévouement allait aboutir à un malheur, la gloire du roi n’en serait-elle pas atteinte?
Le Bernin était rompu à toutes les intrigues de la cour: il comprit, et se tira en homme d’esprit d’une situation délicate. Il parla de sa famille qui était restée à Rome, reçut des lettres constatant l’impatience où était le saint-père de revoir son cher artiste, fut indisposé, toussa, et finalement supplia le roi de le laisser passer l’hiver en Italie, se mettant d’ailleurs entièrement à sa disposition pour le reste de ses jours. Colbert fut ravi et versa des larmes feintes: toute la cour admira le désintéressement du roi, qui consentait à se séparer d’un pareil homme. Les compliments sur le génie du Bernin montèrent à un diapason inouï et l’artiste reçu en partant les plus splendides cadeaux. Charles Perrault lui remit au nom du roi une pension de trois mille livres pour lui et une de douze cents pour son fils. En même temps Colbert, qui tenait beaucoup à ce que le Bernin ne revint pas, mais parût rester au service du roi, lui commanda une statue colossale de Louis XIV, qu’il devait faire à Rome, dans son atelier, et en se faisant aider cette fois par des praticiens italiens.
Le Bernin partit ainsi comblé d’honneurs et de présents; mais, dès qu’il ne fut plus là, son projet fut abandonné. Colbert s’en tenait toujours à celui de Claude Perrault; seulement comme les hommes de l’art le déclaraient impraticable; on songea à revenir à l’ancien plan de Le Vau. Colbert pourtant sortit encore victorieux de cette lutte, et il employa pour cela un stratagème qui peint bien l’esprit du temps. Il savait combien le roi tenait à paraître le maître et à faire tout par lui-même: il proposait souvent le contraire de ce qu’il voulait pour donner au roi le plaisir de le battre et d’avoir raison. Il fit donc apporter à Louis XIV le dessin de Le Vau et celui de Claude Perrault. Le roi, après les avoir examinés, demanda l’avis de Colbert, qui déclara hautement sa préférence pour le projet de Le Vau. «Eh bien, moi, dit le roi, je choisis l’autre.» Colbert s’inclina, et c’est ainsi que le médecin Claude Perrault éleva la colonnade du Louvre, qui, malgré le dire des architectes du temps, ne semble pas encore près de s’effondrer. Boileau put dire alors:
Notre assassin renonce à son art inhumain,
Et, désormais, la règle et l’équerre à la main.
Laissant de Galien la science suspecte,
De mauvais médecin devient un architecte.
La colonnade du Louvre est en effet un des monuments les plus admirés de Paris: elle saisit l’esprit et impose l’admiration par son allure solennelle et grandiose. Elle présente surtout à nos yeux une qualité précieuse et qui n’est pas commune en architecture: cette facade est une page d’histoire, elle réalise le rêve du dix-septième siècle, et traduit absolument l’idéal d’une époque. Mais si, au lieu de voir le monument en philosophe et en historien, on veut le considérer en architecte, si on veut fouiller au fond des choses et se demander ce qu’il y a derrière cette façade, l’enthousiasme se refroidit un peu et on est obligé de reconnaître la justesse de certaines critiques. Il est aisé de voir que Perrault avait tout sacrifié à sa façade, et que cette façade n’étant pas d’accord pour la hauteur avec les autres parties du Louvre, entraînerait des modifications importantes et souvent malheureuses.
«Ce n’est pas nous assurément, qui refuserons de reconnaître le caractère grandiose de cet immense péristyle qui, du haut de son stylobate, domine la plus belle partie de Paris, et dont les colonnes cannelées portent jusqu’à une élévation prodigieuses leurs riches chapiteaux d’ordre corinthien. Mais il a ses défauts, comme toute chose en ce monde. Sans parler des artifices employés pour en maintenir les architraves et les soffites, des armatures de fer, qui seules arrêtent la dislocation de cette grande machine, disons que la colonnade n’est qu’un placage, une décoration de théâtre, un embarras même dans l‘ordonnance générale du palais. Perrault, qui n’était pas architecte, ne tint aucun compte des dispositions intérieures du Louvre, et ne se préoccupa nullement de mettre son œuvre en rapport avec celle de ses prédécesseurs. Aussi, la construction de la colonnade a-t-elle jeté la perturbation dans toute l’économie du Louvre. Sa longueur excédait tellement l’étendue de ce côté du palais, qu’il fallut doubler aussitôt d’un autre placage la façade considérable bâtie par Le Vau, en regard de la Seine. Sa hauteur était telle que la balustrade, posée sur sa corniche, dépassait de beaucoup la ligne des combles qui couvraient les trois autres côtés de la cour. Il était difficile de continuer, au revers de la colonnade, l’attique de Pierre Lescot et ses toitures à la française, dont les successeurs de cet habile homme avaient habilement suivi le dessin. Perrault imagina, pour se tirer d’affaire, de répéter, à la place de l’attique, l’ordre qui formait le premier étage. Aucune modification plus funeste n’apparaît dans l’histoire des vicissitudes du Louvre. Le second étage de Perrault détruit tout le système des proportions; il écrase de son poids la délicatesse des ordres inférieurs, et cette seconde édition d’une des parties les plus importantes de l’édifice, superposée immédiatement à la première, vient accroître à l’excès la monotonie, qui déjà résultait de la reproduction trop prolongée des façades de Pierre Lescot.»
F. DE GUILHERMY. (Ilinéraire archéologique de Paris.)
A peine la colonnade du Louvre était-elle achevée, que les goûts du roi ayant changé, on ne s’occupa pas du tout du palais sur lequel on avait tant rêvé.
«A la Cour, les châteaux se succédaient comme les maîtresses; c’était toujours pour le dernier venu qu’on se montrait le plus prodigue. La colonnade du Louvre n’avait pas atteint son architrave que Versailles en prenait la place dans la faveur royale. A partir de 1670, le budget du Louvre éprouva d’année en année des réductions plus sensibles. Les travaux cessèrent tout à fait en 1680. Devenus inutiles pour l’avenir, les dessins et les projets de Perrault furent déposés dans la bibliothèque particulière du cabinet du roi, où ils ont toujours été conservés depuis. Inachevé à l’extérieur, dépourvu de toitures dans une partie de son développement, composé de corps de logis immenses, la plupart sans voûtes, sans plafonds, sans escaliers, ce palais, qui était destiné à présenter l’image matérielle de la puissance du roi de France, passa, en peu d’années, à l’état d’une ruine misérable. Ce qui pouvait offrir un abri fut divisé en une foule de petits appartements, que le roi ou ses ministres concédaient à des artistes ou à des gens de lettres. Les trois ou quatre salles les plus spacieuses et les plus habitables servirent aux réunions des académies. Des échoppes s’adossèrent aux murailles. Des masures s’élevèrent au milieu de la cour. M. Vitet, dans son excellente étude sur le Louvre, a spirituellement comparé l’aspect intérieur de cet édifice, pendant près d’un siècle, à celui des arênes d’Arles ou de Nîmes, quand une population tout entière campait sur les gradins, sous les arceaux des galeries et jusque dans l’épaisseur des murailles. On prétendait alors que, pour achever le Louvre, le meilleur moyen eût été de le mettre à la disposition d’un des quatre ordres mendiants pour tenir ses chapitres et loger son général. Louis XV songea un instant à faire terminer les constructions tant de fois reprises et toujours abandonnées. Mais les travaux entrepris sous son règne se bornèrent à une restauration, très-urgente d’ailleurs, et surtout pour les parties les plus récentes; elle fut exécutée par Gabriel, et le palais consolidé se trouva en mesure d’attendre des jours meilleurs.»
Le Louvre au dix-neuvième siècle. — En créant le musée national, et en l’établissant dans le Louvre, la première République avait fait des changements assez importants dans la disposition intérieure des salles, mais elle n’avait pas sensiblement modifié l’ensemble du palais. Napoléon Ier avait à cœur de terminer ce vaste édifice qui présentait partout des parties inachevées. On voulut d’abord s’attaquer aux quatre grands corps de logis de la cour carrée qui constituent Le Louvre proprement dit.
«Là, dit M. Ferdinand de Lasteyrie, se présentait une grave question. Comment construire la partie supérieure de ces quatre façades, dont une portion était déjà terminée en attique, selon le plan de Lescot, tandis qu’une autre, plus moderne, était couronnée par un troisième ordre? Voulant régulariser le tout, quel modèle préférer? Une commission spéciale fut chargée d’examiner la question, et l’avis presque unanime de cette commission fut que l’attique de Pierre Lescot devait prévaloir. Mais l’empereur ne partagea point cette opinion, et naturellement l’avis du maître prévalut. La seule concession faite au plan primitif fut que rien ne serait changé aux deux premiers corps de bâtiments qui flanquent le pavillon de l’Horloge. Les trois autres côtés de la cour et la façade méridionale furent donc achevés tels qu’on les voit aujourd’hui, avec un troisième ordre couronné de balustrade et sans toit apparent.
» Napoléon eût voulu également compléter la réunion du Louvre aux Tuileries par la construction d’une seconde galerie parallèle, ou à peu près, à la galerie construite par Henri IV. Le temps lui manqua; d’autres entreprises, encore plus vastes et beaucoup moins pacifiques, absorbèrent bientôt son attention et toutes ses ressources. Il ne put qu’amorcer ce grand travail par les deux bouts: — d’une part, en prolongeant de quelques travées l’aile des Tuileries attenante aux pavillon Marsan; — d’autre part, en érigeant à neuf, à l’angle nord-ouest du Louvre, un pavillon, dit le pavillon Beauvois, où devait être la chapelle. Encore ce dernier bâtiment, aujourd’hui démoli, ne fut-il ni couvert ni même achevé.»
La Restauration ne fit absolument rien pour le Louvre; sous Louis-Philippe on parlait continuellement de l’achever, mais la liste civile, qui avait la jouissance des palais et l’Etat qui en avait la propriété, reculèrent également devant la dépense. En somme on laissa l’édifice dans un état de délabrement que ceux qui l’ont vu peuvent seuls se figurer. La galerie d’Apollon menaçait ruine et on la traversait sur un mauvais corridor en planches: l’exposition de peinture masquait pendant la moitié de l’année les chefs-d’œuvre contenus dans le musée, et une longue galerie de bois, annexée à la grande galerie qu’elle touchait dans toute sa longueur, faisait naître des craintes incessantes d’incendie.
La République de 1848 mit heureusement fin à ce déplorable état de choses. Dès le 28 février, un décret du gouvernement provisoire ordonnait l’achèvement du Louvre, et quelques jours après la galerie de bois disparaissait et avec elle le danger d’incendie. L’Assemblée constituante vota un crédit spécial pour les restaurations nécessaires dans la galerie d’Apollon, restauration qui fut exécutée avec un rare talent par M. Duban; enfin elle régularisa le décret du 28 février, en ordonnant l’expropriation immédiate de toutes les masures qui encombraient le Carrousel et se prolongeaient jusqu’au Louvre, dont l’achèvement fut irrévocablement résolu, mais ne fut définitif que sous Napoléon III.
Les bâtiments élevés sous Napoléon III ont été l’objet d’appréciations très-diverses, et la critique s’est montrée quelquefois sévère à ce sujet. Voici comment ils sont jugés par un homme compétent, M. Ferdinand de Lasteyrie:
«Au règne de Napoléon III devait appartenir l’avantage d’accomplir l’œuvre décrétée en principe par le gouvernement républicain.
» Un architecte de génie n’eût pas été de trop pour sa réalisation. Visconti n’avait que du talent. Il en déploya beaucoup dans les détails de l’édifice; mais ces charmants détails ne rachètent pas suffisamment les défauts graves de la conception. Et d’abord, ayant pris pour centre de son projet la façade extérieure du vieux Louvre, qui, dans le principe, en formait les derrières, partie par conséquent moins ornée que le reste, le nouvel architecte du Louvre se trouva forcément amené, dans les constructions neuves, à surcharger cette donnée trop simple d’une foule d’ornements plus ou moins parasites; — et cela contrairement au principe qui veut que le point central de l’édifice soit plus richement décoré que ses accessoires. Même faute pour les pavillons. Voulant à tout prix faire du grand, Visconti ne sut, malheureusement, trouver la grandeur que dans la masse. Son point de départ se perd entre quatre énormes pavillons encadrant des corps de logis immenses, qui tous écrasent le vieux Louvre, surplombent la grande galerie et rapetissent ridiculement le château des Tuileries. Quant à l’arc de triomphe du Carrousel, à peine lui laissent-ils l’importance que peut avoir une pendule dans la décoration d’un salon. Et puis, que dire de ces quatre cours latérales que le public ne voit jamais... ni le soleil non plus, humides enclos hors de toute proportion avec l’élévation des bâtiments?
» La mort de Visconti a fait la fortune d’un architecte jusque-là peu connu, M. Lefuel, qu’il s’était adjoint dans la direction des travaux, et qui, depuis lors, a eu l’honneur d’être seul chargé de les achever. Ce ne serait pas chose aisée aujourd’hui que de bien discerner la part d’éloge ou de blâme revenant à chacun d’eux. Les fautes proviennent la plupart de la conception primitive, du plan adopté. Mais il y a aussi beaucoup à louer dans les détails, beaucoup à admirer surtout dans l’exécution. C’était, par exemple, une heureuse idée que cette longue suite d’arcades surmontées de terrasses qui règne sur toute la façade Intérieure des nouveaux bâtiments. En même temps qu’elles donnaient un peu de légèreté, de pittoresque et de saillie à ces constructions d’ailleurs si-massives, les promeneurs, les passants, fort nombreux en Cet endroit, se réjouissaient d’avance d’y trouver un précieux abri contre la pluie ou le soleil. On a eu malheureusement l’inexplicable idée de les fermer au public.»
Ce portique percé d’arcades cintrées est décoré d’un ordre corinthien qui supporte un stylobate continu; les tympans des arcades sont ornés de feuillages sculptés et la frise est richement décorée. Une corniche saillante forme le bord de la terrasse au-dessus des portiques. Cette terrasse est décorée de statues représentant les personnages qui se sont illustrés dans les arts, les lettres et les sciences. En partant du pavillon Sully, dans l’ancien Louvre, elles sont placées dans l’ordre suivant:
Dans les pavillons centraux, le rez-de-chaussée et le premier étage sont ornés chacun d’un double rang de colonnes corinthiennes accouplées. Celles du milieu supportent des groupes colossaux entre lesquels est placé un écusson supporté par des figures symboliques. Le second étage, imité du pavillon de l’Horloge, dans la cour du Louvre, est percé trois baies à plein cintre entre lesquelles se groupent deux à deux de grandes cariatides. Un fronton richement sculpté et un dôme à quatre pans couronnent le toit des pavillons.
Les sculptures qui décorent le nouveau Louvre sont de MM. Duret, Barye, Guillaume, Cavelier, Simart, Dumont, Jouffroy, etc.
On pourrait croire que l’énorme agrandissement du palais répondait à une augmentation équivalente dans l’emplacement réservé aux collections, pour lesquelles l’ancien local était depuis longtemps insuffisant. Il n’en a rien été : le musée a, il est vrai, gagné quelques salles, mais il en a perdu d’autres, et la grande galerie a été rognée de moitié. La politique et les bureaux ont envahi tout le reste.