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Dans la nuit

Renaître…moi ?

La lune éclaire les rues désertes d’une pâle mais encore trop puissante clarté. L’homme avance prudemment pour éviter de croiser quelqu’un. La vie dans la grande ville lui a appris à se méfier de la solitude et des ombres. Mais son impatience l’emporte sur ses craintes. Il préfère l’incertitude de l’obscurité au risque d’être découvert en compagnie de celui qu’il va rencontrer cette nuit-là.

La conduite d’un curieux étranger pendant la fête de Pâque l’a bouleversé. Il s’agit de l’homme que Jean-Baptiste appelle « le Messie ». Il veut absolument en savoir davantage (voir l’évangile de Jean 2 : 13-22)... Au cours de sa quête spirituelle, il a rencontré bien des maîtres, mais aucun qui soit comparable à Jésus de Nazareth.

Son style le déconcerte. Il ne laisse apparaître ni l’empreinte d’une école, ni les traits d’une secte, ni les consignes d’aucun parti. Il n’a jamais connu de personnalité aussi puissante, aussi indépendante, animée d’une telle force de conviction. Exposés par lui, les thèmes même les plus difficiles deviennent évidents. D’où tire-t-il ces ressources si efficaces et si simples à la fois.? En tant que professionnel, il est intrigué par le secret de sa technique ». Mais par-dessus tout, c’est son rayonnement spirituel qui l’attire le plus. Comparés à lui, tous les maîtres qu’il connaît lui semblent incompétents.

Brillant élève des écoles rabbiniques, Nicodème a étudié longtemps pour se préparer à la fonction de docteur de la loi. Parvenu au sommet du puissant groupe des pharisiens, devenu membre du grand conseil des chefs de la nation, il peut difficilement aspirer à une ascension plus flatteuse.

Cependant, sa position ne lui a pas apporté la satisfaction escomptée. Il se tient pour un intellectuel ouvert. Le nom qu’il porte - « la victoire pour le peuple » - révèle déjà ses inquiétudes et les tendances de sa formation. Néanmoins quelque chose dans sa vie lui demeure obscure. C’est comme s’il lui manquait une dimension. Mais il ne peut s’ouvrir de ses sentiments à quasiment personne.

Mécontent des options prises par les dirigeants d’Israël, il ressent le malaise de sa situation et de celle de son peuple. Il croit deviner en Jésus l’étoffe du réformateur dont le pays a besoin. Cet homme lui semble posséder les qualités auxquelles il aspire lui-même pour se réaliser pleinement en tant que chef et en tant qu’individu. Il veut en savoir plus sur lui et sur ses intentions.

Mais il est très compromettant de s’en approcher ; Nicodème y risque sa réputation. Le nouveau maître n’a pas été bien reçu dans les hautes sphères du pouvoir. Il vaut mieux pour l’instant ne pas se montrer en sa compagnie.

Arrivé au lieu du rendez-vous, il abandonne toutes ses appréhensions. À l’instant, il se trouve plongé dans une atmosphère de confiance absolue. Il se sent obligé de reconnaître qu’en marge et au-dessus du doctorat officiel, il existe une qualification supérieure qui le pousse à saluer le charpentier de Nazareth du titre de rabbi.

Pour éviter que l’entrevue ne prenne dès le départ un caractère trop personnel, il décide d’aborder le sujet délicat qui l’amène jusqu’à lui au nom du groupe qui partage ses idées et qui considère avec sympathie l’œuvre du Galiléen (Jean 2 : 23).

Nicodème ne sait comment engager le dialogue ; l’action entreprise par Jésus contre le trafic du temple n’est pas l’œuvre d’un agitateur. Aucun homme politique n’aurait osé en faire autant. Sa dénonciation est celle d’un envoyé de Dieu ; mais en quelle qualité au juste ?

« Maître, nous savons que tu viens de la part de Dieu, car personne ne peut faire ce que tu fais si Dieu n’est pas avec lui. » (Jean 3 : 2)

Cet hommage de la part de l’un des principaux personnages de Jérusalem ne semble pas flatter particulièrement Jésus. Au lieu de déployer toutes sortes d’égards pour s’attacher un adepte aussi éminent, comme l’aurait fait le fondateur d’une nouvelle école, il se limite à réveiller sa conscience. Puisque Nicodème se présente à lui comme un disciple, il se comporte comme un maître. Et sa première leçon ne sera pas celle que réclame l’élève, mais celle dont il a besoin.

Le problème de Nicodème affleure déjà dans son « nous savons ». Il est plein d’assurance à propos de sa culture religieuse, mais il sait moins que ce qu’il croit savoir. Il est venu voir Jésus parce qu’il attend l’arrivée du Messie, et avec lui la libération d’Israël. Mais il pense que cet ordre nouveau dépend tout de même de l’action humaine, et il voudrait savoir comment hâter sa naissance. Allant au devant de ses idées de pharisien, Jésus lui déclare sans préambule :

« Si tu veux vraiment voir le royaume de Dieu, tu dois naître de nouveau. Pour que ton univers change, c’est toi qui dois commencer par changer ! » (Jean 3 : 3)

Nicodème est déconcerté. La nécessité d’un grand changement pour transformer le monde lui paraît évidente. Ce qu’il désire précisément, c’est une vaste réforme. Mais il ne perçoit aucun lien entre la rénovation désirée et une modification de sa propre manière d’être. Recommencer, naître d’en haut : que veut donc dire· le mystérieux docteur ?

L’idée de renaître le choque. Une transformation radicale de sa part lui semble non seulement impossible, mais superflue. De ce Nicodème honnête, sincère, pieux, respecté, dont tous apprécient les mérites, on ne peut donc rien garder ? S’il comprend bien Jésus, il doit remettre en cause même les critères qu’il juge les moins soumis à caution : ses convictions religieuses. Cela signifie-t-il que la pratique (même aussi fidèle que la sienne) de sa religion ne suffit pas à le faire entrer dans le « royaume de Dieu » ?

En tant que pharisien, Nicodème pense que le salut de l’homme dépend de ses efforts pour respecter les préceptes divins. Affirmer qu’il n’est pas en état d’entrer dans le royaume de Dieu, alors qu’il croyait déjà y être, qu’il a besoin d’une existence complètement nouvelle et non seulement de nouvelles pratiques ; enfin, qu’il se trouve à un stade spirituel embryonnaire, alors qu’il s’imaginait avoir déjà atteint une maturité respectable, tout cela n’est-il pas excessif ?

En plus, est-il sérieusement possible de rompre avec la totalité de son passé et de s’engager sur une voie nouvelle.? Peut-il devenir une personne autre, avec une autre vie, d’autres idéaux, d’autres buts, vraiment supérieurs à ceux qu’il a déjà ?

La proposition de Jésus lui paraît utopique. Tout être est le produit de son passé. Dans une large mesure, nous sommes déterminés par une atmosphère familiale et sociale, des circonstances et des expériences uniques qui ne se répéteront pas. Personne ne peut faire abstraction de son histoire, ni prétendre se réaliser en rompant avec tout et en recommençant à zéro.

Mais Jésus insiste. « Même l’hérédité, le milieu et l’éducation religieuse les plus favorables ne nous garantissent pas l’entrée dans le “royaume de Dieu“. Entrer dans cette sphère de réalité supérieure signifie, en effet, tout simplement décider que Dieu règne pleinement en nous »,

Et nous sommes si loin de le lui permettre qu’y accéder signifie réellement « naître de nouveau ».

Naître d’en haut, c’est commencer à vivre pleinement, parce qu’en tant qu’êtres humains, nous ne naissons pas totalement vivants. Dès que nous accédons à la vie, nous sommes déjà marqués par la finitude, nous portons en nous des germes de mort. Naître d’en haut, c’est briser cet épais carcan dans lequel nous nous sommes enfermés, qui nous fait croire que le monde qui nous entoure est la seule réalité. Naître d’en haut c’est ouvrir les yeux sur la lumière d’une autre existence, plus vraie. C’est atteindre la plénitude humaine en retrouvant la dimension spirituelle que nous avions perdue et découvrir ainsi qu’avec Dieu, les limites même de notre vie peuvent être transcendées.

Le bons sens de Nicodème vacille devant ce qu’il comprend à peine. Mais il lui coûte de reconnaître sa perplexité et de renoncer à ses conceptions. L’éclaircissement qu’il demande est teinté à la fois d’ingénuité et d’ironie :

« Comment un homme peut-il naître quand il est déjà vieux ? »

Vieux, l’était-il ? Où considérait-il que, bien qu’il ne le soit pas vraiment, il était trop tard pour recommencer ?

Cette objection ne manifeste pas nécessairement sa maladresse ni sa mauvaise volonté. Elle émane de quelqu’un qui sent bien qu’il est entraîné sur un terrain où il ne lui est pas simple d’avancer.

Il n’arrive pas à comprendre, à partir de ses points de référence, comment Dieu peut changer l’homme en respectant sa liberté. Jésus continue :

« L’idée de renaître est moins absurde que celle de tenter de gagner son salut par ses propres forces. Le succès de l’homme est plus certain si, au lieu d’édifier sa vie à partir de ses idéaux et de ses ressources humaines, il la réalise à partir de l’idéal et de la force de Dieu. Car Dieu n’exige de l’homme rien d’impossible : la nouvelle naissance ne lui est pas demandée, mais offerte. Personne en effet ne peut se donner naissance. Pour naître, on dépend toujours de quelqu’un d’autre. L’expérience de la nouvelle naissance s’apparente à l’accouchement physique, jusque dans le fait qu’elle se produit rarement sans douleur. »

En réalité, il n’existe pas de véritable « self made man ».

L’homme est incapable de se reconstruire sans aide extérieure. Repartir de zéro dépasse ses possibilités. Pour entreprendre une vie réellement nouvelle, il doit d’abord prendre conscience qu’il a besoin d’aide.

Face à la perplexité de Nicodème, Jésus reformule la même idée dans d’autres termes : « Il s’agit de “naître d’eau et d’esprit“. »

Pour un docteur en Écritures saintes, la mention de ces éléments primordiaux (en hébreu le même mot désigne l’air, le vent, le souffle vital et l’esprit) était une allusion claire aux principes de la création. La nouvelle naissance est une nouvelle création. Il ne s’agit donc pas d’un acte humain, mais divin.

En l’homme coexistent deux niveaux d’être : l’un « charnel », l’autre « spirituel ». Ils transmettent chacun la vie qu’ils possèdent. La chair transmet la faible condition humaine ; l’esprit, les possibilités de Dieu. Les aspirations humaines se maintiennent généralement, même avec la meilleure volonté, au niveau du bien-être économique, des satisfactions familiales ou du prestige personnel. En restant à ce niveau, personne ne parvient à réaliser le projet total que Dieu a conçu pour l’homme. Celui-ci ne peut dépasser seul la faiblesse inhérente à sa nature déchue. « Ce qui est né de la chair est chair, et ce qui est né de l’Esprit est esprit. » Pour transcender son impuissance spirituelle, il lui faut la puissance divine. « La nouvelle naissance que je te propose suppose l’entrée dans une réalité nouvelle, dont le centre réside en Dieu et non plus en l’homme. C’est passer d’une vie humaine limitée et renfermée sur elle-même à une vie libre et ouverte à toutes les possibilités de l’Esprit. C’est passer d’une existence centrée sur l’homme (anthropocentrique) à une existence centrée sur Dieu (théocentrique). C’est passer d’une réalité condamnée à la mort à une réalité qui conduit à la vie. »

Surpris par ce langage, Nicodème se demande comment ce changement est possible.

Non sans une pointe d’ironie, Jésus l’amène à entrevoir que la notion de vie nouvelle est à chercher en dehors des limites de sa propre formation :

« Tu es professeur de théologie et tu ne le sais pas ? » Nicodème a de grandes connaissances. La religion est sa spécialité. Dans ce monde d’argumentations théologiques, il se distingue par son érudition. Mais une notion élémentaire lui manque encore : il n’a pas compris que la vie spirituelle ne dépend pas de ses connaissances sur Dieu, mais de ses relations avec lui. Il n’a pas encore découvert que l’on peut obtenir la distinction suprême de docteur en Écritures saintes sans connaître, dans l’expérience, L’Être suprême.

« Ne t’étonne pas, poursuit Jésus, si je te parle avec insistance de naître de nouveau sans espérer que tu me comprennes parfaitement. Il en est de l’action de l’Esprit comme de celle du vent : on constate ses effets sans qu’il soit nécessaire de comprendre les mécanismes de son fonctionnement. »

En renaissant spirituellement, des violents se convertissent en apôtres de la paix. Des êtres paralysés par la haine se révèlent capables de pardonner et d’aimer. Des êtres égoïstes s’engagent dans les entreprises les plus généreuses... Peu importe que l’on ne sache pas expliquer le processus de la régénération. Ce qui importe, c’est qu’il se produise. Et pour cela, l’effort de notre volonté ne suffit pas. Il faut l’action puissante de la grâce. On ne peut pas préciser de quelle façon elle surgit, mais à un moment donné, elle fait irruption dans notre vie et la transforme. La nouvelle naissance ne se prouve pas, elle s’éprouve. Et non une fois pour toutes, mais chaque jour. (1 Corinthiens 15 : 31 ; 2 Corinthiens 4 : 16)

Nicodème finit par constater combien sa connaissance de Dieu est limitée. Il a essayé de comprendre Dieu à partir de ses références, mais la créativité divine ne se laisse enfermer dans le cadre d’aucune théologie. La faille ne réside cependant pas dans ses sources, mais dans leur interprétation. Tout l’Ancien Testament est une immense démonstration des initiatives incroyables de l’amour divin. Mais de même qu’il est difficile au matérialiste de concevoir des réalités autres que les réalités matérielles, de même le légaliste ne conçoit pas de relations avec Dieu en dehors des limites de ses propres conceptions. Nicodème demeure donc perplexe.

Au cours de ce dialogue tendu, le pharisien reste en deçà du cœur à cœur proposé et se limite à poser des questions qui trahissent son trouble.

« Comment cela peut-il se faire ? »

Ce sont ses dernières paroles. Ensuite, Nicodème reste silencieux et écoute sans l’interrompre le singulier confident qui partage avec lui l’assurance de ses convictions (Jean 3 : 9,10) :

« Nous parlons de ce que nous savons. »

Le savoir de Nicodème est fondé sur des traditions et des théories. Le savoir de Jésus repose sur l’expérience. Le pharisien connaît la lettre de l’Écriture. Jésus en réalise l’esprit. Le docteur cherche encore la lumière que de simples villageois de Galilée sont déjà en train de propager...

Et cette lumière transcende les vieux schémas de ses espérances messianiques. Il attendait un Messie qui règnerait sur Israël. Mais Dieu a prévu de régner sur l’humanité entière. Son envoyé sera le roi de tous ceux qui veulent la vie sans fin, dans le royaume de l’amour sans frontières.

« Dieu, en effet, a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse pas, mais qu’il ait la vie éternelle. » (Jean 3 : 16)

Si Dieu aime sans limites et désire notre bonheur sans restrictions, son intention première en envoyant le Messie n’est pas de juger le monde, comme le pensait le groupe des amis de Nicodème. Le jugement sera la conséquence ultime de la liberté humaine. La mission du Fils est d’amener à la vie, maintenant et toujours. Il ne s’agit pas de détruire

les uns et de sauver les autres, mais de rendre l’espérance à tous.

Et comme Dieu ne désire pas des sujets contraints mais des êtres

libres, il n’imposera pas son royaume par la force brutale des armes mais par celle contraignante de l’amour.

L’homme, blessé à mort dans les profondeurs de son être, accédera à la vie nouvelle comme un patient que l’on guérit d’une blessure mortelle.

« Comme Moïse a élevé le serpent dans le désert, il faut que le Fils de l’homme soit élevé afin que quiconque croit, ait en lui la vie éternelle. » (Jean 3 : 14)

Jésus répond finalement à la grande question que Nicodème ne parvient pas à formuler : « Que faire pour atteindre cette vie nouvelle ? Comment naître de nouveau ? »

En nous séparant de Dieu, la seule source de vie, nous nous sommes condamnés à mort. Notre seule possibilité de survie est de relier notre finitude à l’éternité. Voilà la vérité. Nous ne pouvons voir la lumière que par l’intervention d’en haut : en elle seule réside notre salut. Notre destin humain dépend de notre acceptation de la grâce divine.

« Celui qui recherche la vérité s’approche de la lumière»... »

Nicodème s’éloigne, tandis que ces paroles d’espérance résonnent encore à ses oreilles. Il a trouvé plus qu’un maître. Cependant, même s’il a été marqué pour toujours par son message déconcertant, il lui faudra du temps encore avant de répondre à son appel. Il existe des naissances spirituelles rapides, simples et des gestations incroyablement longues, laborieuses...

Nicodème est le disciple de la nuit, le partisan de l’ombre. L’intellectuel tourmenté qui hésite, non par manque de conviction, mais par manque de courage. L’homme du « qu’en dira-t-on » et de la prudence, de la méfiance. Celui qui a peur de s’engager, car il sait combien il est difficile de ramer contre le courant, qui désire renaître, mais qui a du mal à abandonner la carapace fossilisée de son ancien moi. Celui qui admire Jésus, mais n’ose pas se prononcer pour lui et court jusqu’au bout le risque de ne pas se dégager du groupe des tièdes, que Dieu vomit de sa bouche.

Il a eu cette nuit-là la possibilité de devenir un homme nouveau au service de l’Évangile, mais il continuera à servir l’ancienne loi comme simple juriste.

Ce n’est que lorsque le haut clergé décidera d’en finir avec le prédicateur révolutionnaire que Nicodème se risquera à prendre sa défense. Et, trois ans plus tard, quand ce disciple de la dernière heure finira par ne plus pouvoir résister à sa conscience et se décidera à prendre publiquement position en faveur de Jésus, celui-ci aura déjà été crucifié.

La lumière entrevue au cours de sa rencontre secrète illuminera la croix du Calvaire et lui rappellera la référence énigmatique au bois dressé entre la terre et le ciel pour le salut des hommes. Alors, cette illumination l’incitera à prendre le parti du Crucifié, à l’heure où ses propres disciples fuiront, incrédules et atterrés. Défiant les chefs et les collègues qu’il avait toujours craints, Nicodème leur demandera de se charger du corps de Jésus et, en ultime hommage à celui qu’il n’avait suivi que de loin, il couvrira de baume les plaies qu’il avait contribué lui aussi à ouvrir par sa propre lâcheté... Enfin, il osera naître à cette vie nouvelle à laquelle il avait eu tant de mal à croire.

Rencontres Inoubliables

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