Читать книгу Vers leipogrammes et autres oeuvres en poésie de S. C. S. D. R - Salomon Certon - Страница 6
LEIPOGRAMMES.
VOYAGE.
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Ieu des chemins Cyllenien Mercure
Qui tout le jour sur le ciel sers les Dieux,
Et toute nuict touches és tristes lieux
Les froids esprits despoüilles de mort dure,
Pren, je te pry, de ces vers quelque cure
Que tout le temps que sous les courbez cieux
Me pren chemin, que j’erre soucieux,
Je te depeins de diverse figure.
Les esprits n’ont mesprisé mon veiller,
Et d’une nuict ne m’ont veu sommeiller: :
Pour Neptune est mon onde designee;
Or doit de toy, si tu luy es benin,
Bon conducteur de telle destinee,
Prendre son heur mon entrepris chemin.
B
Pastres naurez, Pastorelles blessees,
Je veux marcher, car le jour est venu:
Sus, devant moy jettez menu menu,
Fleurs, roses, lys, lavandes et pensees.
Force chansons: Que vos voix soient haussees
Sur mon chemin,&me soit maintenu
Ce train gaillard, jusques au soir chenu,
Et du Soleil les carieres lassees,
Lors taisez-vous, car il faut reposer.
Mais qui seroit si hardy que d’oser
S’armer veillant contre le morne somme?
Il me souvient du contrast qu’une nuict
J’eu contre luy voulant veiller, comme
Le lendemain mon œil s’en repentit
C
Qui va lasser trop superstitieux
Ses pieds poudreux d’un long pelerinage,
Qui se hazarde au danger d’un voyage
Pour des thresors qui ne valent pas mieux:
Qui grand vanteur visitera maints lieux
Pour s’enbraver et valoir davantage;
Qui plein de sang, et guerre,&d’outrage
Au loin ira tout remplir de ses feux:
Or quant à moy, la superstition,
Le gain, la gloire, et moins l’ambition
e suyure Mars, ne m’induit, ne me meine.
Tant seulemeut le desir, qui jadis
Fit voyager Homere et tous les fils
Du Delien, aujourd’huy me promeine
D
Hier au soir sous leur vilaine bouë
Ne firent rien les paisans Lyciens
Que me fascher, plus importuns que chiens,
En mon sommeil par leur bourbeuse mouë:
Prophetes seurs pour l’aube qui se jouë
Et claire et nette ez lieux olympiens,
Car en son ris et poils ambrosiens
Sur mon chemin seraine elle se rouë.
Gente maistresse au grisastre Tithon
Amene-moy le pere à Phaëton
Autant serain que jaunastre est ta tresse
Ainsi au soir retournant en ton lict,
Le puisses-tu, tant longue soit la nuict,
Trouver remis en sa verte jeunesse.
E
SAns ton rayon la nuict au loing chassant,
Ardant Tithon, qui chaud adoucissoit
Son matin frais, ton los qui saisissoit
Mon luth pançu succomboit impuissant:
Car son frimas sur ma main amassant
Un froid cuisant, quand mon doigt surpinçoit
Son doux boyau, qui ton los prononçoit
Nous fit faillir un matin transissant.
Mais tout à coup ton rayon nous a fait
Du chaud hastifiouïr tout à souhait,
Donnant ma main à son plaisir obmis,
Mon doigt au luth confus auparavant.
Ma voix au chant qui la va poursuivant,
Mon pas au train à mon travail promis.
F
Rossignolet, qui sous les pleurs d’Aurore
Vas degoisant tes regrets douloureux,
Sens-tu tousiours de ton fort rigoureux
Le desplaisir qui ton ame devore?
Si tu le sens,&tu te plainds encore
Au souvenir de ce tort malheureux,
Je te supply, lamentons-nous tous deux
Sous ce laurier, qui ce jardin decore.
Tu te plaindras de ton honneur osté,
Je pleureray ma douce liberté:
Tu blasmeras l’iniure violente
De ton tyran je gemiray du tort
Que je reçoy d’un bel œil qui me tente
Si doucement, qu’il me meine à la mort,
G
DEtant de pleurs ces prez raicunissans
Ne moüillent point leur verte couverture,
Que de travaux en ce chemin t’en dure
Pour deux beaux yeux mes yeux esbloüissans.
De tant de vents ces tourbillons croissans,
N’ont point soufflé ceste forest obscure,
Que de souspirs pour une absence dure,
Sont aujourd’huy de mes poulmons issans.
Helas! deceu j’avois quelque esperance,
Pensant, pensant en fuyant sa presence,
Que je fuirois quant&quant sa prison.
Mats à mon mal j’espreuve le contraire,
Sentant, tant plus je fuy pour m’en distraire,
Tant plus en moy s’embraser mon tisou.
H
LE beau pays, qui t’a, muse m’amie,
Donné renom, ores s’en va laissé:
Mais pour avoir tant de pays passé,
Ne sois pourtant lasse ny endormie.
Escoute un peu. Entens-tu bien que crie
Ce bergerot dans ce pré tapissé?
Il se complainct, ainsi que moy blessé
De la rigueur de sa douce ennemie.
Il est tout seul,&nul ne luy respond
Que l’entr’ouvert de ce caverneux fond,
A sa douleur ce luy semble allegeance.
Et qu’ay-je mieux? si ay, car j’ay au moins
Muse, ces vers qui me seront tesmoins
A l’advenir, de ma perseverance.
I
COurons, courons, reste race de verre
Me va, me va par trop espouventant:
Passons-la tost, Muse, Car on n’entend
Pas un seul mot de leur brusque tonnerre.
Ces grands carrous me font par trop la guerre,
Tout leur esbat est d’avaler d’autant:
Les refuser, est presque tout autant
Que ravager l’alteré de leur terre.
Sont bonnes gens, bon leur gouvernement,
Bon leur estat, on ne peut bonnement
Que les loüer, leur façon est fort bonne:
Braves soldats, en la guerre tres-bons:
Sucçans enfans le teton de Bellone;
Et hommes grands, les pots&les flascons.
K
VIença berger, reste bergere belle
Est-ce ta sœur, ou si c’est autrement?
(Il n’entend pas.) Son gentil instrument
S’accorde-il avec ta chalumelle?
Mais, par ta foy, te plais-tu avec elle,
Elle avec toy? vien-ça, dy moy comment
L’heur t’en voulut, lors que premierement
Elle se fit ta compagne fidelle?
Et puis, où fut-ce? Et y a-il long temps?
Et du depuis les gentils passetemps
Des amoureux ont-ils tenté vostre ame?
Il n’entend pas. Va, que tu es heureux,
Pleust au destin que j’eusse icy ma dame,
Pour achever ainsi nos jours tous deux.
L
C’Est bien monté. Ceste sente bizerre
Nous menera, que je croy, jusqu’aux Dieux.
Nous pourrions bien par trop audacieux
Sur nostre teste une infortune acquerre.
Non, Jupiter, ce n’est pour faire guerre
A ton Empire et siege spatieux,
Comme faisoient ces sots, qui de tes cieux
Dessus leur chef tirerent ton tonnerre.
Encore un peu, bien tost nous atteindrons
Ceste cassine, et puis nous descendrons
Continuans nostre entrepris voyage.
Nous y voicy. Or pere Jupiter,
En descendant aussi bien qu’au monter,
Jette sur nous ton gratieux visage.
M
GEnte Progné, qui d’une aiste legere
Coupes le plain de cest air spatieux.
Ne sçais-tu point le lieu où sont les yeux
D’une beauté que j’adore&revere?
Passe au dessus de ceste gent austere,
Qu’on n’entend point; va t’en jusques au creux
Du lict d’où sort le Rosne furieux.
Suy bien ce fleuve&sa viste carriere.
Passe Lyon,&t’en va jusques là,
Où d’autres fois Petrarque distilla
Pour sa Laura le sucre de sa veine.
Le pont passé tost tu la trouveras:
Quel bon recueil, lors que tu luy diras
De son desir nouvelle si soudaine.
N
QUi voudroit voir le pourtraict de la belle
me maistrise, il faudroit voir cela,
Que ce zephir souffle par cy par la,
Pour parer mieux Flora sa plus fidelle.
Cest arbre droit a pris sa taille d’elle;
Voyez ces lys, c’est la couleur qu’elle a:
Ce Philomel, lors qu’elle me parla,
Apprit la voix qui sa bouche emmielle:
Elle a baillé à ces fleurs leur odeur,
Et ce pré vert imita la couleur
Quelle voulut que ce jour je portasse.
Phœbe à ses yeux alluma ses flambeaux,
Et ce lierre accola ses rameaux,
lors qu’elle dit qu’heureux je la baisasse.
O
Las! je ne sçay si durant ceste absence
Quelque autre prend le bien qui me retient,
Vivant ça bas, bien qui seul m’appartient
Digne salaire à ma perseverance.
Certes nenny. Si legere inclemence
Ne git au cœur de celle qui me tient
De celle-la qui vivant me maintient
Heureux du feu que sa beauté m’eslance.
Mais de laisser celuy qui m’a laissé,
N’est-ce bien fait? Et qui m’a dispensé
De m’absenter ainsi de sa presence?
J’ay tres-mal fait. Mais, Maistresse, mercy,
Partes beaux yeux. Les Dieux prennent ainsi
Pitié de ceux qu’abbat la repentance.
P
J’Estois lassé sous un arbre estendu,
Ne songeant rien, Florine, qu’en ta grace;
Le sommeil vient, met sa main sur ma face:
Tout aussi tost j’ay ton ris entendu.
Hé, que de roye et de bien m’a rendu
Ce doux esclat. Je m’esueille, j’embrrasse
Autour de moy: mais je devins tout glace,
Ne trouvant rien de mon bien attendu.
Je cherche en vain, en vain je me tourmente,
En vain en l’air je m’escrie et lamente,
Rien qu’une Echo ne redonne ma voix.
Helas, mon bien n’est donc rien que mensonge!
Helas, mon heur ne me vient donc qu’en songe!
En rien aussi desormais je m’en vais.
Q
Pour avoir veu la pierreuse Savoye,
Et le Suisse en ces monts suspendu;
Pour avoir veu le Grison morfondu.
Et d’où le Rhin ses ondes nous envoye:
Pour avoir veu l’Italie, l’eau gaye
De l’Eridan dessus elle estendu;
Et le marais, où lon a deffendu
Aux chariots de Venise la voye:
Pour avoir veu l’Alleman carrousseur,
Ramer dessus son Danube malheur,
Passé Boheme, Hongrie, et Moravie,
Je n’en suis point pourtant plus satisfaict
Si la beauté, d’où prend vie ma vie,
Ne se souvient de mon amour parfaict.
R
Je l’avoy’ dit, amy, je le confesse,
Et le devoy: mais j’ay esté deceu.
Je le pensoy’, mais qui, que Dieu, asçeu
L’evenement du demain qui nous laisse?
Je le devoy’, le lien qui sans cesse
Me va collant au bien que m’as voulu
Le demandoit: mais, las! je ne l’ay peu?
A ce seul coup sur moy ta plume cesse.
Las! c’est bien peu si ce n’estoit qu’à toy.
J’ay bien failly plus meschamment de soy,
J’en paye aussi la devë penitence.
Si que jamais ny le chemin joyeux,
Ny la beauté de tant de plaisans lieux
N’ont mes ennuys soulagez d’allegeance.
S
Cœur de venin, œil qu’a forgé l’envie,
Langue de chienne à mon mal abbayant,
Bec contre moy ton fiel noir degorgeant,
Ce mien depart ta rage a-il remplie.
Je croy que non. Car tant que j’auray vie
Ton cœur d’enfer n’aura contentement.
Hé, que ta dent mangeroit doucement
De mon cœur vif une bonne partie!
Hé! ne crain point, me voila loing de toy,
Cela devroit te contenter, je croy,
Et mitiger quelque peu ton courage.
Ha! je me trompe, et ton cœur inhumain
Contre ma belle attaquee en ta rage
Aigrit encor’ le fiel de ton venin.
T
PAr mon chemin, ou que la pluye espaisse
Moïülle sans fin, sans fin noye mon dos,
Ou qu’esgaré je me regarde enclos
Deçà de là d’un vallon qui se baisse
Ou de l’hyver, la rigueur, la rudesse
Gele mon sang, mes moëlles, mes os,
Lors que la bize au souffle bien dispos
Le nez, les yeux, les oreilles me fesse:
Ou bien qu’un fleuve à son ravineux cours,
Ou qu’un rocher domicile des ours
Offre à mes pas son passage effroyable:
J’ay mesprisé la pluye le val creux,
Le froid, les eaux le rocher dangereux
Au souvenir d’un visage aggreable.
V
SOrtez brebis, hors du toict brebiettes,
Il en est temps. Sortez, le matin frais
est passé, et le Soleil est prés.
Sortez, tondez ces tendrettes herbetes:
Faites enfler de thin ces mammelettes,
Rongez la robe à ce morne cyprès,
Ne perdez temps ny loisir, et après
Tendez le pis à ces blanches fillettes.
Car le berger le permet,&l’a dit,
Il le commande, elles ont ce credit:
Mais il en a trois baisers de salaire,
O de berger belle condition!
O de berger desirable ordinaire,
Passant des grands la folle ambition!
X
J’Erre bien loing pour fuyr la presence
D’une dont l’œil m’accompagne tousjours;
D’une, de qui les trop vittes amours
Ne meurent point pour une longue absence.
L’esloignement n’y a nulle puissance;
Ce ne sont rien que fantastics discours,
Sots avortons d’entendemens trop lourds,
Car le fuyr n’allege ma souffrance.
S’il estoit vray, n’ay-je assez cheminé,
Ne suis-je pas d’elle assez esloigné?
Or rebroussons maintenant nostre course.
Et puis qu’il faut que necessairement
Nous estanchions nostre altéré tourment.
Il est meilleur de le faire à la source.
Y
MUse, conseil; lequel il me faut prendre
Pour reposer. Le frais, l’ombre ou le vert
Que ce ruisseau, ce bois, ce pré ouvert
Me vent donner, me fournir, et m’estendre.
Son cours, son ombre et son herbage tendre
Est-il trop froid, trop noir, trop descouvert?
Parle bien tost, car la fraischeur se perd,
Le vert fannit, l’ombre ne veut attendre.
Mais quel besoin de reposer si pres,
Et pour si peu consulter, si le frais,
Si l’ombre, ou si la verdure m’est bonne
Vois-tu la ville où nous mettrons à fin,
Sans que ruisseau, ne bois, ne pré, nous donne
Lieu de repos, nostre entrepris chemins?
Z
CA, me voila au bout de ma carriere,
Et si fort haut Phœbus encor nous luit.
Cyllenien, pour m’avoir bien conduit
Comme j’en fy à ta bonté priere,
Je t’appen là bourdon et pannetiere,
Chapeau, manteau, et tout ce qui s’enfuit.
Corde&bouchon, le tout de cuir bien cuit,
Guestres, souliers, et ceinture&rapiere.
Le pelerin, qui les voudra porter
Pour son chemin, ne les puisse emporter
Sans devant toy premierement promettre,
Que de retour les remettant icy,
Pour s’acquit et il chantera aussi
A ton honneur un tout semblable metre.