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Lettre de M. Papin, Docteur en Théologie&Curé de Sainte Marie à Bourbonne.

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Table des matières

J’ignore, Madame, ce que M. le Subdélégué a pû vous conter d’Olivier&de Félix; ni quel intérêt vous pouvez prendre a deux brigands, dont tous les pas dans ce monde ont été trempés de sang. La Providence, qui a châtié l’un, a laissé à l’autre quelques momens de répit, dont je crains bien qu’il ne profite pas. Mais que la volonté de Dieu soit faite! Je sais qu’il y a des gens ici (&je ne serais point étonné que M. le Subdélégue fut de ce nombre) qui parlent de ces deux hommes comme de modelés d’une amitié rare. Mais qu’est-ce aux yeux de Dieu que la plus sublime vertu dénuée des sentimens de la piété, du respect dû à l’église&a ses ministres,&de la soumission à la loi du souverain? Olivier est mort à la porte de sa maison sans sacremens. Quand je fus appellé auprès de Félix chez les deux veuves, je n’en pus jamais tirer autre chose que le nom d’Olivier; aucun signe de religion, aucune marque de repentir. Je n’ai pas mémoire que celui-ci se soit présenté une fois au tribunal de la pénitence. La femme Olivier est une arrogante qui m’a manqué en plus d’une occasion: Sous prétexte qu’elle fait lire&écrire, elle se croit en état d’élever ses enfans;&on ne les voit ni aux écoles de la paroisse ni à mes instructions. Que Madame juge d’après cela. Si des gens de cette espéce sont bien dignes de ses bontés! L’Evangile ne cesse de nous recommander la commisération pour les pauvres; mais on double le mérite de sa charité par un bon choix des misérables,&personne ne connait mieux les vrais indigens que le Pasteur commun des indigens&des riches. Si Madame daignait m’honorer de sa confiance, je placerais peutêtre les marques de sa bienfaisance d’une maniére plus utile pour les malheureux&plus méritoire pour elle.

Je suis avec respect&c.

Madame de remercia M. le Subdélégué Aubert de son attention,&envoya ses aumônes à M. Papin avec le billet qui fuit.

» je vous suis très obligée, Monsieur, de vos sages conseils. je vous avoue que l’histoire de ces deux hommes m’avait touchée;&vous conviendrez que l’exemple d’une amitié aussi rare était bien fait pour séduire une ame honnête&sensible. Mais vous m’avez éclairée,&j’ai conçu qu’il valait mieux porter des secours à des vertus chrétiennes&malheureuses qu’à des vertus naturelles& païennes. Je vous prie d’accepter la somme modique que je vous envoye,&de la distribuer d’après une charité mieux entendue que la mienne.

„ J’ai l’honneur d’être&c.

On pense bien que la veuve Olivier&Félix n’eurent aucune part aux aumônes de Madame de *** Félix mourut;&la pauvre femme aurait péri de misere avec ses enfans, si elle ne s’était refugiée dans la forêt chez son fils ainé où elle travaille, malgré son grand âge,&subsiste comme elle peut, à côté de ses enfans&de ses petits enfans.

Et puis il y a trois sortes de conte.... Il y en a bien d’avantage, me direz vous.... A la bonne heure.... Mais je distingue le conte à la maniére d’Homere, de Virgile, du Tasse;&je l’appelle le conte merveilleux. La nature y est exagérée, la vérité y est hypothétique;&si le conteur a bien gardé le module qu’il a choisi, si tout répond à ce module&dans les actions&dans les discours, il a obtenu le degré de perfection que le genre de son ouvrage comportait,&vous n’avez rien de plus à lui demander. En entrant dans son poëme, vous mettez le pied dans une terre inconnue où rien ne se passe comme dans celle que vous habitez, mais où tout se fait en grand, comme les choses se sont autour de vous en petit.–Il y a le conte plaisant, à la façon de la Fontaine, de Vergier, de l’Arioste, de Hamilton; où le conteur ne se propose ni l’imitation de la nature, ni la vérité, ni l’illusion; il s’élance dans les espaces imaginaires. Dites à celui ci: Soyez gai, ingénieux, varié, original, même extravagant, j’y consens; mais séduisez moi par les détails; que le charme de la forme me dérobe toujours l’invraisemblance du fond;&si ce conteur fait ce que vous en exigez ici, il a tout fait.–Il y a enfin le conte historique, tel qu’il est écrit dans les nouvelles de Scaron, de Cervantes,&c.–Au Diable le conte&le conteur historiques! C’est un menteur plat& froid.–Oui, s’il ne fait pas son métier. Celui-ci se propose de vous tromper; il est assis au coin de votre âtre, il a pour objet la vérité rigoureuse; il veut être cru, il veut intéresser, toucher, entrainer, émouvoir, faire frissonner la peau&couler les larmes; effets qu’on n’obtient point sans éloquence&sans poésie. Mais l’éloquence est une forte de mensonge,&rien de plus contraire à l’illusion que la poésie; l’une&l’autre exagérent, surfont, amplifient, inspirent la méfiance: Comment s’y prendra donc ce conteur-ci pour vous tromper? Le voici. il parsemera son récit de petites circonstances si liées à la chose, de traits si simples, si naturels&toutefois si difficiles à imaginer que vous serez forcé de vous dire en vous même: Ma foi, cela est vrai; on n’invente pas ces choses là. C’est ainsi qu’il sauvera l’exagération de l’éloquence&de la poésie; que la vérité de la nature couvrira le prestige de l’art,&qu’il satisfera à deux conditions qui semblent contradictoires, d’être en même temps historien&poëte, véridique,&menteur. Un exemple emprunté d’un autre art rendra peut être plus sensible ce que je veux dire. Un peintre exécute sur la toile une tête; toutes les formes en font fortes, grandes&régulieres; c’est l’ensemble le plus parfait&le plus rare: J’éprouve en le considérant, du respect, de admiration, de l’effroi: J’en cherche le modéle dans la nature,&ne l’y trouve pas; en comparaison tout y est faible, petit&mesquin. C’est une tête ideale, je le sens, je me le dis.... Mais que l’artiste me faste appercevoir au front de cette tête une cicatrice légére, une verrue à lune de ses tempes, une coupure imperceptible à la lévre inférieure,&d’idéale qu’elle était, à l’instant la tête devient un portrait; une marque de petite vérole au coin de l’œil ou à côté du nez,&ce visage de femme n’est plus celui de Vénus, c’est le portait de quelqu’une de mes voisines. Je dirai donc à nos conteurs historiques: Vos figures font belles, si vous vouiez; mais il y manque la verrue à la tempe, la couture à la lévre, la marque de petite vérole à côté du nez, qui les rendraient vraies;&comme disait mon ami Cailleau, un peu de poussiére sur mes souliers,&je ne fors pas de ma loge, je reviens de la campagne.

Atque ita mentitur, sic veris falsa remiscet

Primo ne medium, medio ne discrepet imum.

HOR. ART. POET.

Et puis un peu de morale, après un peu de poétique; cela va si bien. Félix était un gueux qui n’avait rien, Olivier était un autre gueux qui n’avait rien; dites en autant du charbonnier, de la charbonniére& des autres personnages de ce conte,&concluez en général: Qu’il ne peut guere y avoir d’amitiés entiéres& solides qu’entre des hommes qui n’ont rien: Un homme alors est toute la fortune de son ami,&son ami est toute la sienne. Delà la vérité de l’expérience que le malheur resserre les liens,&la matiere d’un petit paragraphe de plus pour la premiere édition du livre DE L’ESPRIT.


Contes moraux et nouvelles idylles

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