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CHAPITRE II.

Table des matières

L’enfant sauvé.

Toute la journée suivante, l’Océan fournit une ample récolte aux habitants de l’Anse aux Sables. Le navire était entièrement démoli, et ses débris mêlés à la cargaison couvraient au loin le rivage des deux côtés du port.

Paul Grey était sorti dès l’aube; quand il revint déjeuner, il trouva sa femme plus sereine qu’il ne l’avait vue depuis bien des jours; elle mettait le couvert; le nouveau petit hôte dormait chaudement dans son berceau, rose et frais, comme si rien d’extraordinaire ne lui fût arrivé ; l’orage avait passé, la journée était belle, le soleil brillait dans la chambre à travers la fenêtre ouverte.

Après le repas, Paul prit son télescope et s’assit sur le parapet qui dominait la mer. Son attention fut bientôt attirée par un objet flottant sur les eaux, et par intervalles soulevé par la vague, ou submergé dans les remous.

«Viens donc voir, Marie, dit-il; n’était la blancheur, on jurerait une longue traînée d’algues.»

Mais ni l’un ni l’autre ne pouvaient clairement distinguer l’objet en question; ils descendirent sur la grève, et, prenant un canot, ramèrent hors de la baie et tournèrent la pointe qui formait à l’entrée un brise-lames naturel. Plus de doute, c’était le corps de quelque malheureuse victime du naufrage; deux ou trois coups d’aviron les portèrent tout auprès.

«C’est une femme! s’écria Marie qui tenait le gouvernail; tu peux l’atteindre avec la rame; aide-moi à la sortir de l’eau.»

Leurs efforts réunis ramenèrent bientôt le cadavre à bord; ils avaient pris de loin sa longue chevelure pour des herbes marines; ils la couchèrent dans le fond du bateau et appuyèrent sa tête sur le banc. C’était une splendide créature, âgée de vingt-deux ans tout au plus; elle n’avait d’autre vêtement qu’une robe de nuit; en outre de son anneau de mariage, ses doigts étaient chargés de bagues de diamants et de rubis; une rivière de brillants étincelait à son cou; quelques boutons de la robe avaient cédé, et laissaient voir sa blanche poitrine.

«Elle nourrissait un enfant! soupira Marie. Et qui sait? peut-être celui que nous venons de sauver!

— C’est très-probable; les cheveux que j’ai trouvés sur le câble fixé au radeau ressemblent tout à fait à ceux qui s’entortillent sur ses jolies mains, et vois, la paume en est tout écorchée, sur la corde sans doute; la pauvre femme n’aura pas eu assez de force pour s’y tenir longtemps! »

Les traits de la morte avaient une expression de sérénité calme; Marie étendit ses membres gracieux, embrassa ses joues pâles, et fit en elle-même le serment de ne jamais abandonner l’orphelin, puis elle ôta son man teau et en couvrit doucement le corps.

«Allons, Marie, prends les bijoux avant que nous touchions terre, s’écria Paul avec vivacité. Il faudra les serrer tous; ils pourront un jour être utiles à l’enfant, et si les gens du village voyaient seulement cet or et ces pierres fines!...»

Elle obéit à la hâte, ouvrit le fermoir du collier et retira, non sans quelque difficulté, les anneaux des doigts raidis de la pauvre noyée.

La grève était déjà envahie par la foule; la nouvelle du naufrage avait rapidement couru le pays, et de tous côtés on se rendait sur le lieu du sinistre. Le docteur Jones, pasteur du village voisin, venait d’arriver avec son excellente femme, portant dans son cabriolet une bonne provision de vêtements et de cordiaux. Hélas! tout secours était désormais inutile à ceux qui la veille se sentaient si joyeux de revoir la terre natale: un petit enfant avait seul échappé !

«Que nous apportez-vous? dit le docteur, comme le canot abordait. C’est fini sans doute, monsieur Grey? Oui, c’est fini! continua-t-il d’une voix lente et triste en regardant la morte dont Marie découvrait le visage. Pauvre créature! si jeune et si merveilleusement belle!»

Paul raconta ce qui venait de se passer; mais il ne parla point des bijoux et se contenta d’ajouter que sa femme voulait nourrir et adopter l’enfant.

Peu de jours après, un modeste convoi entrait dans le cimetière de Stoke; Paul Grey était au premier rang des pêcheurs qui portaient le cercueil. Nombre de femmes et d’enfants suivaient le corps de celle qu’ils n’avaient jamais connue, mais dont le sort cruel excitait leurs sympathies; Marie tenait dans ses bras le petit qui. souriait pendant qu’on enterrait sa pauvre mère. Le bon docteur paya les frais des funérailles et fit plus tard ériger sur la tombe une croix de pierre avec cette courte inscription: «Une dame inconnue, âgée de vingt-deux ans, jetée par la mer à l’Anse aux Sables, 21 août 1791.»

La cérémonie terminée, le marin avait ramené sa femme chez elle; une pensée le frappa soudain.

«Marie, dit-il, n’y avait-il autre chose dans la caisse que le châle et la couverture de laine?

— Je n’ai vu que la couche de ouate sur laquelle reposait l’enfant; personne n’y a touché du reste, et la caisse est encore là.»

Elle la prit et en sortit le contenu par grosses poignées; tout au fond, ses mains s’arrêtèrent sur un petit sac de toile, étiqueté à l’encre: 200 guinées (4200 fr.).

«Oh! Paul! c’est de l’or! il nous portera malheur, j’en suis sûre. Que faire? Et je ne vois aucun papier, aucun écrit qui nous aide à trouver le nom de la personne!

— C’est sans doute la pauvre dame qui l’avait placé là ; serre-le soigneusement avec les bijoux. Un jour peut-être nous en saurons davantage. C’est bien heureux que nous n’ayons pas vidé cette caisse devant la foule, à l’Anse aux Sables: le sac aurait eu bon nombre d’amateurs. »

Un coup frappé à la porte termina brusquement l’entretien: Paul se hâta de cacher sa trouvaille, et Marie, toute troublée d’avoir à dissimuler quelque chose, ne se décida à ouvrir qu’à la seconde sommation. Le docteur Jones entra.

«Bonjour, mes amis, je craignais que vous ne fussiez absents, ce qui m’aurait fort désappointé ; je viens vous parler de votre jeune pensionnaire. Comment va le petit naufragé ?

— Aussi bien que possible, monsieur; il prospère à merveille et n’aura pas souffert de son changement de nourrice.

— Il est pourtant étrange, continua le docteur, qu’on ne puisse trouver d’autre renseignement que les lettres C. N. brodées sur la robe de nuit de la mère; avez-vous bien examiné la caisse? Êtes-vous certains qu’elle ne renfermât aucun papier?»

Marie ne pouvait cacher sa confusion; sa droiture répugnait au moindre détour, et volontiers elle eût tout dit à M. Jones, sans un rapide coup d’œil par lequel son mari lui enjoignait le silence.

«Non, monsieur, nous ne savons absolument rien; et parmi les débris du navire que la mer jette sur les côtes, on n’a pu découvrir aucun indice satisfaisant; les embarcations ont été sans doute brisées sur les rochers; mais la nature de la cargaison, les ballots de soie surtout, nous font présumer que le bâtiment revenait des Indes; certains endroits de la berge sont couverts de feuilles de thé.

— Il ne nous reste donc qu’à noter soigneusement dans notre mémoire toutes les circonstances du naufrage: cela aidera peut-être plus tard à constater l’identité de l’enfant. Il appartient, je pense, à quelque riche famille; la seule vue du cadavre de la mère ne m’a laissé ancun doute à ce sujet. Pauvre femme! mourir si jeune et si tristement....

— J’ai coupé sa longue chevelure, reprit Marie, et je l’ai soigneusement mise de côté avec le.... le cachemire et la robe de nuit.»

Elle avait été sur le point de parler du collier de diamants, et encore une fois elle regarda son mari pour obtenir la permission de révéler son secret: un signe de Paul lui ferma les lèvres.

«Vous avez eu là, madame, une très-heureuse idée; conservez précieusement tous ces objets. — Dieu merci, l’enfant est tombé en bonnes mains, et quand vous aurez accompli votre part de cette œuvre de charité, je réclamerai mon tour, et me chargerai de surveiller ses études.»

M. Jones, le pasteur de Stoke, en était en même temps le maître d’école. Très-aimé de ses paroissiens et possédant une fortune indépendante, il avait voulu se donner le luxe d’élever les garçons du village d’après ses idées sur l’éducation; aussi, tout en admettant comme pensionnaires les enfants de familles aisées, il prenait des externes de toutes les classes. — Les pauvres du voisinage le considéraient comme un père; à toutes ses bonnes qualités, le docteur joignait un jugement sûr, et cette chose si rare qu’on appelle pourtant le sens commun. Il connaissait Marie depuis son enfance, et quoiqu’il eût un moment regretté qu’elle préférât Paul Grey, l’aventureux pêcheur, à tous les riches fermiers qui l’avaient demandée en mariage, il s’était résigné à célébrer lui-même la cérémonie, et depuis avait fait dans son cœur une large place au jeune couple. L’enfant jeté par le naufrage préoccupait vivement son imagination, et certes il ne pouvait désirer que cette petite créature eût trouvé une meilleure mère que la bonne Marie Grey.

L'enfant du naufrage

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