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1 Chapitre 2

Danny

Je sors de la douche en tremblant de façon incontrôlable. C’est le deuxième jour d’affilée que le chauffe-eau est cassé et je suis prête à engueuler le concierge. Si ma coloc, Paula, et moi n’étions pas aussi pauvres, nous déménagerions dans un meilleur appartement. Mais les choses étant ce qu’elles sont, nous vivotons toutes les deux au jour le jour, sans pouvoir joindre les deux bouts, et nous ne pouvons pas nous payer plus que ce misérable taudis.

— Il y avait de l’eau chaude, Danny ?

J’ouvre la porte de la salle de bain et j’entends Paula remuer des casseroles dans la cuisine. Je crois qu’elle fait des ramens pour dîner.

— Nan. Toujours glacé, je lui réponds.

— Putain. Ce connard de bon à rien. Merde.

— Surveille ton langage ! Mes oreilles saignent à cause de tes grossièretés. Et tu me dois trois cigarettes.

J’entends Paula parcourir le couloir d’un pas lourd. Elle passe la tête par la porte et me tend les cigarettes en me jetant un regard noir. Je les jette rapidement dans les toilettes.

— T’es vraiment une garce, Danny.

Je réponds en lui envoyant un baiser.

— Je t’aime aussi.

Et j’aime vraiment Paula. Elle est comme une meilleure amie et une mère, tout en un. Nous vivons ensemble depuis presque deux ans et elle a quinze ans de plus que moi. Nous nous sommes rencontrées en travaillant toutes les deux au Sally’s, mais depuis lors, elle est passée à quelque chose de mieux… Elle travaille dans un magasin de disques vintage.

Paula est une pro des jurons. Depuis notre première rencontre, j’essaie sans succès de l’amener à diminuer un peu. Ce n’est pas que je ne jure jamais, c’est juste que Paula ne débite que des gros mots. Alors j’ai parié avec elle qu’elle ne pourrait pas arrêter les jurons, ce à quoi elle a répondu Fastoche. Nous avons convenu que si elle disait un juron, elle me donnerait une de ses précieuses cigarettes… que je détruis avec plaisir juste devant elle. J’imagine que je l’aurai sevrée de la nicotine dans peu de temps.

Sortant de la salle de bain, elle me suit dans ma chambre. Je laisse tomber ma serviette sur le sol et commence à m’habiller.

— Donc, tu as le service de nuit au Sally’s ? demande-t-elle.

— Oui. Je finis à sept heures du mat’.

Je m’habille pendant qu’elle s’appuie contre le chambranle de la porte.

— Meuf, t’as des horaires de dingue. Pourquoi tu n’abandonnes pas ce pu—

Je la regarde en relevant un sourcil bien haut, la défiant de continuer.

— Je veux dire, cette saleté de job ?

— Brave fille, je la complimente. Et je trouverais du boulot où ? J’ai vingt-et-un ans, je suis en troisième année de fac, sans expérience professionnelle à part au Sally’s Diner. Et puis… les pourboires ne sont pas trop mauvais.

Je repense à ce beau mec qui m’a laissé un pourboire de cinquante dollars, l’autre nuit. C’était clairement un étudiant – probablement de Northeastern – comme moi. Et il avait clairement de l’argent s’il distribuait des pourboires à cinquante dollars. Je rigole en repensant à ce groupe. J’avais su, à la minute où cette brune snobinarde avait posé les yeux sur moi, qu’elle allait essayer sa meilleure technique d’humiliation. Heureusement, elle avait choisi un sujet dont elle ne connaissait visiblement rien et pour lequel j’avais bien réussi.

Le meilleur, c’est quand je m’étais éloignée, et que le type sexy qui jouait à Angry Birds m’avait appelée par mon prénom. Quand je m’étais retournée, j’avais presque sursauté devant la façon dont il me regardait. C’était charnel… comme s’il avait eu envie de me dévorer. Rien que d’y penser me fait rougir. Je l’avais étudié du coin de l’œil plusieurs fois pendant qu’ils mangeaient, et il avait toujours l’air de m’observer. J’avais bien pensé flirter un peu, mais franchement, à quoi ça aurait servi ? Ça n’aurait jamais été plus que du flirt, parce qu’on venait de quartiers trop différents. Une fois, j’avais essayé de sortir avec quelqu’un qui sortait tout droit des pages de Lifestyles des Riches et Célèbres et ça avait été un désastre. Et puis, je n’ai pas de temps ou d’énergie à perdre avec des garçons, en ce moment. Mais peut-être un jour.

Après que ce groupe bruyant soit parti, j’avais été jusqu’à leur table et j’avais commencé à la débarrasser. J’avais remarqué qu’ils n’avaient laissé aucun pourboire, ce qui est assez typique des étudiants soûls. J’imaginais que la seule récompense que j’aurais eu à cette table, ce serait la satisfaction d’avoir fait ravaler à cette étudiante arrogante ses paroles condescendantes envers moi. J’en rigole encore, rien qu’en y repensant.

Quand j’ai eu fini de ramasser la dernière assiette et que je repartais en cuisine, la porte s’était ouverte et le type canon était rentré. Je ne l’avais pas quitté des yeux lorsqu’il était venu vers moi et nous nous étions contentés de nous dévisager.

En glissant sa main dans la poche de mon tablier, il avait dit :

— Voilà ton pourboire. J’avais oublié de le laisser.

Son geste était calculé pour envahir mon espace personnel et était incroyablement sexy à la fois.

— Merci, j’avais dit doucement.

Il m’avait dévisagée pendant quelques secondes, puis il avait dit :

— Eh bien, merci d’avoir été bonne joueuse, ce soir. Tu t’es certainement bien débrouillée pour remettre Angeline à sa place, et je suis désolé pour ce qu’elle a dit.

J’avais incliné la tête vers lui.

— Pourquoi es-tu désolé ? Tu ne devrais pas avoir à t’excuser à sa place.

Il m’avait fait une ombre de sourire et avait répondu :

— Non, je suppose que non.

Nous avions passé encore quelques secondes à nous dévisager et j’avais cru qu’il allait dire autre chose. Mais il s’était simplement retourné pour partir, ajoutant par-dessus son épaule :

— Passe une bonne nuit.

Il était déjà à la porte quand j’avais répondu.

— Toi aussi.

Ce n’est qu’à la fin de mon service, en comptant mes pourboires, que j’avais réalisé qu’il m’avait laissé cinquante dollars. Ça pourrait nous acheter un sacré paquet de ramens, à Paula et à moi.

— Je suis sûre que je pourrais te faire embaucher au magasin de disques.

Hein ? Paula ramène mon attention sur elle, loin des hommes sexy qui me laissent de gros pourboires. Je souris en la regardant.

— Pas si je dois m’habiller comme ça, je lui dis malicieusement.

Paula commence sa crise de la quarantaine. Ses cheveux noirs de jais sont à présent parcourus de mèches teintes en rouge. Elle a coupé sa frange très courte et très sévère sur son front. Elle est habillée gothique, ce soir, et elle est superbe avec une courte jupe écossaise rouge foncé et noir, et un top noir découvrant une épaule. Des collants à têtes de mort et des bottines de l’armée complètent son look.

— Meuf, s’te plaît. Toi aussi, tu déchires avec ton look bizarre, tes cheveux et ta quincaillerie sur le visage. Qui se ressemble...

Je ris en mettant mes boucles d’oreille et secoue la tête. Je fais un geste vers mon visage, puis rejette mes cheveux mauves en arrière.

— An-han. Mon look est une œuvre d’art, je dis narquoisement en la regardant de haut en bas avec mon plus bel air dégoûté. Toi, par contre, tu es un fashion faux-pas.

— Garce.

— Trainée.

— Pétasse.

— Martyr.

— Charlotte aux Fraises.

Nous éclatons toutes les deux de rire. Nous jouons souvent pour savoir laquelle est la meilleure au jeu des insultes et qui sera la première à faire rire l’autre. Nous sommes à égalité, cette fois.

M’asseyant sur le bord de mon lit, j’enfile mes baskets.

Paula vient me rejoindre et s’assied à côté de moi.

— Alors, qu’est-ce que tu as prévu pour demain ?

Je laisse échapper un soupir malgré moi.

— J’ai une journée chargée, demain. J’ai deux cours au matin et puis une session de rattrapage au déjeuner. Puis j’ai promis à Ann de la remplacer pendant quelques heures au café pendant qu’elle va à une réunion à l’école de son gamin. Et pour finir, je ferai une ou deux heures au refuge.

Bon Dieu, j’ai une vie de dingue.

Paula se lève et met les mains sur ses hanches. Elle se contente de me regarder, sans dire un mot.

— Pourquoi tu me regardes comme ça ?

— Pour rien.

— Ah non, ne commence pas. Ne joue pas à la maman avec moi.

— Quand même, Danny. Tu es en train de te tuer à la tâche. Je m’inquiète pour toi.

Je me lève et vais serrer Paula dans mes bras.

— Je sais que tu t’inquiètes pour moi, mais je peux me débrouiller toute seule.

Elle me rend mon étreinte avec force.

— Je sais que tu peux, ma puce. Mais ça ne m’empêche pas de m’inquiéter pour toi quand même.

Je la serre en retour, puis je m’écarte avant de commencer à pleurnicher comme une sotte. Paula est la seule personne que j’aie au monde et qui tienne à moi. Enfin, à part Sarge, mais je ne le vois pas si souvent.

— Je vais bien, je la rassure. Et puis, c’est seulement temporaire, pas vrai ?

— Bien sûr, petite. Temporaire.

Elle prononce les bons mots, mais au ton de sa voix, je sais qu’elle pense que je suis partie pour une vie de servitude.

***

Il est trois heures de l’après-midi et je me traine. Après avoir terminé mon boulot à sept heures du matin, j’ai eu juste le temps de prendre une douche rapide et de filer vers mes cours de la matinée. Après une heure pénible à donner un cours de rattrapage à un joueur de foot de Western Civ – qui était plus intéressé par l’idée de me peloter que d’étudier – je me retrouve maintenant au Sally’s pour faire une partie du service d’Ann. Deux tasses de café et je me sens déjà un peu mieux. Heureusement pour moi, c’est plutôt mort, en ce moment.

Penchée sur les Petites Annonces au comptoir, je cherche un boulot pour le week-end. Si je décrochais quelques maisons à nettoyer les week-ends, ce serait d’une grande aide pour payer mes dettes.

Le tintement de clochette indique l’arrivée d’un nouveau client. Je relève les yeux, pliant le journal en deux, et je m’arrête. C’est M. Pourboire à Cinquante Dollars. Et je prends conscience que mon imagination ne l’avait pas enjolivé. Il est toujours aussi sexy que dans mes souvenirs. Il porte un t-shirt gris trempé de sueur et un short de course. Il a l’air un peu essoufflé et j’en déduis qu’il vient juste de terminer sa course.

— Assieds-toi où tu veux, lui dis-je.

Il avance jusqu’au comptoir, soutenant mon regard. Il s’est arrêté ici pour me voir, ça ne fait aucun doute. Je le devine à la détermination et à la résolution dans ses yeux couleur whisky.

Je l’observe, fascinée, passer une main dans ses cheveux humides pour les écarter de son front. Ils sont brun foncé et ondulés, et à la limite d’être un peu trop long au goût d’une mère. Pour moi, ils sont parfaits. Dommage que je n’aie ni le temps ni l’envie de faire quelque chose à ce sujet.

S’asseyant sur le tabouret juste en face de moi, il m’adresse un grand sourire.

— Mis quelqu’un en pièce à coup de philosophie, récemment ?

J’éclate de rire et commence à secouer la tête.

— Non. Pas aujourd’hui, du moins.

— En fait, je courais dans le quartier et je t’ai vue, là. Je me suis dit que j’allais m’arrêter et te remercier.

Je hausse les sourcils.

— Me remercier ?

— Oui. Ces vingt secondes où tu as démoli Angeline avec tes connaissances en philo ont été les plus amusantes que j’ai eues depuis très, très longtemps.

Ce n’est pas très élégant, mais je ne peux m’empêcher de rire par le nez en réponse.

— Alors, tu dois vivre une vie plutôt ennuyeuse.

— Je m’appelle Ryan Burnham, à propos.

Il me tend la main et je la lui serre. Sa main est beaucoup plus grande que la mienne et chaude. Je sens des callosités dans sa paume et sur ses doigts.

— Danny Cross. Ravie de faire ta connaissance… officiellement.

Il relâche ma main.

— Moi aussi.

Ma peau picote doucement à l’endroit où nos mains ont été en contact et j’essaie immédiatement de réprimer cette sensation. Je n’ai pas le droit de dévorer un mec des yeux, encore moins un mec qui est clairement hors de la stratosphère de mon cercle social. J’ai beaucoup trop de choses importantes à gérer en ce moment, ou du moins c’est ce que je dois souvent me rappeler à moi-même, ces temps-ci.

— Alors, Danny, commence-t-il en me regardant avec amusement et quelque chose qui ressemble à de la curiosité. Tu es apparemment une fille intelligente. Tu es inscrite à Northeastern ? J’ai vu que tu portais un t-shirt de la fac, l’autre nuit.

Il a remarqué le t-shirt que je portais ce nuit-là ? Même moi, je ne me souviens pas de ce que je portais, mais qu’il ait gardé ce détail en mémoire me comble de joie, pour une raison que j’ignore.

— Je viens juste de commencer cet automne, mais je ne suis que deux cours par semaine pour l’instant.

— Seulement deux cours et tu sais qui sont Ockham et Descartes ?

Il est sceptique, je le sens.

— J’ai fréquenté une autre fac avant Northeastern. Je suis techniquement en troisième année.

— Où est-ce que tu es allée en fac ?

— Pas dans un endroit connu.

Je ne fournis pas davantage d’informations et décide de rester vague. J’ignore pourquoi, mais j’ai envie de savoir à quel point il est réellement intéressé par moi. C’est un jeu pervers auquel je joue avec moi-même, parce que ça ne va mener à rien.

— Pourquoi tu ne veux pas me dire son nom ?

Il me sourit comme le chat de Cheshire.

— Pourquoi es-tu aussi curieux ?

— Pourquoi est-ce que tu es aussi évasive ?

Je décide qu’un rapide changement de sujet est justifié.

— Tu veux commander quelque chose ? Il faut que je retourne travailler.

Les yeux de Ryan font le tour du resto désert avant de revenir sur moi. Il hausse un sourcil. C’est séduisant d’une manière assez agaçante. J’attends patiemment qu’il me réponde.

Quand il réalise que la balle est dans son camp, il baisse les yeux sur sa montre et se lève de son tabouret.

— Il faut vraiment que j’y aille. J’ai rendez-vous avec quelques gars à la salle de sport.

Je ne dis rien – je lui fais juste un sourire poli – mais je suis un peu déçue qu’il parte aussi vite. Il a l’air de vouloir dire autre chose, mais il hésite. Et à l’instant où je comprends pourquoi, il se penche par-dessus le comptoir, un peu plus près de moi.

— Danny… je peux t’inviter à dîner, ce soir ? J’aimerai apprendre à mieux te connaître.

Ah, mince. Pourquoi faut-il que ce gars délicieusement sexy et complètement charmant m’invite à sortir ? J’appréciais qu’on se charrie, qu’on flirte, mais je n’avais jamais imaginé qu’il en fasse quelque chose. Je veux dire, il est un Dom Pérignon… et je suis un Coca-Cola. Et comme si nos différences ne suffisaient pas, je n’ai vraiment pas le temps de me compliquer la vie avec quelque chose comme ça.

— Je vois les engrenages tourner dans ta tête, Danny. Je ne te demande pas de m’épouser… juste un dîner.

Je commence par secouer la tête.

— Je ne crois pas. J’ai beaucoup de choses à gérer en ce moment.

Tandis que je rationnalise mon refus, je commence à me sentir mieux d’avoir décidé de refuser son offre. J’ai vu avec quels amis il trainait, l’autre nuit. Je n’ai pas pu m’empêcher de remarquer les vêtements coûteux et les bijoux. Ce sentiment que tout leur était permis qui flottait dans l’air. Ce n’est vraiment pas mon truc, et pourquoi m’impliquer avec quelqu’un, même pour un simple dîner, quand, au final, je ne m’intégrerai jamais. C’est comme d’emmener Cendrillon au bal, et puis lui dire qu’elle redeviendra une servante le lendemain.

Avant que je puisse lui dire non encore une fois, il tend le bras et prend ma main. Caressant son pouce sur mon poignet, il murmure :

— Je ne t’avais pas prise pour une dégonflée, Danny. Allez… Juste un dîner ce soir, et on ira où tu veux aller, n’importe où.

N’importe où ? Ça peut être intéressant. Je peux prendre le temps de sortir ce soir avec lui, selon mes termes, sur mon terrain, et ensuite il verra quelle mauvaise idée c’était.

La caresse de son pouce sur mon poignet fait tressaillir mon pouls. Je retire la main.

— Où je veux aller, n’importe où, hein ?

Il me sourit largement, sachant que je suis sur le point de craquer.

— Oui, où tu veux, n’importe où.

— OK. Retrouve-moi ici à six heures.

Il tend à nouveau le bras pour attraper ma main et la saisit. Avant que je puisse songer à la retirer, il porte mes phalanges à ses lèvres et y dépose un léger baiser.

— À dans quelques heures.

Laissant tomber ma main, il fait demi-tour et passe la porte. Je le regarde partir en courant et disparaître de ma vue. Et la peau de ma main brûle légèrement à l’endroit où il a posé sa bouche.

Hors Jeu

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