Читать книгу Je Suis L'Empereur - Stefano Conti - Страница 4

Оглавление

1 I

Vendredi 16 Juillet 2010

La chaleur humide ne rend la journée idéale pour voler, mais aucune ne l’est ; j’ai toujours peur quand ce n’est pas moi qui conduis, même s’il s’agit d’une luge sur une couverture douce de neige. Dans la célèbre liste de Dustin Hoffmann/Rain man, Turkish Airlines n'était pas justement dans les compagnies qui tombent ?

Pendant que, dans l’avion j’attends que deux personnes âgées règlent leurs valises, un steward arrive. Il s’adresse à la dame qui vient de s’asseoir : « Désolé madame, vous ne pouvez pas vous assoir là ».

« C’est le siège de mon mari, mais… »

« J’ai laissé le cote fenêtre à ma femme » intervint son mari, d’environ soixante-dix ans. « Vous savez, elle aime regarder dehors. »

« Je comprends, monsieur, ma c’est que vous devez vous assoir » insiste le garçon.

« Et pourquoi ? » demande la dame, qui ne veut pas se lever.

« Parce que », explique gentiment le steward, « cette fenêtre est aussi une sortie d'émergence et vous ne pourriez pas l’ouvrir en cas de… »

« Cette possibilité… existe ? » j’interviens.

Le steward répond, envers l’âgé touriste :

« Au cas où… vous pourriez forcer l’ouverture, mais je pense que ce n’est pas le cas pour votre femme ».

« Ah, au cas où » je répète, en m'éloignant des trois, visiblement préoccupé.

Je m'assois. Les écouteurs de mon mp3 sont cachés par mes boucles devant les oreilles (je suis convaincu qu’il ne vaut pas la peine d'éteindre les instruments électroniques). Une vieille chanson de Vecchioni couvre les bruits de la partie la plus critique : le décollage.

L’atterrissement à Ankara se passe bien ; de toute façon quand je descends je voudrais baiser le sol, comme le pape. L’air est irrespirable, le tarmac de la piste incandescent. Tous les aéroports sont pareils : mêmes panneaux, même disposition des comptoirs. Est-ce que je retrouverais ma valise ou ils l’ont envoyée à St. Pétersbourg ? Incroyablement elle est là et, au deuxième essai, je prends la bonne (les valises aussi se rassemblent toutes : il faut que je me décide à mettre une étiquette avec mon nom).

La file à la douane marche lente ; quand c’est mon tour, le fait d’avoir passé mon doctorat de recherche en Allemagne pour une fois se rend utile : à l'étranger personne ne parle italien.

« Sprechen Sie Deutsch ? » je demande.

« Ja » répond sec l’officier de la douane.

Je prends mon passeport de ma bandoulière et je le lui passe. Il regarde attentivement ma photo, lève son regard jusqu'à rencontrer le mien et regarde l’image encore une fois, pour me demander enfin si je suis Francesco Speri.

J’hoche la tête. En effet je ne rassemble pas trop à cette photo prise il y 5 ans et 12 kilos.

Le regard de l’officier se fait soudainement sérieux.

« Können Sie mir folgen? » il s'écrie d’un ton martial.

Étonnée par la sollicitation de le suivre, je demande, peut-être un peu mal poli, pourquoi. Le douanier insiste incessant et je suis forcé de le suivre.

Nous passons à travers d’un long couloir sombre, plusieurs portes sur les côtes, toutes fermes : on dirait un sinistre hôpital d’autrefois, de ceux qu’on trouve seulement dans les petits villages. Avec un geste de la main il m’invite à rentrer dans la dernière pièce sur la droite : ici un petit homme début sur des bottes militaires dicte quelque chose à un autre, en train d'écrire sur une ancienne machine à écrire. Malgré sa taille, il doit être un commandant, un colonel, quelqu’un d’important dans tous les cas. Avec un mi sourire sous des noirs moustaches, il fait signe de m’assoir, en serrant avec de mains boudinées le dossier d’une inconfortable chaise en bois. Ensuite ce “petit chef” monte au créneau avec l’officier qui m’a ramené ici ; l’autre cesse d'écrire et intervint dans la discussion, immédiatement réduit au silence par les deux. Pour la première fois depuis mon départ je pense au professeur Barbarino, qui est aussi la raison de mon voyage : il insistait pour que j'apprends le turque, pour pouvoir creuser ici avec lui. Je lui répondais toujours que je ne suis pas un archéologue, sinon un historien, et que de toute façon il ne faut pas parler pour effectuer des fouilles archéologiques ; pour tout le reste il fallait juste qu’il soit en gré de traiter avec les autorités.

Je suis pris par l’angoisse, les minutes passent lents. Les douaniers crient en turque et je pense qu’ils sont en train de parler de moi : parfois ils m’indiquent avec des souples mouvements de la tête. Je lève le regard : un papier peint marron clair a été collée n’importe comment sur des carreaux blancs. Derrière le général (dans ce temps je l’ai promu : on dirait que c’est lui qui décide) on voit une énorme peinture d’un mec en uniforme d’haute officiel.

«Haben Sie verstanden?»

[Comment puis-je avoir compris si vous parlez dans un dialecte des montagnes de l’Anatolie orientale !]

Ils m’expliquent qu’ils vont appeler quelqu’un de l’ambassade italienne ; je demande pourquoi : personne ne me réponds. Ce “générale” parle peu et sourit peu : je ne lui fais pas instinctivement confiance !

Le douanier qui m’a ramené ici me demande, ou mieux il m’ordonne de le suivre. En disant au revoir à la peinture sur le mur, je suppose qu’il s’agit du même générale quand il été jeune ; dans tout cas je trouve que tous les hommes qui portent des moustaches se rassemblent.

Nous repassons dans le couloir jusqu'à un local encore plus sombre : il n’y a pas de barres mais on dirait une cellule, peut être car il n’y a pas de fenêtres ou parce que l’officier se met devant la sortie, comme pour la bloquer avec son imposante figure.

Je reste enfermé pour une interminable heure dans cette pièce : je ne sais pas ce qui va m’arriver. Soudainement un bruit de talons de loin, le brui s'arrête, on entend des voix, et le talons s’approchent à nouveau…

« Bonjour, je suis Francesco Speri» je me lève.

Une fille d’environ 35 ans rentre, petite de taille, les cheveux longs : « Bonjour, je m’appelle Chiara Rigoni, je suis l'interprète de l’ambassade ».

Je serre sa main pour un long moment, comme si je voulais m’attacher à elle, lien vital : « Je ne comprends pas ce qui se passe ! Ils ont parlé beaucoup de temps entre eux, je ne sais pas de quoi, après ils m’ont renfermé et… »

Le douanier m’interrompe, il s’est appuyé au montant de la porte avec une désinvolture dissimule, en parlant turque avec elle.

« Ils précisent que vous n’avez pas été renferme ; vous êtes dans l’attente que j’arrive. Je vais voir le lieutenant Karim » affirme-t-elle en sortant.

Elle est italienne ou turque ? Sa peau claire et les cheveux blondes, même si teints, ne laissent pas penser qu’elle soit turque, mais sa façon de faire, trop formelle, n’est pas typiquement italienne. Dans tous les cas Mr la moustache noire n’est qu’un lieutenant !

En attendant le douanier s’est à nouveau place devant l'entrée : il est vrai qu’on ne m’a pas liée, mais je me sens quand même étouffer. Ensuite un doute : « Mais, excusez-moi, vous comprenez l’italien ? »

Il nie dans un ton monotone, en confirmant mon soupçon. Je m'étais levé pour lui poser cette question, et lui d’un geste autoritaire de la main “suggère” de revenir à mon siège ; pas de question de politiser, je me remets à ma place.

La longue attente, dans la peur de ce qui pourrait m’arriver si je me lève, me fait venir aux yeux l’image d’une des plusieurs dimanches passées sur le banc à voir les matchs de l'équipe de foot ou je jouais quand j'étais un gamin, avec l’envie et la terreur d'être appelée d’un coup sur le terrain.

Je n’ai jamais été un bon footballeur, et dans un pays comme l’Italie, ou admettre cela est presque une hérésie : un homme qui se considéré tel, doit savoir jouer au foot. J’ai essayé comme attaquant dans l'équipe du quartier, car n’importe qui joue au foot à un seul objectif: faire but. Je me suis rendu compte vite que j'atteignais cet objectif rarement, encore plus vite le remarqua l’entraineur, qui me fit reculer au milieu. Avec le nouveau coach (les bancs ne sont pas seulement pour la Ligue 1) je passais à la défense, ou j'appris une seule action : le dérapage à terre quand un attaquant s'approchait ; normalement je manquais le ballon et les jambes de l’adversaire aussi. C'était la seule chose que je savais faire, tant qu’on me passa encore à l'arrière : en porte. Plus à l'arrière que ça je ne pouvais pas aller, au moins de devenir ramasseur de balles : je fuis cette humiliation en quittant l'équipe d’avantage. Pour un an environ j’ai été gardien, ou mieux deuxième gardien. Aujourd’hui comme gardiens de buts de Ligue 1 on trouve de vigoureux garçons entoures par de top-modèles, mais à l'époque personne ne voulait y rester (de la tu ne faisais pas de buts) et c'était toujours au plus “empotée” du groupe. Bref, suprême satisfaction, j'étais le deuxième !

Je me lève du “banc” de la douane turque seulement quand j’entends le bruit des talons…

« Tout va bien ; je vous accompagne à demander un document provisoire pour vous jours de permanence ici. On vous rendra votre passeport Lundi » me dit l'interprète.

« Mais qu’est-ce qui se passe ? »

« Juste un control » elle chercher de me tranquilliser, en me rendant plus angoisse. « Le lieutenant Karim doit attendre l’ok par le bureau du ministère, qui ne rouvre que lundi. Cependant nous devons faire vite pour l’ambassade : ils ferment dans une heure. »

Je suis ce tailleur gris rayée hors de cet horrible endroit. Les taxis en Turquie sont normalement jaunes, comme presque partout dans le monde, celui-ci est d’une rose pastel incompréhensible. La fille est gentille mais très détachée ; pendant qu’elle regard hors de la fenêtre, j’arrive à la convaincre de se tutoyer pour le reste du voyage. Entre mots elle me raconte d'être fille d’italiens, née et vécue en Turquie : elle a appris l’italien de ses parents, qui ne se sont jamais adaptés au turque et qui ont ouvert un bar à glaces dans un village proche de Ankara.

« J’aimerais voir l’Italie : Venise, Padoue, Jesolo, Oderzo… »

Nous avons aussi d’autres belles villes, en Toscane et dans le reste de la péninsule, mais je comprends que se parents sont de la Vénétie et je ne réponds rien. Même en Allemagne les bar-glaciers sont tous italiens et géré par de vénitiens : cette région est à la glace, comme la Campanie est à la pizza.

A l’ambassade on me donne un petit papier. Cela devrait me garantir de pouvoir circuler librement, mais vu le début du voyage…

« Je crains que avec ce document je n’irai pas trop loin. Je ne suis pas là en vacances, mais pour ramener en Italie le corps de mon professeur universitaire et ex-chef… »

« A-t-il été enterré à Ankara ? » demande-t-elle, n’ayant pas bien compris le problème.

« Luigi Barbarino, c’est son nom, est mort il y a une semaine, pendant qu’il excavait dans un site archéologique à Tarse. Il faut que j’aille jusqu'à là-bas pour récupérer son corps… »

« J’ai un copain qui vit à Tarse… “Ex” copain en réalité : il peut t’aider. Il est ingénieur dans une industrie pétrochimique. Je note son adresse » affirme-t-elle en déchirant une page de son agenda et y écrivant dessus.

Par contre, je ne veux pas m’en profiter : « Merci, mais comment ferai-je avec la langue ? »

« Il parle bien l’italien » répond-elle presque irritée. « Je lui l’ai appris »

« Serait-il possible d’avoir son numéro de portable, pour l’appeler d’ici ? »

« En réalité, je l’ai éliminé, mais si tu te rends à cet adresse tu le trouveras surement. Dis-lui que c’est Chiara qui t’envoie. »

Elle me traite comme un enfant : elle me ramené à la gare des bus, demande un billet à mon nom et me faire monter sur l’autobus. Son parfum est un mixte entre le mystère et l’Orient. Je m'éloigne d’elle, mais pas avant de lui avoir laissé mon numéro écrit sur un papier.

De l'extérieur le bus pour Tarse à l’air mignon, style années ‘60, et quand je rentre je comprends que c’est vraiment de cette période. De plus tout le monde fume : l’air est irrespirable. Heureusement les fenêtres dans les années soixante pouvaient encore s’ouvrir : je passe les six heures de voyage avec ma tête dehors, comme les chiens (qui sait pourquoi en plus). De cette façon je vois Ankara, jusqu'à ce moment j’en n’avait connu que les tristes bureaux. Les bâtiments rassemblent à l’interminable étendue urbaine grise et vague de Londres, avec une seule différence : ici elle est plus décadente ! Pour un moment j’efface de ma visuelle les maisons et les coupoles des mosquées et j’essaye en vain de voir la colonne que la ville de Ancyra (Ankara à l'époque des romains) avait construit en honneur de l’empereur Flavio Claudio Julien.

Le cher Julien !

Depuis des années j’ai une vraie fixation pour le dernier empereur païen d'époque romaine : quand je travaillais à la fac j’ai écrit plusieurs articles et un pair de livres à propos de lui. Surnommée l’Apostat car du christianisme il s'était converti au paganisme et essaya, pour toute sa brève vie, de ramener de nouveaux croyants en faisant de reformes sur la religion traditionnelle : son utopie était de faire revenir au paganisme tout l’empire, désormais inévitablement chrétien. La raison de son charme pour moi est entièrement la : l’empereur Julien voulait changer le monde, sans se rendre compte que le monde avait déjà changé, mais en tout autre direction, et on ne pouvait pas aller à l'arrière. Toujours dans l’avion, je m'étais promis que la colonne de l’empereur philosophe aurait été la première chose que j’allais voir à Ankara, mais avec ce bordel bureaucratique. En réalité c’est Julien le vrai motif qui m’a poussée en Turquie : la mission officielle aurait été celle de récupérer le corps du pauvre Barbarino, mais je suis la surtout pour voir la tombe du cher empereur, jamais retrouvée jusqu'à maintenant, et que le professeur, juste avant mourir, m’avait écrit d’avoir finalement retrouvée !

Le bus voyage vite sur une interminable plaine désertique. Je m’endors en imaginant de me trouver dans un de ces films ou le protagoniste traverse en bus les États américains, d’une cote à l’autre.

En ce moment, à Ankara, le lieutenant Karim, le même de cet infini après-midi en douane, rentre chez lui, ou ses deux enfants l’attendent : leur maman est partie il y a beaucoup d'années. Aturk, le plus grand, était derrière la porte depuis plusieurs minutes et l’ouvre grande dès qu’il entend le bruit de la vielle bagnole.

« Alors, ils vont me la donner ? »

« On ne dit même pas bonjour ? » répond brusque son père.

« Bienvenu Mr le lieutenant », dit Aturk en ton de moquerie, et il répète : « Je vais l’avoir ? »

Karim ne réponds pas, il rentre dans la maison, laisse sa veste sur le portemanteau et va s’asseoir sur le fauteuil marron du salon ; son fils le suit.

« On ne m’a rien dit. »

« Et tu ne peux pas les appeler ? Tu te rends compte de l’importance de cela ? »

« Je sais » il répond sec. « Ramène-moi quelque chose à boire »

Le lieutenant se lève pour récupérer de la poche interne de sa veste un petit cahier noir en cuir, revient sur le fauteuil et compose le numéro : « Bonsoir, c’est… »

« Ne dites pas votre nom ! »

Il est de suite interrompu par la voix de l’autre cote de l’appareil.

« Je vous ai dit de ne pas appeler. »

« Oui… c’est vrai, mais, vous savez… »

La voix mystérieuse coupe court : « Avez-vous fait ce que j’ai demandé ? »

« Oui, monsieur… »

« Je vous ai dit de ne pas faire de noms ! »

« Bref, cet italien : nous l’avons arrêtée et gardée, jusqu'à ce qu’on a pu. Maintenait il a un passepartout de l’ambassade, il aura son passeport seulement lundi. »

« Bien ! N’oubliez pas : quand il revient à Ankara avec le cercueil, faites comme nous avons écrit. »

« Oui, bien la sceller et marquer les lettres… »

« Suivez les instructions » l’interromps la voix autoritaire.

Le lieutenant continu craintif : « Bien sûr. Je voulais savoir si, comme d’accord, mon fils… »

« Il peut faire sa demande. »

« Donc vous m’assurez qu’il obtiendra… »

Encore la voix, autoritaire : « Je vous dis de faire demande : elle sera acceptée ! »

« Je…Je vous remercie. »

« Au revoir. N’appelez plus jamais à ce numéro ! »

« Merci encore, bonne soirée. »

Aturk rentre de la cuisine avec un pas lente et maladroit, attentif à ne renverser même pas une goutte du verre rempli au bout d’un vin blanc de mauvaise qualité : « Alors ? »

« Tu peux faire ta demande. »

Son fils ne comprends pas l’expression : « Mais je l’ai prête depuis des mois… »

« Je te dis, fais ta demande : la place est à toi. »

« Merci, merci » Aturk se rapproche de son père comme pour lui faire un bisou. Il se limite à l’embrasser, avec un froid retour.

« Allez, va préparer le diner pour toi et ton frère. »

Le lieutenant bois à petites gorgées son vin, avant d’aller se coucher, satisfait de sa journée.

Samedi 17 Juillet

Je m'étais endormi en rêvant la Californie, je me réveille entre les bruits de clackson et un vociférer incompréhensible, pendant que le bus rentre lentement en gare. Tarse semble Palerme, célèbre, selon le film ‘‘ Johnny Stecchino ’‘, pour le trafic chaotique.

J’arrive à pieds dans ce que j’estime être le centre-ville : je passe à cote d’une porte monumentale d'époque romaine (est-ce la célèbre porte ou Antoine rencontra Cléopâtre avant de la défaite d’Aktium ?) Ici personne ne parle Allemand, je montre juste le papier avec l’adresse de l'ingénieur à au moins dix personnes : entre gestes et quelques mots en anglais, on m’indique une rue à cote du fleuve Tarsus Çayi. Des mémoires classiques me font souvenir ce qui est le Cydnus, connu dans l'antiquité pour ses eaux transparentes mais gelées, tant qu’Alexandre le Grand risqua d’y mourir noyée. Maintenant il est réduit à un dégoûtant fleuve noirâtre, j’imagine à cause des nombreuses décharges des industries pétrolières de la zone. Je sonne la sonnette du numéro 60, une sorte de pilotis : une dame ancienne et bossue ouvre la porte.

« Je cherche Fatih Persin…» je demande, un peu dans les nuages, dans ma langue maternelle.

« Italien, viens italien » sourit la dame en montrant les peux des dents qui lui restent et me faisant signe de rentrer. Ensuite elle s’enfuit montant des escaliers.

C’est une maison bizarre : appuyée pour moitié sur le fleuve, il n’y a pas de meubles particulier, mais elle est originale dans son genre. Je m'assois sure une chaise rouge en bois avec le siège en paille tressée. L’odeur de ragout de cher qui cuit lentement a rempli la demeure entière.

D’une échelle mal appuyée sur une ouverture du plafond descend un homme sur la quarantaine, grand et maigre, trop grand et trop maigre : « Bonjour, je suis Fatih » il me serre la main en parlant en turque avec la femme.

« Je suis Francesco Speri, Chiara m’a donnée votre adresse… Chiara… » je ne me souviens plus de son nom de famille.

« Rigoni » continue un peu étonné Fatih. « Que je fais pour toi ? » L'ingénieur parle l’italien avec un peu de difficulté, mais on se comprend ; tandis qu’il s'assoit, sa mère, au moins je pense qu’elle le soit, arrive avec un plateau et deux grandes tasses de café. L’aspect n’est pas trop invitant : quelque chose y flotte dedans et l’odeur est aigre, oui aigre mais non amer.

Je fais un signe de remerciement et je prends l'énorme tasse dans mes mains. « Chiara m’a dit que je pouvais vous demander de l’aide : je dois suivre la rue long du fleuve en direction du mont Taurus. Mon professeur d'archéologie était en train d’effectuer des excavations là-bas, quand… »

« Rien à voir avec le café italien, c’est vrai ? Il y a du citron dedans » explique Fatih voyant mon regard méfiant. Il sourit : « No problème, aujourd’hui samedi et je vais avec toi en moto ».

J'accepte son aide, mais pas avant avoir avale cette espèce de limonade au gout de café.

Nous partons de suite, sans casque. Sa moto est en réalité un scooter : ça ne dépasse pas les 30km par heure, mais même en ce cas, n'étant pas moi le conducteur, c’est comme en avion ! La route est longue e tortueuse : à chaque courbe je serre plus fort le pauvre conducteur ; ça me provoque un peu d'embarras, mais la peur de tomber est plus forte. On a l’impression que cette espèce de rue criblée de trous soit interminable, mais soudainement Fatih freine : il a remarqué des panneaux de travaux en cours. Nous laissons son scooter et continuons à pieds jusqu'à une pente descendante : c’est le site creusée par le professeur.

Pauvre Julien : enterrée dans une lande désolée de Montaigne, loin de ce fabuleux monde qu’il avait régnée. En réalité cela n’avait pas été son choix : en signe de haine envers les habitants d’Antakya, d'où il était parti pour l'expédition en Perse, il s'était promis de faire camp à Tarse, plutôt que de revoir ces gens. Il ne reviendrait pas vivant de cette guerre. Ses officiers, en forme d'extrême respect, décidèrent de l’enterrer ou il avait décidé de résider cet hiver : un longue, interminable, hiver.

On ne peut pas accéder à la fouille, on l’a entourée d’une tranchée rudimentaire. Un homme s’approche, il est occupé à ne pas faire envoler un énorme chapeau en paille de sa tête. Il semble être méfiant, mais dès que je nomme Luigi Barbarino il ouvre, et se présente comme assistant du professeur. Le soleil bat sans pitié. Il nous indique de le suivre jusqu'à une espèce de garage : je vois fragment de vases antiques lies en gerbes, des os d’animaux, anciens pots et des vêtements sales. Dans ce garage, recouvert de plaques d’aluminium et plein de poussière, je pense que ce type bizarre à part de travailler, y dort et mange.

J’aimerais avoir des infos sur l’incroyable découverte de l’Apostat. Avec un air contrit je demande d’abord, avec l’aide de Fatih, des nouvelles du professeur.

L’expression de mon ‘‘interprète’’ devient d’abord grimaçante et après sombre, je n’avais pas eu le temps de lui parler de la mort de ‘‘sa majesté’’ : « Il dit que trouver mort le professeur samedi passe, au pied de… comment dire grande descente ? »

L’assistant explique que le vendredi passe, avant de partir, il avait vu l'éminent archéologue faire des relèvements dans le secteur qu’il était en train de creuser et que le matin suivant il l’avait trouvé en peu plus en bas, écarté par terre. Il avait eu une attaque cardiaque et était tombé sans vie dans la falaise. Le turque n’apparait pas trop triste, peut être le fait de travailler avec le professeur lui a laissé, comme à moi, le même effet de dégout. L'assistant, de petite taille, mais de pas agile, nous précède sur le lieu de la disgrâce : il tient à nous montrer le point exact des retrouvailles.

« Et qu’est-ce qu’il y a la haut ? Une tombe ? » je demande.

« Oui, il prenait des photos là. Très important : il avait trouvé pierre avec incision, quand c’est arrivé » traduit Fatih.

Je monte à bout de souffle la petite colline, suivi par les deux. A terre s’effondrent ceux qui pourraient être les restes d’un bâtiment funéraire. Je ne vois pas par contre l'épigraphe qui devrait se trouver sur l'entrée. Seulement cette pierre inscrite, retrouvée par le professeur la semaine passe (et dont il avait fait mention dans son email), peut confirmer que ici est enterre Julien.

« Et le matériel qui a été retrouve ici ? » je demande avec fausse nonchalance.

« Ça dans le garage où nous avant, peu de temps, après fonctionnaire du gouvernement vient et prends tout » m’informe Fatih dans son italien incertain.

Il faut que j'accélère les temps.

« Je devrais aller aux toilettes » je dis en me touchant l’estomac.

« Seulement dans le garage. »

« Je me souviens comment y aller, vous pouvez rester là, merci. »

Je cours vers le hangar et je commence à chercher en haletant entre une pile de boites : j’essaye de les bouger, elles sont lourdes. Sur chaque boite il y a des notes marquées avec un feutre bleu passe : ça devrait indiquer data et secteur des fouilles d'où les vestiges proviennent.

C'était quel jour quand le professeur m’avait écrit de la découverte de la tombe ? Je contrôle dans la boite du 9 juillet : seulement de fragments de plâtre et céramique communs. Bien sûr : la découverte doit être du jour avant, vu qu’il m’a envoyé l’email le 9 matin, et ce soir même il est mort.

Je prends la boite du 8 juillet et, je n’y crois pas, je trouve l'épigraphe !

Un fragment en marbre, qui mesure un peu moins d’un mètre en longueur, grave en grecque : je suis presse, mais j’ai du mal à déchiffrer les lettres mal conservées ; je prends quand même quelques photos avec ma chère Nikon.

Ensuite, avec une feuille de papier pelure qui se trouve sur la table et un crayon j’essaye d’improviser une empreinte : c’est une technique rudimentaire mais efficace que j’ai appris pendant ma spécialisation en Allemagne. En passant le crayon sur la feuille appuyée sur l'épigraphe, les lettres gravées laissent un trou vide : le papier en ressort tout gris, sauf les espaces blanc qui dénotent la forme des lettres gravées.

J’ai déjà perdu trop de temps, je cours vers la sombre falaise : « Désolé… pas sur si ce sont les courbes du voyage, ou le raconte de la mort violente du professeur… voilà, je me suis senti mal, mais je vais mieux maintenant. De toute façon, le professeur est là ? »

Les deux me regardent perdus.

« Je veux dire le corps : je peux le prendre ? On m’a chargé de le ramener en Italie et… »

« Non. C’est dans la morgue municipale. Je sais ou ça se trouve, je te ramène si vous voulez » offre courtois Fatih.

Nous remercions l'assistante, qui s'éloigne sans quitter le regard.

On monte à nouveau sur le scooter.

« Gülek Boğazi » crie Fatih peu après le départ.

Entre le bruit du scooter et ma peur je ne comprends rien.

« Gülek Boğazi » insiste-t-il et indique un canyon naturel entre les montagnes.

Je regarde en bas et je comprends : ce sont les ‘‘Portes de Cilice’’ le seul point de passage, depuis l'antiquité, entre l’Anatolie interne et la côte. D’ici passa Alexandre le Grand : un modèle de leader militaire pour plusieurs, inclus Julien.

« Gülek Boğazi » je répète, et en voyant le bord de la falaise je serre encore plus fort le conducteur.

La descente, souvent, est pire que la montée : le scooter semble n’avoir pas de freins et à chaque virage, au lieu d’admirer le paysage, je pense à l'éventualité de tomber dessous, mais au dernier moment le scooter tourne et on procède.

Quand on arrive à l'hôpital de Tarse je suis tellement pale qu’on pourrait vouloir m’admettre en tant que patient. Fatih demande informations à un infirmier de passage : je suis mon copain d’aventures, en marchant lent au long des couloirs souterrains jusqu'à une grande chambre froide.

Le médecin légiste fait un peu la grimace quand je montre mon passepartout de l’ambassade. Il me laisse en tout cas signer une série de documents, probablement désireux de se débarrasser du corps. Il se lève, me donne deux copies du rapport d'autopsie, il me serre la main, le bras et encore la main. Bizarre façon de saluer.

« Ces document tu as besoin pour donner à la douane pour ramener corps à Italie » traduit Fatih, et rajoute : « Le coffre est dehors dans voiture et avec ça tu rentres à Ankara »

Je le remercie pour la traduction et pour l’aide, je l’embrasse : on y est habitué des voyages en moto ; j’essaye de lui filer 100 euros dans la poche.

Ce geste agace l’ingénieur : « No… mon plaisir, dit bonjour à Chiara, non, dis-lui appelle-moi si veut. Je ne dérange, mais si elle…. ça c’est mon numéro ».

« Je ne sais vraiment pas comment te remercier, pour tout. Dis bonjour aussi à ta… mère. »

Une ambulance est garée dehors : j’imagine que le corps est à l'intérieur. Je suis en train de monter quand deux grands types, d’aspect pas trop fiable, s’approchent. J’essaye de m'éloigner. Les deux me suivent et, en prononçant des mots incompréhensibles, ils me poussent devant un décrépis fourgon blanc : c’est le moyen de transport élu. Dans la partie postérieure découverte je vois le coffre. Les deux types, en me prenant littéralement dans les bras, me mettent derrière avec le coffre ; eux ils montent devant.

Le terrible voyage d'allée de la nuit précédente n'était rien par rapport à celui-ci : là il y avait plein de fumeurs et je voyageais avec la tête dehors, ici je suis dehors, tout seul et avec un corps à côté ! Le coffre, attaché avec des amarres de fortune, donne l’impression de sortir du véhicule à chaque trou ; je reste dans mon coin, du côté opposé : je n’ose pas m’approcher. J’ai la terreur de me retrouver face à face avec le cadavre : dès que j’ai tristement laissé la Faculté, je n’ai jamais plus voulu voir le professeur quand il était vivant, imaginons de mort !

Je réfléchis sur la journée que je viens de passer et sur celle qui m’attend : le seul fait de penser à la douane me donne la chair de poule, mais la tâche que le directeur de la faculté de Lettre m’as donnée est de faire rentrer le corps en Italie. Je répète l’axiome dans ma tête, comme pour me charger pendant le voyage, le vent me claque fort.

Dimanche 18 Juillet

Il est à peu près trois heures du matin quand le fourgon s'arrête. Je crains qu’ils veulent me laisser la, dans le rien.

Les deux types descendent et me parlent dans une langue inconnue.

Le plus petit, ou mieux le moins gros, répète la même phrase en faisant d’amples gestes avec les mains : je comprends devoir sortir. Je suis les deux jusqu'à une maisonnette en ruines : on dirait un air de repos, de gestion familiale/sordide. Je cours de suite aux toilettes. Voilà ce dont on parle quand on mentionne les toilettes à la turque : de dégoûtantes, malodorantes latrines sans WC.

Je rentre après dans ce qui devrait être, par euphémisme, le bar : une dame grassouillette est en train de préparer une boisson bizarre, tandis que mes copains de voyage sont assis à une table avec une cigarette et en buvant une bière géante. Je profite pour prendre mon petit déjeuner, en évitant de regarder le conducteur qui bois et tôt le matin. Je sirote lentement l’énième café long brulant, accompagné par une focaccia avec un salami bizarre, même dans la couleur : le gout n’est pas au top, mais j’ai très faim, n’ayant pas diné à cause du soudain départ de Tarse.

Il faut une autre demie heure avant que les deux terminent d’avaler une autre bière et se décident à remonter sur le fourgon. Le moins bourré me donne une vielle couette : l’air était chaude quand on est parti, mais maintenant est celle mordante typique des premières heures du jour. C’est la première gentillesse que je reçois : abandonné sur le plateau postérieur du fourgon, je me sentais comme une roue de secours.

Vers l’aube nous arrivons à Ankara ; je suis toujours étourdi par le vent et la rue, quand les deux turques descendent le coffre du fourgon pour le donner à un groupe de douaniers. Le lieutenant Karim commande de la laisser la et de revenir le lendemain pour la récupérer avec les documents de l’ambassade : je n’aime guère ce type ! Je remercie les deux transporteurs avec un pourboire copieux, qu’ils ne refusent pas, tandis que je prends congé du Barbarino, qu’ils ont mis dans une espèce de garage au sous-sol des bureaux de la douane.

Je suis défoncé par la fatigue. Devant l'aéroport plusieurs hôtels brillent dans la lumière du jour qui commence. Je choisis le seul qui a quatre étoiles dans son panneau : Hôtel Esenboga Airport. Ça va être cher, mais ce n’est pas grave : le directeur de Sienne a promis de rembourser toutes dépenses, si je ramenais notre estimé collègue en patrie.

Après deux nuits passées en voyage, dès que je rentre dans la chambre je “meurs” sur le grand lit. C’est mon portable que j’avais oublié, qui me réveille : il est six heures ! Qui peut m’appeler à cette heure-là ?

« Allo, c’est Chiara Rigoni. De la douane on m’a dit que tu es revenu avec le corps : il faudrait que je t’explique une série de choses à faire. »

Je me rends compte de la lumière qui rentre des rideaux qu’il est six heures, oui, dans l'après-midi. J’essaye de me recomposer : « Pourquoi on n’en parle plus tard, peut être en mangeant quelque chose ensemble ? »

« D’accords » répond Chiara, après une brève hésitation.

« Il y a un restaurant dans le centre : on se voit là-bas à 21.30. L’adresse est Izmir Caddesi 3/17.»

« Pourrais-tu répéter ? » je demande encore un peu étourdi.

« I-Z-M-I-R-C-A-D-D-E-S-I 3/17 » elle épelle.

« Ok, je l’ai noté. A quelle heure ? »

« 21.30-22.00, bref pour diner » elle répond.

C’est clair que en Turquie ils gèrent les horaires de manière différente, mais bon, après un petit-déj a trois heures et dans l’attente d’un diner nocturne, je mange de suite un paquet de cacahouètes et un jus de fruits pris du frigo bar. Une fois mes forces rétablies, je prends de mon sac le calque de l’inscription que j’ai fait sur le mont Taurus ; je le déplie avec attention et je commence à traduire à la vue du grec :

‘‘ Julien, laissé le Tigre d’un courant furieux, ici reposait : il fut un bon empereur et un guerrier valeureux.’’

‘‘Reposait’’, ‘‘reposait’’. Ce verbe au passé, au lieu d’un présent, implique une seule chose : déjà au moment de l’inscription le corps, ou ce qui en restait, n'était déjà plus la !

Donc l'épigraphe était mise sur un cénotaphe : un monument construit en mémoire de la sépulture d’un homme illustre, mais dont les restes se trouvent ailleurs. Mais où ?

Pour me distraire de cette pensée, je décide d’aller voir la célèbre colonne historiée qui se lève dans la ville de l’Apostat. Je m’habille vite, je sors de l’hôtel et je fais signe au premier taxi : «Can you drive me to the place of Julian’s column?»

« Ah, eh… » répond un peu stupéfait le jeune homme. Et pourtant la place est connue pour la colonne de Julien, la seule d'époque romaine encore in situ. Je m’aide avec un geste presque obscène pour indique la colonne : de quelque façon le garçon comprend correctement la mimique et part à grande vitesse.

« Ulus, ulus » répète incompréhensiblement le malade. Il me laisse dans une place anonyme, entourée par des bâtiments modernes ; au milieu la colonne, 10-15 mètres d’hauteur : gravés sur elle on trouve des épisodes de la vie de Julien. Je fais un tour, en admirant plusieurs scènes, jusqu'à ce que reste touché par le bas-relief du cortège funèbre de l’empereur Constance. Derrière le corps posé sur un chariot, deux personnages couronnés ouvrent la procession : pour ce je me souviens, on les a identifiés avec Julien, et le plus grand avec le dieu Hélios. Maintenant, suite la découverte de l'épigraphe et de la tombe vide, j’avance une interprétation alternative : et si la scène entière ne représentait pas le cortège funèbre de Constance, mais la cérémonie de translation du corps de l’Apostat ? Peut-être dans la colonne qui représente les épisodes essentiels de sa vie, on a voulu symboliser aussi son dernier voyage ! Dans ce cas, Julien ne serait pas début, mais son corps allongé, tandis que les personnages couronnés qui le suivent pourraient être le nouveaux roi Valentinien et la figure mineure son frère Valens. Peut-être le professeur avait aussi compris ça, surement je peux affirmer quelque chose que les auteurs antiques nous ont pas transmis : une fois arrivés à Tarse, Valentinien et Valens non seulement rendirent hommage au caveau de son illustre prédécesseur, mais ils le ramenèrent ailleurs. Probablement ils ont pensé que cela n'était pas le bon endroit pour accueillir les restes mortels d’un empereur [ou ils craignaient faire la même fin : enterrés dans un coin oublié des montagnes Turques]. Ils avaient donc fait construire à côté du fleuve Cydnus le cénotaphe avec l’inscription retrouvée par le professeur, et au même temps ils avaient fait transporter le corps de Julien vers un endroit plus adapté. Mais où ?

Je n’arrive pas à m’enlever cette question de la tête, pendant que je marche vers le centre ; j’arrive au lieu du rendez-vous à 20.30, beaucoup à l’avance. Don Castillo : le nom du restaurant qu’elle a choisi, me fait penser à une typique taverne. Je m’assois sur une marche hors du local : je vois beaucoup passer beaucoup de femmes couvertes par de longues burqas noirs.

Chiara, qui porte des talons comme d’habitude, arrive après une heure et quart : « Ça fait longtemps que tu attends ? »

« Non » je réponds, en me levant et étirant mes jambes qui sont désormais courbatues. « Ça fait plaisir »

« On y va » elle me prend le bras.

Le restaurant est sombre, je ne vois pas très bien ce que je mange, mais peut-être il vaut mieux comme ça : les noms des plats sont trop difficiles, et elle attend de m’informer jusqu'à quand je les termine, un peu pour me surprendre un peu pour tout me faire essayer. Elle a commandé tous types de viandes et sauces : j'espère qu’il ne s’agisse que de veaux et pas de trucs bizarres.

Il faut que j’accomplis une mission, même si pas volontiers : « Ton copain était très gentil, il m’a beaucoup aidé ».

« Oui, il est toujours gentil, avec tous » elle répond froide.

« À propos de ça, Fatih aimerait te parler, mais il ne veut pas déranger. »

Je lui donne le papier : « Il m’a donné son numéro de portable et m’a dit… oui, voilà, il serait content si tu… »

« Merci, » elle m'interrompe « mais non, garde le, tu peux en avoir plus besoin que moi ! »

Je n’insiste pas, évidemment j’ai touché un sujet un peu délicat : « Alors, tu voulais m’expliquer quoi pour demain ? »

Chiara fait une liste détaillée de tous les passages. Ambassade à 08.00 : je dois récupérer un document et faire mettre un visa sur les documents de l'hôpital de Tarse, pour pouvoir récupérer le corps. Ensuite il faut passer auprès de la tristement célèbre douane pour récupérer mon passeport, et enfin un vol spécial à 11h. Elle ne sera pas là, mais je ne devrais pas avoir de problèmes. Je la remercie du cœur.

« C'était un plaisir » elle dit avec un sourire qui me semble malicieux.

Lundi 19 Juillet

L’ambassade de l'extérieur est exactement comme on peut l'imaginer : grande, blanche, avec l’air d’une de ces villes de campagne en style victorien qu’on peut trouver aux États Unis du sud. Je m’attends un patron avec des esclaves, mais je suis accueilli par un manager avec sa secrétaire et peu de temps pour moi. Je lui donne les documents de la morgue, la secrétaire les lit distraitement : elle les tamponne, agrafe un laissez-passer et s’occupe à la même vitesse des taches bureaucratiques. A la douane aussi tout se passe mieux qu’à l'arrivée. Le redoutable fonctionnaire du vendredi n’est plus là, un homme plus courtois le remplace : je reprends finalement mon passeport ; dans le futur je ferais une copie de mes documents avant de partir (on sait jamais).

On m’accompagne, ou mieux je suis escorté, jusqu'à me faire monter sur l’‘‘avion spécial’’ : un cargo fait pour transporter des biens, court et bas. J’estime très baisses les possibilités qu’il arrive à décoller. Je monte les escaliers jusqu'à une large entrée sur la partie postérieure (pas sur le côté), je traverse l'énorme soute, chargée d’un peu de tout ; derrière un rideau coulissant il y a une dizaine de passagers, et après la cabine de pilotage. Les sièges ne sont pas énumérés : je m’assois dans le seul qui est vide, à côté d’un monsieur qui, après m’avoir regardé de la tête aux pieds, continue à lire son quotidien. Nous attendons beaucoup, avant qu’ils autorisent le départ. J’ai oublié mon mp3 dans la valise ; pour ne pas penser au décollage je prends le rapport de ce bizarre médecin légiste : pages sur pages écrites à la main, en turque ; à la fin de la deuxième copie un résumé en anglais. Avec des termes médicaux légistes on déclare que Barbarino est mort à cause de la chute : on parle de multiples fractures vertébrales et d’une fatale à la nuque, mais pas de crise cardiaque.

Je suis étonné : l’assistant du professeur avait parlé d’un malheur comme cause du décès. Là on dirait qu’il est mort à cause d’un coup à la tête, probablement pendant la chute. Je pose le rapport : ça sera la police qui indague.

À ce point, incroyablement, l'avion a rejoint son niveau de vol : je me calme. Ça ne dure plus que un instant, car je me rends compte que en traversant la soute je n’ai pas vu le cercueil. Perdre une valise n’est pas sympa, mais un corps… !

Vu que dans ce cargo je ne crois pas y avoir d’hôtesse, je profite pour me lever, faire glisser le rideau et revenir en soute. En effet un cercueil est là, je me rapproche pour être sur : le nom est correct. Mais il y a quelque chose qui me touche : une note sur le côté court. Des lettres sont gravées, à la bonne, sur le bois : DDCF. Bizarre ! Quelqu’un à la douane doit les avoir gravées, vu que pendant le long voyage dans le fourgon je ne les avais pas remarquées ; j’en suis sûr : elles n'étaient pas la avant. On dirait des initiales : ça sonne sombre et familier au même temps.

Je reprends ma place : ce monsieur distingué est toujours en train de m’observer, du coin de l'œil.

Je suis un peu perplexe pour la gravure et pour la fin de Barbarino : je pense aux temps passés à son service, ou mieux sous sa ‘‘dictature ’‘ ; je ne le regrette pas, humainement je devrais être triste pour lui, mais j’y arrive vraiment pas. Après tout ce que j’avais écrit et fait pour lui, il n’avait même pas été en gré de me faire obtenir un poste fixe à la faculté. Il disait que je le méritais plus que tout le reste pour mon curriculum, mais il y avait toujours quelqu’un avec des crédits extra académiques qui me passait devant : j’ai vraiment bien fait à m’en sortir.

En arrivant à Fiumicino, je vais à la douane avec les documents turcs. Heureusement en Italie tout est plus simple : ils ne doivent que tamponner ici et là et c’est fini.

Je pense avoir vu dans un film un célèbre dealer utiliser les cercueils des soldats américains, morts en bataille, pour faire rentrer illégalement de la drogue aux États Unis. Dans mon cas personne ne s’en apercevrait : ils n’ouvrent pas le cercueil serré et le seul chien anti-drogue qui est présent, reste dans son panier.

Je donne le certificat du médecin légiste : « On m’a dit de vous le donner, pour que ce soit renvoyé à la Gendarmerie Nationale »

« Ne vous inquiétez pas » réponds le fonctionnaire « on va s’en occuper. »

Il met les documents sur une pile énorme à sa gauche, qui on dirait est là depuis plusieurs mois.

Ce n’est pas grave si personne ne va investiguer sur cette mort. Avant de partir, la dernière question : « Que dois-je faire avec le cercueil ? »

« Êtes-vous un familier ? » demande diligent l’employé.

« Non… on va dire un ami. »

« Alors vous devez la donner aux héritiers » est le verdict final.

Je sors encore plus perplexe. Parmi la foule je vois quelqu’un avec un panneau qui porte mon nom : j’ai toujours rêvé d’arriver à l'aéroport ou quelqu’un m’attendait avec un panneau bien en évidence.

Je l’approche : « Bonjour, je suis Francesco Speri».

« On vous attendait » répond avec fausse courtoisie une femme de la soixantaine. « Nous aimerons vous remercier pour tous ce que vous avez fait pour nous. »

A mon regard étonné la dame fait signe à un garçon de venir vers elle et se présente : « Grazia Barbarino, enchantée. Je suis la sœur du pauvre Luigi Maria et lui c’est mon fils : nous sommes venus pour donner un honorable enterrement à notre cher ».

Le ton poli et cette façade Mme Parfaite n’inspirent pas la sympathie. « Vous avez fait un bon voyage ? » demande-t-elle, peu intéressée par la réponse.

« Mes plus sincères condoléances. »

On dirait que personne d’entre eux n’est réellement affligé ; je ne le suis non plus, au contraire je suis bien content de me débarrasser du corps.

« Encore merci, pour tout » répète le garçon.

Certes, ils pouvaient y aller eux-mêmes en Turquie. J’essaye de ne pas laisser mon expression me trahir : « Je vous en prie. C'était le minimum, après toutes ces années… »

« Oui, oui, j’imagine… » coupe brusquement la dame.

« Je vous donne une copie du rapport du médecin légiste, au cas où vous voudriez le ramener chez un avocat » je rajoute bien marquant mes mots.

Malgré l’expression curieuse du jeune, la dame prend le document sans même le regarder : celui-là aussi sera mis de côté. En répétant mes condoléances, je me sépare du ce groupe bizarre et je vais vers le train.

Seulement une fois que le train interurbain de Rome arrive en gare de Chiusi pour changer, je me sens à nouveau en Italie ; j’arrive chez moi vers 19.30, après avoir pris un minibus de la gare de Sinalunga a Bettolle : je suis content d’être revenu à la tranquillité du petit village ou j’habite depuis quand j’ai gagné la bourse de recherche a la Faculté de Sienne.

Je pose ma valise et je descends de suite chez la voisine pour récupérer mon chat, qu’elle a gardé dans ces jours. Je frappe fort. Un enfant d’environ 5-6 ans ouvre la porte.

« Salut, ta grand-mère est là ? »

Le petit répond : « On dit comment ? » je reste sans mots.

« Maman dit qu’il faut toujours dire s’il vous plait. »

« Elle a raison. Alors, mon cher enfant, ta grand-mère est là, s’il te plait ? »

« Mais, c’est quoi mon nom ? »

Effectivement, je ne l’ai jamais su. « Comment t’appelles-tu ? » le petit tortionnaire sourit : « Je ne te dis pas ! »

« Allez, dis-le moi. »

« Tu me donnes quoi ? » il répond tout fier.

Et mes parents s'étonnent quand je dis que je ne veux pas d’enfants : « Un bonbon ? »

« Maman dit de ne pas accepter les bonbons des inconnus. »

« Mais je ne suis pas un inconnu, j’habite là-haut. »

L’enfant sort sa main droite, je lui donne un bonbon miel et menthe que heureusement j’avais dans la poche.

« Tu vas me le dire ton nom, maintenant ? »

Le petit serre le bras et plie la tête en avant :

« Gian…luca ».

« Très bien, Gianluca, est-ce que ta grand-mère est là ? »

« A part que tu n’as pas dit s’il te plait » il remarque. « Comment s’appelle mamie ? »

Je savais qu’il allait me le demander, mais je n’arrive vraiment pas à retenir son nom : « Federica ? »

« Non. »

« Elisabetta ? » j’ose.

« Presque » il sourit, heureux de ce jeu.

« Elisa ? »

« Deviné. »

« Alors, écoute moi bien : Cher Gianluca, ta grand-mère Elisa, est-elle la… s’il te plait ? »

« Non » et il me claque la porte dans la gueule.

Étonné devant la porte fermée, je pense à une scène de Caro diario de Nanni Moretti : il est en vacances à Salina en train de téléphoner à des copains et un enfant, avant de lui passer ses parents, le force à imiter les verses de plusieurs animaux. Heureusement Elisa a tout entendu : « Francesco, contente de te revoir, comment c'était ? »

« A part la bureaucratie… » je coupe court.

Elle sourit : « Pallino s’est porté très bien, voici, il arrive : il a dû t’entendre ».

Un chat blanc potelé fait coucou derrière les jambes de ma voisine et m’accueillit avec un gémissement, presque une réprimande.

« Merci encore, je n’aurais pas su ou le laisser. »

Je rentre chez moi avec le félin dans les bras. Après un bon diner, nous allons tous les deux nous coucher fatigués ; ça aurait dû être une aventure pour lui aussi, ces jours dans une autre maison.

Mardi 20 Juillet

« Content de te revoir au boulot, c'était bien les vacances ? » demande le directeur, dès que je rentre dans la filiale de Montepulciano Stazione.

Eh oui, je ne l’avais pas encore mentionné : après avoir laissé l’enseignement sous contrat a la faculté, j’ai terminé pour travailler au guichet d’une banque. Ce n’est pas le mieux, mais au moins c’est un poste fixe !

Je n’ai dit à personne la raison de mon voyage, ou mieux les deux raisons : la recherche du professeur et de l’empereur.

« C'était bien… un peu fatiguant. »

Le plus difficile c’est de s’en sortir des questions de Vito Darino, mon collègue du guichet à côté. Comme on dit par ici ‘‘ c’est un poisson bizarre’’ : normalement tranquille et docile, il s'énerve pour rien, il devient tout rouge, après violet et enfin soudainement il se dégonfle. Il est fâché avec tout le monde, il pense que personne ne comprend rien et que, pour cela, ils ont tous été promus tandis que lui, il est resté en arrière depuis toujours. Il dit qu’il est ‘‘célibataire’’ mais le terme le plus approprié serait ‘‘vieux garçon’’ : il n’a pas de copine depuis des décennies, il parle tout le temps de femmes, mais c’est un grand misogyne.

« Tu t’es amusé ? T’as connu une belle turquette ? » c’est toujours sa première question.

« Non, je me suis reposé. » rien de plus faux.

« J’ai aussi visité des lieux touristiques. »

« T’as été ou exactement ? » il insiste.

J’essaie de rester vague : « Bon… un site archéologique : tu sais, c’est ma passion ».

« Bien sûr, excusez-moi professeur » se moque Vito.

« De toute façon » j’essaye de répondre « c’est le travail que j’ai fait pendant dix ans, avant de commencer ici. »

Vito reprend son délire en hypnotisant des improbables aventures érotiques : « Et donc, pas de femmes ? »

« Qu’est-ce que tu veux : je commencerai à regarder les hommes. »

J’ai compris que cela est toujours une façon géniale de fermer la conversation.

Ensuite, collé devant l’ordinateur, je me mets en ‘‘pilotage automatique’’ dans ma routine de caisse. Certaines opérations sont longues et pénibles, autres passent légères comme les clients : dès que je les ai terminées j’oublie le numéro du compte et aussi la tête de la personne qui était devant moi.

Ce même soir, avant de sortir de la banque, je reçois un mail du directeur de la faculté de Lettres :

‘‘ Chères et chers collègues,

Je vous informe par la présente que les funérailles de notre illustre professeur Luigi Maria Barbarino, prématurément décédé à cause d’une tragique fatalité, se tiendront le Jeudi 22 à 16.30 à l’abbaye de Poppi…’’

Jeudi 22 Juillet

La campagne de la zone d’Arezzo, n’a rien à voir avec celle de Sienne. Autour de la ville du Palio il y a beaucoup de petit villages aussi beaux qu’on dirait faux et après il y a les collines : innombrables, petites et bien distinguées avec un seul hameau sur le sommet, entouré par des arbres. A côté d’Arezzo, au contraire, tout est plat, les cultures moins variées ; les maisons ne sont pas isolées, mais une à côté de l’autre, en laissant beaucoup d’espaces vides. Les rues aussi sont différentes : là-bas elles montent et descendent, avec plein de courbes entre des bosses et des pentes raides, ici une longue rue droite, qui ne semble jamais arriver nulle part.

J’arrive à Poppi déjà à 15.00, j’en profite pour voir le magnifique cycle de fresques dans le château des comptes Guidi ; je découvre ainsi que quand Dante était jeune il avait participé en tant que chevalier a la célébré bataille des plaines du château : j’ai toujours imaginé le somme poète enfermé dans sa chambre en train de rêver su des mondes éthérés, je ne le vois pas du tout avec une armure en embrochant et égorgeant ses ennemis.

Je descends à pied de la forteresse jusqu'à l’abbaye de Saint Fidèle. Pendant que j’admire la façade en pierres de tailles, deux professeurs arrivent avec la suite de disciples. Le professeur Alessandri vient m’adresser ses condoléances ; je remercie un peu étonné : je ne suis pas un familier, mais probablement pour eux le plus proche de Barbarino, en tant que son assistant pour des années. Quand trois autres spécialistes font le même, je réponds comme quand on est à l’enterrement d’une tante qu’on ne voit depuis des siècles et que, en plus, on n’aimait pas trop : « Merci, merci, malheureusement… c’est la vie. »

Finalement la famille arrive : j'envoie les condoléances vers eux, et je rentre dans l'église. Après des charmantes réflexions mélangées aux banalités du prêtre, on donne la parole au directeur, qui se lève du groupe des bancs de droite, celui des professeurs qui sont en train de mourir de chaleur dans leurs vestes et tailleurs. Tandis que le pointilleux professeur passe entre les files, la pensée générale est la même : que ça termine tôt. Le directeur, avec un ample geste dramatique, appuie sur le cercueil le mortier (le chapeau noir carré, que le président honoraire a donné pour faire hommage au professeur décédé). Et une fois arrivé sur le podium, il prend de sa poche interne trois feuilles, les déplie et les referme de façon théâtrale, tout cela accompagné d’un demi sourire comme à dire : j’avais préparé un discours, mais je serais magnanime et je vous l'épargnerai ; j’improvise. Un soupir de soulagement général commente ce geste.

« Chers collègues, nous sommes ici en représentation de l’entier corps professoral pour exprimer notre participation au fort deuil de la famille. »

[Traduit du langage académique cela signifie : Cela n'intéresse même pas à la famille, imaginons aux professeurs ; voilà pourquoi on est si peu.]

« Nous avons tous été frappés par le soudaine et prématuré trépas de notre bien aimé collègue… »

[= On a tous été content quand le vieux baron, finalement, est crevé…]

« Son décès laisse un trou difficilement surmontable, dans l’organisation académique. »

[= je ne vais surement pas le remplacer, au contraire j’utiliserai l’argent de son poste pour promouvoir ma maitresse]

Je Suis L'Empereur

Подняться наверх