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PREMIÈRE PARTIE
LES PRISONS
I. PARIS

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Les prisons de la Seine sont au nombre de huit; plus quatre dépôts de sûreté. Elles renfermaient l'année dernière, au jour où a été fait le relevé des écrous, 4520 détenus, dont 3219 hommes et 1301 femmes.

Cette population se divisait ainsi:

Mazas, 1050 hommes; la Roquette (dépôt des condamnés), 384 hommes; la Conciergerie (maison de justice), 82 hommes; Saint-Lazare (maison d'arrêt et de correction), 2 hommes et 992 femmes; Madelonnettes (idem), 440 hommes; Sainte-Pélagie (idem), 526 hommes; Saint-Denis (maison de répression), 618 hommes et 298 femmes; Clichy (prison pour dettes), 117 hommes et 11 femmes.

Voici comment le travail est divisé dans ces maisons:

À la Roquette, il y a surtout des cordonniers, des corroyeurs, des natteurs, des papetiers, de la sparterie et des tailleurs.

À la Conciergerie, il n'existe pas d'ateliers; tout le travail se réduit au service intérieur.

À Saint-Lazare, les spécialités de travail sont la couture, le raccommodage, le service intérieur.

À Sainte-Pélagie, nous trouvons de grands ateliers: agrafes, boutons, chaînes, chapelets, chaussonnerie, cordonnerie, cuirs, éventails, menuiserie, joncs, plaques en cuir, sparterie, semelles, tailleurs et service intérieur.

À Mazas, les industries sont moins nombreuses: les agrafes, les chaînes, les chaussons, le cuir, les copistes, les épinglettes, les tailleurs, la papeterie.

Aux Madelonnettes, mêmes ateliers, et, en plus, plumassiers, vieux linge.

À Saint-Denis, mêmes industries.

La moyenne de la journée de travail est de 47 centimes.

Le travail a produit net: 420 946 fr. 82 c., qui ont été répartis: 157 315 f. aux hommes, 57 567 f. aux femmes et 205 973 f. à l'entrepreneur.

Aux dépôts de sûreté, le travail est nul.

Nous donnons plus loin une très-minutieuse description de Mazas, la prison la plus curieuse de Paris. Nous allons seulement passer en revue quelques établissements pénitentiaires de la capitale, en indiquant leurs caractères principaux.

LA CONCIERGERIE

Est ainsi nommée parce qu'au temps où les rois de France habitaient le palais de la Cité, c'était dans ce bâtiment que demeurait le concierge de la résidence royale.

C'est là que furent enfermés Ravaillac, l'assassin de Henri IV, et Damiens, qui avait frappé Louis XV.

La tour de Montgomery doit son nom au séjour forcé qu'y fit le comte de Montgomery, après avoir frappé Henri II de sa lance dans un tournoi.

Ont été enfermés à la Conciergerie Marie-Antoinette, madame Élisabeth, les Girondins, madame Roland, le duc d'Orléans, Danton, Camille Desmoulins, les Hébertistes, Robespierre, Saint-Just; sous l'Empire, Georges Cadoudal; sous la Restauration, le comte de La Vallette, les quatre sergents de La Rochelle, Béranger; sous Louis-Philippe, Godefroy Cavaignac, Marrast, Lamennais, et enfin, à une époque récente, MM. Nefftzer, actuellement rédacteur en chef du Temps, Ch. et F. Hugo, Vacquerie, Paul Meurice, Pianori et Orsini.

SAINT-LAZARE

Cette prison fut d'abord un monastère, et saint Vincent de Paule l'habita avec la congrégation des Prêtres de la mission. Il y mourut en 1660.

C'est là que sont enfermées les femmes coupables et notamment toutes celles qui se livrant à la prostitution ont contrevenu aux règlements de police.

Saint-Lazare contient une pistole, où habitent les détenues qui peuvent payer les frais de leur séjour. Ces cellules ne sont fermées que pendant la nuit.

Les femmes qui sont condamnées pendant qu'elles nourrissent conservent leur enfant dans la prison.

La garde des détenues est confiée à cinquante sœurs.

Les femmes travaillent dans un atelier et sont particulièrement occupées à des ouvrages de couture. La journée rapporte en moyenne deux francs.

Le nombre des détenues est de 900 à 1000.

Enfin, c'est à Saint-Lazare que se trouve la manutention du pain pour toutes les prisons de Paris.

SAINTE-PÉLAGIE

Les renseignements les plus complets et les plus intéressants ont été donnés par M. Alfred Sirven dans un volume publié: Les Prisons politiques1.

Sainte-Pélagie est particulièrement affecté aux détenus pour dettes (la contrainte par corps subsistant pour les dettes envers l'État) et les condamnés politiques. Un pavillon particulier, dit des Princes, est réservé aux condamnés pour délits de presse.

Bien des illustrations ont passé à Sainte-Pélagie; contentons-nous de citer Béranger, P.-L. Courier, Armand Carrel, Lamennais, Proudhon, M. de Girardin, Laurent Pichat, Vermorel, Eug. Pelletan.

Cette prison se trouve rue de la Clé, non loin de l'hôpital de la Pitié.

Sans nous arrêter à

LA ROQUETTE

qui n'a d'intérêt que par la cellule des condamnés à mort, décrite dans notre chapitre consacré aux exécutions, arrivons enfin à la prison la plus importante de Paris.

MAZAS

Nous empruntons nos détails à un très-curieux travail d'un journaliste, M. Jules Lermina, qui, sous ce titre, Soixante-douze heures à Mazas, publia dans le Corsaire, journal qui n'eut que trois mois d'une existence très-agitée, une relation minutieuse de ce qu'il avait vu et remarqué pendant son séjour dans cette prison.

Nous avertissons seulement le lecteur qu'il remarquera beaucoup d'optimisme dans cette description: le prisonnier était sans doute d'une dose remarquable de philosophie; mais nous avons été en général habitués à une telle exagération en sens contraire dans les descriptions publiées par les détenus, que nous ne regrettons pas de devoir à la liberté d'esprit du prisonnier des détails que d'autres plus émus eussent passés sous silence.

C'est le détenu qui parle:

La voiture cellulaire

Il faisait presque nuit: quelques minutes après, et sans que je puisse trop me rappeler comment, j'étais dans la voiture. Elle m'a paru contenir dix cellules. Celle où je me trouvais avait exactement la forme d'une boîte longue, dressée dans le sens de sa hauteur. J'étais assis sur un petit banc, soutenu par une tige de fer mobile, à la façon des strapontins de nos victorias à deux places. La largeur de la boîte ne dépassait pas de plus de trois ou quatre centimètres celle de mes épaules. J'étais emboîté, le mot est parfaitement exact. Je n'avais pas le loisir d'étendre mes jambes, mais du moins mes genoux ne touchaient pas à la paroi qui me faisait face et qui formait une partie de la cloison extérieure de la voiture. Victor Noir était dans la boîte adossée à la mienne, et nous pûmes échanger quelques mots.

En face de moi, se trouvait une ouverture fermée d'abord à l'intérieur par des feuillets de persiennes, fixés et serrés, puis à l'extérieur par une sorte de cloison qui empêchait absolument de voir au dehors. Cependant, tout à fait à sa partie supérieure, et en se dressant à demi sur ses pieds, on apercevait le ciel et souvent le haut des maisons.

L'arrivée

Je me trouvai dans un premier greffe, où l'on prit mon état civil, complet, qui fut inscrit sur un livre, et mon signalement; je dus retourner mes manches afin qu'on pût vérifier si j'avais quelque tatouage. Puis on m'ouvrit une autre porte, et je me trouvai dans un couloir garni latéralement de cellules de bains. Quelques instants après, on me fit entrer dans une de ces cellules. Le surveillant me demanda où j'avais passé la nuit à la Préfecture de police, si c'était dans la salle commune du dépôt, ou à la pistole. Je lui répondis que j'avais couché à la pistole. Il m'expliqua alors, que le dépôt, étant trop souvent un réceptacle de vermine, cette question avait pour but de s'assurer s'il était nécessaire que mes vêtements fussent passés au soufre; auquel cas j'aurais dû revêtir le costume de la prison. Tel n'était pas mon cas. Le surveillant se retira et fut remplacé par le préposé à la fouille. Je vidai mes poches. Cet employé vérifia, mais avec égard et discrétion, si je ne dissimulais rien (il ne fut nullement question, bien entendu, de certaines investigations réservées aux criminels et aux forçats); puis il me laissa mes papiers, mon argent, et me souhaita bonne chance.

C'était une dernière étape. On me remit un petit carré de tôle sur lequel je lus: 1re division, no 109; on me fit passer dans une grande salle à l'entrée de laquelle on me remit une paire de draps. Puis on cria: Recevez le 109. Une autre voix répondit: Envoyez le 109, et je montai un petit escalier de pierre qui me fit parvenir au premier étage de la salle.

Cette salle, qui a la forme d'un carré très-long, se compose d'un rez-de-chaussée, garni de portes de cellules, puis, au premier, une galerie à balustrade faisant tout le tour de la salle, coupée en diverses places par des ponts qui font communiquer les deux côtés. Je suivis la galerie de gauche, un surveillant me demanda ma petite plaque de tôle, une porte me fut ouverte et… j'entrai dans ma cellule.

La cellule

En voici la description aussi exacte que si son image sortait d'un objectif:

La cellule est un carré long, aux dimensions suivantes:

Hauteur: 2 mètres 60.

Largeur: 1 mètre 85.

Longueur: 3 mètres 85.

Elle est peinte en deux couleurs: d'abord jusqu'à une hauteur de 1 mètre 50 en jaune chamois, puis dans la partie supérieure en blanc.

Nous avons quatre murs formant les quatre côtés du parallélogramme: le mur A, où se trouve la porte; le mur B, qui lui fait face, constituant la largeur. Puis le mur C à gauche en regardant la porte de l'intérieur, le mur D à droite, dans les mêmes conditions.

Mur A.—La porte, large de 57 centimètres, est en chêne plein, boulonné. Elle est haute de 1 mètre 90, et percée, aux deux tiers de sa hauteur, d'un guichet large de 25 centimètres sur 12. Devant le guichet, une petite tablette demi-cercle avec rebord.

Le numéro de la cellule est peint en noir à l'intérieur de la porte.

À gauche de cette porte, une tablette sur laquelle on pose le matelas; au-dessus, une longue planche, tenant toute la largeur de la cellule, servant à placer les couvertures et les draps.

À droite de la porte, d'abord, dans le mur, une plaque de fer, munie d'une petite poulie intérieure, donnant passage à une forte corde avec poignée de bois. C'est le timbre d'alarme destiné à avertir le surveillant en cas d'accident survenant au détenu.

Toujours à droite de la porte, dans l'angle, une planchette de coin sur laquelle on place la terrine de toilette. Au-dessous, s'élevant au-dessus du sol, le siége du conduit d'aisance.

Mur B, faisant face à la porte. Ce mur est percé d'une ouverture trop haute pour qu'un homme y puisse atteindre; cette ouverture, garnie d'un vasistas en retrait, à quatre carreaux de verre cannelé, est garantie à l'extérieur par sept barreaux de fer. Impossible de voir le moindre coin de ciel. Du reste, la cellule est très-convenablement éclairée.

Le vasistas s'entr'ouvre de l'intérieur, au gré du détenu, au moyen d'une tige en fer, faisant agir un pène d'emboîtement.

Occupons-nous maintenant du mur de gauche. Toutes les indications—droite—gauche—sont prises de l'intérieur en regardant la porte.

Le mur de gauche est celui qui doit nous préoccuper le plus, car c'est celui que regarde presque continuellement le prévenu; dans ce mur est scellée une table de chêne, à quatre pieds avec tiroir. Cette table n'a pas de grandes dimensions, 85 centimètres sur 50. Elle est munie d'une barre transversale sur laquelle se posent les pieds. Dans le côté droit, est fiché un piton, dans lequel s'engage une chaîne de trente-sept maillons, longue de 90 centimètres, qui tient à une chaise. Cette chaise peut par conséquent être remuée dans toute la longueur de la chaîne, mais de telle façon qu'on peut la rapprocher de la porte, mais qu'il est de toute impossibilité de l'avancer plus loin que le milieu de la table, et par conséquent de l'approcher du mur de fond où se trouve le vasistas.

Le long de ce mur (le mur de gauche toujours) règne un conduit de gaz aboutissant à un bec qui se trouve juste au-dessus de la table un peu à gauche. Il a été disposé ainsi pour que l'ombre de la main qui écrit se trouvât en dehors, et par conséquent ne gênât en aucune façon. Ce bec de gaz, je l'ai dit, n'est muni d'aucun bouton.

Dès que la nuit vient, le surveillant ouvre le guichet de la cellule, et crie au détenu: Allumez le gaz!

On enflamme une allumette, et on attend. Le surveillant tourne la clef à l'extérieur de la cellule et le gaz prend feu. À huit heures, le gaz s'éteint, toujours par les soins du surveillant, qui ferme à l'extérieur.

Il y a encore là quelques minutes curieuses à observer, tandis qu'on attend l'extinction du gaz. On se sent oppressé comme si un ami allait vous quitter, et la flamme qui disparaît vous laisse presque un vide dans le cœur.

Passons au mur de droite, qui n'est pas le moins intéressant.

Sur le mur de droite, au-dessus de la couche inférieure de peinture jaune chamois, sont collés cinq imprimés.

Le premier contient un almanach pour 1866 et 1867, encadré de dix colonnes de texte, signés de l'abbé J… (sic), et contenant des conseils religieux aux prévenus. Il y est notamment insisté sur la nécessité du travail et sur l'avantage de la cellule, les mouvements des prisons communes entraînant la promiscuité de vices, les mauvais conseils et la publicité de la faute et du châtiment.

Le deuxième imprimé contient le prix de vente des articles vendus dans les cantines des prisons de Paris. Voici les principales dispositions de ce tarif:


Le troisième présente un intérêt particulier; je l'ai copié entièrement:

Règles à observer par le détenu placé dans cette cellule

Il est expressément défendu de chanter, de parler à haute voix ou de chercher à établir des communications avec les autres détenus. La même recommandation est expressément faite pour le temps du trajet aux parloirs ainsi qu'aux promenoirs.

Le détenu doit tenir la cellule constamment propre et n'y faire aucune dégradation, ni tracer aucun dessin sur les murs sous peine de punition.

Il doit tenir dans la plus grande propreté le siége et la cuvette du conduit d'aisances et n'y jeter que l'eau absolument nécessaire pour les soins de la propreté. Ce siége étant destiné à donner passage au mauvais air qui pourrait exister dans la cellule, le détenu aura soin de n'en fermer l'orifice que lorsqu'il tiendra sa fenêtre ouverte. Dans ce cas, il placera sur l'orifice du siége le petit tampon de bois destiné à cet usage et baissera le couvercle. Sans cette précaution, la ventilation, qui se fait par l'intérieur, ne pouvant s'opérer, l'air ne se renouvellerait pas, ce qui serait nuisible à la santé.

Tous les matins, à l'heure qui sera indiquée par le surveillant de la galerie, le détenu roulera son hamac et son matelas, les attachera ensemble, avec la courroie destinée à cet usage, et placera le tout propre et bien empaqueté sur la tablette.

Les couvertures et les draps seront pliés avec régularité et placés sur la tablette qui se trouve au-dessus de la porte.

L'heure de dresser le lit, le soir, sera également indiquée par le surveillant, les lits ne devant jamais être tendus pendant le jour.

Lorsque le détenu aura besoin de parler au surveillant, il tirera la poignée de bois placée à côté de sa porte, ce qui fera résonner un timbre d'appel destiné à prévenir le surveillant. Il ne doit pas appeler de la voix et surtout ne pas déranger sans un motif urgent les préposés à la surveillance.

Lorsqu'il sera appelé, soit au parloir, soit au promenoir, soit au greffe, le prévenu devra s'y rendre avec célérité et en observant le plus grand silence.

Aux heures de distribution des vivres, il tiendra sa gamelle sur la planchette située devant le vasistas de sa porte, de manière que le surveillant puisse la prendre facilement et que le service soit promptement fait.

Le prévenu est responsable des dégradations qu'il ferait, soit à sa cellule, soit au coucher ou au mobilier. S'il désire être visité par le médecin ou avoir d'urgence un entretien avec le directeur, l'aumônier ou autres employés, il en préviendra le surveillant chef de sa division, qui se chargera de prévenir qui de droit. Le prévenu peut également réclamer la visite de l'inspecteur général ou lui faire passer ses réclamations.

Chaque fois que le détenu sortira de sa cellule pour aller au greffe, au promenoir ou au parloir, il aura soin de se munir de la petite plaque qui se trouve suspendue au-dessus de la porte de la cellule afin de la représenter, à sa rentrée, au surveillant de la galerie pour s'en faire reconnaître.

Les détenus qui, par suite de condamnations, désireront former appel de leur jugement, écriront pour cela à M. le procureur impérial. Leur signature apposée au bas de la lettre devant être légalisée par le greffier, ils ne signeront qu'en présence de cet employé; ceux qui ne sauraient point écrire feront verbalement connaître leur désir au surveillant de leur galerie.

Lorsque ce détenu sera au parloir avec son visiteur, il ne devra élever la voix qu'autant qu'il sera nécessaire pour se faire entendre; dans le cas contraire, le surveillant chargé de la police le ferait immédiatement rentrer dans sa cellule.

Toute infraction sera puni conformément aux règlements.

Le quatrième imprimé est ainsi formulé:

État des objets composant le mobilier de la cellule d'un détenu valide:

Un hamac,

Un matelas laine et crin,

Couverture de laine beige (2 hiver, 1 été),

Deux draps de toile, d'un lé,

Une table à tiroir,

Une chaise ordinaire,

Une gamelle de fer-blanc étamé,

Un bidon, id. (pour l'eau),

Un gobelet, id.,

Une caisse de bois,

Une terrine pour la toilette,

Un jegneux crachoir,

Un balai de chiendent,

Un balai de bouleau,

Trois tablettes de bois blanc.

On appelle jegneux crachoir un pot en terre verni qui se place par terre auprès de sa table.

Le cinquième imprimé indique les règles à observer par le prévenu placé dans le promenoir, qui se résume en ces quelques mots: silence et bonne tenue.

Le lit

Le lit se compose d'une large sangle de toile grise, très-forte, semblable à celle qui sert à confectionner les tentes militaires. Cette bande, large de 60 centimètres et longue de 1 mètre 60, est garnie à ses deux extrémités de rouleaux de bois qui s'adaptent, l'un, à la tête, dans deux crochets de fer fixés au mur; l'autre, au pied, dans deux chaînons munis de crochets.

C'est un hamac suspendu, comme on a dû facilement le comprendre. Sur cette sangle se pose un matelas de laine, avec draps et couvertures. Inutile de dire que de traversin ou d'oreiller il n'est nullement question.

L'horloge

La connaissance du temps est-elle bien un adoucissement aux peines du détenu? pour moi, je le crois. L'horloge de Mazas résonne forte et grave, indiquant les heures, les quarts et les demies. Je désirerais un perfectionnement, c'est que l'heure se répétât à tous les quarts. On va me comprendre.

La connaissance de l'heure est indispensable aux détenus afin qu'ils règlent leur existence, conformément aux règles de la maison d'arrêt. À telle heure on prend les lettres; à telle autre, la promenade; à telles autres, les repas.

Si le détenu est absorbé par quelque occupation, il se peut qu'il n'entende pas l'heure elle-même. Alors il entend sonner un quart, une demie, trois quarts, sans savoir à quelle heure ces divers sons se rapportent.

Il faudrait donc que l'horloge sonnât ainsi:

Trois heures—Trois heures—un quart. Trois heures—et demie. Trois heures—trois quarts.

Ce changement paraît insignifiant, et cependant je le répète, il est de la plus grande importance. Car il faut partir de ce fait vrai, que sur onze cents détenus qui aujourd'hui écoutent tinter l'horloge de Mazas, un dixième au plus possède une montre.

La nourriture réglementaire

La nourriture de la maison consiste en deux repas, l'un à huit heures du matin, l'autre à trois heures. Le premier repas consiste en une gamelle de bouillon avec du bœuf. J'ai goûté de ce bouillon, que je n'hésite pas à déclarer supérieur à celui que débitent bien des gargottes de ma connaissance. À trois heures, une gamelle de légumes, haricots, pois cassés. Un pain d'une livre, pain noir, dit de munition. J'en avais mangé au dépôt de la préfecture de police et préférai m'abstenir ici.

Pour ceux qui n'acceptent pas la nourriture réglementaire, les ressources ne manquent pas.

D'abord la cantine desservie par le surveillant, vin, œufs, fromage et charcuterie. Puis le commissionnaire qui, moyennant une bonne main de dix centimes, va chercher au dehors les plats que vous lui désignez.

Dépenses

Pour l'édification de mes lecteurs, je transcrirai ici deux de mes notes:

Du 5 décembre:

Du 6 novembre:

Les parloirs

Les parloirs ordinaires, que je n'ai fait qu'apercevoir (car par une faveur spéciale, due sans doute au peu d'importance de l'accusation qui planait sur moi), se composent de deux petites cellules placées en face l'une de l'autre et séparées par un couloir large de vingt-cinq centimètres environ. Ces cellules se regardent par une cloison fermée de barreaux de fer et grillagée. Il y a dans chacune d'elles juste la place nécessaire pour s'asseoir. Le détenu est placé dans l'une, le visiteur dans l'autre, et l'on se parle à travers la distance du petit couloir, sans pouvoir ni s'embrasser, ni se toucher la main. Il est interdit de parler haut, et un gardien vous surveillant par le petit corridor dont j'ai parlé, toute communication est impossible. Inutile de dire qu'en outre le visiteur a été minutieusement fouillé à l'entrée de la prison. C'est ainsi qu'on voit sa femme, son père ou son enfant, et ceci les mardis et vendredis.

La promenade

L'heure de la promenade est variable, en ceci que les préaux ne permettent qu'à cent prévenus de se promener simultanément, et plus de la moitié des prisonniers profitant de cette faculté, il faut au moins cinq heures pour que les promenades puissent s'effectuer. On se trouve donc, suivant le cas, de la première fournée ou des suivantes.

Donc le surveillant ouvre le guichet et crie: Promenade. Vous devez être tout prêt et crier: Oui.

Alors la porte s'ouvre; le surveillant vous remet une petite plaque en tôle indiquant le numéro de votre cellule et vous enjoint de courir au bout de la galerie, de descendre l'escalier que vous rencontrez, et, toujours courant, d'aller jusqu'à une petite porte devant laquelle vous attend un autre surveillant.

Pourquoi courir? demandez-vous. Voici l'explication de ce mouvement. Je l'ai déjà dit, il est de principe à Mazas que jamais les détenus ne doivent se rencontrer ni même s'apercevoir. Toute communication est rigoureusement interdite.

Au moment où le signal des sorties pour la promenade a été donné, un coup de sonnette retentit. Le premier détenu court jusqu'à la petite porte dont je viens de parler, et ce n'est que lorsqu'il l'a franchie qu'un nouveau coup de sonnette avertit le surveillant qu'un second détenu peut être livré à la circulation.

Les préaux

La description des promenoirs de Mazas a été faite cent fois: cependant, pour l'intelligence de ce trop fidèle compte-rendu, il est nécessaire que je revienne sur ces détails.

Toute la maison d'arrêt est construite sur un système circulaire. Ainsi, tracez un cercle au centre, posez un point qui vous représentera le greffe, puis tirez les rayons de ce centre à la circonférence, vous avez les salles de cellules. Entre ces rayons, que je suppose au nombre de dix, tracez de nouveaux cercles et placez également au centre un point, vous avez les promenoirs, qui seront vingt rayons tirés de ce centre à la circonférence extérieure. Les promenoirs sont au nombre de cinq, dans chacun desquels peuvent se promener dix-neuf détenus. Les préaux, au nombre de dix-neuf, plus un vingtième qui sert de passage, sont, on le comprendra facilement, si on a pris la peine de tracer la petite figure que j'ai indiquée, étroits à l'endroit où ils touchent le centre et s'élargissent graduellement jusqu'à ce qu'ils rencontrent la circonférence, marquée ici par une grille de fer à trente-sept barreaux.

Voici les dimensions de chaque préau, séparé des autres par deux murs:

Largeur auprès du centre, c'est-à-dire à la porte, 75 centimètres.

Largeur à la circonférence, c'est-à-dire à la grille, 6 mètres 15.

Longueur des murs latéraux, 5 mètres.

Il faut quarante-deux pas ordinaires pour arpenter le tour du préau, et, singulière coïncidence, on fait d'un pas égal et soutenu, sans lenteur comme sans précipitation, quarante-deux fois le tour du préau en quinze minutes. Je l'ai expérimenté plusieurs fois et je puis répondre de l'exactitude de ces chiffres.

La promenade dure environ une heure, y compris le délai nécessaire pour l'entrée et la sortie. Inutile de rappeler que chaque détenu est complètement seul dans son préau, qu'il peut lire et fumer, mais qu'il lui est interdit de chanter ou de tenter de se faire entendre de ses voisins du préau.

Ce que nous avons appelé le centre est occupé par une rotonde, à rez-de-chaussée et à premier étage. Ce premier étage a un nombre de larges ouvertures correspondant au nombre des préaux. Un surveillant en fait continuellement le tour à l'intérieur pendant toute la durée des promenades. Il domine ainsi tous les préaux, qui, bien entendu, sont à ciel ouvert, et pas un mouvement des détenus ne lui échappe.

Comme si cette précaution n'était pas suffisante, un autre surveillant tourne continuellement aussi autour de la circonférence extérieure, regardant les détenus à travers les grilles dont j'ai parlé.

Un troisième surveillant se trouve dans la rotonde du centre, au rez-de-chaussée, surveillant les portes et se tenant toujours prêt à ouvrir, au cas où les détenus auraient besoin de son ministère.

Lorsque vous arrivez au promenoir, on vous indique la porte du préau qui vous est échue en partage; il faut, aussitôt entré, tirer cette porte sur soi. Le surveillant vous invite en même temps à ne pas aller jusqu'à la grille du fond avant qu'il vous y ait autorisé. Ceci pour éviter qu'à travers cette grille vous ne puissiez apercevoir les détenus traversant la cour pour se rendre au promenoir.

Enfin, tous les prisonniers étant casés dans leur préau, le surveillant crie: Promenez-vous.

Vous êtes libres alors, soit de vérifier les chiffres que j'ai indiqués plus haut, soit, si vous êtes fatigué, de vous asseoir sur un bloc de pierre, qui se trouve auprès de la grille. Cette partie du préau est, en outre, recouverte d'un auvent, refuge en cas de pluie.

Dans un de ces préaux, je remarquai auprès de la porte une large trappe de fer. J'ai appris depuis que c'était l'ouverture des égouts qui rayonnent sous cette città dolente.

Une nuit, un détenu tenta de s'évader: il parvint à ouvrir le vasistas que j'ai dépeint dans la cellule, descella un barreau de fer et, se laissant glisser avec ses draps, vint descendre dans un préau où se trouvait une trappe semblable. Il l'ouvrit et se plongea résolument dans l'égout. Le malheureux avait de l'eau jusqu'aux épaules, et cette eau, immonde, était glacée. Il marcha cependant dans la direction de la Seine. L'espoir de la délivrance le soutenait. C'était un faux monnayeur condamné à dix ans de travaux forcés. Il aperçut enfin une lueur… c'était la Seine. Il était sauvé… il le croyait du moins. Mais l'ouverture de l'égout était fermée de solides barreaux de fer entrelacés. Tant de courage avait été inutile. Le misérable revint sur ses pas, à travers l'eau fangeuse. Il eut l'énergie de rentrer dans la prison, de grimper de nouveau jusqu'à sa cellule… Le lendemain, on le trouva épuisé, presque mourant.

Il avoua tout et fut condamné à deux ans d'emprisonnement pour tentative d'évasion.

1

Chez Lebigre-Duquesne. 1 vol., 3 fr.

Peines, tortures et supplices

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