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CHAPITRE I

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Préliminaire

«Berger, as-tu de la philosophie?»


Shakespeare. (Comme il vous plaira.)

C'était une belle matinée d'avril, quoique la neige fût tombée abondamment pendant la nuit; aussi la terre était couverte d'un manteau éblouissant de blancheur, lorsque deux voyageurs à cheval arrivèrent à l'auberge de Wallace. Le premier était un homme grand et robuste, vêtu d'une redingote grise (Riding-coat: manteau de cavalier), avec une toile cirée sur son chapeau, un grand fouet garni en argent, des bottes et de gros éperons. Il montait une grande jument baie, au poil rude, mais en bon état, avec une selle de campagne et une bride militaire à double mors un peu rouillé. Celui qui l'accompagnait paraissait être son domestique; il montait un poney gris (Petit bidet d'Écosse), portait un bonnet bleu, une grosse cravate autour du cou, et de longs bas bleus au lieu de bottes. Ses mains, sans gants, étaient noircies de goudron, et il avait vis-à-vis de son compagnon un air de respect et de déférence, mais aucun de ces égards affectés que prodiguent à leurs maîtres les valets des grands. Au contraire, les deux cavaliers entrèrent de front dans la cour, et la dernière phrase de leur entretien fut cette exclamation: – Dieu nous soit en aide! si ce temps-là dure, que deviendront les agneaux? Ces mots suffirent à mon hôte, qui s'avança pour prendre le cheval du principal voyageur, et le tint par la bride pendant que celui-ci descendait; le garçon d'écurie rendit le même service à son compagnon; et mon hôte, saluant l'étranger, lui demanda: – Eh bien! quelles nouvelles des montagnes du sud? (Par opposition aux montagnes du nord. C'est le nom qu'on donne aux montagnes des comtés de Rosburgh, de Selkirk, etc.)

– Quelles nouvelles? dit le fermier; d'assez mauvaises, je crois; si nous pouvons sauver les brebis, ce sera beaucoup; quant aux agneaux, il faudra les laisser aux soins du Nain noir.

– Oui, oui, ajouta le vieux berger (car c'en était un) en hochant la tête, le Nain aura beaucoup à faire avec les morts ce printemps.

– Le Nain noir! dit mon savant ami et patron Jedediah Cleishbotham; et quel personnage est celui-là?

– Allons donc, mon brave homme, vous devez avoir entendu parler du bon Elsy, le Nain noir, ou je me trompe fort… Chacun raconte son histoire à son sujet; mais ce ne sont que des folies, et je n'en crois pas un mot depuis le commencement jusqu'à la fin,

– Votre père y croyait bien, dit le vieux berger, évidemment fâché du scepticisme de son maître.

– Oui, sans doute, Bauldy; mais c'était le temps des têtes noires (Black-faces, loups-garous); on croyait alors à tant d'autres choses curieuses qu'on ne croit plus aujourd'hui.

– Tant pis, tant pis, reprit le vieillard; votre père, je vous l'ai dit souvent, aurait été bien contrarié de voir démolir sa vieille masure pour faire des murs de pare, et ce joli tertre couronné de genêts où il aimait tant à s'asseoir au coucher du soleil, enveloppé de son plaid pour voir revenir les vaches du loaning (endroit découvert, près de la ferme, où l'on trait les vaches);… pensez-vous que le pauvre homme serait bien aise de voir son joli tertre bouleversé par la charrue comme il l'a été depuis sa mort?

– Allons, Bauldy, prends ce verre que t'offre l'hôte, dit le fermier, et ne t'inquiète plus des changements dont tu es témoin, tant que pour ta part tu seras bien toi-même.

– A votre santé, messieurs, dit le berger; puis, après avoir vidé son verre et protesté que le whisky était toujours la chose par excellence, il continua: – Ce n'est pas, certes, à des gens comme nous qu'il appartient de juger, mais c'était un joli tertre que le tertre des genêts, et un bien brave abri dans une matinée froide comme celle-ci.

– Oui, dit le maître, mais vous savez qu'il nous faut avoir des navets pour nos longues brebis, mon camarade, et que, pour avoir ces navets, il nous faut travailler rudement avec la charrue et la houe; ça n'irait guère bien de s'asseoir sur le tertre des genêts pour y jaser à propos du Nain noir et autres niaiseries, comme on faisait autrefois, lorsque c'était le temps des courtes brebis.

– Oui bien, oui bien, maître, dit le serviteur, mais les courtes brebis payaient de courtes rentes, que, je crois.

Ici mon respectable et savant patron s'interposa de nouveau, et remarqua qu'il n'avait jamais pu apercevoir aucune différence matérielle, en fait de longueur, entre une brebis et une autre.

Cette remarque occasionna un grand éclat de rire de la part du fermier, et un air d'étonnement de la part du berger. – C'est la laine, mon brave homme, c'est la laine, et non la bête elle-même, qui fait appeler la brebis courte ou longue. Je crois que si vous mesuriez leur dos, la courte brebis serait la plus longue des deux, mais c'est la laine qui paie la rente au jour où nous sommes, et nous en avons bon besoin.

– Sans doute, Bauldy a bien parlé, les courtes brebis payaient de courtes rentes, mon père ne donnait pour notre ferme que soixante pounds, et elle m'en coûte à moi trois cents, pas un plack ni un bowbie de moins (Le pound d'Écosse ne vaut que la vingtième partie du pound anglais ou livre sterling, environ un shelling ou vingt-cinq sous de notre monnaie. Le plack et le bowbie répondent à peu près à nos liards); et il est vrai aussi que je n'ai pas le temps de rester ici à conter des histoires. – Mon hôte, servez-nous à déjeuner, et voyez si nos rosses ont à manger. Il me faut aller voir Christy Wilson, afin de nous entendre sur le luckpenny (C'est l'escompte qu'obtient dans un marché celui qui paie comptant), que je lui dois, depuis notre dernier compte; nous avions bu six pintes ensemble en faisant le marché à la foire de Saint Boswell; et j'espère que nous n'en viendrons pas à un procès, dussions-nous passer autant d'heures à régler ce petit compte qu'il nous en coûta pour le marché lui-même. Mais, écoutez, voisin, ajouta-t-il en s'adressant à mon digne et savant patron, si vous voulez savoir quelque chose de plus sur les brebis longues et les brebis courtes, je reviendrai manger ma soupe aux choux vers une heure de l'après-midi, ou si vous voulez entendre de vieilles histoires sur le Nain noir, et d'autres semblables, vous n'aurez qu'à inviter Bauldy, que voici, à boire une demi-pinte; il vous craquera comme un canon de plume. Et je promets de fournir moi-même une pinte entière si je m'arrange avec Christy Wilson.

Le fermier revint à l'heure dite, et avec lui Christy Wilson, leur différend ayant été terminé sans qu'ils eussent eu recours aux messieurs en robes longues. Mon digne et savant patron ne manqua pas de se trouver à leur arrivée, autant pour entendre les contes promis, que pour les rafraîchissements dont il avait été question, quoiqu'il soit reconnu pour être très modéré sur l'article de la bouteille.

Notre hôte se joignit à nous, et nous restâmes autour de la table jusqu'au soir, assaisonnant la liqueur avec maintes chansons et maints contes. Le dernier incident que je me rappelle fut la chute de mon savant et digne patron, qui tomba de sa chaise en concluant une longue morale sur la tempérance par deux vers du gentil berger (Pastorale de Ramsay), qu'il appliqua très heureusement à l'ivresse, quoi que le poète parle de l'avarice:

«En avez-vous assez, dormez tranquillement;

«Le superflu n'est bon qu'à causer du tourment.»

Dans le cours de la soirée, le Nain noir n'avait pas été oublié: le vieux berger Bauldy nous fit sur ce personnage un grand nombre d'histoires qui nous intéressèrent vivement. Il parut aussi, avant que nous eussions vidé le troisième bol de punch, qu'il y avait beaucoup d'affectation dans le scepticisme prétendu de notre fermier, qui croyait sans doute qu'il ne convenait pas à un homme faisant une, rente annuelle de trois cents livres de croire les traditions de ses ancêtres; mais au fond du coeur il y avait foi. Selon mon usage, je poussai plus avant mes recherches, en m'adressant à d'autres personnes qui connaissaient le lieu où s'est passée l'histoire suivante, et je parvins heureusement à me faire expliquer certaines circonstances qui mettent dans leur vrai jour les récits exagérés des traditions vulgaires.

Le nain noir

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