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CE QUE C'EST QUE L'EXIL
XVI

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Voir vivre cette ville, assister a cette grandeur, c'est la pour l'esprit une emotion poignante. Aucun milieu n'est plus vaste; aucune perspective n'est plus inquietante et plus sublime. Ceux qui, par les hasards quelconques de la vie, ont quitte la vision de Paris pour la vision de l'ocean, n'ont eprouve, en changeant de spectacle, aucune hausse d'infini. D'ailleurs, passer de l'horizon des hommes a l'horizon des choses, cela n'efface rien. Ce reve en arriere, auquel s'opiniatre la memoire, est flottant comme le nuage, mais plus tenace. L'espace n'en fait pas ce qu'il veut. Le vent en marche jour et nuit, les quatre ouragans qui alternent a jamais, les bises, les bourrasques, les rafales, n'emportent pas la silhouette des deux tours jumelles, et ne dispersent pas l'arc de triomphe, le gothique beffroi aux tocsins, et la haute colonnade roulee autour du dome souverain; et, derriere les derniers lointains de l'abime, au-dessus du bouleversement des ecumes et des navires, au milieu des rayons, des nuees et des souffles, s'ebauche au fond des brumes l'immense fantome de la cite immobile. Auguste apparition au banni. Paris, etant une idee autant qu'une ville, a l'ubiquite. Les parisiens ont Paris, et le monde l'a. On voudrait en sortir qu'on ne pourrait; Paris est respirable. Quiconque vit, meme sans le connaitre, l'a en soi. A plus forte raison ceux qui l'ont connu. La distraction sauvage de l'ocean se complique de ce souvenir, egal aux tempetes. Quelque orage que fasse la mer, Paris a 93. L'evocation se fait d'elle-meme, les toits semblent surgir parmi les flots, la ville se recomposee dans toute cette onde, et ce tremblement infini s'y ajoute. Dans la cohue des Koules on croit entendre bruire la fourmiliere des rues. Charme farouche. On regarde la mer et on voit Paris. Les grandes paix que comportent ces espaces ne contrarient pas ce songe. Les vastes oublis qui vous environnent n'y font rien; la pensee arrive au calme, mais a un calme qui admet ce trouble; l'epaisse enveloppe des tenebres laisse passer la lueur qui vient de derriere l'horizon, et qui est Paris. On y pense, donc on le possede. Il se mele, indistinct, aux diffusions muettes de la meditation. L'apaisement sublime du ciel constelle ne suffit pas a dissoudre au fond d'un esprit cette grande figure de la cite supreme. Ces monuments, cette histoire, ce peuple en travail, ces femmes qui sont des deesses, ces enfants qui sont des heros, ces revolutions commencant par la colere et finissant par le chef-d'oeuvre, cette toute-puissance sacree d'un tourbillon d'intelligences, ces exemples tumultueux, cette vie, cette jeunesse; tout cela est present a l'absent; et Paris reste inoubliable, et Paris demeure ineffacable et insubmersible, meme pour l'homme abime dans l'ombre qui passe ses nuits en contemplation devant la serenite eternelle, et qui a dans l'ame la stupeur profonde des etoiles.

Novembre 1875.

Actes et Paroles, Volume 2: Pendant l'exil 1852-1870

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