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CE QUE C'EST QUE L'EXIL
VII

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Tels sont les petits cotes de l'exil, voici les grands:

Songer, penser, souffrir.

Etre seul et sentir qu'on est avec tous; execrer le succes du mal, mais plaindre le bonheur du mechant; s'affermir comme citoyen et se purifier comme philosophe; etre pauvre, et reparer sa ruine avec son travail; mediter et premediter, mediter le bien et premediter le mieux; n'avoir d'autre colere que la colere publique, ignorer la haine personnelle; respirer le vaste air vivant des solitudes, s'absorber dans la grande reverie absolue; regarder ce qui est en haut sans perdre de vue ce qui est en bas; ne jamais pousser la contemplation de l'ideal jusqu'a l'oubli du tyran; constater en soi le magnifique melange de l'indignation qui s'accroit et de l'apaisement qui augmente; avoir deux ames, son ame et la patrie.

Une chose est douce, c'est la pitie d'avance; tenir la clemence prete pour le coupable quand il sera terrasse et agenouille; se dire qu'on ne repoussera jamais des mains jointes. On sent une joie auguste a faire aux vaincus de l'avenir, quels qu'ils soient, et aux fugitifs inconnus une promesse d'hospitalite. La colere desarme devant l'ennemi accable. Celui qui ecrit ces lignes a habitue ses compagnons d'exil a lui entendre dire: —Si jamais, le lendemain d'une revolution, Bonaparte en fuite frappe a ma porte et me demande asile, pas un cheveu ne tombera de sa tete.

Ces meditations, compliquees de tous les dechainements de l'adversite, plaisent a la conscience du proscrit. Elles ne l'empechent pas de faire son devoir. Loin de la. Elles l'y encouragent. Sois d'autant plus severe aujourd'hui que tu seras plus compatissant demain; foudroie le puissant en attendant que tu secoures le suppliant. Plus tard, tu ne mettras a ton amnistie qu'une condition, le repentir. Aujourd'hui tu as affaire au crime heureux. Frappe.

Creuser le precipice a l'ennemi vainqueur, preparer l'asile a l'ennemi vaincu, combattre avec l'espoir de pouvoir pardonner, c'est la le grand effort et le grand reve de l'exil. Ajoutez a cela le devouement a la souffrance universelle. Le proscrit a ce contentement magnanime de ne pas etre inutile. Blesse lui-meme, saignant lui-meme, il s'oublie, et il panse de son mieux la plaie humaine. On croit qu'il fait des songes; non; il cherche la realite. Disons plus, il la trouve. Il rode dans le desert et il songe aux villes, aux tumultes, aux fourmillements, aux miseres, a tout ce qui travaille, a la pensee, a la charrue, a l'aiguille, aux doigts rouges de l'ouvriere sans feu dans la mansarde, au mal qui pousse la ou l'on ne seme pas le bien, au chomage du pere, a l'ignorance de l'enfant, a la croissance des mauvaises herbes dans les cerveaux laisses incultes, aux rues le soir, aux pales reverberes, aux offres que la faim peut faire aux passants, aux extremites sociales, a la triste fille qui se prostitue, hommes, par notre faute. Sondages douloureux et utiles. Couvez le probleme, la solution eclora. Il reve sans relache. Ses pas le long de la mer ne sont point perdus. Il fraternise avec cette puissance, l'abime. Il regarde l'infini, il ecoute l'ignore. La grande voix sombre lui parle. Toute la nature en foule s'offre a ce solitaire. Les analogies severes l'enseignent et le conseillent. Fatal, persecute, pensif, il a devant lui les nuees, les souffles, les aigles; il constate que sa destinee est tonnante et noire comme les nuees, que ses persecuteurs sont vains comme les souffles, et que son ame est libre comme les aigles.

Un exile est un bienveillant. Il aime les roses, les nids, le va-et-vient des papillons. L'ete il s'epanouit dans la douce joie des etres; il a une foi inebranlable dans la bonte secrete et infinie, etant pueril au point de croire en Dieu; il fait du printemps sa maison; les entrelacements des branches, pleins de charmants antres verts, sont la demeure de son esprit; il vit en avril, il habite floreal; il regarde les jardins et les prairies, emotion profonde; il guette les mysteres d'une touffe de gazon; il etudie ces republiques, les fourmis et les abeilles; il compare les melodies diverses joutant pour l'oreille d'un Virgile invisible dans la georgique des bois; il est souvent attendri jusqu'aux larmes parce que la nature est belle; la sauvagerie des halliers l'attire, et il en sort doucement effare; les attitudes des rochers l'occupent; il voit a travers sa reverie les petites filles de trois ans courir sur la greve, leurs pieds nus dans la mer, leurs jupes retroussees a deux bras, montrant a la fecondite immense leur ventre innocent; l'hiver, il emiette du pain sur la neige pour les oiseaux. De temps en temps on lui ecrit: Vous savez, telle penalite est abolie; vous savez, telle tete ne sera pas coupee. Et il leve les mains au ciel.

Actes et Paroles, Volume 2: Pendant l'exil 1852-1870

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