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SCÈNE IV

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Les Mêmes, JEANNE, SARAH.

JEANNE, entrant par le fond et soutenant Sarah.

Pas encore!

CYPRIEN.

Ah! chère cousine!

PROFILET, de même.

Nous étions dans une inquiétude!...

JEANNE, essoufflée.

Oui, oui! Un peu d'air, s'il vous plaît... pour Sarah.

SARAH.

Non! une chaise!... (Jeanne fait asseoir Sarah sur la chaise qui est près de la table; Cyprien donne à Jeanne un flacon de sels.)

PROFILET.

Qu'est-il donc arrivé?

JEANNE.

Ah! ce n'est rien! une petite aventure, et une peur!

PROFILET et CYPRIEN.

Une aventure?

JEANNE.

Oui! nous avions pris toutes deux par la grève!... c'est le plus beau! c'est le plus court! et nous avions une heure de marée basse, pour faire un quart de lieue, nous nous amusions à regarder les rochers, les herbes, les falaises, tout ce qui se rencontrait, enfin!... en nous arrêtant à chaque pas! De l'heure qui s'avançait, du reflux et du danger... aucune idée!... quand tout à coup, je sens frissonner mon cheval... il se met à gratter la terre de son pied!... puis le vent se lève et fraîchit. Je me retourne et je vois!... Une frange d'écume roulait sur la grève à cent pas de nous, et devant, à un détour de la falaise, le passage était déjà cerné par une foule de petites vagues courant l'une sur l'autre!—Je crie: «Sarah! Sarah! la marée haute!... nous sommes perdues!»—Je lance mon cheval, Sarah suit, et déjà les lames arrivaient, arrivaient, de quelle vitesse, vous le savez!... Et puis, le vent de la pleine mer, et tout cela déferlant, bouillonnant, grondant, et nous fouettant l'écume au visage!... les chevaux effrayés courent à la falaise! un rempart!... ils se rabattent sur les rochers! leur pied glisse et trébuche! Ils reviennent au sable, mais le flot l'a déjà détrempé... Je perds la tête! Sarah! crie: «Au secours!» (Sarah se lève.) Les chevaux s'emportent! je ne vois plus, je n'entends plus que le bourdonnement de la vague qui me déborde et m'envahit! je ferme les yeux avec horreur!... je me vois perdue, morte, noyée!... Et je ne reviens à moi que sur la rampe de gazon de Varangeville, où mon cheval hennit de joie en regardant la mer à deux cents pas au-dessous de nous, et où Sarah a tout à coup une petite attaque de nerfs à cheval... (Riant.) Qui était bien la chose la plus bouffonne... ah! ah! ah! mon Dieu! que je voudrais donc rire si je n'avais pas aussi une petite crise!... (Sarah lui offre sa chaise où Jeanne tombe assise en riant aux éclats d'un rire nerveux.) Ah! ah! mais au moins ce n'est pas à cheval, celle-là!

CYPRIEN.

Pauvre cousine!

PROFILET.

Qu'est-ce qu'on pourrait bien?... (Il court à la cheminée prendre un verre d'eau.)

JEANNE, riant toujours.

Oh! rien! ce n'est rien! cela se calme! Et j'en suis quitte pour une manchette perdue sur le sable!

SARAH.

Avec un bouton de diamant admirable!

JEANNE.

C'est ma rançon que la mer emportera!

CYPRIEN, à Profilet, lui prenant le verre d'eau.

Voilà pourtant comme elle gaspille notre bien! (A Jeanne, avec empressement.) Voulez-vous un peu d'eau, chère cousine?

JEANNE, riant toujours.

Oh! non! merci! assez d'eau comme cela!

PROFILET.

Si vous ne vous étiez pas retournée, pourtant!...

CYPRIEN, à Profilet.

Oui, quand on pense que si elle ne s'était pas retournée à temps!

PROFILET.

A-t-elle une chance! (Il porte le verre sur la cheminée.)

JEANNE, respirant, gaiement.

Ah! cela va mieux! (A Sarah en lui prenant les deux mains.) Et toi?

SARAH.

Moi aussi!

JEANNE.

Voilà les femmes, tenez! quelles pauvres natures!... Avec un peu de sang-froid... c'était si beau à regarder. Ah! (se levant) c'était vraiment beau!—Ce cheval emporté!... ce fracas de vagues et de galets... ce vent détachant l'écume par flocons! Et avec tout cela, l'effroi, les cris, la mort prochaine et la folie plus près encore... c'était enivrant!

CYPRIEN.

Délicieux!—on recommencerait tout de suite!

JEANNE, se levant.

Bah! pourquoi pas?—Un petit danger de temps à autre, lutter! se défendre!—Eh! à la bonne heure! c'est vivre, cela! (Elle remonte vers le feu.)

CYPRIEN, tout en replaçant la chaise près de la table.

Tudieu! vous dites cela avec un sourire, un œil brillant! c'est à donner envie de vous attaquer, pour vous voir vous défendre!...

PROFILET, choqué.

Oh!

CYPRIEN.

Quoi?

PROFILET.

Devant des dames!... c'est vif!...

JEANNE.

Eh bien, quoi donc?

PROFILET.

Vous n'avez pas compris?... (A Sarah, qui va rejoindre Jeanne à la cheminée.) Il vient de dire quelque chose d'un peu léger!...

CYPRIEN, stupéfait.

Moi?

JEANNE, près de la cheminée.

De léger...

PROFILET, étonné à Cyprien.

Non! vous ne vouliez pas?... alors n'en parlons plus; je vous demande pardon!... j'ai cru qu'il faisait une équivoque!...

CYPRIEN.

Ah ça! quelle tournure d'esprit avez-vous? On ne peut pas dire deux mots que vous n'y voyiez des choses!...

PROFILET.

Oh! ne vous fâchez pas! je vous croyais plus d'esprit que vous n'en avez, voilà tout!... (Allant à Jeanne.) Je croyais qu'il voulait dire...

JEANNE, assise.

Ah! bien, non, ne le dites pas!...

PROFILET, souriant.

C'était assez drôle!...

CYPRIEN.

Voilà une façon de défendre la morale!

Les diables noirs

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