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ALEKSEJ

“Où est-elle ?”, dis-je les dents serrées pour contenir macolère.

J’avais cédé sous la contrainte à ce chantage et à présentj’étais là.

Arrivé dans la chambre de cette sale menteuse, pour la guérisonde laquelle et pour garder ce lieu secret et sous surveillance jedéboursais des milliers de dollars, je trouvai son lit vide.

“Je ne comprends pas… Elle ne peut pas marcher toute seule…Nous l’avons raccompagnée ici il y a quelques minutes, après laséance de scanner”, me répondit l’infirmière.

“Cherchez-la et ramenez-la ici tout de suite”, ordonnai-je,avant de perdre toute patience.

J’essayais de deviner comment elle avait pu s’échapper lorsquej’entendis du bruit provenant de la salle de bain privée de lachambre.

À l’intérieur, je trouvai immédiatement Kendra.

Elle se tenait au rebord du lavabo pour éviter de tomber et seregardait dans le miroir.

Elle était encore plus pâle et plus maigre que lors de madernière visite.

“C’est moi, celle-là ?”, me demanda-t-elle, désespérée, pointantson image réfléchie.

Je m’approchai avec précaution et me plaçai à côté d’elle.

“D’après toi ?”

Elle murmura avec tristesse, les larmes aux yeux : “Je… Jen’en sais rien. Je ne me reconnais même pas.”

“Tu ne devrais pas te lever du lit seule”, lui reprochai-jequand je vis les difficultés qu’elle éprouvait pour se déplacer, aupoint que je dus la soutenir pour la reconduire au lit.

Elle me demanda : “Qui suis-je, Alexej ?”

“Donc tu es décidée à continuer avec ce petit jeu.”

“Pourquoi supposes-tu que je suis en train de jouer ? Suis-jed’une telle mesquinerie pour t’attendre et agir ainsi avec toi?”

“Oui”, répliquai-je, surpris par sa question et par son regardinquiet.

“Quel mal t’ai-je fait pour mériter une telle réponse de ta part?”

Je le lui rappelai : “Tu m’as trahie et menée en bateau”, mepenchant vers elle et la regardant fixement.

“Je ne me rappelle pas… Excuse-moi… Je ne sais même pas quije suis et tu sembles être la seule personne qui me connaisse.”

“En effet. Une connaissance chèrement payée.”

“Je suis désolée… Je ne sais pas quoi te dire.”

“Lorsque tu es venue vers moi et que tu as choisi de me suivre,je t’avais avertie de ne jamais tenter de me rouler.”

“Quand cela est-il arrivé ? Depuis quand nous connaissons-nous?”

“Huit mois”, lui répondis-je, m’efforçant de cueillir le moindresigne de tromperie dans son regard et dans sa voix.

“Ça ne fait pas longtemps.”

“Question de point de vue.”

“T’ai-je parlé de moi pendant tout ce temps, qui j’étais avantde te connaître ?”

Je le lui rappelai : “Tu as toujours été très évasive quant àton passé”, omettant les recherches que j’avais effectuées sur soncompte.

“Pourquoi ?”

“Peut-être à cause de ton passé criminel.” Ma réponse la fitsursauter de frayeur. Je l’observai avec attention : elle semblaitsincère.

“Moi, une criminelle. Oh mon Dieu ! Ai-je tué quelqu’un ?”,bégaya-t-elle mal à l’aise, les joues rouges de honte.

“Cela je n’en sais rien. Mais tu as passé deux années enprison.”

Kendra pâlit entièrement.

Déçu par l’incrédulité que je lisais dans son regard, jepoursuivis : “Pour vol de bijoux”. Je m’attendais à une riposte desa part ou de l’indignation pour mes dires. Mais au lieu de cela,rien.

“Je suis une mauvaise personne”, dit-elle, commençant à pleurer.“Pourquoi es-tu resté auprès de moi pendant ces huit mois ?”

“Tu venais de sortir de prison et tu avais aucun endroit oùaller. D’autre part mes affaires t’intéressaient. J’ai choisi de tedonner une chance, tout en sachant les risques encourus, mais jet’ai crue sur parole lorsque tu m’as jurée que jamais tu nem’aurais trompé.”

“T’ai-je volé ?”

“Tu as essayé et puis tu es allée au-delà.”

“T’ai-je fait du mal ? Est-ce pour cette raison que tu es sifâché contre moi ?”, s’efforça-t-elle de me demander, commençant àgémir à cause d’un mal de tête.

“C’est à toi de me donner des réponses”, répliquai-je avecsévérité, indifférent à sa migraine.

“M’as-tu poussée dans les escaliers ?”

“Non.” J’allais me lever pour partir mais je fus retenu par lamain gauche.

“Je t’en supplie, ne me laisse pas seule”, me dit-elle d’un tonsuppliant, peu avant de s’endormir.

***

KENDRA

Ce mal de tête ne m’avait plus lâché depuis qu’Aleksej étaitparti.

J’étais anéantie par ce qu’il m’avait raconté.

Il était déjà difficile de n’avoir plus aucun souvenir. Maisapprendre que j’avais un passé aussi lourd me fit presque désirerde ne jamais retrouver la mémoire.

Je me renfermai sur moi-même, réfléchissant à cela pendant touteune journée, lorsque, le soir suivant, Aleksej apparut.

À la différence des autres fois, il portait des jeans et uneveste en daim, au lieu du costume sombre et de la chemise blanchehabituels. Ses cheveux d’un noir de jais étaient toujoursparfaitement coiffés en arrière.

Il prit une chaise près du lit et s’assit, m’observantattentivement.

Je m’habituais à sa présence mais ses yeux étaient comme despuits obscurs dans lesquels on risquait de tomber. Il étaitimpossible de détourner le regard. Comme si un aimant m’attiraitvers lui jusqu’à m’engloutir.

“Salut”, lui dis-je, m’asseyant aussi.

“D’après les médecins tu es en voie de guérison. L’hémorragies’est résorbée et tu peux bouger le bras de nouveau”, commença-t-ilsans rendre mon salut.

“Oui… Je dois te remercier pour tout. Une infirmière m’aexpliqué que c’est toi qui paies toutes les dépenseshospitalières.”

“Exact.”

“Je promets de te restituer jusqu’au dernier centime.”

“J’en doute.”

“Je chercherai du travail. Tu sais, j’ai pensé à ce que tu m’asdit et j’ai décidé, quand bien même la mémoire me reviendrait, queje n’agirai plus de façon criminelle”, lui dis-je décidée,déterminée à considérer ce qui m’était arrivé comme un signe dudestin et à changer de vie.

Aleksej ne me répondit pas mais il semblait troublé, vu la façondont il passait continuellement les mains dans ses cheveuxnoirs.

Puis il se leva d’un coup, s’apprêtant à partir.

Pleine d’espérance, je me hasardai à lui demander, “Viendras-tume voir demain encore ?” Mais pour toute réponse il me lança uncoup d’œil fuyant et partit sans me dire au revoir. Commetoujours.

Cinq jours passèrent.

Chaque soir, à la même heure, Aleksej apparaissait à la porte,s’asseyait à distance et me regardait.

Pas de salutation ni d’allusion à mon état, étant donné que leneurologue le tenait au courant.

Un mur de silence se dressait entre nous, jusqu’au moment où jeposais une nouvelle question, à laquelle il avait toujours uneréponse prête.

C’est ainsi que j’avais appris ma date de naissance : le seizeoctobre, vingt-neuf ans plus tôt, à Seattle. Apparemment je n’avaisplus de rapport avec ma famille depuis pas mal d’années et tout cequ’Aleksej avait pu me dire était que ma mère, Ulita Smirnov, étaitd’origine russe, alors que mon père, Jacob Palmer, était américain.J’étais fille unique.

Je n’avais pas de domicile fixe ni un travail digne de cenom.

Je lui avais demandé ce que je faisais pour lui mais il nem’avait pas répondu.

“Eh bien, quelle est la question du jour ?”, commença Aleksej encet instant.

“Ai-je fait des études supérieures ?”

“Je n’en sais rien.”

“Ai-je des amis ?”

“Non.”

“Penses-tu que je devrais prendre contact avec ma famille ? Lefait de les voir m’aiderait peut-être à recouvrer la mémoire.”

“J’ai déjà fait des recherches à leur sujet, sans résultat.Peut-être ne sont-ils plus de ce monde.”

“Oh”, murmurai-je, accablée.

“Où irai-je lorsque je sortirai d’ici ? Es-tu vraiment sûr queje n’aie pas un domicile ?”

“Oui.”

“Alors où ai-je vécu pendant toutes ces années ? Où sont meseffets personnels ?”

“Ils sont chez moi.”

“Chez toi ?!”

“Oui.”

“Pourquoi ?”

Avant qu’Aleksej répondît, l’infirmière, qui m’avait conduitefaire une dernière résonnance magnétique quelques heures plus tôt,pénétra dans la chambre.

“Excusez-moi. Mademoiselle, je vous rapporte la bague que nousavions ôtée pour vous faire passer l’IRM. Pardonnez-moi pour ladistraction ; elle était tombée par terre et je ne l’avais pasvue”, bredouilla-t-elle d’un air embarrassée, regardant Aleksejavec crainte pendant qu’elle déposait la bague sur le bord de latable de nuit.

Au cours des derniers jours j’avais souvent joué avec cettebague, comme un anti-stress, sans jamais me demander quel rapportce bijou pouvait bien avoir avec moi. Mon esprit était trop confuset anxieux pour y penser.

Je remerciai l’infirmière et elle disparut aussitôt.

Je me penchai en avant pour saisir le seul objet personnel quime restait mais, involontairement, de l’extrémité de mes doigts, jele fis tomber par terre.

Je m’assis lentement, posai les pieds au sol et tentai dem’incliner. Mais la tête commença à me tourner et je sentais quemes jambes ne me porteraient pas si je devais m’accroupir.

Heureusement Aleksej vint à mon secours et me prit le bras.

“Tu as peut-être perdu la mémoire mais pas ta passion pour lesdiamants, en tout cas”, s’écria Aleksej d’une voix tranchante,saisissant la bague pour me la tendre.

Prenant la bague de ses mains je demandai : “S’agit-il de vraisdiamants ?” Je fis ce geste sans le toucher car j’avais récemmentremarqué à quel point il gardait ses distances.

“Oui.”

Je la tournai entre mes doigts.

Elle était splendide et brillait d’un vif éclat. Elle semblaitextrêmement précieuse.

C’était une bague exceptionnelle, la plus belle qu’il m’aitjamais été donné de voir.

Cette phrase me traversa l’esprit.

Émue et troublée par ce souvenir, je regardai Aleksej.

Il était assis à côté de moi et sa jambe droite frôlait lamienne.

Il y avait quelque chose d’intime dans ce contact.

Je parcourus son corps du regard, jusqu’au visage.

Et je vis.

Nous n’étions plus dans une chambre d’hôpital mais dans unbureau luxueux, aux meubles d’acajou.

Mes jambes n’étaient plus à côté de celles d’Aleksej mais poséessur les siennes.

J’étais assise sur ses genoux.

Je pouvais entendre ma voix au loin, prononcer des paroles commeproposition et mariage.

Oui, je le veux, Aleksej. Je t’épouserai.

Je sursautai, éperdue, et le flash-back s’interrompit instantanément.

Je retrouvai devant moi l’homme de mes souvenirs.

“Tout va bien ?”, demanda-t-il à l’improviste d’un ton sérieux,comme s’il comprenait ce dont je me souvenais.

J’acquiesçai hésitante.

Je comprenais à présent les raisons de sa haine, mais pas aupoint de m’abandonner seule et sans assistance.

Comment aurait-il pu accepter d’avoir épousé une criminelle?

Combien de mensonges lui avais-je racontés ?

“Tu ne m’as pas dit que nous étions mariés », parvins-je àarticuler malgré l’embarras.

Contrarié, il réagit : “Pardon ?!”, s’éloignant brusquement.

“Avons-nous des enfants également ?”

“De quoi diable parles-tu ?”

“J’ai eu un flash-back où nous étions tous les deux : tu m’as donnécette bague et je crois que tu m’as fait une demande en mariage.Tout était un peu confus mais je me rappelle clairement t’avoir ditque j’en avais envie et que je t’épouserais.”

Passant la main dans ses cheveux avec fébrilité, au point dedéfaire sa coupe toujours parfaite, il m’interrompit. “Nous nesommes pas mariés.”

Cela m’inquiéta davantage : “Donc j’ai été victime d’unehallucination”.

“Non, tu te rappelles bien, plus ou moins.”

“Et donc ?”

Aleksej me fixa intensément, d’une expression indéfinissable quifit battre mon cœur avec intensité.

“Oui, nous devions nous marier, mais avec l’accident il a fallutout ajourner”, me répondit-il prudemment.

“Pourquoi ne pas me l’avoir dit plus tôt ? As-tu honte de moi dufait que je suis une voleuse ?”

Aleksej ne répondit point mais il continua à me dévisager d’unair incrédule.

“Tu m’as dit que je t’ai trahi. Cela signifie que j’ai couchéavec quelqu’un d’autre, n’est-ce-pas ? C’est bien ce que tu voulaisme dire ? Ou bien est-ce parce que je t’avais dissimulé mon passéde délinquante ?”, poursuivis-je sans broncher, décidée à obtenirdes réponses.

“Je dois m’en aller”, répondit-il sèchement, après un longsilence qui m’épuisa.

Je le suppliai : “Non, attends ! Aleksej !”, en vain car ilétait déjà parti.

Le lendemain je ne le revis pas et j’eus le pressentiment del’avoir perdu pour toujours.

L’univers entier s’effondrait sur moi et je ne savais pascomment l’empêcher.

Tu Es À Moi

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