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PRÉFACE

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Table des matières

Dans ce volume, dont j'ai grand plaisir à être l'introducteur auprès du public, l'auteur, M. Yovanovitch, un écrivain serbe qui s'est établi en France depuis plusieurs années pour étudier de plus près son sujet, a consigné le résultat de ses recherches sur La Guzla de Mérimée. Ce volume lui a valu le titre de docteur, conféré par l'Université de Grenoble; et les éloges qui lui ont été donnés, à cette occasion, par les membres du jury m'autorisent à dire que rarement diplôme de docteur a été plus brillamment conquis par un écrivain étranger.

Que vaut La Guzla? Quelle place doit-elle occuper dans l'œuvre de Mérimée et dans la production littéraire de son temps? Appartient-elle au romantisme? Est-ce une traduction ou un pastiche? Jusqu'à quel point nous laisse-t-elle entrevoir le génie poétique des peuples slaves de la péninsule balkanique? Jusqu'à quel point devons-nous la considérer comme une invention personnelle, une création originale? Nous, les mériméistes de la première et de la dernière heure (car deux générations se sont déjà succédé dans notre petite chapelle), nous n'avions pu qu'entrevoir la réponse à ces questions: M. Yovanovitch, entré après nous dans la confrérie, les résout d'une façon complète et définitive.

Les ballades qui composent La Guzla ne sont pas, bien entendu, l'œuvre du prétendu Hyacinthe Maglanovitch si complaisamment décrit par Mérimée dans l'édition de 1827. Non seulement ce personnage n'a jamais existé, mais il ne représente pas exactement le type de ces chanteurs populaires. Car ceux-ci ne sont pas de véritables auteurs: ils se contentent de répéter, en les modernisant, des chansons transmises de siècle en siècle, à la façon des rhapsodes homériques.

Une douzaine d'années avant la première publication de La Guzla, trois volumes de chants populaires serbes avaient été publiés en Allemagne, sous les auspices de Jacob Grimm, par Vouk Stéphanovitch Karadjitch. Ces chants étaient absolument inconnus de Mérimée, mais ils étaient familiers à Goethe et à un grand nombre de ses contemporains, allemands ou anglais. Devons nous donc, alors, penser que Mérimée était, comme il nous le laisse croire dans la préface de la seconde édition, l'inventeur de tous ces petits drames auxquels se mêlent une ou deux idylles? M. Yovanovitch nous retire cette illusion en nous indiquant l'une après l'autre toutes les sources auxquelles a puisé le grand écrivain. Celui-ci s'était contenté de nommer, comme son principal informateur, l'abbé Fortis, naturaliste italien, qui a visité l'Illyrie en 1771 et qui, dans le récit de son voyage, avait joint à ses copieuses observations scientifiques quelques données sommaires sur l'histoire des mœurs et sur la littérature populaire. Mérimée faisait encore négligemment allusion à certaine compilation de statistique dont l'auteur était «un employé du Ministère des Affaires étrangères», qu'il ne prenait pas la peine de nommer. Avec ces maigres moyens, il avait deviné la poésie des Slaves de la région balkanique et s'était plu à montrer combien il est aisé de fabriquer cette «couleur locale» qui était le grand secret du romantisme.

Si Mérimée avait fait cela, ce serait une véritable création ex nihilo. Mais il n'en est rien et M. Yovanovitch nous révèle impitoyablement à quel fonds Mérimée a emprunté le thème de chacune de ses ballades. Il est parti de ce principe que toutes les civilisations et toutes les races traversent, à un moment donné, la même phase mentale où leur poésie populaire exprime, avec une naïveté parfois féroce, les mêmes passions violentes. Et, s'inspirant de cette donnée, il a cherché ses primitifs aussi bien dans les chansons du Border écossais que dans de vieux contes chinois, dans les idylles de Théocrite comme dans les pages de l'ancien Testament.

Quant à la «couleur locale» dont il se moquait en 1842, mais qu'il cherchait très sérieusement en 1827, s'il la doit à quelqu'un, c'est assurément à Charles Nodier et à Fauriel, dont il ne prononce le nom ni dans la première ni dans la seconde de ses préfaces. Fauriel, en effet, a recueilli et publié les chants populaires de la Grèce moderne qui confine aux pays de nationalité serbe et partage avec eux certains traits de mœurs, certains souvenirs historiques. Nodier a été le bibliothécaire des gouverneurs français de l'Illyrie, en 1813, et le rédacteur en chef de notre journal officiel, publié à Laybach. Sur les informations, plus ou moins authentiques, qu'il avait ramassées là-bas, il a bâti Jean Sbogar et Smarra, sans parler d'une publication semi-érudite à laquelle le Journal des Débats avait ouvert ses colonnes. C'est là, probablement, que Mérimée a entrevu l'âme serbe, ou, du moins, qu'il a trouvé les traits qui lui ont servi à particulariser, à dater, à localiser l'âme primitive qu'il voulait mettre en scène.

Nous voilà maintenant édifiés et vous penserez peut-être que M. Yovanovitch a joué un assez mauvais tour à Mérimée en faisant justice de sa seconde thèse aussi bien que de la première. Mais je crois, au contraire, qu'il a rendu un service signalé à notre auteur en confrontant ses matériaux avec son œuvre et que personne, avant lui, n'avait si bien mis en lumière l'incomparable talent avec lequel le grand artiste transformait une matière souvent bien pauvre. Lisez, par exemple, ce froid apologue chinois d'où Voltaire a tiré une tragédie plus froide encore et lisez ensuite l'Aubépine de Véliko; qui ouvre le volume de La Guzla. Quelle force concentrée! Quelle brièveté effrayante! Quelle profonde émotion sort de ce récit sans pitié et nous étreint à la gorge!

C'est véritablement un chef-d'œuvre et il y a bien d'autres chants dans La Guzla dont on pourrait en dire autant. Je ne m'en étais jamais aperçu aussi bien qu'après avoir lu le livre de M. Yovanovitch. J'ai vraiment devant moi maintenant celui qu'il définit «un grand poète sans imagination». Oui, voilà bien ce qu'a été Mérimée pendant la première et trop courte période de sa vie littéraire, avant les salons, avant l'Académie des Inscriptions, avant la mondanité et l'archéologie: doué d'une vision sans égale, mais incapable de créer.



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