Читать книгу Les Capitalistes du XXIème siècle - Werner Rügemer - Страница 7
ОглавлениеPréface à la deuxième édition allemande
La Hyper-Mondialisation
Il y a deux ans, j’ai décrit dans ce livre les nouveaux gestionnairs du Capital, leurs complices et instigateurs, eux qui ont gagné la prédominance dans l’Occident guidé par les États-Unis, depuis les années 1990. Toujours à peine connus du grand public, ils ont renforcé encore les tendances de crise dans les domaines de l’économie, de la politique, des médias et de la morale ainsi que dans les relations internationales. Le président des États-Unis, Donald Trump, et le Premier ministre britannique Boris Johnson illustrent, dans ce contexte, aussi les déformations morales de dirigeants élus, précisément dans les deux démocraties du Capital les plus anciennes de la planète.
Les « furies de l’hyper-mondialisation »
Les banques de l’ombre non soumises à une régulation de différents types, décrites dans le livre, telles que BlackRock, Vanguard, Amundi, Blackstone, KKR, Elliott, Macquarie, Founders Fund & al. transforment les sociétés occidentales. Cela va même au-delà de ce qui passe pour « néolibéral » jusqu’ici.
La CNUCED, l’organisation économique des Nations Unies, évoque les « furies de l’hyper-mondialisation » : inégalités sociales croissantes et répartition inégale des richesses dans tous les domaines de la vie tels que le travail, le logement, les retraites et la santé ; surendettement des entreprises, des ménages et des États.1
Le Fonds monétaire international FMI et la Commission des droits de l’homme des Nations Unies dénoncent la spéculation des nouveaux capitalistes concernant les logements, à l’échelle du monde, et l’explosion des loyers et des prix pour l’achat d’un appartement : pour les salariés et les précaires, mais aussi pour les classes moyennes, ils sont de moins en moins abordables.2
L’OCDE observe que les États « riches » perdent, par l’évasion fiscale systémique de la part des entreprises et de leurs propriétaires, 450 milliards de dollars par an.3 Les équipements importants pour la majorité des populations, c’est-à-dire les transports publics, les hôpitaux, les écoles, les systèmes de distribution de l’eau et de nettoyage des égouts, les routes, les canaux, les logements se dégradent – ou alors sont privatisés et deviennent plus chers.
Le journal économique Financial Times, qui avait jusqu’ici loué la montée en puissance des nouveaux capitalistes, constate maintenant que les propriétaires privés plongent dans leurs superbénéfices sans exercer aucune responsabilité. La démocratie se dégrade, la compétition n’a guère lieu, la capacité d’innovation baisse, les citoyens sont majoritairement mécontents à l’égard de « leurs » gouvernements : ce capitalisme, note le journal, doit être sauvé de ses « rentiers ».4
Le sang des pauvres coule dans les veines des riches
L’Accord de Libre-échange nord-américain ALENA (en anglais : NAFTA) a apporté des bas salaires et la ruine de paysans au Mexique, et aux États-Unis des ouvriers tombaient au chômage. Des entreprises pharmaceutiques entretiennent, du côté états-unien de la frontière avec le Mexique, des stations pour la prise de sang. Des fonctionnaires états-uniens laissent passer des Mexicains et Mexicaines appauvris par la frontière ultra-sécurisée, malgré le fait que leur visa n’autorise pas à gagner de l’argent : l’entrée sur le territoire est illégale mais organisée par les autorités. Les appauvris, réduits à la clandestinité, auront le droit de se laisser prélever du sang, contre une poignée de dollars, autant de fois jusqu’ils en tombent malade. Ce faisant, les États-Unis sont devenus le premier exportateur mondial de plasma sanguin, engrangeant des bénéfices. Les acheteurs se trouvent surtout en Grande-Bretagne, en Allemagne et Autriche.5 Le sang des pauvres, tout en les discriminant, est aspiré dans les veines des riches, soignés pour recouvrer la santé. Et ce sang alimente la machine à bénéfices de l’Occident. La perversion morale et juridique, l’hypocrisie des pouvoirs publics états-uniens et d’entreprises occidentales ne connaît pas de frontières, dans plusieurs sens du terme. Un gouvernement « chrétien » et conduit par une femme, comme en Allemagne, regarde et laisse faire, lui aussi.
Compétition des systèmes : l’Occident cherche à gagner militairement
Ce que le FMI, la CNUCED et la Financial Times passent sous silence : les guerres sont les « furies de l’hyper-mondialisation » les plus dangereuses !
Les États-Unis ont combiné, après la Seconde guerre mondiale, leur expansion capitalistique avec celle sur le plan militaire. Cela est représenté en Europe occidentale par la simultanéité entre le Plan Marshall et la mise en place de l’OTAN, dans une continuité jusqu’à nos jours avec la combinaison de l’élargissement à l’Est de l’Union européenne et l’appartenance à l’OTAN. Cela se poursuivait et se poursuit à l’encontre des nouveaux ennemis, d’abord la Yougoslavie, puis l’Irak, la Libye, la Syrie et ensuite la Russie, l’Iran, le Venezuela et maintenant la Chine.
L’Occident dirigé par les États-Unis n’aurait pu développer et maintenir sa domination après la Seconde guerre mondiale s’il avait fait face à la compétition pacifique des systèmes. Dans les cercles dirigeants occidentaux, on le sait, aussi en ce moment : le modèle occidental dominé par les États-Unis ne correspond pas aux intérêts des populations majoritaires, il constitue un modèle en fin de course. Mais les acteurs dominants sont riches, militairement puissants et ils accumulent les expériences de domination ; ils sont extrêmement dangereux.
Le président de la République populaire de Chine, Xi Jinping, a observé en décembre 2018 : « Nous sommes préts à faire face à des périls et des risques qui sont jusqu’ici inimaginables. »6
L’Histoire est ouverte
La Chine démontre comment les « furies de l’hyper-mondialisation » peuvent être domestiquées et subir des changements qualitatifs, au profit des populations majoritaires et au profit de coopérations mondiales pacifiques.
Elles rendent possible ce dont l’humanité, en péril, a besoin : le règlement pacifique des conflits malgré et au-delà des divergences idéologiques. Le dialogue et l’affrontement libre des opinions, c’est en théorie aussi ce que réclament les démocraties du Capital occidentales ; mais ce qui n’est pas mis en œuvre quand les choses deviennent décisives.
Après l’effondrement des États socialistes en Europe, les (ir)responsables aux États-Unis proclamèrent la « fin de l’Histoire ». Ils luttèrent avec acharnement pour la conservation de leur forteresse mondiale sécurisée par 1.000 bases militaires, tout comme l’Union européenne en stagnation se renferme contre les réfugiés qui se noient dans la mer et oublie tous les droits de l’homme fondamentaux. Mais l’ascension de la Chine, plus que toute autre chose, montre que l’évolution historique sur la planète est ouverte.
Coordination des alternatives
Il ne s’agit pas, dans d’autres pays, de copier l’« exemple » de l’état actuellement atteint par la Chine. Chacun et chacune, sur tous les continents, doit agir à sa place en puisant dans les potentiels qu’offrent la démocratie, la sécurité, la paix, l’activité en faveur des droits humains et par l’innovation technologique. L’Union européenne pourrait jouer un rôle d’intermédiaire. L’Italie, en tant que premier pays de l’Union européenne, a rejoint officiellement l’initiative de la Nouvelle route de la soie. La Grèce a rejoint l’initiative des 16+1 de la Chine, ensemble avec des pays de l’Europe de l’Est et du Sud-Est. Des groupes économiques occidentaux affluent vers la Chine pour des innovations. Dans ce contexte, des visions et des pratiques de mise en œuvre entrent en conflit, par exemple en matière de démocratie, de choix technologiques et de traitement de l’environnement. De tels conflits doivent être gérés.
Le droit international dans le cadre des Nations Unies et les droits humains universels constituent, pour cela, un repère indispensable. « Si vous désirez la paix, cultivez la justice », telle est la devise de l’Organisation internationale du travail (OIT, en anglais : ILO) créée en 1919. Ainsi, surtout : des guerres doivent être empêchées, la paix doit être assurée. Ceci est la question systémique la plus importante.
Note de l’auteur : J’ai renoncé à actualiser le texte du livre (par rapport à la première édition). Le livre a été publié dans d’autres langues que l’allemand, d’abord en anglais : The capitalists of the 21st Century (chez tredition comme paperback, hardcover et eBook, Hambourg, 2019). En 2020 sont publiées des traductions en Chine et en Italie (I Capitalisti del XXI secolo).
1 UNCTAD : Trade and Development Report 2018. Power, Platforms and the Free Trade Delusion, New York et Genève 2018.
2 Tenants « forced out of their homes » by global investment firms, say UN experts, https:// news.un.org/en/story/2019/03/1035441
3 Better data on shadow banking reveals uncomfortable truths, Financial Times 11 octobre 2019.
4 Saving capitalism from the rentiers, Financial Times 19 septembre 2019.
5 Bluthandel. Dollar gegen Gesundheit (Commerce de sang. Dollar contre santé), ARD (première chaîne de télévision allemande) 6 octobre 2019.
6 40 years of reform and opening up, South China Morning Post 19 décembre 2018.