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ROI ET PAUVRE.

Table des matières

Que voulez-vous de moi?

Entrez, entrez, brave homme,

N’est-ce pas Jean Cagneux-le-Pauvre, qu’on vous nomme

Que voulez-vous de moi?

N’ayez pas peur, ami,

Je suis un pauvre aussi,

Un bien pauvre de joie, s’il en fut en ce monde;

L’amertume en ma vie fait sans cesse sa ronde;

Au calme, d’approcher elle porte défi.

Pourquoi donc m’appeler?–

Sur cette chaise douce

A l’aise asseyez-vous. La soie vaut bien la mousse

Où vous allez geler.

Mon feu vaut bien le vent,

Et ce mur paravent

Où votre corps s’appuie, se colle la journée;

Alors pour vous le temps doit doubler de durée,

N’est-ce pas, le Cagneux, ce n’est pas autrement1

Buvez un peu de vin,

Réchauffez votre gorge,

Mangez de ce pain blanc, laissez votre pain d’orge.

Allons! repas divin!

Voyez, voilà de l’or;

Voulez-vous ce trésor?

Vous vous en servirez pour avoir une veste

Qui se tienne après vous, et garderez le reste

Pour brider vos amis, pour faire le milord.

L’eau rend vos cheveux mous,

Mettez-leur cette toque;

Elle vous semblera peut-être bien baroque,

Il n’y a pas de trous.

Mettez aussi ces bas

Et prenez ce cabas.

Mon Dieu, mon pauvre Jean, comment? point de chemise!

Je veux vous en donner plusieurs sans reprise

Pour cacher dos et cou. Voilà encor des draps.

Vous êtes désireux

D’entrer dans une chambre,

Qui ne possède pas pour valets d’antichambre

Les vents ou l’air brumeux.

N’est-ce pas? Votre bien,

Je le veux–tout ou rien;

C’est-à-dire, je veux que vous vouliez le prendre,

Et ainsi vous pourrez tranquillement attendre

La fin de votre vie, la mort, le grand soutien.

Vous aurez un jokei

Bien pantin, bien paillasse,

En habit fin, brodé d’argent sur toute face.

Plus tard; mais du Tokei,

Bientôt: Jean, croyez-moi,

Buvez-en. Sur ma foi!

C’est un vin des meilleurs; Basa, Noé d’Autriche,

Le créa; Basa IV en fit trois; Basa, riche,

Du peuple dernier, ou premier, Basa fut roi.

Vous me comprenez bien;

Je parle sans cadence,

Sans nul apprêt, exprès; à votre intelligence

J’attache un seul lien.

Au savoir le savoir;

L’espérance à l’espoir.

Et si j’ai dit un mot de l’habitant d’un trône.

Hélas! j’ajouterai que cet homme qu’on prône

Est moins heureux que vous; je vous le ferai voir.

D’abord, à tout venant

Vous priez qu’il vous donne;

Vous vivez sans la faim; votre figure est bonne,

Quoique d’un mendiant;

Vous n’êtes pas rêveur,

Tiraillé par la peur.

Un roi! c’est un enfant dont le peuple est le père,

Dieu, le jour qui le mène, et la patrie, sa mère,

Et ce qui le nourrit pourtant, c’est le malheur.

Seul, vous mangez du pain.

Le roi, assis à table,

Est entouré d’amis, d’un luxe qui l’accable.

A lui n’est plus sa main:

La prend un renégat

A l’œil, au dos de chat.

Parmi tous ces vivants qui font belle grimace,

Dix, vingt fixent leurs yeux sur la royale face,

La dévorent du cœur, lui sourient du crachat.

Malheureux! qu’a-t-il fait,

Ce roi qui vous fatigue?

Peut-être rien de mal, si n’est qu’il vous prodigue

Chaque jour un bienfait.

Mais quel est donc celui

Qui si peu qu’il ait, lui,

Ne s’est trompé jamais et n’a pu se méprendre?

Plus on est haut placé, plus on devrait descendre,

Me direz-vous? c’est vrai. La faute est-elle à lui?

Sous des habits pompeux

Il y a de l’horrible

Qui tache le palais, et qui, dur ou sensible,

Va, tue ou rend heureux.

Du diable le valet

Plus qu’on ne lui dit fait;

Et malheur! Trop souvent, pour une peccadille,

Maître qui punit peu, son valet en sourcille,

Écoute à ventre plat; mais il a son sifflet.

Ah! vous vous asseyez,

Pauvre, je vous amuse;

Mais peut-être un peu trop du droit de conter j’use?

Non, car vous souriez.

Alors, j’en veux venir

A plus vous réjouir.

En disant, à raison: à vous, repos et calme!

Avez-vous dans le coeur quelque chose... une larme?

Vous la versez sans crainte, un roi peut en mourir.

Oui, d’un sire les pleurs,

Près d’yeux qui n’en produisent,

Sont souvent des poignards qui sur son sein s’aiguisent

Par de saintes fureurs.

S’il dit mot, on l’entend;

On crée son mouvement;

Il est toujours en haut et en bas de l’échelle;

S’il y monte il en glisse; en tout on le harcelle;

On lui marque un désir; s’il se veut, on le prend.

Mon Dieu! nous le savons,

C’est un bel esclavage

Dont ne se plaint un roi. Jusqu’à fin de son âge,

C’est: Je veux, nous voulons.

Mais son corps est perdu,

Et son coeur est mordu.

Sa cour est comme un chien qui tire ses entrailles,

Dent mielleuse et pointue qui livre des batailles.

L’entourage d’un roi, c’est le roi absolu.

Vous croyez que s’il a

Un fils ou une fille,

Ils sont à lui, pour lui? non, cette joie qui brille

En les voyant, s’en va;

L’Etat, ce monstre humain

Dès leur jour, le demain,

Les amène tous deux à sa gueule béante,

Donne un baiser Judas à leur chair palpitante;

Le géant est dehors, au palais est le nain.

Je ne vous ai point dit

Une terrible chose;

Dans une auguste vie si grande en est la dose!

Effroyable conflit!

Le Pauvre! c’est pitié

Que cette vérité.

On goûte son repas avant que le roi mange,

On lui fait voir qu’il peut...–N’est-ce pas, c’est étrange?

Aussi Dieu pense; il souffre: à lui, l’éternité!

Il y a dans un roi

Quelque chose de tendre

Dont on ne convient pas, qu’on ne veut pas comprendre.

On n’a pas d’autre foi

Qu’il passe tout son jour

En bals, fêles et cour;

Qu’il néglige son peuple, et que sur sa couronne

Il attache ses yeux, et ne voit plus personne.

–Pourtant on se sent bien de croire à son amour.

Pauvre, j’ai abusé

De votre patience.–

Pardon, merci, partez, merci.–Votre présence

Et votre air m’ont prouvé

Que j’étais un enfant

Né d’une sotte gent.

Pour vous offrir, à vous, l’argent, l’or, la fortune,

milliard de maisons, valant louis chacune;

–Allez, on rit dehors,–on pleure plus dedans.

Je crois avoir entendu dire à un pauvre:

«Bah! bah! l’aumône ne paie pas d’impôts.

Vapeurs : ni vers, ni prose

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