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INTRODUCTION

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A l’heure actuelle, dans le public autant que dans les milieux professionnels, les avis sont très partagés sur la question de savoir si l’architecture, telle qu’elle est comprise et pratiquée aujourd’hui, répond aux exigences matérielles, ainsi qu’aux aspirations esthétiques modernes.

Sans trancher cette question avant de l’avoir examinée à fond, on peut affirmer cependant qu’en toute évidence, cet art est, à l’époque présente, en complet désaccord avec l’esprit scientifique qui domine tout aujourd’hui et devrait nous amener à rechercher des solutions franches et nettes pour les problèmes nouveaux.

Ce qui est certain, c’est que les plus importantes manifestations de l’architecture n’obéissent plus à aucune méthode raisonnée. On introduit maintenant dans les bâtiments des matériaux nouveaux, tels que le fer et le ciment armé ; le chauffage à vapeur, l’électricité, l’eau et le gaz, c’est-à-dire des éléments jadis inconnus ou inusités. Dès lors, la disposition générale des édifices, ainsi que leurs expressions, devraient se transformer, si l’on veut arriver jamais à résoudre véritablement les problèmes posés à l’architecture contemporaine.

Or, nous sommes bien éloignés d’un tel progrès, entravés par une routine hostile à toute esthétique nouvelle, même appropriée. Dans la conception des édifices publics, des habitations communes ou privées et aussi dans celle du mobilier, les professionnels, d’accord avec leur clientèle, s’attardent dans l’imitation de tout ce que le passé nous a légué, de ce qu’a vulgarisé la photographie; ils appliquent des formes, choisies sans discernement et sans préoccupation de leur provenance, à des dispositions ainsi qu’à des matériaux avec lesquels elles sont en pleine contradiction. C’est le règne de l’illogisme et de l’inconséquence.

L’architecte utilise, sans doute, tout ce que la science et l’industrie apportent de nouveau, mais il le fait après coup, sans en avoir tenu compte dans la conception première, dans l’étude des plans et des moyens de construction; tout alors s’exécute sans direction réelle, et sans unité de travail. Aussi l’architecture s’exerce-t-elle dans une incohérence inutilement coûteuse, sans profit pour l’art et sans aucun ordre.

Ce qui complique encore davantage cet état de chose, c’est la préoccupation qui, sans être générale, est cependant très répandue, de voir se créer un style nouveau, caractérisant l’époque actuelle. Ce désir assurément est légitime, mais, actuellement il est bien peu fondé, et en tout cas singulièrement réalisé par l’absence totale des principes, par l’emploi dissimulé des matériaux et des procédés nouveaux, — tels que le fer et le ciment armé, qu’on cache honteusement, sous prétexte qu’ils ne sont pas d’aspect esthétique. Pour qu’un art nouveau se manifeste, il est deux conditions essentielles à sa création: un régime social nouveau et surtout des moyens d’action correspondant aux exigences spéciales de ce régime. Mais ces influences ne peuvent agir sur l’architecte que s’il en tire logiquement et sincèrement parti.

Nous possédons bien ces éléments de rénovation, mais sans chercher à profiter des avantages qu’ils offrent en faveur de la conception et de la composition. Nous sommes aveuglés, d’un côté, par le prestige des formes anciennes, et de l’autre, par la vaniteuse et puérile prétention de créer de nouvelles formes, sans autre direction que la fantaisie.

Ce n’est pas un style nouveau dont la société actuelle a besoin; ce qu’il lui faut ce sont des solutions techniques et pratiques qu’on réclame de toutes parts, sans en formuler peut-être nettement la nature, mais dont la nécessité impérieuse s’impose à qui prend la peine d’observer et de méditer. L’important c’est d’assurer, avant tout, ces résultats; les satisfactions rêvées de l’esthétique en seront la conséquence. Procéder inversement est une erreur fatale. L’art n’est pas un point de départ et il n’intervient qu’en raison du savoir, de la logique, du goût et de la mesure que le chercheur a apportés dans la conception et la réalisation de son œuvre.

N’avons-nous pas d’ailleurs un exemple des plus intéressants et des plus utiles à suivre dans les expressions nouvelles des véhicules terrestres et marins actuels? Leur a-t-on donné les formes de la carrosserie ou de l’architecture navale du temps de Louis XIV? Nullement; les combinaisons et les apparences ont été déduites des données scientifiques et industrielles et ces abris roulants sur le sol terrestre ou flottants sur l’eau donnent toutes satisfactions. Pour quelles raisons les abris fixes que sont les bâtiments sont-ils soumis à un régime de composition différent? Pourquoi l’esprit de routine, de copie et de fantaisie se perpétue-t-il dans tout ce qui se rattache à l’architecture des bâtiments et du mobilier, alors qu’il a disparu dans d’autres milieux producteurs, cependant analogues? La question vaut la peine d’être approfondie, car elle n’est pas seulement d’ordre artistique, mais avant tout technique, hygiénique, économique, liée qu’elle est à la santé, à la sécurité et à la bonne gestion de la fortune publique et privée.

La Renaissance et surtout les époques qui l’ont suivie ont pu donner aux œuvres un caractère artistique ne reposant que sur l’imitation ou l’interprétation plus ou moins justifiée du passé, parce qu’elles ont fait bon marché de toutes les exigences qui sont capitales à l’heure présente. Notre cas est donc complètement différent; aussi ne comptons pas sur le secours factice que nous apportent ces périodes et ne suivons pas leurs errements. Prétendre résoudre le problème de l’architecture moderne, en construisant comme du temps de Louis XVI et en s’inspirant du caractère monumental déraisonnable de cette époque pour concevoir et décorer nos édifices et nos meubles est une ridicule et fatale erreur, car il est impossible de tirer de ces exemples quoi que ce soit d’utile et de stimulant dans leur application aux programmes actuels.

La voie d’imitation nous est fermée aujourd’hui et celle d’un modern style sans fondements ne doit pas être ouverte.

Un effort nouveau est donc nécessaire, mais pour le faire naître, il faut instruire les clients et les professionnels futurs dans un même ordre d’idées, susceptible de donner une direction qu’il n’est possible de puiser que dans l’étude raisonnée et analytique du passé, ainsi que dans l’examen consciencieux et éclairé des conditions auxquelles l’architecte contemporain doit se soumettre, tout en utilisant les ressources fécondes et stimulantes dont il dispose désormais.

A cet égard le public, il le reconnaît lui-même, est très ignorant, par suite d’une lacune inexplicable et injustifiable dans l’enseignement général où il n’est jamais question d’un art aussi utile qu’est l’architecture. Quant aux professionnels, ils sont indifférents, ou débordés par la nécessité de produire avec la rapidité dévorante qui est actuellement à l’ordre du jour et qui, sans leur laisser le temps de méditer, les oblige à travailler isolément, sans discipline et sans communauté de vues.

Dans un tel état de choses, l’architecte subit fatalement les spécialités au lieu de les diriger, et c’est ainsi qu’il tend à perdre chaque jour davantage son autorité et son prestige.

En publiant ce nouveau livre, je n’ai pas la prétention de combler les lacunes de l’enseignement général et de l’éducation professionnelle; mon but est de les signaler, de les commenter pour en tirer les conséquences qu’elles comportent. Je ne prétends pas davantage redresser les erreurs constatées dans l’exercice de la profession, mais apporter une série d’observations, et de renseignements de nature à ouvrir les yeux des intéressés sur une situation bien dangereuse, si elle se prolonge, dans le vaste domaine de l’architecture. Cet art utile, créateur et éducateur (même en dehors de sa technique), ne possède ces qualités que s’il est exercé avec le respect des contingences qui l’entourent; autrement il est banal et ruineux, en attendant qu’il disparaisse complètement.

On a beaucoup écrit sur l’histoire de l’architecture, mais il manque en général à ces études, dont certaines sont remarquables à plus d’un titre, l’esprit d’analyse et de critique qui conduit à la comparaison des diverses époques entre elles et particulièrement avec l’époque contemporaine qui, de ce fait, ne profite pas de l’expérience acquise. En outre on y trouve une abondance de documents fort utiles à l’historien, mais qui trouble et rebute le lecteur non préparé, au lieu de diriger sa pensée et ses recherches.

Aussi dans le présent volume ai-je réduit intentionnellement au minimum le nombre des exemples, me bornant à présenter ceux nécessaires au développement de ma thèse et permettant de distinguer, entre les diverses périodes de l’art, celles qui ont été créatrices de celles qui ont été alimentées uniquement par l’imitation. Les premières seules nous sont utiles, les autres nous détournent du vrai chemin dans lequel il faut nous engager. La vérité à cet égard saute aux yeux de quiconque prend la peine d’observer sans parti-pris.

En tout cas j’espère mettre ici en pleine lumière la puissance de la doctrine rationaliste dont Viollet-le-Duc a démontré l’application constante dans l’antiquité et le moyen âge. En revenant aux méthodes de composition faites avec le bon sens, la logique et la sincérité, nous pourrons lutter contre la routine et l’entraînement irréfléchi qui arrêtent tout développement dans le sens moderne.

J’ajouterai qu’ainsi clients et professionnels arriveront aussi à se faire une idée de l’architecture, autre que celle imprécise et superficielle qui est à l’ordre du jour.

Cet art n’est pas uniquement celui de bâtir et de décorer les édifices suivant la définition incomplète, inexacte et insuffisante des dictionnaires. Cette définition est incomplète en ce sens qu’elle limite aux bâtiments le domaine de l’architecture, tandis que celui-ci, bien plus vaste, s’étend à toutes les œuvres créées par l’homme, suivant des programmes déterminés, et réalisés par la matière, quelle qu’elle soit. Les objets mobiliers et les ustensiles utiles à la vie font partie de l’architecture, car ils sont conçus et exécutés suivant une même méthode que les palais et les habitations. Aussi est-il singulier de les ranger à part, sous l’épithète d’arts décoratifs et d’établir ainsi une scission entre ceux qui, en somme, ont un but commun et qui n’ont pas dès lors le bénéfice d’une concentration de leurs efforts, à laquelle est dû cependant tout ce que nous admirons dans le passé.

D’autre part la définition en question ne donne aucune idée du rôle de la conception dans la composition des œuvres d’architecture, ni du mécanisme intellectuel qu’elle exige; il semblerait que tout y est dû à des accumulations de matériaux qu’il s’agit, indépendamment de la structure, de revêtir d’ornements décoratifs. C’est bien ainsi, il est vrai, que presque généralement depuis trois siècles, on procède, mais il n’en a pas toujours été de même. En revenant au rationalisme, nous devons devenir créateurs à notre tour. L’évolution et la transformation peuvent-elles se produire uniquement sous l’action du raisonnement et de la science? Peut-être, s’il est possible d’oublier dans le passé la tradition des formes pour n’y voir que celle des principes.

Si une doctrine aussi rigoureuse ne peut être appliquée, dans la pratique, étant donné le manque actuel de direction, elle devrait tout au moins l’être dans l’enseignement, où il faudrait à tout prix renoncer à éduquer les jeunes dans la routine du plagiat, les mettre résolument en face des nécessités présentes, ainsi que des difficultés qui les attendent, et leur fournir, pour les aborder, les armes nécessaires. Elevés à l’école de la raison, ils sauraient plus tard discerner et éviter les écueils vers lesquels ils sont actuellement poussés, faute d’une direction précise et sûre.

Quoi qu’il en soit, de quelque façon qu’on s’y prenne, la connaissance sérieuse et éclairée du passé est indispensable. C’est pour aider, dans ma modeste part, à cette vulgarisation analytique que je lui ai consacré la première partie de cet ouvrage qui n’est ni une histoire de l’architecture, ni un cours de construction, mais une étude raisonnée et comparative, basée sur tous les éléments nécessaires, — permettant, je l’espère, même aux non professionnels de se rendre compte de ce qu’a été l’architecture depuis l’antiquité jusqu’à nos jours.

La seconde partie est consacrée au dix-neuvième siècle et au commencement du vingtième siècle, envisagés dans leurs édifices, dans leurs exigences et leurs ressources nouvelles, enfin au point de vue didactique et technique.

Peut-être m’accusera-t-on d’être pessimiste. Tel n’est pas cependant mon sentiment. On se tromperait, en tout cas, si on voyait dans ce travail une pensée qui ne soit pas le résultat d’une conviction faite de longue date, partagée par les nombreux partisans de réformes, réclamées depuis longtemps, dont ils attendent la réalisation avec une patience et une confiance que soutiennent des convictions inébranlables et l’espoir en un avenir meilleur pour l’art.

De quelle nature sont ces réformes, quelle influence doivent-elles avoir sur l’évolution qui s’impose aujourd’hui; de qui dépend leur réalisation et pourquoi ce sujet est-il une cause de division entre les architectes? Telles sont les questions que, sans parti pris et uniquement en vue d’un intérêt général (social et professionnel), j’examine dans la seconde partie de ce livre, consacrée à l’époque contemporaine.

L'architecture : le passé, le présent

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