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LE ROI DE THULÉ

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Cependant M. de Parisis passait sur son cou les belles mains de la comtesse. «A propos, dit-elle, je vous ai invité à prendre une tasse de thé et mon monde est couché.—Quel contre-temps! dit Octave, moi qui ne suis venu que pour cela.—C'est d'autant plus fâcheux que j'aurais pu vous faire apprécier mon vieux Sèvres. Voyez-vous cette merveille sur cette console?—C'est d'autant moins fâcheux, Madame, que vous avez un bon feu, que j'ai vu dans votre cabinet de toilette une petite bouilloire d'argent, et que vous allez de vos blanches mains me préparer vous-même une tasse de thé.»

Octave n'aimait pas à tordre le cou à ses aventures. Un dilettante en amour savoure le roman chapitre par chapitre sans brusquer le dénouement.

Mme d'Antraygues ne se fit pas prier, elle mit la bouilloire au feu pendant que M. de Parisis apportait le tête-à-tête sur un guéridon doré, à trois cariatides sculptées en syrène.

Octave admira la forme svelte, la couleur tendre, les fleurs délicates de cette petite merveille qu'une main féerique avait travaillé pour Trianon.

«C'est admirable, dit-il, je n'ai jamais vu de forme plus exquise et de tons plus harmonieux. Ce sucrier est un bijou.—J'aime encore mieux la théière. Voyez donc comme l'anse est dessinée! voyez donc comme le goulot se profile bien!—Croyez-vous, Madame, qu'à Trianon ou ailleurs, depuis qu'on prend du thé, ce divin tête-à-tête ait jamais eu la bonne fortune de caresser des lèvres aussi amoureuses que les nôtres.»

Octave embrassait Alice. «Octave! décidément vous avez trop soif, murmura Mme d'Antraygues en riant.—Vous êtes comme le vieux Sèvres, d'une pâte exquise.—Oui, pâte tendre.» Octave alla embrasser encore Alice. «Chut! dit-elle, voilà l'eau qui bout.—Quelle jolie chanson! je comprends que les poètes aient parlé des symphonies de la bouilloire; moi qui vous parle, j'ai une petite bouilloire dans ma chambre pour me rappeler mon enfance. Ma grand'mère m'a bercé au chant de la bouilloire.—Vous avez été élevé dans l'âge d'or; moi, ma grand'mère m'a élevée aux duos d'Antony, de Lelia et de Faust.»

Alice chanta du bout des lèvres une strophe du Roi de Thulé. «Oh! chantez! chantez! dit Octave. Vous allez attacher mon amour à cette chanson.—Oui, comme on cloue un papillon dans un herbier.—N'ayons pas d'esprit et chantez-moi cette adorable ballade.»

Mme d'Antraygues la chanta avec l'accompagnement des vagues de la bouilloire et du pétillement du fagotin. Et elle la chanta presque aussi bien que Mme Carvalho, musique de Gounod, traduction toute nouvelle:

Il était un roi de Thulé,

Qui perdit un soir sa maîtresse

Il but comme un inconsolé

Le souvenir avec l'ivresse.

C'était dans une coupe d'or

Portant le chiffre d'Arabelle:

«Heureux, disait-il, qui s'endort

Dans l'amour, comme a fait ma belle!»

Plus d'une fois, quand il rêvait,

La nuit, en écoutant les merles,

Il prenait sa coupe et buvait,

Croyant y retrouver des perles.

Perles et pleurs! Le sort amer

Le fit vieillir fidèle et sombre.

Un soir qu'il regardait la mer,

Et qu'il évoquait la chère ombre:

«O ma belle! nulle après toi

A cette coupe savoureuse

Ne boira plus. Nul après moi

N'y mettra sa bouche amoureuse.»

Et dans les vagues, tristement,

Par lui la coupe fut jetée,

Ne voulant pas qu'un autre amant

Profanât la coupe enchantée.

Pendant qu'Alice chantait, M. de Parisis promenait son vif regard sur sa beauté épanouie; tout un poème en vingt-quatre chants, à commencer par les cheveux blonds en révolte, à finir par les pieds mignons qui jouaient dans les pantoufles.

Alice était grasse et blanche, légèrement rosée, légèrement brunie, comme si le soleil eût passé sur elle trop longtemps dans sa dernière villégiature. Quoiqu'elle fût une femme du Nord, elle avait la nonchalance des Havanaises. Elle vivait couchée, quittant son lit pour son canapé, son canapé pour sa calèche; aussi faisait-elle une rude pénitence quand le dimanche, à la messe d'une heure, elle s'agenouillait à Saint-Philippe-du-Roule au milieu de ses amies. La mère de M. d'Antraygues lui avait dit plus d'une fois: «Prends garde à ta femme, elle est romanesque et coquette.» Le jeune mari répondait à sa mère: «Il n'y a rien à craindre, elle est trop paresseuse pour cela.»

Un fin physionomiste n'eût pas répondu ainsi. Et, en effet, les yeux d'Alice,—ces terribles yeux de mer, à reflets changeants, qui ne disent jamais le secret du coeur, révélaient une âme troublée par les rêves amoureux comme la mer par les nues qui renferment l'orage. Il y a des femmes qui se montrent tout entières par leurs regards. On les pénètre du premier coup comme ces sources vives jaillies de la montagne dans leur premier lit virginal.—fontaines que nulle lèvre humaine n'a touchées encore.—Mais il y a des femmes profondes comme la mer: l'oeil s'y perd; plus on les croit connaître et plus on est dans l'abîme: «Bien fol est qui s'y fie,» disait François Ier devant celles-là. M. d'Antraygues ne connaissait pas si bien les femmes que François Ier, il n'avait pas appris à lire dans ce livre du bien et du mal, une oeuvre toute divine que Dieu a livrée au diable.

Il est des femmes à l'abri des tentations par leur figure; les passions ne frappent pas à toutes les portes, elles laissent sommeiller dans la vie les âmes qui n'ont pas revêtu une enveloppe attrayante. La beauté qui ne tombe pas de son piédestal de marbre est un ange de vertu. La laideur qui meurt immaculée ne mérite pas les canons de l'Eglise. Toute- fois, il faut bien le dire, il n'y a pas de laideur absolue, et toute femme, quel que soit son masque, a son quart d'heure de rayonnement.

Mme d'Antraygues était faite pour la volupté sinon pour la passion; yeux profonds sous la flamme, lèvres rouges, une forêt de cheveux, dont les broussailles envahissaient le cou et les oreilles, des sourcils qui se joignaient presque et qui semblaient peints, tant ils étaient énergiquement et finement dessinés, de longs cils retroussés et mobiles qui accentuaient encore l'expression mystérieuse de ses yeux. L'ovale du visage était peut-être trop arrondi, mais il était embelli par un second menton dont la ligne ondoyante se fondait mollement sous le premier. L'oreille était un bijou ciselé sur la chair; elle était un peu rouge peut-être mais par ce temps d'anémie, qui se plaindrait de voir le sang vif s'accuser! Ce soir-là, la comtesse avait de grands anneaux pompéiens, mis à la mode par les femmes excentriques.

M. de Parisis n'arrêtait pas son regard à la figure seule; comme un voyageur qui a entrevu à peine le pays inconnu, il promenait çà et là de la tête aux pieds, sur les montagnes et les vallons, pénétrant la robe un peu diaphane, admirant les surfaces de l'épaule, les grâces abandonnées du cou, le marbre rosé du bras. «Quel joli pied vous avez!» dit-il à Alice après un silence. Et sans qu'elle y prit garde ou qu'elle voulût y prendre garde, il lui saisit le pied dans sa pantoufle, comme il aurait pris sa main dans son manchon.

Les jeunes filles qui liront ce roman pourront me demander pourquoi M. de Parisis allait à minuit chez Mme d'Antraygues, puisque ce n'était ni sa femme ni sa soeur; je répondrai aux jeunes filles que le thé de la comtesse était fort bon.

Les grandes dames

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