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POURQUOI M. D'ANTRAYGUES DEMANDA A SA FEMME SI ELLE GANTAIT L'OCTAVE

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Octave ne voulait pas—selon son habitude—revoir madame d'Antraygues. On sait qu'il n'aimait pas se retourner vers le passé. Il aimait plus les aventures que l'amour, ou plutôt il aimait l'amour des aventures plus encore que les aventures de l'amour.

Mais, trois jours après, à un bal de la princesse ——, il vit entrer la comtesse dans toute la souveraineté de la jeunesse, de la beauté et des diamants. Tout le monde s'écria: «Comme elle est belle!» Faut-il le dire, la comtesse était plus belle après sa chute que dans la souveraineté de sa vertu. L'orage fait éclore le lendemain mille fleurs inattendues. La vertu a son despotisme, ses contraintes, ses chaînes inflexibles. La passion, quand elle ne rougit pas, quand elle ne pleure pas, quand elle ne s'humilie pas, a je ne sais quelle désinvolture irrésistible. Chez les femmes du monde, elle s'abrite encore sous des airs de vertu qui la font plus pénétrante, comme ces adorables voluptueuses de Prudhon, dont les yeux sont à la fois baignés d'innocence et d'amour. La fable a fait Vénus plus belle que Junon.

M. de Parisis fut pris soudainement d'un vif revenez-y, comme disait Mme de Sévigné. Il alla saluer Alice et lui dit qu'il mourait d'amour. «Je vous connais, répondit-elle, aussi je ne crois pas un mot de ce que vous dites.»

Tout autre qu'Octave eût été rejeté bien loin, mais il eût bientôt prouvé à Mme d'Antraygues qu'il ne l'avait pas revue parce qu'il n'avait voulu revoir Violette. «Vous savez qu'elle vous attend toujours?—Oui, mais c'est fini. Le coup de revolver a tué mon caprice. Je n'aime pas ces bêtises-là. Comment voulez-vous revoir un sein de femme qui a été ensanglanté?—Mais ce sang coulait pour vous, monstre charmant!—Plus un mot de Violette. Qu'avez-vous fait de votre belle jeunesse depuis notre dernière rencontre?—Je vous ai haï.—C'est toujours par là que l'amour commence.—Que l'amour finit.»

On jasait autour d'Octave et d'Alice. Quoiqu'il ne mît pas beaucoup d'orgueil dans ses aventures galantes, il ressentait bien quelque plaisir à être accusé de cette conquête.

Comme Mme d'Antraygues semblait décidée à ne plus le recevoir ni à ne plus revenir chez lui, il la menaça d'un air dégagé de se consoler avec une de ses amies qui était surnommée la consolatrice des affligés. Elle aima mieux, tout bien considéré, qu'il vînt se consoler chez elle, où il restait encore un tête-à-tête en porcelaine de Sèvres—pâte tendre.

Le lendemain, à minuit, quand M. de Parisis se retrouva chez la comtesse, il lui fallut vaincre sa rébellion par toute la comédie du sentiment. «Ah! vous voilà à mes pieds. Je vous attendais là. Eh bien, restez-y, mon cher duc.—Toujours, dit Octave en joignant les mains sur les genoux de la comtesse.—Je ne puis m'empêcher de penser, en vous voyant ainsi en adoration plus ou moins railleuse, que dans les pièces de théâtre, c'est toujours à ce moment critique que le mari frappe à la porte. Prenez garde à vous!»

La comtesse avait à peine achevé ces mots, qu'on frappa trois coups à la porte. Les amoureux ne raillèrent plus. Octave fut moins de temps à se remettre debout qu'il n'en avait pris pour s'agenouiller. Il interrogea Mme d'Antraygues du regard. Mais, pour toute réponse, elle appuya le doigt sur ses lèvres agitées.

On frappa encore trois fois. «Ce n'est pas mon mari, dit la comtesse, car Gladiateur n'a pas aboyé.» Modèle des petits chiens de garde: elle ne l'avait appris à aboyer que contre son mari. Qui donc a dit que le chien était l'ami de l'homme?

«C'est égal, reprit Alice, jetez-vous sur le balcon!» M. de Parisis obéit. Il ouvrit la fenêtre en homme expérimenté. Jamais un voleur ou un amant n'avait fait moins de bruit. «N'a-t-on pas frappé? demandait-elle en jouant l'innocence.—Comment donc! je ne fais que cela! cria d'Antraygues.»

Mme d'Antraygues ferma la fenêtre, déploya les rideaux et poussa un fauteuil dans l'embrasure, tout en disant: «Ah! c'est vous, mon ami! Est-ce que vous voulez que je vous ouvre la porte?—Vous le voyez bien, puisque je frappe depuis une heure!—Dites-moi ce que vous voulez?—Je n'ai pas l'habitude de parler par le trou de la serrure.—Puisque vous avez la clé?»

Mme d'Antraygues était bien sûre de la lui avoir prise.

Le comte frappa encore trois coups; mais cette fois avec le pied, comme signe de haute impatience. «En vérité, mon cher, vous n'aimez pas à parlementer. Je me couchais; je remets ma robe. Faut-il faire la conversation? Faut-il vous lire le journal du soir? On annonce que Mlle Patti se marie et que Mlle Brohan divorce.—Pardieu, le monde est un malade qui n'est jamais tourné du bon côté.»

La comtesse ouvrit. «Vous faites des maximes comme votre cousin La Rochefoucauld? Je ne parle pas de l'ancien.—Merci, ma chère; tous les La Rochefoucauld sont bons, même les mauvais. Vous ne savez pas pourquoi je viens vers vous à une pareille heure?—C'est vrai, vous ne rentrez jamais que vers quatre ou cinq heures du matin. Or il est à peine minuit.—J'ai juré de ne plus jouer et je vous supplie de me lier les mains. J'ai joué ce soir pour la dernière fois. J'ai perdu près de sept cents louis; mais, en vérité, c'est une bonne fortune, puisque je ne jouerai plus. Ah! ma chère, je vais redevenir un homme de l'âge d'or.»

Et le comte ajouta, comme se parlant à lui-même: «Quand j'aurai payé.»

Mme d'Antraygues avait entendu. «Quoi! vous n'avez pas payé?—Oh! cela se fait toutes les nuits. On joue sur parole. C'est la dernière parole d'honneur.—Si vous n'avez pas payé, je suppose que ce n'est pas faute d'argent.» Le comte prit dans la poche de son gilet une pièce de cent sous à l'effigie de Louis XVIII, trouée en trois endroits, un vrai fétiche qui naturellement lui avait toujours porté malheur, «Faute. d'argent madame! Mais voyez donc cet objet d'art!—C'est tout ce qu'il vous reste?—Oui, ma chère, avec notre pièce de mariage.—Nous parlerons de notre pièce de mariage demain, monsieur. En attendant il faut payer.»

Et Mme d'Antraygues, qui ne comptait pas encore, ouvrit son chiffonnier. «Vous êtes aimable, lui dit son mari, de considérer les billets de banque comme des chiffons. Comment faites-vous pour en avoir toujours?—C'est que je ne joue pas. Combien vous faut-il?—Donnez-moi seulement dix billets roses.—Cinquante mille francs, dit-elle, les voilà. Mais vous voyez ce qui me reste.—Vous êtes un ange, Alice.»

M. d'Antraygues se pencha pour baiser la main de sa femme. Il ne donna pas le baiser. Il avait vu sur le tapis un gant qui ne lui parut pas un gant de femme.

Il le ramassa. «Madame, voulez-vous essayer ce gant-là?» Il tenta violemment de ganter sa femme. «Je m'en doutais, lui dit-il, vous gantez maintenant l'Octave.» Et il rit de son mot pour dissimuler sa colère.

Il se demanda sérieusement s'il allait tuer Alice. «Adieu, madame, je vais payer pour l'honneur de la maison que vous protégez si bien. Demain, je vous rendrai cet argent avec les intérêts!» Il partit. Toute cette scène n'avait pas duré une demi-minute. Alice courut à l'a fenêtre. «Nous sommes perdus! Il a ramassé un de vos gants, il a joué sur le mot, il m'a demandé si je gantais l'Octave.—Soyez sans inquiétude, dit Octave, mes chevaux m'attendent rue de Courcelles, je serai au cercle avant lui.» Et il baisa la main que M. d'Antraygues n'avait pas voulu baiser. «Octave! Octave!—Adieu! adieu!»

Quand M. d'Antraygues arriva au cercle, il trouva M. de Parisis à une table de baccarat. Il lui tendit son gant au bout de sa canne. «C'est votre, gant, n'est-ce pas? Oui, dit Octave, si vous n'êtes pas content, gardez-le.»

Et s'adressant à tous les spectateurs. «Messieurs, nous nous battrons demain, M. d'Antraygues m'a trouvé chez sa maîtresse. Pas un mot, car si Mme d'Antraygues le savait!»

Le duel fut terrible. Tous ceux qui tiennent une épée s'en souviennent encore. On se battit dans le parc d'une villa du bois de Boulogne. M. d'Antraygues, blessé à la main, ne voulut pas cesser le combat. Il dit que c'était un duel à mort. Il atteignit Octave à l'épaule, il vit jaillir le sang, mais ce ne fut pas assez. Il eut beau faire, Octave se contenta de se défendre par de simples oppositions de quarte et de six. A chaque nouvelle attaque, il se retrouvait à la même parade. Mais M. d'Antraygues lui perça la main. Octave, toujours souriant, Octave reprit son épée de la main gauche et désarma deux fois son adversaire.

Les témoins se jetèrent entre eux et déclarèrent que l'honneur était satisfait. Mais on recommença. D'Antraygues se battit en furieux. Il finit par se jeter sur l'épée savante de Parisis. Le sang jaillit de la poitrine. Il tomba en rugissant et en agitant son épée. «Eh bien! dit-il aux témoins avec un rire horrible, l'honneur est-il satisfait?»

L'honneur n'eût été satisfait que si M. d'Antraygues avait forcé l'amant de devenir le mari. Le duel n'était pas fini: Il recommença entre M. d'Antraygues et sa femme.

Quand le comte fut porté chez lui, il demanda la comtesse. On lui apprit qu'elle était partie à l'heure même du duel et on lui remit cette lettre:

Adieu, monsieur, je vais en Irlande chez ma grand'mère. Nous n'avons plus besoin de séparation de corps, puisqu'elle est faite depuis longtemps, ni de séparation de biens, puisque vous les avec mangés. Adieu.

Alice.

Avec la même encre elle avait écrit à Octave:

Décidément, votre amour porte malheur. Vous avez presque tué

Violette et vous m'avez exilée.

Je ne vous dis pas où je vais, parce que vous n'y viendriez pas.

Alice.

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