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UNE FEMME EN HAUT, UNE FEMME EN BAS

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Cependant il était une heure du matin, M. de Parisis avait-il pris une seconde tasse de thé avec la comtesse? La comtesse à son tour avait-elle jeté sa tasse au feu pour achever le sacrifice et garder un souvenir plus vivant de cette heure amoureuse?

On ne me l'a pas dit. On m'a dit seulement qu'elle avait perdu dans le va-et-vient une de ses mules de satin rose et que son mari, en rentrant, l'avait retrouvée dans l'escalier: ce qui prouverait assez qu'elle avait reconduit Octave sans lumière.

Si Mme d'Antraygues eût reconduit Octave un peu plus loin, elle eût assisté à une autre scène amoureuse.

Dès que la porte s'ouvrit, Octave retrouva Violette couchée par terre. Un pressentiment traversa son esprit; il se pencha et vit un flot de sang qui avait jailli sur sa robe. «Violette!» s'écria-t-il. Violette ne répondit pas.

Les platanes agités par un vent d'orage promenaient alternativement l'ombre et la lumière; mais tout d'un coup un nuage ayant passé, la lune répandit sur Violette sa blancheur d'argent.

Octave s'était précipité et avait soulevé la jeune fille dans ses bras. «Violette! Violette! ma Viola! c'est moi qui te parle, dis-moi que tu m'entends!»

Violette ne dit pas un mot. Le duc l'embrassait et lui parlait toujours: elle avait les lèvres tièdes et le front glacé. «Ma petite Violette, tu sais que je t'aime!»

Octave aimait Violette. Il ne me faudra pas faire un cours d'esthétique sur les passions de l'âme pour démontrer que depuis les siècles de décadence, c'est-à-dire depuis le commencement du monde, l'amour vit de contraste et que la loi primordiale du coeur, c'est de conquérir, si ce n'est d'être vaincu.

Octave venait d'adorer Mme d'Antraygues; mais il aimait Violette. Il s'en revenait de conquérir la comtesse avec un vague sentiment d'orgueil, mais la volupté seule avait été de la fête. Ce n'est pas toujours le coeur qui remue les lèvres, l'amour le plus éloquent jaillit de l'imagination. Quand Salomon a dit: «La femme est amère,» c'était le cri de l'esprit humain et non le cri du coeur humain. S'il eût trouvé dans son palais, parmi ses sept cents femmes, une brave fille, un coeur d'or comme Violette, il eût peut-être poussé à travers les siècles un autre cri sur la femme.

Mais la femme de la Bible n'était pas la femme de l'Évangile; l'âme n'avait pas encore dompté le corps, le sentiment n'avait pas dévoré le coeur. Aujourd'hui, il y a beaucoup de Violettes qui se tuent héroïquement pour leurs passions. Faibles coeurs! disent les philosophes et les moralistes. Ames vaillantes! peut-on dire plus justement de toutes les phalanges d'amoureuses que la jalousie ou le désespoir a jetées dans l'abîme.

Octave arracha le corsage de Violette. En s'agenouillant, il trouva son petit revolver, ce bijou qu'elle avait pris au sérieux. «Tu es donc devenue folle,» lui dit-il en l'embrassant.

M. de Parisis, tout en parlant à Violette, avait à deux reprises appelé son cocher. Au moment où les chevaux arrivaient devant l'hôtel d'Antraygues, Octave posait Violette sur le banc de l'avenue le plus rapproché. Elle était souple, de son adorable souplesse de roseau, comme une femme endormie, les bras pendants, la tête renversée.

Quand elle fut sur le banc, Violette s'agita. «Dieu soit loué!» s'écria Octave. Il eût donné dix ans de sa vie pour voir vivre Violette pendant dix minutes; sa blessure même eût été mortelle qu'il eût été presque consolé de lui entendre dire qu'elle l'aimait. «Je meurs, je meurs, murmura-t-elle d'une voix coupée, il ne faut pas le dire à maman.»

La pauvre Violette ne savait plus que sa mère fût morte. «Violette! tu ne mourras pas, ma Violette, je t'aime et je te sauverai.—Non, je me suis frappée au coeur.»

A cet instant, un coupé arrivait devant l'hôtel par la rue de Courcelles. C'était le coupé de M. d'Antraygues, qui, par hasard, rentrait chez lui avant l'aurore. Ceci mérite bien une explication. Ce jour-là, M. d'Antraygues, appelé du Club à la Maison d'Or, y avait rencontré quelques demoiselles de l'Opéra. Il avait bu avec elles—non pas précisément dans du vieux Sèvres—et, ne pouvant se griser d'amour, il s'était grisé de vin de Champagne. Le comte, tout bête qu'il fût, avait compris dans les fumées champenoises qu'il ferait cette nuit-là un bien mauvais joueur et qu'il risquerait de perdre ce qu'il avait déjà gagné. Voilà pourquoi il revenait chez lui.

En descendant de voiture, il reconnut l'attelage d'Octave. Il s'approcha tout en se dandinant et vit le duc qui soulevait Violette. «Qu'est-ce cela? lui demanda-t-il.—Cela, répondit M. de Parisis, sans paraître s'inquiéter de la présence du comte, c'est une femme qui se trouve mal.»

M. d'Antraygues eut d'abord l'esprit traversé par un soupçon de jalousie, mais voyant bien que ce n'était pas sa femme, il se contenta de dire à Octave: «Diavolo! mon cher ami, vous chassez sur mes terres au milieu de la nuit comme un braconnier; il est vrai que je viens de chasser sur les vôtres. Vos petites amies de l'Opéra m'ont fait boire outre mesure, et pourtant ma mesure est bonne.—Eh bien! dit Octave, allez vous coucher.»

Le comte, qui chancelait sous l'ivresse, releva la tête: «J'irai si je veux! Il paraît que monsieur ne veut pas être troublé dans ses rendez-vous nocturnes.—C'est vous, mon cher, qui êtes nocturne. Votre femme vous attend.»

Le duc avait repris Violette pour la poser dans la victoria. «Ma femme m'attend? Est-ce qu'elle vous l'a dit?—Oui. Hâtez-vous, car elle va vous faire une scène.» Le comte, jaloux cette fois comme un tigre, saisit le bras d'Octave qui montait à côté de Violette. «Vous savez, mon cher, que je ne ris pas après minuit.—Vous savez, répliqua Octave furieux, que je vous défends de dire un mot de plus—à moins que vous ne trouviez un mot spirituel.—Un mot spirituel, je ne suis pas si bête que cela; la preuve, c'est que je vois bien que vous n'avez amené cette femme que pour cacher votre jeu! Vous venez de chez ma femme.—La vérité dans le vin, pensa Octave.—Mon cher, dit-il tout haut, allez voir chez vous si j'y suis.—Oui, monsieur, et je me vengerai, et je briserai tout, et je jetterai la femme par la fenêtre.»

Cette fois, en voyant la colère subite du comte, Octave aurait voulu reprendre les paroles qu'il avait dites. Il le savait capable de toutes les folies et de toutes les sottises. «Voyons, lui dit-il, revenez à vous et ne vous donnez pas en spectacle à la lune; rentrez chez vous silencieusement, et surtout ne dites pas à votre femme ce qui s'est passé à votre porte. Sachez-le donc, mon cher, cette pauvre fille que vous voyez là, baignée dans son sang, vous ne la reconnaissez pas?»

Le comte se rapprocha. «Comment la reconnaîtrais-je? vous la masquez.—C'est votre maîtresse.—Laquelle?» Ce cri partait du coeur. «Je ne sais pas laquelle, dit le duc de Parisis. Je l'ai trouvée ici comme je revenais du boulevard Malesherbes, un revolver sanglant à ses pieds. Tenez, le voilà!» Et Octave donna le bijou au comte sans trop bien savoir pourquoi. «Adieu, mon cher, pas un mot de ceci à Mme d'Antraygues. Et n'allez pas vous servir du revolver contre vous-même.—Pauvre fille,» dit le comte, avec des larmes de vin dans les yeux.

Et tout chancelant sous l'ivresse et sous l'émotion, il se souleva pour voir Violette. Mais sur un signe d'Octave, les chevaux étaient partis au galop.» Pauvre fille! dit encore le comte, ai-je fait assez de malheureuses comme cela?» Il regarda le revolver sous le réverbère, «C'est vrai qu'il est taché de sang! C'est un bijou. Je montrerai cela demain à mes amis.»

A cet instant, Mme d'Antraygues, qui avait assisté toute haletante du haut de son balcon à cette scène tragi-comique, hasarda ce nom de baptême: «Fernand!» Le comte oublia qu'il était ivre et marcha d'un pied plus assuré jusque sous le balcon. Au nom de Fernand, il répondit par le nom d'Alice. «Que faites-vous là, mon ami?» Et comme un écho, Fernand dit aussi: «Que faites-vous là, mon amie?» Naturellement, Mme d'Antraygues répondit: «Je vous attendais.»

Cela était jeté du haut du balcon comme une aumône sur un pauvre. Fernand ramassa ces paroles d'or et murmura: «Décidément, je ne mérite pas tout mon bonheur.»

Il craignit que sa femme n'eût tout entendu. «Alice, est-ce que vous êtes là depuis longtemps?—Non, je viens d'ouvrir la fenêtre, répondit-elle vivement.—Alors vous n'avez pas vu ce fou de Parisis qui enlevait une femme?—Non, mon ami! Adieu, je meurs de sommeil. Ne venez pas frapper à ma porte!»

Cette scène d'intimité se passait en pleine avenue, mais les étoiles seules écoutaient. Pas âme qui vive au voisinage. Il faut se loger avenue de la Reine-Hortense quand les maris partent pour la Syrie.

Alice avait fermé sa fenêtre. Toutes les femmes ont compris ce mot: «Ne venez pas frapper à ma porte.» Quand M. de Parisis dit au mari: «Allez voir chez votre femme si j'y suis,» il savait bien qu'il y était. L'amour a cela de beau dans ses enchantements, qu'il permet à l'amoureux ou à l'amoureuse de garder l'image aimée. Quand la femme aime, elle n'est jamais seule.

Les grandes dames

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