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SUR
LES LOIX CRIMINELLES,
ET
SUR L'USAGE D'ARMER EN COURSE

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À BENJAMIN VAUGHAN.

14 mars 1785.

Mon ami,

Parmi les pamphlets, que vous m'avez fait passer dernièrement, il y en a un intitulé: Pensées sur la Justice exécutive. – Je vous envoie, en revanche, une brochure française sur le même sujet. Elle a pour titre: Observations concernant l'exécution de l'article II de la Déclaration sur le Vol.

L'un et l'autre de ces ouvrages sont adressés aux juges, mais écrits, comme vous le verrez, dans un esprit très-différent. L'auteur anglais veut qu'on pende tous les voleurs. Le français prétend qu'on doit proportionner la punition au crime.

Si nous croyons réellement, ainsi que nous fesons profession de le croire, que la loi de Moyse étoit la loi de Dieu, et l'émanation de la sagesse divine, infiniment supérieure à la sagesse humaine, d'après quel principe pouvons-nous donner la mort pour punir une offense, qui, conformément à cette loi, ne devroit être punie que par la restitution du quadruple de l'objet enlevé? – Mettre à mort un homme, pour un crime qui ne le mérite point, n'est-ce pas commettre un meurtre? Et, comme dit l'auteur français, doit-on punir un délit contre la société par un crime contre la nature?

Une propriété superflue est de l'invention de la société. Des loix simples et douces suffisent pour conserver les propriétés purement nécessaires. L'arc du sauvage, sa hache et son vêtement de peaux n'exigent pas qu'une loi lui en assure la conservation. Ils sont suffisamment gardés par la crainte de son ressentiment et de sa vengeance. Lorsqu'en vertu des premières loix, une partie de la société accumula des richesses et devint puissante, elle fit des loix plus sévères, et voulut, aux dépens de l'humanité, conserver ce qu'elle possédoit. Ce fut un abus du pouvoir, et un commencement de tyrannie.

Si, avant de faire entrer un sauvage en société, on lui avoit dit:« – Par le moyen du pacte social, ton voisin pourra devenir propriétaire de cent daims. Mais si ton frère, ton fils ou toi-même, vous n'avez pas de daims, et qu'ayant faim, vous vouliez en tuer un, vous serez obligés de subir une mort infame.» – Alors le sauvage auroit probablement préféré sa liberté, et le droit commun de tuer des daims, à tous les avantages de la société qu'on lui proposoit.

Il vaut mieux que cent coupables soient sauvés que non pas qu'un innocent périsse: c'est une maxime qui a été long-temps et généralement approuvée; et je ne crois pas qu'on l'ait jamais combattue. Le sanguinaire auteur des Pensées sur la Justice exécutive, convient lui-même qu'elle est juste; et il remarque fort bien: – «Que la seule idée de l'innocence outragée, et plus encore celle de l'innocence souffrante, doit réveiller en nous tous les sentimens de la plus tendre compassion, et en même-temps, exciter la plus vive indignation contre les instrumens de ses maux.» – Mais il ajoute: – «Que l'innocence ne sera jamais exposée ni à être outragée, ni à souffrir, si l'on suit strictement les loix.» – Est-ce bien vrai? – Est-il donc impossible de faire une loi injuste? Et si la loi elle-même est injuste, ne sera-t-elle pas le véritable instrument qui excitera une indignation générale?

J'apprends, par les dernières gazettes de Londres, qu'une femme y a été condamnée capitalement pour avoir dérobé, dans une boutique, de la gaze qui valoit quatorze schellings trois sous. Y a-t-il donc quelque proportion entre le tort fait par un vol de quatorze schellings trois sous, et la punition d'une créature humaine, qu'on fait mourir au gibet? Cette femme ne pouvoit-elle pas, par son travail, remplacer quatre fois la valeur de son vol, ainsi que dieu l'a ordonné? Tous les châtimens infligés au-delà de ce que mérite le crime, ne sont-ils pas une punition de l'innocence? Si le principe est vrai, combien l'innocence, non-seulement est outragée mais souffre chaque année, dans presque tous les états civilisés de l'Europe!

Il semble qu'on a pensé que cette sorte d'innocence pouvoit être punie pour prévenir les crimes. Je me rappelle avoir lu qu'un turc cruel, qui habitoit les côtes de Barbarie, n'achetoit jamais un esclave chrétien sans le condamner aussitôt à être pendu par les jambes et à recevoir cent coups de bâton sur la plante des pieds, afin que le souvenir de ce châtiment sévère et la crainte de le subir de nouveau, l'empêchassent de commettre des fautes qui pourroient le lui mériter.

L'auteur du pamphlet anglais auroit lui-même de la peine à approuver la conduite de ce turc dans un gouvernement d'esclaves; et cependant il paroît recommander quelque chose de semblable pour le gouvernement des Anglais, quand il applaudit le discours du juge Burnet à un voleur de chevaux. On demandoit à ce voleur ce qu'il avoit à dire pour n'être pas condamné à mort. Il répondit qu'il étoit bien cruel de pendre un homme pour avoir seulement volé un cheval. – «Homme, répliqua le juge, tu ne seras pas pendu pour avoir seulement volé un cheval; mais pour que les chevaux ne puissent pas être volés.»

Il me semble que la réponse du voleur, examinée loyalement, doit paraître raisonnable, parce qu'elle est fondée sur le principe éternel de l'équité, qui veut que le châtiment soit proportionné à l'offense; et la réplique du juge est brutale et insensée. Cependant, l'auteur du pamphlet – «désire que tous les juges se la rappellent quand ils vont tenir leurs assises; parce qu'elle contient la sage raison des peines qu'ils sont appelés à faire infliger. – Elle explique tout de suite, dit-il, les bases et les véritables motifs des punitions capitales. Elle apprend, sur-tout, que la propriété d'un homme, ainsi que sa vie, doit être regardée comme sacrée».

N'y a-t-il donc point de différence entre le prix de la propriété et celui de la vie? Si je pense qu'il est juste que le meurtre soit puni de mort, non-seulement parce que le châtiment est égal au crime, mais pour empêcher d'autres meurtres, s'ensuit-il que je doive approuver qu'on inflige le même châtiment pour une petite atteinte portée à ma propriété? Si je ne suis pas moi-même assez méchant, assez vindicatif, assez barbare pour donner la mort à quelqu'un qui m'a dérobé quatorze schellings trois sous, comment puis-je applaudir à la loi qui la lui donne? Montesquieu, qui étoit un juge, a essayé de nous inculquer d'autres maximes. Il devoit connoître les sentimens qu'éprouvent des juges humains dans ces occasions, et quels sont les effets de ces sentimens. Bien loin de penser que des châtimens sévères et excessifs préviennent le crime, voici ce qu'il dit:

«L'atrocité des lois en empêche l'exécution.

»Lorsque la peine est sans mesure, on est souvent obligé de lui préférer l'impunité.

»La cause de tous les relâchemens vient de l'impunité des crimes, et non de la modération des peines.»

Ceux qui connoissent bien le monde, prétendent qu'il y a plus de vols commis et punis en Angleterre, que dans tous le reste de l'Europe. Si cela est, il doit y avoir une cause, ou plusieurs causes de la dépravation du peuple anglais. L'une de ces causes ne peut-elle pas être le défaut de justice et de morale dans le gouvernement, défaut qui se manifeste dans sa conduite oppressive envers ses sujets, et dans les guerres injustes qu'il entreprend contre ses voisins? Voyez les longues injustices, les monopoles, les traitemens cruels qu'il fait éprouver à l'Irlande, et qui sont enfin avoués! Voyez les pillages que ses marchands exercent dans l'Inde! la guerre désastreuse, qu'il fait aux colonies de l'Amérique! et sans parler de ses guerres contre la France et l'Espagne, voyez celle qu'il a faite dernièrement à la Hollande! Toute l'Europe impartiale ne l'a considérée que comme une guerre de rapine. Les espérances d'une proie immense et facile ont été les motifs apparens et probablement réels, qui l'ont porté à attaquer cette nation. Des peuples voisins se doivent une justice non moins stricte que des citoyens d'un même pays. Un voleur de grands chemins n'est pas moins voleur, quand il dérobe avec une bande de ses camarades, que quand il est seul; et un peuple qui fait une guerre injuste, n'est qu'une grande bande de voleurs. Si vous avez employé des gens à voler un hollandais, est-il étrange que quand la paix leur interdit ce brigandage, ces gens cherchent à voler ailleurs, et même à se voler les uns les autres? La piraterie, comme l'appellent les Français, ou la course, est le penchant général des Anglais; et ils s'y livrent par-tout où ils sont.

On dit que dans la dernière guerre, cette nation n'avoit pas moins de sept cents corsaires. Ces navires étoient armés par des marchands, pour piller d'autres marchands qui ne leur avoient jamais rien fait. N'est-il pas probable que plusieurs de ces armateurs de Londres, si ardens à voler les marchands d'Amsterdam, voleroient aussi volontiers ceux de la rue voisine de la leur, s'ils pouvoient le faire avec la même impunité? Le désir du bien d'autrui19 est toujours le même: il n'y a que la crainte du gibet qui mette de la différence dans ses effets.

Comment une nation, qui, parmi les plus honnêtes de ses membres, a tant de gens inclinés à dérober, et dont le gouvernement a autorisé et encouragé jusqu'à sept cents bandes de voleurs, comment, dis-je, peut-elle avoir le front de condamner ce crime dans les individus, et d'en faire pendre vingt dans une matinée? Cela rappelle naturellement une anecdote de Newgate20. L'un des prisonniers se plaignoit que pendant son sommeil, on lui avoit ôté les boucles de ses souliers. – «Comment diable! dit un autre, est-ce que nous avons quelque voleur parmi nous? Il ne faut pas le souffrir. Cherchons le coquin, et nous le rosserons jusqu'à ce qu'il en meure.»

Cependant on peut citer l'exemple récent d'un marchand anglais, qui n'a point voulu profiter de ce que lui avoit produit la course. Il étoit intéressé dans un navire, que ses associés jugèrent à propos d'armer en corsaire, et qui prit un assez grand nombre de bâtimens français. Après le partage du butin, le marchand dont je parle, a envoyé en France un agent, qui a mis un avis dans les gazettes pour découvrir ceux à qui le corsaire a fait tort, et leur restituer une part des prises. Cet homme, qui a une conscience si pure, est un quaker21. Les presbytériens écossais étoient jadis aussi délicats; car il existe encore une ordonnance du conseil d'Édimbourg, publiée peu après la réformation, et portant: «Qu'il est défendu d'acheter les marchandises qui proviennent des prises, sous peine de perdre pour toujours le droit de cité, et de subir d'autres punitions à la volonté des magistrats; parce que l'usage de faire des prises est contraire à une bonne conscience et au précepte de traiter nos frères chrétiens comme nous désirons d'être traités nous-mêmes. Ainsi ces sortes de marchandises ne seront point vendues par les hommes honnêtes de cette ville.»

La race de ces hommes honnêtes est probablement éteinte en Écosse, où ils ont, du moins, renoncé à leurs principes, puisque cette nation a contribué, autant qu'elle l'a pu, à faire la guerre aux colonies de l'Amérique septentrionale, et que les prises et les confiscations en ont été, dit-on, un de ses grands motifs.

Pendant quelque temps on a généralement cru qu'un militaire ne devoit pas s'informer si la guerre, dans laquelle on l'employoit, étoit juste ou non, mais exécuter aveuglément les ordres qu'il recevoit. Tous les princes, qui ont du penchant à la tyrannie, doivent, sans doute, approuver cette opinion, et désirer de la maintenir. Mais n'est-elle pas très-dangereuse? D'après un tel principe, si le tyran commande à son armée d'attaquer et de détruire, non-seulement une nation voisine, qui ne l'a point offensé, mais même ses propres sujets, l'armée doit obéir.

Dans nos colonies, un nègre esclave à qui son maître ordonne de voler et d'assassiner son voisin, ou de commettre quelqu'autre action criminelle, peut le refuser; et le magistrat le protége en applaudissant à son refus. L'esclavage d'un soldat est donc pire que celui d'un nègre! – Un officier, qui a de la conscience, peut donner sa démission, plutôt que d'être employé dans une guerre injuste, s'il n'est pas retenu par la crainte de voir attribuer sa démarche à une toute autre cause: mais les simples soldats restent dans l'esclavage toute la vie, et peut-être aussi ne sont-ils pas en état de juger de ce qu'ils doivent faire. Nous ne pouvons que déplorer leur sort, et plus encore celui d'un matelot, qui est souvent forcé de quitter des occupations honnêtes, pour aller tremper ses mains dans le sang innocent.

Mais il me semble qu'un marchand, étant plus éclairé par son éducation, et absolument libre de faire ce qu'il veut, devroit bien considérer si une guerre est juste, avant d'engager volontairement une bande de mauvais sujets à attaquer les commerçans d'une nation voisine, pour piller leurs propriétés et les ruiner avec leurs familles, s'ils se rendent sans combattre, ou à les blesser, les estropier, les assassiner, s'ils tentent de se défendre. Cependant ce sont des marchands chrétiens qui commettent ce crime, dans une guerre juste ou non; et il est difficile qu'elle soit juste des deux côtés. Elle est faite par des marchands anglais et américains, qui, malgré cela, se plaignent des vols particuliers, et pendent, par douzaines, les voleurs, à qui ils ont eux-mêmes donné l'exemple du pillage.

Il est enfin temps que pour le bien de l'humanité, on mette un terme à ces horreurs. Les États-Unis de l'Amérique sont mieux placés que les Européens, pour tirer des avantages de la course, puisque la plus grande partie du commerce de l'Europe avec les Antilles, se fait à leur porte; mais ils font tout ce qui dépend d'eux pour abolir cet usage, en offrant d'insérer, dans tous leurs traités avec les autres puissances, un article par lequel on s'engage solemnellement et réciproquement en cas de guerre, à ne point armer de corsaires, et à laisser passer, sans être molestés, les vaisseaux marchands qui ne seront point armés22.

Ce seroit un heureux perfectionnement de la loi des nations. Tous les hommes, qui ont des principes de justice et d'humanité, doivent désirer que cette proposition réussisse.

Recevez les assurances de mon estime et de mon inaltérable amitié.

B. Franklin.

19

Alieni appetens.

20

Prison de Londres.

21

Nouvel exemple digne du quaker Denham, dont il est parlé dans le premier volume. (Note du Traducteur.)

22

Cette offre ayant été acceptée par le roi de Prusse, Frédéric II, il fut conclu entre ce monarque et les États-Unis, un traité d'amitié et de commerce, contenant un article dicté par l'humanité et la philantropie. Franklin, qui étoit l'un des plénipotentiaires américains, le rédigea de la manière suivante:

Art. XXIII

«Si la guerre a lieu entre les deux nation contractantes, les marchands de l'une qui résideront dans les états de l'autre, pourront y demeurer neuf mois pour se faire payer de leurs créances et régler leurs affaires, et partiront ensuite librement, emportant tous leurs effets sans aucun empêchement ou molestation quelconque. Toutes les femmes, les enfans, les gens de lettres de toutes les facultés, les agriculteurs, les artisans, les manufacturiers, les pêcheurs, et les habitans non armés des villes, des villages et autres places sans fortifications, et en général tous ceux qui travaillent pour la subsistance et le bien de l'humanité, pourront continuer à se livrer à leurs occupations, sans être molestés dans leur personne, sans qu'on brûle leurs maisons et leurs marchandises, ou qu'on les détruise en aucune manière, et sans que la force armée de l'ennemi ravage leurs champs, en aucun des lieux où elle pénétrera: mais si elle a besoin de prendre quelque chose pour son usage, elle le paiera à un prix raisonnable. Tous les vaisseaux marchands, employés à l'échange des productions des différens pays, et à rendre les objets de première nécessité et les commodités de la vie plus faciles à obtenir et plus communs, pourront passer librement et sans molestation; et ni l'une ni l'autre des puissances contractantes, ne délivrera des lettres de marque à aucun particulier, pour lui donner le pouvoir de prendre ou de détruire les vaisseaux marchands, ou interrompre leur commerce».

Vie de Benjamin Franklin, écrite par lui-même – Tome II

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