Читать книгу Vie de Benjamin Franklin, écrite par lui-même – Tome II - Бенджамин Франклин - Страница 2

TABLEAU
DU PRINCIPAL TRIBUNAL
DE PENSYLVANIE,
LE TRIBUNAL DE LA PRESSE

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Pouvoir de ce Tribunal

Il peut recevoir et publier les accusations de toute espèce contre toutes personnes, quelque rang qu'elles occupent, et même contre tous les tribunaux inférieurs. Il peut juger et condamner à l'infamie, non-seulement des particuliers, mais des corps entiers, après les avoir entendus, ou sans les entendre, comme il le juge à propos.

En faveur et au profit de quelles
Personnes ce Tribunal est
établi

Il est établi en faveur d'environ un citoyen sur cinq cents, parce que grace à son éducation, ou à l'habitude de griffonner, il a acquis un style assez correct et le moyen de faire des phrases assez bien tournées, pour supporter l'impression; ou bien parce qu'il possède une presse et quelques caractères. Cette cinq centième partie des citoyens a le privilège d'accuser et de calomnier à son gré les autres quatre cent dix-neuf parties; ou elle peut vendre sa plume et sa presse à d'autres pour le même objet.

Usages de ce Tribunal

Il ne suit aucun des règlemens des tribunaux ordinaires. Celui qui est accusé devant lui n'obtient point un grand jury, pour juger s'il y a lieu à accusation avant qu'elle soit rendue publique. On ne lui fait pas même connoître le nom de son accusateur, ni on ne lui accorde l'avantage d'être confronté avec les témoins qui ont déposé contre lui, car ils se tiennent dans les ténèbres, comme ceux du tribunal de l'inquisition d'Espagne.

Il n'a pas non plus un petit jury, formé de ses pairs, pour examiner les crimes qu'on lui impute. L'instruction du procès est quelquefois si rapide, qu'un bon et honnête citoyen peut tout-à-coup, et lorsqu'il s'y attend le moins, se voir accuser, et dans la même matinée être jugé, condamné, et entendre prononcer l'arrêt qui le déclare un coquin et un scélérat.

Cependant, si un membre de ce tribunal reçoit la plus légère réprimande, pour avoir abusé de sa place, il réclame aussitôt les droits que la constitution accorde à tout citoyen libre, et il demande à connoître son accusateur, à être confronté avec les témoins, et à être jugé loyalement par un jury composé de ses pairs.

Sur quoi est fondée l'Autorité
du Tribunal

Cette autorité est, dit-on, fondée sur un article de la constitution de l'état, qui établit la liberté de la presse, liberté pour laquelle tous les Pensylvaniens sont prêts à combattre et à mourir, quoique fort peu d'entr'eux aient, je crois, une idée distincte de sa nature et de son étendue. En vérité, elle ressemble tant soit peu à celle que les loix anglaises accordent aux criminels avant leur conviction; c'est-à-dire, à celle d'être forcés à mourir ou à être pendus.

Si par la liberté de la presse nous entendons simplement la liberté de discuter l'utilité des mesures du gouvernement et des opinions politiques, jouissons de cette liberté de la manière la plus étendue: mais si c'est au contraire, la liberté d'insulter, de calomnier, de diffamer, je déclare que dès que nos législateurs le jugeront à propos, je renoncerai volontiers à la part qui m'en revient; et que je consentirai de bon cœur à changer la liberté d'outrager les autres, pour le privilége de n'être point outragé moi-même.

Quelles Personnes ont institué
ce Tribunal, et en nomment les
Officiers

Il n'est point institué par un acte du conseil suprême de l'état. Il n'y a point de commission établie par lui, pour examiner préalablement les talens, l'intégrité, les connoissances des personnes à qui est confié le soin important de décider du mérite et de la réputation des citoyens; car le tribunal est au-dessus de ce conseil, et peut accuser, juger et condamner à son gré. Il n'est point héréditaire, comme la cour des pairs en Angleterre. Mais tout homme, qui peut se procurer une plume, de l'encre et du papier, avec quelques caractères, une presse et une paire de grosses balles, peut se nommer lui-même chef du tribunal, et il a aussitôt la pleine possession et l'exercice de tous ses droits. Si vous osez alors vous plaindre, en aucune manière, de la conduite du juge, il vous barbouille le visage avec ses balles partout où il peut vous rencontrer; et en outre, mettant en lambeaux votre réputation, il vous signale comme l'horreur du public, c'est-à-dire, comme l'ennemi de la liberté de la presse.

De ce qui soutient naturellement
ce Tribunal

Il est soutenu par la dépravation de ces ames, à qui la religion n'impose aucun frein, et que l'éducation n'a point perfectionnées.

De son voisin, publier les sottises,

Est un plaisir à nul autre pareil8.


Aussi,

À l'immortalité la médisance vole.

Mais la triste vertu ne naît que pour mourir9.


Quiconque éprouve quelque peine à entendre bien parler des autres, doit sentir du plaisir lorsqu'on en dit du mal. Ceux qui, en désespérant de pouvoir se distinguer par leurs vertus, trouvent de la consolation à voir les autres ravalés à côté d'eux, sont assez nombreux dans toutes les grandes villes, pour fournir aux frais nécessaires d'un des tribunaux de la liberté de la presse.

Un observateur assez ingénieux disoit une fois, qu'en se promenant le matin dans les rues, lorsque le pavé étoit glissant, il distinguoit aisément où demeuroient les bonnes gens, parce qu'ils avoient soin de jeter des cendres sur la glace qui étoit devant leur porte. Probablement il auroit porté un jugement tout différent du caractère de ceux qui fournissent aux frais du tribunal dont nous parlons.

Des moyens propres à réprimer
les abus du Tribunal

Jusqu'à présent, on n'en a employé aucun. Mais depuis qu'on a tant écrit sur la constitution fédérative des États-Unis, et qu'on a si savamment et si clairement discuté toutes les autres parties d'un bon gouvernement, je me suis instruit au point de m'imaginer qu'il y a quelque moyen de réprimer le tribunal: cependant je n'ai pu en trouver aucun qui ne soit une violation du droit sacré de la liberté de la presse. Mais, je crois en avoir découvert un, qui, au lieu de diminuer la liberté générale, doit l'augmenter; c'est de rendre au peuple une sorte de liberté, dont nos loix l'ont privé, la liberté du bâton.

Lorsque la société étoit dans son enfance, et que les loix n'existoient point encore, si un homme en insultoit un autre, par quelques mauvais propos, l'offensé pouvoit se venger de l'agresseur par un bon coup de poing sur l'oreille; et en cas de récidive, il lui donnoit une volée de coups de bâton. Cela n'étoit contraire à aucune loi. Mais à présent ce droit est interdit. Ceux qui en usent sont punis comme des perturbateurs, tandis que le droit de calomnier est encore dans toute sa force, parce que les loix, qu'on a faites contre lui, sont rendues inutiles par la liberté de la presse.

Je propose donc de ne point toucher à la liberté de la presse, et de lui laisser toute son étendue, sa force, sa vigueur; mais de permettre aussi à la liberté du bâton de marcher avec elle d'un pas égal.

Alors, ô mes concitoyens! si un impudent écrivain attaque votre réputation, qui vous est, peut-être, plus chère que la vie, et s'il met son nom au bas de son barbouillage, vous pourrez aller le trouver en plein jour et lui fendre la tête loyalement. S'il se cache derrière l'imprimeur, et que vous découvriez pourtant qui il est, vous pourrez vous cacher aussi, vous mettre en embuscade la nuit, l'attaquer par derrière, et lui donner une bonne volée de coups de bâton. Si votre adversaire paie de meilleurs écrivains que lui, pour vous mieux calomnier, vous paierez aussi de robustes porte-faix, qui auront de meilleurs bras que les vôtres, et qui vous aideront à le mieux rosser.

Telle est mon opinion quant au ressentiment particulier et à la rétribution que méritent les calomnies. Mais si, comme cela doit être, le public est offensé de la conduite des diffamateurs, je ne conseillerai pas d'en venir tout de suite, avec eux, aux moyens que j'ai proposés, mais de nous contenter modérément de les plonger dans une barrique de goudron, de les couvrir de plumes, de les mettre dans une couverte et de les bien berner.

Cependant si l'on croyoit que ma proposition pût troubler le repos public, je recommanderois humblement à nos législateurs de prendre en considération la liberté de la presse et la liberté du bâton, et de nous donner une loi qui marque bien distinctement l'étendue et les limites de l'une et de l'autre; car il est nécessaire que dans le même temps qu'ils mettent la personne d'un citoyen en sûreté contre les attaques des autres, ils s'occupent aussi des moyens d'empêcher qu'on attente à sa réputation.

8

There is a lust in man no charm can tame,

Of loudly publishing his neighbour's shame.


9

On aegle's wings, immortal, scandals fly,

While virtuous actions are but born and die.


Dryden.

Vie de Benjamin Franklin, écrite par lui-même – Tome II

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