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SUR
LA TRAITE DES NÈGRES

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23 mars 1790.

En lisant dans les gazettes, le discours adressé par M. Jackson17, au congrès américain, contre ceux qui se mêlent de l'esclavage des nègres, ou qui essaient d'adoucir la condition des esclaves, je me suis rappelé un discours pareil, prononcé il y a environ cent ans, par Sidi Mehemet Ibrahim, membre du divan d'Alger, ainsi qu'on peut le voir dans la relation que Martin a publiée de son consulat, en 1687.

Ce discours avoit pour but d'empêcher qu'on n'eût égard à la pétition de la secte des Erika, ou Mahométans purs, qui regardoient la piraterie et l'esclavage comme injuste, et en demandoient l'abolition. M. Jackson ne le cite pas: mais, peut-être, ne l'a-t-il pas lu. S'il se trouve dans son éloquent discours quelques raisonnemens de Sidi Mehemet, cela prouve seulement que les intérêts des hommes influent et sont influencés d'une manière étonnamment semblable dans tous les climats, où ils se trouvent dans des circonstances pareilles. Voici la traduction du discours africain.

«Alla Bismillah, etc. Dieu est grand, et Mahomet est son prophète!

»Ont-ils considéré, ces Erika, les conséquences que pourroit avoir ce qu'ils proposent dans leur pétition? Si nous mettions un terme à nos croisières contre les chrétiens, comment nous procurerions-nous les denrées que produit leur pays, et qui nous sont si nécessaires? Si nous renonçons à les rendre esclaves, qui est-ce qui cultivera la terre, dans nos brûlans climats? Qui est-ce qui fera les travaux les plus communs dans nos villes? Qui est-ce qui nous servira dans nos maisons? Ne serons-nous pas alors nos propres esclaves? et ne devons-nous pas plus de compassion et de faveur à nous, musulmans, qu'à ces chiens de chrétiens?

»Nous avons maintenant plus de cinquante mille esclaves, à Alger et dans les environs. Si nous n'en recevons pas de nouveaux, bientôt ce nombre diminuera, et sera insensiblement réduit à rien. Si nous cessons de prendre et de piller les vaisseaux des infidèles, et de réduire à l'esclavage l'équipage et les passagers, nos terres n'auront plus aucune valeur, faute de culture; les loyers de nos maisons diminueront de moitié; et le gouvernement, privé de la part qu'il retire des prises, verra ses revenus presqu'anéantis.

»Et pourquoi? Pour céder aux fantaisies d'une secte capricieuse, qui voudroit, non-seulement nous empêcher de faire de nouveaux esclaves, mais nous forcer d'affranchir ceux que nous avons. Mais si les maîtres perdent leurs esclaves, qui les en dédommagera? Sera-ce l'état? Le trésor public y suffira-t-il? Sera-ce les Erika? En ont-ils les moyens? ou voudroient-ils, pour faire ce qu'ils croient juste à l'égard des esclaves, commettre une plus grande injustice envers les propriétaires?

»Si nous donnons la liberté à nos esclaves, qu'en ferons-nous? Peu d'entr'eux voudront retourner dans leur pays natal. Ils savent trop bien qu'ils y auroient à souffrir bien plus que parmi nous. Ils ne veulent point embrasser notre sainte religion; ils ne veulent point adopter nos mœurs. Nos frères ne veulent pas se souiller par des mariages avec des personnes de cette race. Devons-nous les laisser mandier dans nos rues, ou souffrir qu'ils pillent nos propriétés? car les hommes accoutumés à l'esclavage, ne travaillent point pour gagner leur vie, à moins qu'ils n'y soient forcés.

»Mais qu'y a-t-il donc de si malheureux dans leur condition présente? N'étoient-ils pas esclaves dans leur pays? L'Espagne, le Portugal, la France, l'Italie, ne sont-ils pas gouvernés par des despotes qui tiennent leurs sujets dans l'esclavage, sans aucune exception? L'Angleterre elle-même ne traite-t-elle pas ses matelots en esclaves? car, lorsque le gouvernement le veut, ils sont enlevés, renfermés dans des vaisseaux de guerre, condamnés non-seulement à travailler, mais à combattre pour de très-petits gages, et un peu de nourriture qui ne vaut pas mieux que celle que nous donnons à nos esclaves.

»Leur condition est-elle donc devenue pire, parce qu'ils sont tombés entre nos mains? Non. Ils n'ont fait que changer un esclavage pour l'autre; et je puis dire pour un meilleur; car ils sont ici sur une terre où le soleil de l'Islamisme répand sa lumière et brille dans toute sa splendeur. Ils y ont occasion de connoître la véritable doctrine, et de sauver leurs ames. Ceux qui restent dans leur pays, sont privés de ce bonheur. Ainsi, renvoyer les esclaves dans les lieux où ils sont nés, ce seroit les faire passer de la lumière dans les ténèbres.

»Je répète la question. Si l'on donne la liberté aux esclaves, qu'en fera-t-on? J'ai entendu dire qu'on les transplanteroit dans le désert où il y a une vaste étendue de terre, sur laquelle ils pourroient subsister, et former un état libre et florissant. Mais je crois qu'ils sont trop peu portés à travailler volontairement, et trop ignorans pour établir un bon gouvernement. D'ailleurs, les Arabes sauvages les opprimeroient, les détruiroient ou les réduiroient de nouveau à l'esclavage.

»Tandis qu'ils nous servent, nous avons soin de leur fournir tout ce qui leur est nécessaire, et nous les traitons avec humanité. Dans les pays où ils sont nés, la classe de ceux qui travaillent est, ainsi que j'en suis informé, plus mal nourrie, plus mal logée, plus mal vêtue. La condition de la plupart d'entr'eux est donc déjà améliorée, et n'exige rien de plus. – Ici, ils vivent en sûreté; ils ne sont point sujets à devenir soldats, et à être forcés de s'égorger les uns les autres, comme dans les guerres qu'on fait chez eux.

»Si quelques-uns de ces bigots insensés, qui nous fatiguent à présent de leurs sottes pétitions, ont, dans l'excès d'un zèle aveugle, affranchi leurs esclaves, ce n'est ni par générosité, ni par humanité. C'est parce qu'accablés du fardeau de leurs péchés, ils ont espéré que le mérite prétendu de cette action les sauveroit d'une damnation éternelle. Mais combien ils se trompent grossièrement en imaginant que l'esclavage est condamné par l'alcoran! Je ne citerai ici que deux préceptes qui sont la preuve du contraire: – Maîtres, traitez vos esclaves avec douceur. – Esclaves, servez vos maîtres avec fidélité. – Ce livre sacré ne défend pas non plus de piller les infidèles; puisqu'il est bien connu, d'après lui, que Dieu a donné le monde et tout ce qu'il contient, à ses fidèles Musulmans, et qu'ils ont le droit d'en jouir autant qu'ils pourront y étendre leurs conquêtes.

»Ne prêtons donc plus l'oreille à la détestable proposition d'affranchir les esclaves chrétiens. Si elle étoit adoptée, le prix de nos terres et de nos maisons diminueroit; beaucoup de bons citoyens seroient dépouillés de leur propriété; le mécontentement deviendroit universel et provoqueroit des insurrections qui mettroient en danger le gouvernement, et la confusion générale seroit bientôt à son comble. Je ne doute donc pas que ce sage conseil ne préfère la tranquillité et le bonheur de toute une nation de vrais croyans, au caprice de quelques Erika, et ne rejette leur pétition.»

Le consul Martin nous apprend que la résolution du divan portoit: – «Que la doctrine qui prétendoit qu'il étoit injuste de piller les Chrétiens et de les rendre esclaves, paroissoit au moins problématique: mais que l'intérêt qu'avoit l'état à maintenir cet usage, étoit clair; et qu'ainsi la proposition seroit rejetée». – Et, en effet, elle le fut.

Puisque les mêmes motifs produisent dans l'ame des hommes, des opinions et des résolutions semblables, ne pouvons-nous pas, sans parler de notre congrès Américain, nous hasarder à prédire que les adresses présentées au parlement d'Angleterre, pour l'abolition de la traite des nègres, et les débats qui auront lieu à ce sujet, auront le même effet que ceux du divan d'Alger?

17

L'un des représentans de la Georgie.

Vie de Benjamin Franklin, écrite par lui-même – Tome II

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