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LA FILLE DU MARQUIS
TOME I
IX
LE MANUSCRIT
II

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Le lendemain de notre départ du château de Chazelay, nous arrivâmes à Bourges. Notre voyage s'était fait dans une petite voiture des remises du marquis et avec un cheval de ses écuries; un paysan nous conduisait.

Mademoiselle de Chazelay devait renvoyer le paysan et garder la voiture et le cheval.

Il résulta de cet arrangement que nous couchâmes à Châteauroux.

Je mourais d'envie de t'écrire, mon bien-aimé Jacques! mais sans doute le marquis avait renseigné sa sœur à ton endroit, car mademoiselle de Chazelay ne détourna pas un instant ses yeux de dessus moi, et me fit coucher dans sa chambre.

J'espérais être plus libre à Bourges, et, en effet, j'eus ma chambre à moi, une chambre donnant sur un jardin.

À peine arrivée, mademoiselle de Chazelay se hâta d'organiser la maison; elle avait une vieille servante nommé Gertrude qui l'avait suivie au couvent, mais qui, en me voyant arriver, déclara qu'elle n'admettait point ce surcroît de travail.

Ma tante fit donc demander par Gertrude une femme de chambre à son confesseur, qui lui envoya le même jour une de ses pénitentes nommée Julie.

Je l'étudiai; mais je connais encore bien peu le cœur humain, même celui des femmes de chambre. Je crus le troisième jour pouvoir me fier à elle et lui donner une lettre pour toi; elle m'assura l'avoir mise à la poste, ainsi qu'une seconde et qu'une troisième; mais, comme je n'ai jamais reçu de réponse de toi, je commence à croire que j'ai été trop confiante et que mademoiselle Julie les a remises à ma tante au lieu de les porter à la poste.

À part ton absence, mon bien-aimé Jacques, et le doute où j'étais, non pas de ton amour, Dieu merci, je sens à mon cœur que tu m'aimas toujours, mais de notre réunion, le mois que je passai à Bourges ne fut point malheureux; sans m'aimer, ma tante avait des égards pour moi; elle avait gardé le paysan, l'avait habillé d'une espèce de carmagnole et en avait fait son cocher. Tous les jours, sous prétexte du soin qu'elle prenait de ma santé et en même temps de la sienne, elle nous promenait deux heures, et le reste du temps, à part l'heure des repas, j'avais toute liberté dans ma chambre.

J'en usais en restant seule.

Depuis que l'idée m'était venue que Julie avait pu me trahir, je la détestais autant que je puis détester, ce qui n'est pas bien fort; et, pour ne pas voir une créature qui m'était désagréable et à laquelle je ne voulais pas faire la peine de la renvoyer, je lui interdisais l'entrée de ma chambre.

Ma tante était abonnée au Moniteur. Je dévorais tous les jours le journal dans l'espérance d'y trouver ton nom. Deux ou trois fois mon espérance fut accomplie. D'abord je vis ton nom parmi les députés de l'Indre lors de l'appel nominal, puis je vis que tu avais été envoyé en mission près de Dumouriez, que tu lui avais servi de guide dans la forêt d'Argonne, enfin que tu avais rapporté à la Convention les drapeaux pris à Valmy.

Mais, huit ou dix jours après la bataille de Valmy, nous reçûmes une lettre du marquis, qui nous disait que les choses politiques n'allaient point tout à fait selon son espoir, et qu'il nous invitait à nous tenir prêtes à le rejoindre au premier avis que nous recevrions de lui.

Nous fîmes nos préparatifs de départ de manière à n'avoir qu'à nous mettre en route aussitôt que le marquis nous appellerait.

Nous le trouverions occupé au siége de Mayence.

Quoique l'on commençât à être sévère aux émigrations des hommes, qui emportaient un danger avec eux puisqu'ils n'émigraient que pour revenir combattre contre la France, on s'inquiétait assez peu des émigrations des femmes. Les autorités de Bourges d'ailleurs, demeurées royalistes, nous munirent de tous les papiers nécessaires pour assurer notre voyage, et nous partîmes en poste dans notre petite voiture.

Nous gagnâmes la frontière et nous la traversâmes sans avoir couru un danger réel; mais, un peu au delà de Sarrelouis, nous trouvâmes des prisonniers émigrés que l'on ramenait à une forteresse ou à une citadelle pour les faire fusiller.

Nous poussâmes jusqu'à Kaiserlautern.

Là nous apprîmes la prise de Mayence par le général Custine. Comme deux femmes à la recherche d'un frère et d'un père ne courront jamais un risque quelconque de la part d'un général français, nous poussâmes jusqu'à Oppenheim. Là les nouvelles devinrent plus précises et en même temps plus inquiétantes.

Dans un des derniers combats qui avaient eu lieu quelques jours auparavant, un certain nombre d'émigrés avaient été pris, et, lorsque ma tante prononça le nom du marquis de Chazelay, celui qu'elle interrogeait lui dit qu'en effet il croyait avoir entendu ce nom-là. Au reste, les prisonniers avaient été conduits à Mayence, et, vivants ou morts, c'était là seulement que l'on pouvait avoir de leurs nouvelles.

Nous poussâmes jusqu'à Mayence. Aux portes, on nous arrêta.

Il nous fallut écrire au général Custine. Nous ne lui cachâmes rien; nous lui dîmes qui nous étions, et le but sacré qui nous amenait à Mayence.

Un quart d'heure après, un de ses officiers d'ordonnance venait nous chercher.

– Ah! mon bien-aimé Jacques, la nouvelle était terrible. Mon père, pris les armes à la main, avait été condamné et fusillé dans les vingt-quatre heures.

Je n'avais pas de puissantes raisons d'adorer un père qui m'avait abandonnée dans mon enfance et qui ne m'avait reprise que pour me briser le cœur. Cependant, au moment où j'appris l'horrible catastrophe, je le pleurai filialement.

Mais alors un incident complètement imprévu vint faire trêve à ma douleur. Le jeune officier que le général nous avait donné pour nous accompagner, me demanda à m'entretenir d'une chose importante; d'un regard je sollicitai de ma tante la permission de l'écouter. Elle crut, comme il avait commandé le détachement exécutionnaire, qu'il avait à me transmettre de la part du marquis quelques recommandations suprêmes et je le suivis dans un cabinet, tandis que ma tante se faisait donner, pour constater le décès, le procès-verbal de l'exécution.

– Mais là, chose incroyable, de qui penses-tu que me parla cet inconnu? De toi, mon bien-aimé Jacques. Tu étais venu deux jours avant à Mayence pour savoir si parmi les papiers trouvés sur mon père il n'y aurait pas quelqu'un qui pût t'apprendre notre adresse, et non-seulement tu avais appris que nous demeurions à Bourges, mais encore tu avais pu lire une lettre de moi, à toi adressée, soustraite par ma tante et envoyée par elle à son frère. Cette lettre, mon bien-aimé Jacques! il me dit avec quels transports de joie tu l'avais lue; que tu avais demandé à la copier; qu'il t'avait autorisé à la prendre en en laissant copie; que, la copie faite, tu avais pris la lettre, tu l'avais baisée, tu l'avais mise sur ton cœur.

Mon Dieu! que cette voix du sang est peu de chose, mon bien-aimé Jacques, abandonnée à elle-même! que ces mots dits tout à coup, à propos d'un homme que l'on croyait étranger —c'est ton père!– ont peu de puissance, puisqu'en face de cette tombe de mon père à peine refermée, ton nom prononcé j'oubliai tout! C'est que tu es mon véritable père, toi! À part la vie matérielle, je te dois tout. Je suis ton enfant, je suis ton œuvre, je suis ta création; et avec cela, dans sa suprême bonté, Dieu a voulu que je pusse être autre chose.

Quand je sortis du cabinet où cet excellent jeune homme venait de m'apprendre ton passage, j'étais honteuse de moi. J'avais des larmes dans les yeux; mais, larmes et sourires, tout était pour toi.

Oh! que l'amour est bien ce que tu m'as dit, l'âme de la création tout entière, le fluide obstiné qui perpétue la vie, et qui des parcelles de temps de notre vie fait l'éternité des êtres. Nous rêvons Dieu, nous sentons l'amour; l'amour ne serait-il pas le seul, l'unique, le vrai Dieu?

Je cachai ma joie dans mon voile. Qu'eût dit la rigide chanoinesse en voyant ces fausses larmes et ce vrai sourire.

Ainsi je m'étais reprise à espérer. Depuis que nous avions été séparés, c'était la première fois que j'entendais parler de toi. Le fil de ma vie presque brisé se renouait, plus ardent que jamais, à l'amour et au bonheur.

Mais toi, de ton côté, qu'allais-tu faire, pauvre bien-aimé? courir après une nouvelle déception. Je te voyais reprenant la poste dans l'espoir de me retrouver à Bourges, te penchant en avant, pressant le postillon et arrivant dans notre sombre rue, en face de notre triste maison, pour trouver la maison fermée et apprendre mon départ.

Mais, n'importe! Je me disais, égoïste que j'étais, que toutes ces secousses-là feraient revivre ton amour comme celle que je venais de recevoir avait galvanisé le mien.

Le reste de la journée fut consacré à une visite à la tombe du marquis. Là je retrouvai des larmes. Le général nous permit de mettre une pierre sur la fosse, avec le nom de celui qu'elle recouvrait.

Mademoiselle de Chazelay s'obstinait à vouloir mettre dessus: Mort pour son roi. Mais le général lui fit observer qu'une pareille inscription ferait mettre avant vingt-quatre heures la pierre en morceaux par les soldats de la République.

Nous quittâmes Mayence dans la même nuit, et nous prîmes la route de Vienne. C'était là que mademoiselle de Chazelay voulait fixer sa résidence. Elle avait une douzaine de mille francs en or avec elle. Il ne fallait plus compter sur autre chose. Toute notre fortune était là.

Il était évident que la République héritait des biens du marquis de Chazelay, émigré pris les armes à la main et fusillé.

Nous partîmes donc pour Vienne, mais nous cessâmes de voyager en poste. Nous prîmes nos places à une diligence, et je priai tant qu'on laissa mon pauvre Scipion monter avec nous.

Scipion, c'était le dictionnaire de ma vie passée.

Nous arrivâmes à Vienne, et nous descendîmes d'abord dans le plus beau quartier de la ville, à l'Agneau d'or.

Ma tante confia au maître de la maison qu'elle désirait louer une petite maison dans un quartier calme et retiré. Trois jours après, une vieille dame venait nous prendre en voiture et nous conduisait à la place de l'Empereur-Joseph où elle avait une petite maison garnie.

Cette petite maison nous convenait sous tous les rapports. La propriétaire en voulait cent louis par an. Ma tante, après longue discussion l'obtint à deux mille francs, avec faculté de renouveler le bail d'année en année tant qu'il lui plairait.

À la fin de chaque année elle pouvait résilier, mais l'année commencée elle devait payer l'année entière.

Nous nous installâmes à Josephplatz.

Aussitôt installée, comme je n'avais plus de femme de chambre pour m'espionner, – ma tante avait jugé que nous pouvions nous servir seules, et que par conséquent cette dépense était inutile, – comme je n'avais plus de femme de chambre pour m'espionner, je t'écrivis une longue lettre et je la mis moi-même à la poste.

Ni celle-là ni trois autres que j'écrivis n'obtinrent de réponse.

Je me désespérai. M'avais-tu donc oubliée? Cela me semblait impossible.

Hélas! depuis j'ai réfléchi.

Il y avait une double raison pour que mes pauvres lettres ne t'arrivassent point.

Ne sachant point ton adresse, je t'écrivais:

«À monsieur Jacques Mérey, député du département de l'Indre à la Convention.»

J'ignorais les défiances du gouvernement autrichien. Mes lettres étaient décachetées et lues.

Puis celui qui était chargé de ce triste office de lire les lettres ne jugeait pas à propos de recacheter mes lettres et de leur faire suivre leur cours.

C'est si peu important pour un indifférent des lettres d'amour!

J'eusse donné la moitié de mon sang pour une lettre de toi!

Et, en supposant même que mes lettres eussent été remises à la poste, est-ce que la police française eût fait parvenir à monsieur Jacques Mérey, député à la Convention, des lettres de Vienne.

Cette appellation de monsieur, complètement abolie à Paris, sentait son aristocratie d'une lieue.

J'étais bien malheureuse lorsque ces observations que je fais ici me furent faites par un vieux savant, notre voisin, avec la femme duquel ma tante allait faire parfois sa partie de whist.

Une chose qui te fera rire, mon cher Jacques, c'est que ce vieux savant aimait à causer avec moi, disait-il, parce que j'étais savante.

Moi savante! Hélas la chose que j'eusse dû savoir avant tout c'est que, pour que mes lettres t'arrivassent, il ne fallait pas écrire à monsieur Mérey, mais au citoyen Mérey.

Une fois que j'eus trouvé la cause de ton silence, mon Jacques, bien loin de t'en vouloir, je t'en aimai davantage. Mais ce n'était pas le tout de t'aimer de mon côté, je voulais que tu m'aimasses du tien.

Or ce point de la cause de ton silence éclairci, tu m'aimais toujours; que m'importait le reste. Ton amour n'était-il pas tout pour moi.

Création et rédemption, deuxième partie: La fille du marquis

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