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2 La variation dans l’espace francophone : un défi pour le FLE 2.1 Quel français de référence ?

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Dans le contexte d’apprentissage d’une langue étrangère, il se pose souvent la question de savoir quelle norme enseigner (cf. Chalier à paraître ; Chalier dans ce volume). Cela est particulièrement pertinent pour le cas du français, du moins depuis que le mythe d’uniformité du français commence à céder, quoique lentement, pour une conception du français comme langue hétérogène (cf. Valdman 2000). Alors que « la langue écrite connaît, depuis le milieu du XIXe siècle au moins, une norme grammaticale de référence explicite et quasiment fixe » (Laks 2002 : 5), tel n’est pas le cas de l’oral, qui se caractérise justement par « l’absence d’une norme stable, explicite et parfaitement définie » (Laks 2002 : 5). Cependant, si la notion de français standard (tout comme la notion de français de référence, cf. Laks 2002 ; Lyche 2010 ; Morin 2000) renvoie souvent à une norme idéale et construite, Detey et Le Gac (2008 : 485) montrent qu’elle n’est « pas une simple construction doxique, mais qu’elle existait au niveau des représentations linguistiques dans l’esprit des locuteurs-auditeurs natifs ».

Hors de France, la situation s’avère également complexe : étant donné que la question de norme (pédagogique, sociale, etc.) est loin d’être résolue dans la francophonie, décider quelle norme enseigner devient encore plus difficile : au Québec, région francophone souvent considérée comme la plus « autonome » de la norme hexagonale (cf. Pöll 2006 : 160), l’on trouve, depuis une quarantaine d’années, une sorte de norme endogène, souvent appelée « français standard d’ici » ou « français québécois standard » et (assez) valorisée, qui s’utilise dans des situations formelles, notamment par les couches supérieures1 (cf. Auger/Valdman 1999, Pöll 2006, Valdman 2000), et qui bénéficie désormais, dans l’imaginaire des Québécois.e.s, non seulement d’un prestige latent, mais aussi « d’un prestige manifeste similaire à celui du français parisien » (Pustka et al. 2019 : 41 ; cf. aussi Chalier à paraître).

Ces résultats sont congruents avec ceux de Šebková, Reinke et Beaulieu (2020) : dans leur étude, les juges québécois.e.s ont également montré une préférence claire pour les stimuli provenant du Québec, non seulement en ce qui concerne les attributs liés à la solidarité (sympathique, dynamique, sociable), mais aussi les attributs liés au statut (professionnel, instruit2, apte à diriger). En outre, les stimuli québécois ont également été jugés plus compréhensibles et plus corrects que les stimuli de personnes de France, d’Algérie, d’Haïti et du Cameroun. Les participant.e.s québécois.e.s exprimaient enfin une nette préférence pour leurs compatriotes québécois.e.s dans le contexte amical, professionnel et publique.

Cependant, les réponses des participant.e.s québécois.e.s de Kircher (2012) révélaient uniquement un prestige latent (dimension de solidarité) du français québécois3, et un prestige manifeste (dimension de statut) du français hexagonal. Les stimuli utilisés dans Kircher (2012) représentent des locuteurs (masculins uniquement) parlant une variété représentative de la classe moyenne.

Comme l’a révélé Chalier (2018), les accents faiblement marqués sont perçus de manière différente que les accents fortement marqués : si une « norme de prononciation du français québécois diatopiquement faiblement marquée » (Chalier 2018 : 132) est considérée de loin comme la « plus apte à être appris[e] aux immigrants arrivant au Québec » (Chalier 2018 : 132), l’accent québécois fortement marqué obtient des évaluations beaucoup moins favorables que le français parisien.

En outre, s’il n’est pas question de choisir la variété que les immigrants au Québec devraient apprendre (voir ci-dessus), mais d’évaluer le niveau de justesse (Comment évalueriez-vous la façon de parler des intellectuels de chacun de ces quatre enregistrements ?), les participant.e.s de Chalier (2018) ne font pas de différence entre les stimuli de France, de Suisse et l’accent québécois faiblement marqué. L’accent québécois fortement marqué reste cependant jugé plus strictement.

Il est intéressant de constater que certaines « prononciations typiques, remarquées par les Français et perçues comme étant des caractéristiques de l’‘accent’ québécois, passent inaperçues chez une majorité de Québécois qui n’en ont tout simplement pas conscience » (Reinke/Ostiguy 2016 : 105). On peut résumer que les Québécois.e.s ont, à l’heure actuelle, des représentations beaucoup plus favorables envers leur langue qu’il y a quelques décennies. Cependant, cela n’est valable que pour une variété faiblement marquée et le français hexagonal (ou un français pan-européen) garde un certain prestige manifeste au Québec.

La littérature concernant les autres pays francophones est beaucoup plus limitée. En ce qui concerne la Belgique ainsi que la Suisse, Pöll (2006 : 233) constate un « tiraillement » linguistique :

[L]es Belges francophones et les Romands restent assez fortement attachés à une norme exogène, celle de l’Hexagone, mais ne renoncent pas pour autant au désir de marquer leurs distances, de souligner leur altérité tout en se définissant comme francophones à part entière.

Ces constats semblent toujours être d’actualité, comme l’indique, plus récemment, Francard (2017 : 197) :

[D]ans l’imaginaire linguistique des Belges francophones, il existe une norme de référence – qu’ils assimilent au français ‘de France’ ou ‘de Paris’ – et dont ils ne possèderaient pas une maîtrise suffisante pour pouvoir revendiquer la même légitimité linguistique que celle de leur ‘grand voisin’.

En même temps, les Belges francophones revendiqueraient, pour des raisons liées à l’identité notamment, la spécificité de leur variété, pas homogène non plus d’ailleurs (cf. Francard 2017).

Pour le cas de la Suisse romande, Chalier (à paraître) a révélé, outre le prestige manifeste et incontesté du français parisien, l’apparition de deux variétés endogènes qui semblent également bénéficier d’un prestige manifeste (présentateurs et présentatrices de journaux télévisés suisses et locuteurs et locutrices de la variété genevoise), mais qui s’avèrent s’orienter vers la norme septentrionale.

L’étude de Didelot (2019) montre, quant au degré de convenance pour un poste de chargé.e de communication, d’enseignant.e de physique et d’enseignant.e de français, que les témoins suisses et français.e.s évaluent le mieux les stimuli parisiens (région d’Île-de-France), suivi des stimuli suisses (juges suisses) ou des stimuli non-natifs germanophones (juges français.e.s). Les voix non-natives italiennes, hispanophones et japonaises sont évaluées moins favorablement et les voix de la Côte d’Ivoire obtiennent les pires jugements. Ces résultats montrent que, si les Suisses (expert.e.s ainsi que non-expert.e.s d’ailleurs) évaluent le plus positivement les stimuli parisiens, ils/elles accordent des jugements également très positifs (et plus positifs que les témoins français.e.s expert.e.s) aux Suisses romand.e.s, montrant ainsi une attitude favorable non seulement envers la variété parisienne, mais aussi envers leur propre variété.

En Afrique francophone, le français coexiste avec des langues locales, régionales et nationales – elles-mêmes souvent inégales –, et s’emploie surtout dans les domaines officiels. De plus, le français (ou bien une forme basilectale ou mésolectale du français) peut également être utilisé là où les autres langues ne sont pas « en mesure de satisfaire l’ensemble des besoins communicatifs de la communauté » (Manessy et al. 2002 : 44), ce qui est moins fréquent quand le français coexiste avec une autre langue dominante (comme le wolof au Sénégal). Dans ces pays, le français enseigné à l’école ne suit pas nécessairement la norme hexagonale, mais représente souvent une forme mésolectale (cf. Manessy et al. 2002).

Une étude de perception de vaste étendue a été menée par Moreau et al. (2007) auprès de francophones de plusieurs pays (France, Belgique, Québec, Suisse, Tunisie et Sénégal). Les résultats ont montré, entre autres, que les francophones hiérarchisent, de manière différente selon le pays, ces variétés mentionnées. Ils suggèrent également l’ « absence de modèle unique » (Moreau et al. 2007 : 25, 32) et une « tendance à mieux évaluer les siens » (Moreau et al. 2007 : 25, 32, 37). De plus, les stimuli québécois sont généralement évalués de manière considérablement plus négative que les stimuli français, suisses et belges par tous/toutes les participant.e.s sauf les Québécois.e.s. Enfin, il existe une différence importante entre les juges du Sénégal et de la Tunisie : alors que les Sénégalais.e.s préfèrent les voix du Sénégal, les participant.e.s de la Tunisie favorisent les voix de la francophonie européenne.

La prononciation du français langue étrangère

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