Читать книгу Dissertation sur les psaumes traduite du latin de J.-B. Bossuet - Jacques Bénigne Bossuet - Страница 3
PRÉFACE DU TRADUCTEUR.
ОглавлениеDans l’avertissement d’un ouvrage nouveau , qui, nous dit-on, jouit d’une grande vogue, on lit: «Nous avons placé à la tête de ce livre
«une dissertation sur les Psaumes, de Bos-
«suet: elle est tout entière de lui, et traduite en
«grande partie du latin. Nous croyons que nos
«lecteurs nous en sauront gré, parcequ’elle est
«très peu connue. Elle est divisée en huit cha-
«pitres;nous n’en donnerons que trois .»
Ce peu de lignes pourroit fournir matière à bien des observations: en voici quelques unes.
La dissertation de Bossuet est tout entière de lui: que veut dire cette réflexion? Avons-nous de l’évêque de Meaux des ouvrages qui ne soient pas entièrement de lui?
Publier, comme simple dissertation, un ouvrage que Bossuet adressa au chapitre de son Église, aux curés et communautés religieuses, à tout le clergé de son diocèse; un mandement vraiment épiscopal, servant d’introduction à la savante édition des Psaumes et des cantiques qu’il mettoit dans les mains de tous les fidèles: n’est-ce point, en la détachant de son majestueux ensemble, la dépouiller de son plus noble caractère? On pouvoit conserver à l’ouvrage le titre de dissertation, puisque Bossuet n’a pas dédaigné de l’employer: on ne devoit pas, du moins dans un avertissement, négliger d’instruire le lecteur des circonstances qui attachent à l’ouvrage une si haute importance.
M. Genoude l’a, dit-il, traduite en grande partie du latin. Traduite? confrontez avec le texte: vous n’en avez pas même l’abrégé. Pas l’ombre, pas le moindre sentiment de cette plénitude de doctrine, qui, sous la plume du nouveau Chrysostome, se répand dans les plus heureuses citations de l’Écriture et des Pères, de cet élan continu, toujours progressif, des transports de l’ame, qui montre l’orateur sublime là où l’on ne croyoit trouver que l’érudit: rien qui puisse retracer à la mémoire du lecteur ni cette élévation et cette perspicacité de pensée, qui non seulement embrasse chacun des objets dans son vrai point de vue, mais en aperçoit les conséquences les plus éloignées; ni cette abondance et cette vigueur pittoresque de style, dont Bossuet sait empreindre toutes ses compositions, quelque langue qu’il parle; en un mot, ce qu’un illustre écrivain de nos jours appelle sa sublime simplicité et sa prodigieuse magnificence .
Si la traduction du Psautier ressemble à celle de la dissertation, l’auteur peut se vanter d’avoir enrichi la littérature d’une théorie toute nouvelle de l’art de traduire.
Sur les huit chapitres qui composent l’ouvrage de Bossuet, M. Genoude n’en donne que trois. Les autres ne méritoient-ils pas la même faveur? Il y suppléera, dit-il, par des notes rejetées à la fin du volume . Nous affirmons qu’elles sont incomplètes et infidèles.
Pour nous borner aux trois chapitres qu’il suppose avoir traduits, M. Genoude réduit à quatorze lignes les quatre premiers numéro de ce premier chapitre, formant la valeur d’au-delà quatre pages in-octavo.
Bossuet commence son livre par un hommage rendu au caractère de l’inspiration divine qui a dicté tous les livres de l’Écriture, et à l’énergique efficacité de ses opérations sur l’esprit et le cœur de l’homme: inspiration qui se manifeste plus sensiblement encore dans celui-ci, par le charme particulier qui s’attache à la poésie dans laquelle il est écrit. Tout ce début est omis. Le dessein du chapitre, énoncé par Bossuet, d’après un beau texte de saint Augustin, et développé avec éloquence, n’est-pas même indiqué.
La seconde page est tout entière de l’invention du soi-disant traducteur; et l’on y fait parler au grave, au saint évêque de Meaux un langage fait pour inspirer plus que de l’étonnement: «Ces chœurs (de musique) étoient des
«troupes d’hommes et de femmes, de jeunes
«filles et de jeunes garçons, vêtus de la même
«manière, chantant le même air, en dansant
«le même pas, etc.» On croit lire l’auteur du Voyage d’Anacharsis décrivant les danses lesbiennes. Bossuet, qui, dans ce commencement de son ouvrage, ne dit pas un mot des danses dont les chants étoient accompagnés, ne pourra point éviter d’en parler dans la suite, au chapitre VI, n° 33; mais comment? Dès le titre, il prépare l’esprit du lecteur en les annonçant par une épithète qui éloigne toute idée profane, De choreis et piâ saltatione. Rigoureux observateur de toutes les bienséances, Bossuet se gardera bien de préjuger la question, long-temps agitée parmi les savants , si les, femmes chantoient dans le temple avec les hommes; moins encore si les jeunes filles dansoient un même pas avec les jeunes garçons. Il s’enferme dans ces expressions simples: In canendo, priscum illumpopulum sacras egisse choreas, atque ab ipso Davide fuisse frequentata, sacra narrat historia: «Nous apprenons des livres
«saints que, dès la plus haute antiquité, les
«Hébreux avoient des danses religieuses, que
«nous y voyons encore célébrées fréquemment
«par David lui-même.» Et encore a-t-il la précaution de faire intervenir le grand nom de S.- Grégoire de Nazianze, pour écarter par cette image auguste toute pensée profane de l’esprit du lecteur.
Les pages suivantes, jusqu’à la page 8, ne sont encore que des analyses, point du tout des traductions.
Tout-à-coup M. Genoude abandonne, non plus seulement le texte, mais jusqu’au livre lui-même, pour se jeter à travers le Discours sur l’histoire universelle, dont il copie de longs passages sur les prédictions concernant le Messie: comme si Bossuet avoit été réduit à se répéter lui-même; tandis que, dans les endroits de sa dissertation où il parle des prophètes, comme par-tout ailleurs, son inépuisable génie se montre, jusque dans l’expression, toujours original, toujours divers .
Il faudroit un volume pour relever toutes les inexactitudes de détail échappées au nouveau traducteur dans la simple esquisse bornée à ses trois chapitres.
«Le livre des Psaumes est la collection des
«plus anciens hymnes.» Bossuet ajoute, et odarum. Tous les interprètes et grammairiens auroient appris à M. Genoude que ces mots ne sont pas synonymes,
Les premiers Hébreux les chantoient. N’étoient-ce que les premiers Hébreux? leur postérité en a-t-elle laissé perdre l’usage? Bossuet: Prisci illi Hebræi: «Ces Hébreux, remontant à
«une si haute antiquité.»
Les chantoient dans l’intérieur de leurs maisons et dans les assemblées solennelles. Bossuet: Privatim ac publicè, atque inter ipsa sacra, solemnesque conventus: non seulement dans l’intérieur de leurs maisons et dans les assemblées solennelles, niais dans le temple et dans les cérémonies de religion; mais dans toutes les réunions solennelles, même civiles; par exemple, ajoutent les monuments de l’histoire, «pour
«une victoire d’un prince, ou pour lui sou-
«haiter une heureuse expédition, ou pour son
«mariage, ou pour son nouvel avènement à la «couronne .» Bossuet indique tout cela dans
une expression générale: la rapidité de sa marche ne lui permettoit point les détails.
M. Genoude: «Le premier ( des cantiques
«de Moïse) nous met devant les yeux le pas-
«sage triomphant de la mer Rouge, et les en-
«nemis de Dieu, les uns déja noyés, et les autres
«à demi vaincus par la terreur.»
Bossuet, à la suite de diverses circonstances, que M. Genoude supprime: Cùm undis obruti hostes adhuc in conspectu essent, et marinis fluctibus jactata cadavera volverentur. Donc naufrage universel, plus d’ennemis existants: ils sont donc plus que à demi vaincus par la terreur. Bossuet ne dit rien de plus ni de moins que le texte sacré.
«Il n’y a, à proprement parler, que le peu-
«ple d’Israël où la poésie soit venue par ent-
«housiasme.»
Réflexion oiseuse, démentie par l’histoire, et qui ne s’est pas même présentée à la plume de Bossuet.
M. Genoude ajoute, retranche même dans ce qu’il conserve , mutile à son gré, se donne droit de vie et de mort sur le texte sacré, sur les originaux les plus respectables. Il étoit réservé à notre siècle de voir une pareille licence accueillie, encouragée. Bossuet ne s’est jamais cru plus savant que l’Esprit-Saint: M. Genoude se croit plus inspiré que Bossuet!
C’en est assez pour juger le travail du nouveau traducteur.
Le motif qui l’a porté à l’entreprendre, c’est, dit-il, que la dissertation de Bossuet est très peu connue. Elle ne l’est point autant que les Oraisons funèbres et le Discours sur l’histoire universelle, devenus, par le caractère du sujet, des ouvrages classiques, même pour le commun des littérateurs; cela peut être: mais étoit-il; même avant que le digne historien de Bossuet, M. l’évêque d’Alais, ne publiât la vie de l’évêque de Meaux, qui nous fait si bien connoîtra et son histoire et ses ouvrages, étoit-il un ecclésiastique, tant soit peu instruit, à qui il fallût apprendre qu’il existoit un commentaire excellent de Bossuet sur les Psaumes, précédé d’une introduction admirable, sur-tout dans le dernier chapitre, qui traite de l’usage que l’on peut faire des Psaumes dans tous les états de la vie? Ce sont les propres termes d’Arnauld . Un ouvrage publié par Bossuet dans un vaste diocèse voisin de la capitale pouvoit-il rester obscur? Non, sans doute: aussi avoit-il été célèbre dès sa naissance. Le ministre La Roque l’avoit annoncé à l’Europe savante, dans ces paroles: «M. Bossuet a mis en tête de l’ou-
«vrage une savante dissertation, où il éclaircit
«les principales difficultés qui se rencontrent
«dans les Psaumes. Les notes ajoutées au texte,
«pour son éclaircissement, sont tout ensem-
«ble claires et courtes .» Tous les interprètes et commentateurs des Psaumes venus après ont puisé à cette source commune. Bellanger, entre autres, a emprunté de cette dissertation dix-sept pages in-quarto, dont il a fait le plus bel ornement de sa préface sur les Psaumes . Un autre: «J’ai pris pour guides
«en cette partie tous les grands hommes que
«Dieu a suscités dans ces derniers temps pour
«mettre à notre portée les trésors des saintes
«Écritures;» et il cite particulièrement Bossuet .
Lefranc de Pompignan n’a pas manqué de payer à la mémoire de Bossuet cet honorable tribut dans sa traduction des odes sacrées: «Ce
«prélat à jamais célèbre, qui a été lui-même
«le plus sublime et le plus éloquent des hom-
«mes, a fait, dans le chapitre second de sa pré-
«face latine des Psaumes, une analyse admi-
«rable de la poésie de Moïse et de David: cet
«examen littéraire est plein de justesse et de
«sagacité .»
Dans une de ses harangues, prononcée en 1695, à la tête du corps enseignant, Rollin rappeloit les travaux de Bossuet sur l’Écriture, comme l’un des plus beaux titres à la gloire dont jouit dans le monde ce génie vaste et profond qui a su faire marcher de front toutes les sciences ecclésiastiques, a marqué par autant de chefs-d’œuvre chacun de ses pas dans la carrière littéraire, et n’est nulle part inférieur à lui-même . (Nous ne faisons que traduire M. Rollin.) Il fait plus encore: dans son Traité des Études, il en rapporte un assez long passage tiré du second chapitre, qu’il propose tout entier comme un modèle achevé de la manière dont il faut lire l’Écriture . Quel est l’écolier qui n’ait pas lu le Traité des Études, et qui par conséquent ne connoisse pas les principaux ouvrages qui s’y trouvent cités, sur-tout quand ils le sont d’une manière aussi remarquable?
Le livre de Bossuet sur les Psaumes n’est pas moins célèbre chez les étrangers qu’en France. L’auteur du traité De sacrâ Hebræorum poesi, devenu classique, Lowth, en a fait le plus magnifique éloge en l’imitant. Un autre écrivain, qui a porté plus loin encore que Lowth ses vues et ses découvertes sur la poésie des Hébreux, a profité non moins avantageusement dans ses notes et ses traductions de l’ouvrage de Bossuet, qu’il cite fréquemment . Est-ce donc là un ouvrage dont on puisse dire, comme d’une médiocre production, qu’il est très peu connu?
Disons donc hardiment que cet ouvrage réclame sa part dans la célébrité dont jouit son auteur; et ne craignons pas de lui appliquer ce mot que les auteurs du Gallia christiana étendent à toutes les productions de cet incomparable écrivain: Quis enim rerum nostrarum tam alienus, etc.: «Est-il un homme assez étranger
«à notre gloire littéraire, pour ne pas con-
«noître, au moins par la renommée, tout ce
«qui est sorti de cette plume qui donnoit à tout
«l’immortalité ?»
On a prétendu que le latin de Bossuet étoit dur et embarrassé. S’il n’y avoit, en faveur de cette assertion, d’autre autorité que les noms de Faydit, du satirique abbé de Longuerue, elle ne seroit que méprisable. Mais l’abbé Trublet, mais l’abbé Ladvocat, l’ont dit , et ils ont trouvé des échos. Le latin de Bossuet dur, embarrassé ! Ceux qui le disent ne l’ont pas lu. Ce n’est point, si l’on veut, la grace de Cicéron: c’est l’énergie de Salluste et de Tacite, avec ,plus de souplesse et d’abondance. Talbèrt a répondu à ce reproche: «C’est, en latin comme
«en françois, la même magnificence de style,
«l’effet étonnant et toujours inattendu d’ex-
«pressions qu’il crée, toujours cette sorte de
«poésie sublime qui respire dans chacune de
«ses compositions .»