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LETTRE III.

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Delphine à mademoiselle d'Albémar.

Ce 30 juillet.

J'ai vu madame de Vernon; elle est venue passer deux jours à Bellerive; je me promenois seule sur ma terrasse, lorsque de loin je l'ai aperçue: j'ai été saisie d'un tel tremblement à sa vue, que je me suis hâtée de m'asseoir pour ne pas tomber; mais cependant, comme elle approchoit, un sentiment d'irritation et de fierté m'a soutenue, et je me suis levée pour lui cacher mon trouble.

Toute l'expression de son visage étoit triste et abattue; nous avons gardé l'une et l'autre le silence; enfin elle l'a rompu, en me disant que sa fille alloit la quitter, et s'établir avec son mari dans une maison séparée.—Ce projet n'étoit pas le vôtre, lui ai-je dit.—Non, répondit-elle; il dérange, et mon aisance de fortune, et l'espoir que j'avois d'être entourée de ma famille; mais qui peut prétendre au bonheur!—J'ai soupiré.—Vous avez fait cependant, lui dis-je avec amertume, beaucoup de sacrifices à votre fille; elle, du moins, vous devroit de la reconnoissance.—Vous m'accusez, répondit-elle après quelques momens de réflexion, vous m'accusez de vous avoir mal défendue auprès de Léonce; je peux mériter ce reproche; cependant je vous l'assure, son irritation ne pouvoit être calmée; vos ennemis l'avoient prévenu avant que je le visse; le blâme que vous avez encouru avoit particulièrement offensé son respect pour l'opinion publique, et vos caractères se convenoient si peu, que vous auriez été très malheureux ensemble.—Vous avois-je chargée d'en juger, lui dis-je, et n'aviez-vous pas accepté, ou plutôt recherché le devoir de me justifier?—Et vous aussi, s'écria-t-elle, vous voulez m'abandonner! vous en avez plus le droit que ma fille, et je me résigne à mon sort, sans vouloir lutter contre lui.—Elle s'assit en finissant ces mots; je la vis pâlir et trembler; je l'avouerai, d'abord je n'en fus point émue; j'ai tant souffert depuis huit jours, que mon âme est devenue plus ferme contre la douleur des autres; cependant lorsqu'elle versa des larmes, je me sentis attendrie, je lui pris la main, je lui demandai de se justifier; elle se tut, et continua de pleurer. C'étoit la première fois de ma vie que je la voyois dans cet état; tous mes souvenirs parlèrent pour elle dans mon coeur.—Eh bien! lui dis-je, eh bien! je puis vous aimer assez pour vous pardonner le malheur de ma vie; vous ne m'avez point servie auprès de Léonce, mais en effet c'étoit à son coeur à plaider pour moi; lui qui étoit l'objet de ma tendresse, lui qui ne pouvoit douter de mon amour, ne savoit-il pas ma meilleure excuse? Cependant, comment avez-vous pu vous résoudre à précipiter ce mariage? n'aviez-vous pas besoin de mon consentement, après l'aveu que je vous avois fait? Vous étiez mère; mais n'étois-je pas devenue votre fille en vous confiant mon sort?—Oui! s'écria-t elle en soupirant, ma fille, et bien plus tendre que ma fille: je suis coupable, je le suis.—Et sa pâleur et l'altération de ses traits devenoient à chaque instant plus remarquables. Je ne pus résister à ce spectacle, et je me jetai dans ses bras en lui disant:—Je vous pardonne; si j'en meurs, souvenez-vous que je vous ai pardonné.—Elle me regarda avec une émotion extrême; elle eut presque le mouvement de se jeter à mes pieds; mais se reprenant tout à coup, elle se leva, et me demanda la permission de se promener un instant seule.

Je résolus, pendant qu'elle fut loin de moi, de l'interroger sur tout ce qui s'étoit passé. Quand elle revint, je le tentai: cette conversation lui étoit pénible, et j'étois sans cesse combattue entre l'intérêt qui me faisoit dévorer ses réponses, et le sentiment de pitié qui me défendait d'insister: si elle avoit voulu se vanter et me tromper, notre liaison étoit rompue; mais elle me peignit avec une telle vérité les nuances précises de son désir secret en faveur de sa fille, et de son exactitude cependant à dire ce que j'avois exigé d'elle, qu'elle exerça sur moi l'empire de la vérité. Je la condamnois, mais je l'aimois toujours; et comme ses manières étoient restées naturelles, son charme existoit encore.

Elle m'avoua, avec confusion, qu'elle avoit en effet pressé Léonce de conclure son mariage avec sa fille; mais elle m'affirma que jamais il ne m'auroit épousée, après l'éclat du duel de M. de Serbellane. Il étoit convaincu, me dit-elle, que tout le monde sauroit un jour que j'avois réuni chez moi une femme avec son amant, à l'insu de son mari, et que la mort de M. d'Ervins en étant la suite, on ne me pardonnerait jamais. Le prétexte dont on vouloit couvrir ce malheur, les opinions politiques, lui déplaisoit presque autant que la vérité même. Enfin, madame de Vernon ajouta que Léonce avoit reçu la lettre de sa mère la plus vive contre moi, et ne cessa de me répéter que ma destinée eût été très-malheureuse, avec deux personnes qui auroient traité la plupart de mes qualités comme des défauts.

Je repoussai ces consolations pénibles, et je ne lui trouvois pas le droit de me les donner. Je n'aimois pas davantage ses conseils répétés de fuir Léonce, et d'aller passer quelque temps auprès de vous, jusques à ce qu'il partît pour l'Espagne, comme c'étoit son dessein; ces conseils étoient d'accord avec mes résolutions; mais je n'avois pas rendu à madame de Vernon le pouvoir de me diriger; et c'étoit presque malgré moi que je me laissois captiver par sa grâce et sa douceur.

Dans le cours de cette conversation, je lui demandai une fois si Léonce n'avoit pas imaginé que je m'intéressois trop vivement à M. de Serbellane; mais elle repoussa bien facilement cette supposition, qui m'auroit été plus douce. En effet, la jalousie que M. de Serbellane avoit un moment inspirée à Léonce, n'étoit-elle pas tout-à-fait détruite, par la confidence même du secret de madame d'Ervins? Non, Louise, il ne reste aucune pensée sur laquelle mon coeur puisse se reposer.

Madame de Vernon me parla ensuite de Matilde et de Léonce.—Il ne l'aime pas, me dit-elle; depuis leur mariage, il la voit à peine, mais elle lui convient mieux qu'aucune autre, parce qu'elle ne fera jamais parler d'elle, et que c'est ainsi que doit être la femme d'un homme si sensible au moindre blâme. Quant à Matilde, elle aimera Léonce de toutes les puissances de son âme; mais elle a une telle confiance dans l'ascendant du devoir, qu'elle ne forme pas un doute sur l'affection de son mari pour elle; elle n'observe rien, et passe la plus grande partie de sa journée dans les pratiques de dévotion. Elle ne sera point ombrageuse en jalousie; mais si quelques circonstances frappantes lui découvroient l'attachement de Léonce pour une autre femme, elle seroit aussi véhémente qu'elle est calme, et la roideur même de son esprit et l'inflexibilité de ses principes ne lui permettroient plus ni tolérance, ni repos.—Hélas! m'écriai-je, ce ne sera pas moi qui troublerai son bonheur; l'on n'a rien à craindre de moi; ne suis-je pas un être immolé, anéanti: Ah! Sophie, lui dis-je, deviez-vous…. Mais ne parlons plus ensemble de Léonce, afin que je puisse goûter le seul plaisir dont mon âme soit encore susceptible, le charme de votre entretien.

Madame de Vernon vouloit voir madame d'Ervins, elle s'y est refusée; Thérèse ne se montrant pas, pendant que madame de Vernon étoit à Bellerive, j'ai passé deux jours tête-à-tête avec elle. Je l'avoue, le second jour j'éprouvai quelque soulagement; il y a dans l'attrait que je ressens pour madame de Vernon à présent quelque chose d'inexplicable: elle ne m'inspire plus une estime partaite, ma confiance n'est plus sans bornes; mais sa grâce me captive; quand je la vois, je m'en crois aimée, je suis moins oppressée auprès d'elle, et je ne puis l'entendre quelques heures, sans imaginer confusément qu'elle m'a offert des consolations inattendues. Hélas! cette illusion a peu duré! Quand madame de Vernon a été partie, je me suis retrouvée plus mal qu'avant son arrivée: le bien qu'elle fait au coeur n'y reste pas.

Quel trouble je sens dans mon âme! mes idées, mes sentimens sont bouleversés: je ne sais pour quel but, ni dans quel espoir je dois me créer un esprit, une manière d'être nouvelle! je flotte dans la plus cruelle des incertitudes, entre ce que j'étois, et ce que je veux devenir; la douleur, la douleur est tout ce qu'il y a de fixe en moi: c'est elle qui me sert à me reconnoître. Mes projets varient, mes desseins se combattent; mon malheur reste le même; je souffre, et je change de résolution pour souffrir encore. Louise, faut-il vivre, quand on craint l'heure qui suit, le jour qui s'avance, comme une succession de pensées amères et déchirantes? Si le temps ne me soulage pas, tout n'est-il pas dit? Le secret de la raison, c'est d'attendre; mais qui attend en vain n'a plus qu'à mourir.

Delphine

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