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RAPHAEL.

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Je suis le Raphaël, le Sanzio, le grand maître!

O frère, dis-le-moi, peux-tu me reconnaître

Dans ce crâne hideux?

Car je n'ai rien parmi ces plâtres et ces masques,

Tous ces crânes luisants, polis comme des casques,

Qui me distingue d'eux.

Et pourtant c'est bien moi! Moi, le divin jeune homme,

Le roi de la beauté, la lumière de Rome,

Le Raphaël d'Urbin!

L'enfant aux cheveux bruns qu'on voit aux galeries,

Mollement accoudé, suivre ses rêveries,

La tête dans sa main.

O ma Fornarina! ma blanche bien aimée,

Toi qui dans un baiser pris mon âme pâmée

Pour la remettre au ciel;

Voilà donc ton amant, le beau peintre au nom d'ange,

Cette tête qui fait une grimace étrange:

Eh bien, c'est Raphaël!

Si ton ombre endormie au fond de la chapelle

S'éveillait et venait à ma voix qui t'appelle,

Oh! je te ferais peur!

Que le marbre entr'ouvert sur ta tête retombe.

Ne viens pas! ne viens pas et garde dans ta tombe

Le rêve de ton coeur.

Analyseurs damnés, abominable race,

Hyènes qui suivez le cortége à la trace

Pour déterrer le corps;

Aurez-vous bientôt fait de déclouer les bières,

Pour mesurer nos os et peser nos poussières;

Laissez dormir les morts!

Mes maîtres, savez-vous, qui donc a pu le dire?

Ce qu'on sent quand la scie avec ses dents déchire

Nos lambeaux palpitants.

Savez-vous si la mort n'est pas une autre vie,

Et si quand leur dépouille à la tombe est ravie

Les aïeux sont contents?

Ah! vous venez fouiller de vos ongles profanes

Nos tombeaux violés, pour y prendre nos crânes,

Vous êtes bien hardis.

Ne craignez vous donc pas qu'un beau jour, pâle et blême,

Un trépassé se lève et vous dise: Anathème!

Comme je vous le dis.

Vous imaginez donc, dans cette pourriture,

Surprendre les secrets de la mère nature

Et le travail de Dieu?

Ce n'est pas par le corps qu'on peut comprendre l'âme.

Le corps n'est que l'autel, le génie est la flamme;

Vous éteignez le feu!

O mes Enfants-Jésus! O mes brunes madones!

O vous qui me devez vos plus fraîches couronnes,

Saintes du paradis!

Les savants font rouler mon crâne sur la terre,

Et vous souffrez cela sans prendre le tonnerre,

Sans frapper ces maudits!

Il est donc vrai! Le ciel a perdu sa puissance.

Le Christ est mort, le siècle a pour Dieu, la science,

Pour foi, la liberté.

Adieu les doux parfums de la rose mystique;

Adieu l'amour; adieu la poésie antique;

Adieu sainte beauté!

Vos peintres auront beau, pour voir comme elle est faite,

Tourner entre leurs mains et retourner ma tête,

Mon secret est à moi.

Ils copieront mes tons, ils copieront mes poses,

Mais il leur manquera ce que j'avais, deux choses,

L'amour avec la foi!

Dites qui d'entre vous, fils de ce siècle infâme,

Peut rendre saintement la beauté de la femme;

Aucun, hélas! aucun.

Pour vos petits boudoirs, il faut des priapées;

Qui vous jette un regard, ô mes vierges drapées,

O mes saintes! Pas un.

L'aiguille a fait son tour. Votre tâche est finie,

Comme un pâle vieillard le siècle à l'agonie

Se lamente et se tord.

L'ange du jugement embouche la trompette

Et la voix va crier: Que justice soit faite,

Le genre humain est mort!

Je n'entendis plus rien. L'aube aux lèvres d'opale,

Tout endormie encor, sur le vitrage pâle

Jetait un froid rayon,

Et je vis s'envoler, comme on voit quelque orfraye,

Que sous l'arceau gothique une lueur effraye,

L'étrange vision!

La Comédie de la mort

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