Читать книгу Les Petits Robinsons de Roc-Fermé - A. Gennevraye - Страница 7

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III

«Oh! notre maison! Voilà notre maison, Mélite! s’écria Yvon d’une voix joyeuse.

Tais-loi donc! «

Et sa sœur lui mit la main sur la bouche en tressaillant. Elle s’arrêta, prêta l’oreille; mais la voix de l’enfant n’eut pas d’écho, et ils continuèrent d’avancer…. Mélite loqueta la porte, elle était fermée.

«Par où entrerons-nous? demanda Yvon.

Par le jardin; je vais grimper à l’échelle, qui doit être restée en place, et atteindre la lucarne du grenier, je viendrai t’ouvrir.»

Une fois chez lui, le petit garçon n’avait plus peur. Il vit Mélite monter les degrés de l’échelle, disparaître par la lucarne, et, un instant après, elle lui ouvrit la porte de la maison. Comme le cœur leur battait en y rentrant! Tout était encore dans le même état que lorsqu’ils l’avaient quittée. Sans doute, les enfants n’étant pas là, on n’avait pas osé vendre leur propriété avant de savoir ce qu’ils étaient devenus

Mélite alla tout droit prendre les allumettes et le briquet de son père à leur place habituelle. C’est cela qu’il fallait emporter avant toute chose. Elle savait battre le briquet en barque pour allumer la pipe de son père. Elle frotta une allumette et trouva une chandelle commencée. Il était nécessaire de voir clair pour trouver ce qu’elle était venue chercher.... Quand la clarté se fit, les enfants revirent tout ce qu’ils connaissaient depuis leur naissance: le petit banc où ils s’asseyaient au coin du feu, avec une écuelle de soupe sur les genoux; la table, la grande armoire où leur mère ramassait leur linge et leurs habits....

Mélite l’ouvrit… il ne restait plus grand’chose dedans; à mesure que la misère avait sévi, le linge s’en était allé. Cependant il y avait encore quelques draps, deux couvertures.... C’était là ce qui tentait les petits. Se coucher dans un lit, ce serait si bon! Mais pas moyen d’emporter tout cela… ce serait trop lourd! Tout d’abord, Mélite sortit une couverture.

«J’en ferai une espèce de sac, dit-elle, dans lequel je mettrai ce qui nous sera le plus utile.»

Comme elle délibérait, Mélite sentit ses cheveux se hérisser de terreur en entendant des voix avinées qui chantaient sur le chemin du village. Elle eut la présence d’esprit d’éteindre sa lumière.

«Nous sommes perdus, Yvon, si l’on nous trouve ici, dit-elle; viens vite nous cacher!

–Où ça? Dans le grenier?

–Non, non, il fait si clair qu’on nous verrait grimper à l’échelle.… Dans la chambre à côté....»

Quand Mélite pénétra dans cette chambre, elle fut saisie d’épouvante en songeant que, quelques jours avant, elle avait vu sa maman étendue sur ce lit, si blanche et les yeux fermés!.... Pourtant il n’y avait pas d’autre endroit que celui-là pour se cacher.

«Jamais, se dit la petite, je ne me mettrai dans ce lit.»

Pendant ce temps, les voix se rapprochaient; dans un instant les gens seraient auprès de la maison… et Yvon qui avait laissé la porte ouverte!....

«Allons, dussé-je mourir de peur, il faut échapper à ces hommes qui nous cherchent peut-être.…»

Le lit avait de grands rideaux de serge; les deux orphelins se coulèrent dans la venelle. Mélite ne s’était pas trompée, les ivrognes s’arrêtèrent devant la maison.

«Tiens! la porte est ouverte, dirent-ils, qu’est-ce qu’il y a donc là dedans?»

L’un d’eux, moins aviné, voulut emmener ses compagnons plus loin.

«C’est la maison de Derrien, dit-il; le pauvre homme s’est noyé, et sa veuve a été enterrée il y a trois jours. Allons-nous-en!

C’est drôle, répondit un autre homme, j’aurais juré que j’avais vu de loin une petite lumière passer par la fenêtre.

Tu as trop bu, voilà tout. «

Mais l’ivrogne avait l’idée d’entrer, et il s’avança dans la première pièce....

«Tiens! on a mangé ici, dit-il. Il y a encore une bouteille de vin sur la table, je vas y goûter.

Ne fais pas cela, reprit celui qui avait parlé d’abord; c’est du vin des morts, celui-là on n’en boit pas.

Qui donc m’en empêchera? gronda l’ivrogne en levant la main pour saisir la bouteille.

–Moi!» répliqua le plus raisonnable.

Et prenant la fiole, il la lança dans la cheminée, où elle se brisa en mille morceaux.

«Ah! tu vas me payer cela!»

Et l’homme fit mine de se jeter sur son compagnon; mais le troisième intervint… et empoignant le bras du batailleur, il l’entraîna dehors, puis tous les trois poursuivirent leur route.

«Sont-ils partis? demanda Yvon à l’oreille de sa sœur, qui entendait les dents de son frère claquer de frayeur.....

–Oui… leurs voix s’éloignent.»

Et, en effet, l’ivrogne avait repris sa chanson, et déjà elle arrivait moins distincte aux creilles du frère et de la sœur.

«Allons nous-en, Mélite, j’ai encore plus peur ici que dans notre rocher.

–Ferme la la porte, cette cette fois, et attends un peu.»

Pourtant Mélite pensa qu’il ne fallait pas perdre trop de temps, à cause de la marée, et elle alluma un oribus pour continuer ses recherches. Avant de quitter la chambre, elle s’agenouilla au pied du lit, ainsi que son frère, et pria pour sa maman. Cela lui donna du courage… elle se releva plus forte. En revenant dans la première pièce, elle fureta partout.

«Tiens, Yvon, dit-elle, prends la casserole et ces deux cuillères, la pelle, ces trois paquets d’oribus, les allumettes et le briquet.... Oh! le couteau de notre père avec une scie. Mets tout ça dans un coin à côté de la couverture....»

Mélite ouvrit la huche. Quel bonheur! il y avait encore un gros pain de la provision du repas des funérailles.... Un pain! quelle chance pour eux. Il y avait aussi des pommes de terre dans un petit cellier; Mélite s’en souvint et y courut; elle trouva un tas de patates et de carottes.

«Que ce sera bon dans la soupe!»

Mais impossible d’emporter tout cela.... Cependant Mélite en emplit sa jupe et y revint une seconde fois.

«Voyons, Yvon, comment allons-nous faire? Serais-lu de force à attacher deux bouts de la couverture autour de ta taille, moi les deux autres autour de la mienne? Dans le sac que cela formerait, nous mettrions le pain et les pommes de terre, et nous verrons ce que cela pèsera....

–Mais la casserole? demanda le petit gars.

–J’ai une idée, je la mettrai sur ma tête, puisque nous n’avons pas emporté de chapeaux....

Oh! sur ta tête? ce sera trop drôle! s’écria le petit Yvon; essaye, Mélite!....»

Sa sœur se coiffa de la casserole et, malgré leurs tristes souvenirs dans cette maison et leur situation si périlleuse, ils ne purent s’empêcher de rire à l’idée de cet ustensile qui faisait une casquette d’un nouveau genre, avec la queue par derrière.

«C’est mal à nous de rire ici, dit Mélite, filons vite....»

Leur couverture en forme de hamac tenait très bien les légumes et le pain, voire même les oribus et les cuillères. Mélite avait mis le briquet, les allumettes et le couteau dans sa poche.

Ils sortirent, et cela ne se passa pas trop mal d’abord; Yvon marchait assez vite… mais bientôt il se ralentit en disant:

«Que c’est lourd, sœur!»

Plus loin il s’arrêta pour reprendre haleine....

«Voyons, courage, mon chéri, nous approchons, «suppliait Mélite.

Yvon fit encore quelques pas, mais s’arrêta de nouveau.

«Songe à ce que nous allons perdre, Yvon, si nous laissons tout cela derrière nous.... La mer nous l’emportera à la marée haute… et si l’on trouvait la couverture et ce qu’elle contient restés sur le sable au même endroit, on verrait que nous sommes aux environs. que c’est nous, bien sûr, qui sommes venus chercher ces provisions dans notre maison. La trace de nos pas sera effacée par la marée, c’est vrai; mais j’ai bien découvert l’entrée de mon rocher, d’autres la découvriront à leur tour.

Je ne peux plus, je ne peux plus,» dit le petit garçon en larmoyant.

Et il tomba assis sur le sable.... Alors Mélite, désespérée d’échouer si près du port, saisit les quatre bouts de la couverture et jeta ce lourd fardeau sur son épaule.

«Viens, reprit-elle en relevant son frère, je porterai tout, suis-moi....»

Oh! quel terrible trajet! Mélite s’arrêtait, elle aussi, épuisée, les épaules cassées, le front couvert de sueur. Sa respiration sifflait dans sa poitrine; elle se répétait tout bas: «Il le faut!...» Mais ses forces l’abandonnaient, elle croyait à chaque instant tomber sur ses genoux pour ne plus se relever. Enfin, après bien des haltes, elle arriva au rocher, dégagea leur passage du sable qui pouvait les gêner.... «Comment introduire ce gros paquet, tel qu’il était, dans l’étroite ouverture?» se demanda-t-elle. C’était impraticable.

«Écoute bien, Yvon, dit Mélite d’une voix grave. Il faut que tu me prouves cette nuit que tu es un homme. Passe le premier. Ce n’est pas comme pour sortir; en remontant, le sable ne nous gênera pas, tu vas voir tout de suite clair au bout du boyau. Voyons, fais cela pour moi. Je te jetterai les pommes de terre, qui rouleront comme si nous jouions à la balle, le canal est plus bas dans l’intérieur du rocher.

Oh! non, sœur. jamais je n’oserai aller tout seul dans le trou.

Eh bien, attendons la marée, qui nous empêchera d’entrer et nous fera prendre par les trois ivrognes.

Non, non, pas ça!

–Alors, passe devant. Je t’en prie, mon chéri… pour moi.»

Et Mélite embrassa son frère.

«Eh bien, j’y vais. Ne me laisse pas longtemps seul!

–N’aie pas peur. Tu vas voir comme ce sera drôle, toutes ces pommes de terre que je t’enverrai; puis, pour te rassurer, emporte les allumettes et un paquet d’oribus, tu en allumeras un si la lune se cache.»

Pendant ce temps, Mélite dégageait tout à fait l’orifice du conduit à l’aide de sa pelle, afin que son frère y entrât sans difficulté. Il fit bien quelque résistance avant de risquer sa tête.

«Mais tu veux donc que la marée nous gagne.» répétait sa sœur.

Enfin, de ce qu’il était plus petit que Mélite, il était plus à l’aise dans le canal; il commença donc son ascension.

«Parle-moi tout le temps,» recommanda-t-il à Mélite.

Et, à mesure qu’il s’éloignait, Mélite l’encourageait en criant plus haut. A un certain moment, comme il était pris de frayeur et refusait d’avancer, la petite lui chanta deux vers d’une chanson qu’elle lui avait apprise dans les temps heureux:

Il était un mouton

Broutant l’herbe fleurie.

«Je suis arrivé, sœur, lança la voix joyeuse d’Yvon, envoie les patates.»

Alors Mélite les jeta dans le trou, où elles roulèrent.

«Je les ai. Quel jeu drôle!» reprenait le petit garçon.

Quand toute la provision fut rendue de l’autre côté du tuyau, Mélite porta le pain fixé au bout du manche de la pelle qu’elle tenait en avant jusqu’à ce que son frère pût le saisir, puis elle revint en arrière, s’attacha la couverture autour du corps, et, se coiffant de sa casserole, elle s’engagea à son tour sous le rocher, non sans avoir, avec ses pieds, rabattu le sable dans le trou, laissant le soin à la marée de le niveler.

Les Petits Robinsons de Roc-Fermé

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