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§ 2. L’Antre de Trophonius.

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Table des matières

Il ne reste guère plus de traces des antres prophétiques où les Pythonisses rendaient leurs oracles au nom des divinités.

Toutefois, on montre près de Livadie (l’ancienne Lébadée), chef-lieu actuel de l’antique Béotie, dont le territoire forme un vaïvodilik, dépendant du sangiac de Négrepont, une grande caverne qui fut célèbre jadis comme l’un des oracles les plus renommés de Grèce, sous le nom d’Antre de Trophonius.

Nous trouvons dans Pausanias ( Description de la Grèce) de curieux détails sur cet oracle.

Mais d’abord qu’était-ce que ce Trophonius? Fils du roi d’Orchomène Erginus selon les uns, fils d’Apollon selon les autres, Trophonius s’était rendu célèbre, ainsi que son frère Agamède, par son habileté à construire des temples pour les dieux et des palais pour les rois: ce sont ces célèbres architectes, dit-on, qui bâtirent le temple d’Apollon à Delphes.

L’antre de Trophonius.


Mais la probité de Trophonius et d’Agamède était fort éloignée d’égaler leur talent.

Chargés par le roi d’Orchomène, Hyréius, de construire l’édifice où ce prince voulait renfermer son trésor, ils l’avaient construit de telle façon, dit Pausanias, que du dehors on pouvait en ôter une pierre; et, à l’aide de cette ouverture, ils allaient de temps en temps prendre quelqu’une des choses qui y étaient déposées.

Comme Hyréius ne pouvait concevoir comment il se faisait que, les serrures et les scellés qu’il mettait aux portes étant intacts, la quantité de ses richesses diminuait cependant tous les jours, il plaça sur les vases qui contenaient son argent et son or des pièges, ou quelque chose de semblable, pour arrêter celui qui entrait et dérobait ses trésors.

Agamède, étant entré, se trouva pris, et Trophonius n’imagina rien de mieux que de couper la tête à son frère pour lui épargner les mauvais traitements auxquels il serait exposé lorsque le jour paraîtrait, et sans doute aussi pour ne pas être découvert lui-même.

Du reste, l’énergie de cette résolution héroïque ne porta pas bonheur à Trophonius: la terre s’ouvrit sous ses pas peu après et l’engloutit à Lébadée, dans le bois sacré qui porta depuis son nom, et à l’endroit même où se trouvait la fosse appelée la fosse d’Agamède.

Voilà, ce semble, de singuliers titres de recommandation pour un oracle, qui devint un des plus célèbres de la Grèce. Il paraît que ce fut le dieu Apollon qui, en reconnaissance de ce que cet architecte habile avait bâti son temple à Delphes, lui accorda le don de prédire l’avenir dans l’excavation même où il avait été englouti.

Pausanias raconte ainsi la façon dont les Béotiens découvrirent l’oracle de Trophonius, dont l’emplacement était resté longtemps inconnu:

«Depuis deux ans, il ne pleuvait pas en Béotie. Désespérés, les Béotiens envoyèrent de chacune de leurs villes des députés à Delphes, pour demander au dieu la cessation de la sécheresse. La Pythie leur ordonna d’aller vers Trophonius, à Lébadee, et leur assura qu’ils obtiendraient de lui le remède de leurs maux. Ils allèrent donc à Lébadée, mais ils ne pouvaient trouver l’oracle qu’ils cherchaient. Sur ces entrefaites, Saon, de la ville d’Acrœphnium, qui était le plus avancé en âge de tous les députés, aperçut un essaim d’abeilles et imagina de le suivre partout où il volait; tout à coup il vit ces abeilles se porter vers une grotte mystérieuse où il entra avec elles: l’oracle était découvert. On dit que ce Saon fut instruit par Trophonius lui-même de la manière dont il fallait régler tout ce qui avait rapport à son culte et aux autres cérémonies relatives à l’oracle.»

Voici maintenant les épreuves qu’il fallait subir pour être admis dans la grotte prophétique.

D’abord, il fallait passer un nombre de jours déterminé dans un édifice spécialement consacré au Bon Génie et à la Bonne Fortune. Là, on se purifiait en se baignant dans la rivière Hercyna et en s’abstenant de diverses choses. Toutefois, on avait à discrétion la viande des victimes que l’on était d’ailleurs tenu d’apporter soi-même pour les offrir en sacrifice à Trophonius d’abord et à ses enfants, puis à Apollon, à Saturne, à Jupiter roi, à Junon Hémioché, ainsi qu’à Gérés surnommée Europé, qui passait pour avoir été la nourrice de Trophonius. Un devin inspectait les entrailles des victimes et prédisait si Trophonius recevrait son hôte avec indulgence et avec bienveillance. La nuit qui précédait la descente dans la grotte sacrée, on sacrifiait encore un bélier sur la fosse d’Agamède, puis on conduisait le néophyte à la rivière Hercyna. Après que deux jeunes garçons l’avaient lavé et purifié, les prêtres le menaient successivement boire l’eau des deux fontaines de Léthé (oubli) et de Mnémosyne (mémoire), pour lui faire oublier d’une part tout ce dont il s’était occupé jusqu’alors, et d’autre part pour qu’il se rappelât bien ce qu’il allait voir en descendant. Puis, il était admis à adresser ses hommages à une statue (l’ouvrage de Dédale, dit-on), que les prêtres montraient seulement à ceux qui devaient pénétrer dans l’antre de Trophonius. Après quoi, le mortel purifié allait enfin à l’oracle, revêtu d’une tunique de lin, bandelettes par-dessus, et chaussé d’une manière particulière au pays.

L’oracle, placé sur la montagne qui dominait le bois sacré, était fermé par une plate-forme ronde en marbre blanc, encadrée par une grille de fer à travers laquelle étaient pratiquées les portes. Dans l’intérieur de l’enceinte, une ouverture en forme de four, construite avec beaucoup d’art et de régularité, permettait au courageux explorateur de se glisser dans l’antre. Il n’y avait pas d’escalier pour y descendre, il fallait se contenter d’une échelle étroite et légère, disposée pour cet usage. Au bas de l’échelle l’on trouvait, entre le sol et l’édifice, un trou fort étroit, dans lequel on mettait ses pieds en se couchant sur le carreau et en tenant à chaque main un gâteau pétri avec du miel. Aussitôt qu’on était entré jusqu’aux genoux dans l’ouverture, le corps était entraîné «avec autant de violence et de rapidité que l’est un homme par un de ces tourbillons que forment les fleuves les plus grands et les plus rapides.»

Une fois qu’on était parvenu au fond de l’antre secret, on n’apprenait pas toujours l’avenir de la même manière: tantôt, en effet, on voyait ce qui devait arriver, et tantôt on entendait une voix grave et terrible qui prononçait des paroles prophétiques; on remontait ensuite par l’ouverture qui avait servi pour descendre et on en ressortait les pieds les premiers.

Les prêtres s’emparaient alors de nouveau du visiteur, et, après l’avoir placé sur ce qu’on appelait le trône de Mnémosyne, qui était à peu de distance de l’antre secret, ils l’interrogeaient sur ce qu’il avait vu et entendu, après quoi, ils le remettaient entre les mains de ses amis, qui l’emportaient «encore tout épouvanté et méconnaissable, tant à lui-même qu’à ses proches,» dans le temple du Bon Génie et de la Bonne Fortune.

Et Pausanias ajoute ces paroles qui ne sont qu’à demi rassurantes: «On recouvre cependant plus tard sa raison ainsi que la faculté de rire.»

Ces épreuves avaient une réputation si terrible, qu’il était passé en proverbe, en Grèce, de dire de quelqu’un qui paraissait grave et soucieux: «il revient de l’antre de Trophonius.»

Toutefois, ces épreuves paraissent avoir été plus effrayantes que réellement dangereuses, puisque Pausanias affirme que de tous ceux qui sont descendus dans la grotte prophétique aucun n’est mort, sauf un certain garde du corps de Démétrius, qui avait eu l’imprudence d’y descendre sans observer aucune des cérémonies en usage et dont l’intention, du reste, était moins de consulter le devin que d’emporter l’or et l’argent qu’il croyait trouver dans l’antre.

En tout cas, cet oracle était fort renommé en Grèce, et l’on raconte que dans les guerres de Messénie, le vaillant Aristomène, ayant perdu son bouclier en poursuivant avec trop d’ardeur l’armée des Spartiates, descendit dans l’antre de Trophonius, ainsi que le lui avait ordonné le Pythie de Delphes, et retrouva son bouclier que dans la suite il consacra par reconnaissance à Lébadée, où on put le voir longtemps.

Il paraît que l’oracle de Trophonius ne cessa d’opérer des prodiges que longtemps après l’extinction de tous les soupiraux prophétiques de la Grèce.

«. Quoique la raison humaine eût fait des progrès, dit M. de Pouqueville, le bois sacré et l’antre de Trophonius continuaient d’attirer de nombreuses théories à la fin du deuxième siècle de notre ère.»

Lucien qui vécut, à ce que l’on suppose, sous le règne des deux Antonins et de Commode, c’est-à-dire de l’an 120, ou environ, jusqu’à l’an 200 après Jésus-Christ, Lucien a raillé fort gaiement, avec son admirable bon sens, le héros et son oracle dans un de ses dialogues.

Trophonius vante son oracle en ces termes à Ménippe: «Mais moi, je suis un héros, et je fais véritablement connaître les événements futurs à tous ceux qui descendent dans mon antre. Tu n’as donc jamais été à Lébadée? car tu n’aurais pas le moindre doute là-dessus.»

A quoi Ménippe répond: «Que veux-tu dire? Comment? Pour assurer que tu es mort ici comme nous tous, et voir que ta charlatanerie est la seule chose qui te distingue, il serait nécessaire d’avoir été à Lébadée? Il faudrait s’être couvert d’un drap mystérieux, avoir porté ridiculement un gâteau entre ses mains, et, dans ce plaisant accoutrement, être descendu au fond de ta caverne, en se glissant par un petit trou étroit et obscur?... Mais dis-moi, je te prie, au nom de ton art divin, ce que c’est qu’un héros; car, en vérité, je n’en sais rien.

TROPHONIUS.

C’est un être qui participe de la nature des dieux et de celle des hommes.

MÉNIPPE.

C’est-à-dire qui n’est précisément ni dieu ni homme, mais l’un et l’autre à la fois. En ce cas, où est maintenant ta partie divine?

TROPHONIUS.

Elle rend des oracles en Béotie.

MÉNIPPE.

Je n’entends rien à toutes ces distinctions d’oracle; mais ce dont je suis bien sûr, c’est que je vois ici Trophonius tout entier parmi les morts.»

(LUCIEN, Dialogue des morts, dial. III).

Le bon sens de Lucien a devancé le bon sens public, qui a fait justice depuis longtemps de ces absurdes superstitions. Et cependant pourrait-on affirmer, sans crainte de se voir démenti, que dans quelques-unes de nos provinces, celles qui sont les moins favorisées sous le rapport de l’instruction, la superstition populaire n’ait pas trop souvent prêté l’oreille à des prédictions qui rappellent, et d’assez près, les oracles de l’ancienne Grèce?

La montagne calcaire, où est située cette caverne, en offre en même temps plusieurs autres, ce qui embarrasse fort les voyageurs jaloux de retrouver celle qui fut véritablement l’antre de la divinité.

«Cependant on s’accorde à regarder comme étant la grotte prophétique, dit M. de Pouqueville, celle à l’entrée de laquelle on lit gravé sur un rocher le mot de passe Chibolet (XIBOAET ou, suivant d’autres, ZEΥΣ BOΥΛAIOΣ, Jupiter Conseiller), fragment d’une inscription dont le surplus est illisible.» (Voyage de la Grèce.)

Une large croix domine l’inscription mystique, et aujourd’hui l’antre de Trophonius, transformé en chapelle, continue à être visité par quelques chrétiens qui s’y font hisser dans un panier attaché à la corde d’une poulie.

Cette grotte est remplie de niches propres à recevoir des statues et des offrandes; mais on n’y retrouve plus l’ouverture par laquelle on faisait descendre les pèlerins à la ramasse, ni la porte secrète par laquelle les prêtres introduisaient les instruments de leur fantasmagorie.

Grottes et cavernes

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