Читать книгу La Santé par le grand air - Adolphe Bonnard - Страница 4
AVANT-PROPOS
ОглавлениеLes naturalistes prétendent que le milieu crée l’espèce. Ne pourrait-on pas dire, avec non moins d’exactitude, que le milieu social crée l’individu. Soit dans J’ordre moral, soit dans l’ordre physique, l’homme subit sans cesse le contre-coup de l’ambiance dans laquelle il est plongé.
Si parfois nous sommes frappés de la rapidité avec laquelle les idées s’échangent, les opinions se forment et se modifient dans l’atmosphère intellectuelle, combien plus grande serait notre surprise si nous pouvions suivre, avec la même attention, les modifications que font subir à l’être humain les conditions diverses d’aération, d’éclairage, d’habitation, d’alimentation. Ces conditions d’existence sont essentiellement variables et suivent les changements économiques au milieu desquels les peuples évoluent.
En notre siècle de vie à la vapeur, de vie à l’électricité, l’industrie s’est développée aux dépens de l’agriculture; aussi l’agglomération s’est-elle imposée comme une dure nécessité. Les unités vivantes se sont serrées les unes contre les autres, elles ont économisé l’espace, se limitant la quantité d’air à respirer; elles en sont arrivées à vivre sans soleil et même souvent sans lumière.
Si les nouveaux citadins semblent résister quelque temps aux atteintes fatales de ce milieu anti-biologique, c’est qu’ils ont des réserves de forces que leurs ascendants ont puisées dans l’atmosphère vivifiante de la campagne.
Mais rapidement, ces déracinés ne peuvent plus donner naissance qu’à des descendants dégénérés, présentant un terrain physique tout prêt à l’ensemencement de ces moisissures malsaines qu’on appelle la tuberculose, la syphilis, le rachitisme et un terrain moral n’offrant aucune résistance aux tentations de l’alcoolisme.
La civilisation, à côté de découvertes merveilleuses, de transformations inattendues, nous a apporté la déchéance physique contre laquelle nous avons le devoir de lutter, sous peine de voir bientôt un arrêt ou une fâcheuse déviation du progrès social.
En effet, une évolution vers le mieux ne peut être dirigée que par des hommes sains de corps et d’esprit; par des cerveaux bien équilibrés, servis par des organes à la fois solides et souples.
En un mot, à mesure que les propres de la civilisation s’affirment et que révolution sociale se fait; il faut des hommes plus robustes, des hommes dont la poitrine soit plus large et dont l’intelligence soit plus nette.
C’est précisément le contraire qui arrive: l’équilibre entre le travail à produire et l’effort nécessaire pour l’accomplir est depuis longtemps rompu.
La somme de travail indispensable augmente sans cesse et l’énergie s’épuise de plus en plus.
Ce milieu artificiel, queles conditions économiques nouvelles ont créé, est donc mauvais. L’air pur y manqué, on y étouffe; le soleil, ce grand purificateur, y luit trop rarement par suite de l’exiguité des logements, des écoles et des ateliers. A ces causes de déchéance s’ajoutent encore: le surpeuplement, la désertion incessante des campagnes, l’alimentation irrationnelle de l’ouvrier, le travail de la femme dans l’atelier, qui ruine le foyer; le luxe immodéré, fait de parade et de clinquant, qui remplace le confort; enfin le surmenage nécessaire pour faire face aux dépenses de cette vie intensive spéciale, mélange d’alcool, de café-concert et de réunions publiques.
En face de cette situation, créée par des conditions sociales nouvelles, la société a des devoirs nouveaux.
La société, comme l’Etat, est un être vivant dont tous les organes sont solidaires, comme les branches et les feuilles le sont du tronc qui les fait pousser. Dans l’organisme humain, le cerveau ne peut fonctionner utilement si l’estomac n’est pas sain, si l’intestin, tributaire du foie, assimile mal; si les poumons, la moelle, les reins sont mal irrigués par le sang.
De même, une partie de la nation ne peut souffrir, sans que les autres en subissent le choc en retour.
La maladie des uns est la maladie des autres.
Comme l’a dit M. Léon Bourgeois, dans son discours d’ouverture à la commission permanente contre la tuberculose: «Le tuberculeux est presque toujours la victime d’un fait social: la rencontre d’un germe, provenant du milieu où il vit et d’un terrain constitué par l’organisme même du tuberculeux, créé par l’ambiance, et dont les facteurs sont la naissance, l’éducation, les conditions du travail, l’alimentation insuffisante, les conditions en un mot de la vie quotidienne. Ces conditions font du tuberculeux une victime d’un état social et, en retour, il devient pour la société la cause d’un péril, un foyer de danger et de mort. C’est un risque mutuel qui fait que l’individu et la société ne cessent de réagir l’un sur l’autre, en mal comme en bien.»
Nous voici donc en face d’un grand mal social qui depuis longtemps préoccupe bon nombre d’esprits clairvoyants et de citoyens soucieux de l’avenir de leur pays.
Mais que faire? Quel remède apporter à ce malaise?
Que chacun, selon son dévouement d’abord, ses forces ensuite, apporte sa pierre, si petite soit-elle, et un contrefort puissant consolidera bientôt l’édifice lézardé.
Le traitement sera long, car il ne s’agit pas d’une panacée à découvrir, mais d’un ensemble de réformes à réaliser qui modifieront peu à peu les individus et les mœurs de la nation.
Il faut, pour réussir dans cette lutte de longue haleine, une organisation méthodique, une discipline sévère de tous les efforts bienfaisants, soit publics, soit privés.
Ne pouvant embrasser l’horizon, trop vaste pour nous, de toutes les réformes nécessaires, nous nous contenterons d’étudier, aussi complètement que possible, un seul point de l’immense programme social qui se dresse devant nous.
Nous désirons, en écrivant ces quelques pages, mettre le grand public au courant de ce qui a déjà été fait, pour modifier le terrain biologique de l’individu; nous désirons l’intéresser à cette œuvre de régénération nationale, et, le bon exemple aidant, provoquer des concours nouveaux.
On a eu raison de chercher à tirer l’enfant de l’atmosphère malsaine dans laquelle il se développe mal; on a eu raison d’arracher à la ville cette plante délicate, qui pâlit faute d’air et de lumière, pour la transplanter dans un milieu plus riche en oxygène, où elle puisera une sève nouvelle; on a eu raison de chercher à ouvrir à ces jeunes intelligences des horizons nouveaux, bornés jusque-là aux murs du taudis, à la rue étroite privée de soleil, aux cheminées noires de l’usine.
Fortifier le corps, développer l’intelligence, rendre meilleur, tel est le triple but des œuvres du grand air que nous allons étudier.