Читать книгу Philosophie du droit pénal - Adolphe Franck - Страница 6

CHAPITRE PREMIER,

Оглавление

Table des matières

DU DROIT DE PUNIR CONSIDÉRÉ DANS SON PRINCIPE; DES SYSTÈMES DONT IL EST L’OBJET.

Il faut d’abord nous faire une idée exacte du sujet de la discussion: il faut que nous sachions en quoi consiste le droit de punir et ce qui constitue la punition elle-même. Je me vois attaqué sur la grande route, d’abord par des menaces, et immédiatement après, si j’hésite à obéir, par des actes de violence. Je repousse la force par la force; je pousse la résistance jusqu’à ôter la vie à mon agresseur, sans savoir si son intention était de m’enlever la mienne; je ne le punis pas, je me défends, et quoi qu’on dise de mon ennemi, abattu à mes pieds, qu’il n’a eu que le sort qu’il a mérité, ce n’est pas à moi qu’il faut attribuer cette œuvre de justice distributive; je n’ai usé que du droit de légitime défense.

Supposez-vous dans un pays où les lois, s’il y en a, n’ont pas encore une grande force; où la société, à peine formée, laisse à l’individu le soin de pourvoir lui-même à sa sécurité ; supposez-vous dans la Californie telle qu’on nous la peignait encore il y a quelques années. Vous apprenez qu’un de vos voisins, planteur ou mineur, a formé le projet de pénétrer chez vous dans la nuit, de vous enlever tout ce qui vous appartient, et de se défaire même au besoin de votre personne. Vous n’attendez pas que son dessein ait reçu un commencement d’exécution; vous allez au-devant de lui, seul ou avec vos amis; vous le surprenez; vous le mettez hors d’état de vous nuire, et quand vous le tenez ainsi en votre pouvoir, vous le forcez à s’éloigner, parce que votre conscience vous dit que vous n’avez point de droits sur ses jours. Que faites-vous alors? Vous usez du droit de légitime défense; seulement votre défense est préventive, tandis que dans le cas précédent elle était répressive.

Voici maintenant une autre situation. On vous a dérobé votre argent, vos armes, vos instruments de travail, animés ou inanimés; vous découvrez le ravisseur, et vous le contraignez, par la force ou autrement, non-seulement à vous rendre ce qu’il vous a pris, mais à vous dédommager de la perte que vous avez éprouvée et des alarmes qui vous assiégeaient pendant que vous étiez privé de votre capital et de vos moyens d’existence. Ou bien on vous a diffamé, on vous a calomnié, on vous a frappé dans votre crédit et dans votre honneur, on a ébranlé l’amitié et l’estime de ceux qui vous entourent; vous exigez de votre persécuteur, non-seulement qu’il se rétracte publiquement, non-seulement qu’il vous rétablisse, autant qu’il est en lui, dans votre premier état, mais qu’il vous accorde la compensation de ce que vous avez souffert, de ce que vous avez perdu. Comment faut-il appeler cette exigence aussi légitime, aussi universellement reconnue que le droit de repousser la force par la force? Est-ce un châtiment, un acte de pénalité ? Non, c’est une réparation, et la réparation n’est pas un droit particulier, un droit original de la nature humaine; toute réparation se ramène à une restitution: on vous rend ce qu’on vous avait pris injustement.

Le droit de punir est donc parfaitement distinct et du droit de défense, tant directe qu’indirecte, et du droit de réparation. Est-ce que par hasard il se confondrait avec la vengeance? Cette expression si ancienne et si généralement consacrée dans la langue de la législation et du droit positif, la vindicte publique, n’est-elle pas de nature à nous faire croire que le droit de punir pris en lui-même, quand on remonte jusqu’à son principe et qu’on fait abstraction des causes qui l’ont fait passer des mains de l’individu dans celles de la société, que le droit de punir n’est pas autre chose que le droit de se venger?

Que ces deux idées aient été primitivement confondues, et que la société, comme l’individu, dans les temps de barbarie et d’ignorance, ait obéi à ses passions plus qu’à la raison et à la voix de la conscience; que de cette identification funeste il soit resté des traces, non-seulement dans le langage de la législation, mais dans les lois elles-mêmes, c’est un fait incontestable. Mais là n’est pas la question. Il ne s’agit pas d’interroger l’histoire sur la manière dont le droit de punir a été d’abord compris et exercé ; il s’agit de savoir ce qu’il est; il s’agit d’opposer les résultats de la réflexion et de l’observation à des instincts aveugles et féroces, qui, plus la culture des âmes se développe, plus ils nous inspirent une invincible horreur.

La vengeance est une forme de la haine; la punition est une forme de la justice. Celui qui se venge ne se demande pas s’il a raison ou s’il a tort, s’il fait bien ou s’il fait mal; il se livre à la pente qui l’entraîne, à la force aveugle qui le domine, jusqu’à ce que sa rage soit assouvie. S’agit-il, au contraire, de punition, vous voulez savoir d’abord à qui appartient le droit de punir, puis si la punition elle-même est juste. La punition, pour être juste, doit remplir deux conditions: il faut qu’elle soit motivée par une action moralement mauvaise: il faut qu’elle soit en proportion avec le mal que cette action renferme. La vengeance s’attache au bien comme au mal; car elle poursuit, non le mal en soi ou ce qui est un mal pour la société, mais ce qui est un mal pour nous-mêmes, au point de vue des passions qui nous Maîtrisent. Un scélérat se venge d’un honnête homme, Un tyran se venge des serviteurs qui opposent à ses volontés iniques la voix de la conscience et de l’honneur. Néron s’est vengé de Sénèque parce qu’il avait hésité à lui servir de complice dans le meurtre d’Agrippine; Henri VIII s’est vengé de Thomas Morus, parce qu’il n’a voulu être ni un apostat ni un parjure. Néron et Henri VIII se sont vengés; on ne peut pas dire qu’ils aient exercé le droit de punir, car, encore une fois, on ne punit que le mal, on ne punit que des coupables; la punition suppose la justice par rapport à celui qui la subit; elle suppose le droit par rapport à celui qui l’exerce.

Qu’un pareil droit existe dans l’ordre général du monde, ou tout au moins dans la sphère des créatures intelligentes et libres, il faudrait pour le nier se mettre en révolte contre la conscience et la voix unanime du genre humain. Il n’y a pas un homme qui, jouissant de son bon sens, ose soutenir qu’il n’est pas juste que le crime soit puni et la vertu récompensée. C’est là une de ces lois de l’ordre moral, un de ces principes de la raison qui ont le même degré d’évidence et d’autorité que les axiomes de la géométrie. Cette loi, d’ailleurs, n’est pas une abstraction de noire esprit, ce n’est pas une forme de langage, c’est une loi effective et vivante qui s’applique elle-même, ou qui est exécutée sans interruption et d’une manière universelle par l’auteur de la nature. Son premier effet, son action inévitable sur les êtres qui ne sont pas encore entièrement pervertis, chez qui la corruption n’a pas encore effacé les derniers traits de la nature humaine, son premier effet, dis-je, c’est le remords; et le remords, en même temps qu’il est un châtiment, nous ouvre la source et l’espérance de la réhabilitation; car il témoigne que nous avons encore une conscience, que l’être moral n’est pas complètement perdu en nous, que tout commerce n’est pas détruit entre nous et le monde spirituel. Aussi Platon a-t-il raison de dire que le plus grand malheur qui puisse arriver à un homme, après celui d’avoir fait le mal, c’est de ne point recevoir le châtiment qu’il a mérité.

Mais le remords est un fait indépendant de notre volonté. La loi qui nous l’inflige comme premier châtiment de nos fautes est une loi qui mérite, à tous les titres, d’être appelée divine; car c’est à l’auteur même de notre âme que nous en devons la connaissance par l’intermédiaire de notre raison, image imparfaite de la raison éternelle; c’est lui aussi qui la fait vivre en nous ou qui veille à ce qu’elle soit accomplie. Il s’agit ici du droit de punir, confié aux mains d’un homme ou d’un pouvoir humain, nécessairement accessible à la passion et à l’erreur. Un tel droit existe-t-il? Non, répondent les uns; oui, répondent les autres; et ceux qui affirment comme ceux qui nient ne manquent pas de raisons pour se contredire entre eux.

Il y a une école de philosophes et de jurisconsultes qui nie absolument le droit de punir, parce qu’elle nie l’objet même de ce droit, c’est-à-dire le mal moral; et elle nie le mal moral, parce qu’elle n’admet pas non Plus le bien moral. Le bien, pour elle, c’est ce qui est utile, et le mal ce qui est nuisible; ce qui est utile et nuisible non pas à un seul, mais au plus grand nombre. Elle admet donc des lois pénales, ou, pour mieux dire, des lois répressives, des lois d’intimidation. Seulement, au lieu de les fonder sur la justice, elle les fait reposer sur l’intérêt public. Ce langage est celui des disciples de Bentham et de l’école utilitaire.

Il y en a une autre qui, sans méconnaître en elle-même la distinction du bien et du mal moral, la distinction du juste ou de l’injuste, et, par suite, le droit de punir, conteste que ce droit puisse être exercé par la société, et, en général, par aucune puissance humaine. Pour avoir le droit de punir, disent les hommes de ce parti, la plupart jurisconsultes, et jurisconsultes contemporains, il faudrait remplir diverses conditions qui sont au-dessus de notre nature. Il faudrait savoir exactement ce qui est bien et ce qui est mal; il faudrait connaître les différents degrés de culpabilité de ceux qui tombent sous le coup de la loi pénale; car la culpabilité n’est pas déterminée par l’action seule, mais par une foule de circonstances tout intérieures et inaccessibles pour la plupart à notre faible vue. Enfin, au lieu de l’arbitraire qui règne dans la plupart de nos codes, il faudrait déterminer avec précision, d’après une règle infaillible, quel est le genre et le degré de souffrance qui doit être infligé à chacune des violations de la loi morale ou sociale. Toutes ces conditions étant irréalisables, la société, disent-ils, doit renoncer au droit de punir et se contenter de se défendre. Elle se défendra non-seulement en empêchant le mal avant qu’il soit accompli, mais en frappant de diverses peines ceux qui ont déjà failli, afin d’intimider ceux qui pourraient les imiter.

Ceux qui reconnaissent à l’homme le droit de punir s’entendent encore moins, s’il est possible; car les principes entre lesquels ils se partagent sont en plus grand nombre et d’un caractère plus absolu.

Voici d’abord les partisans du droit divin et de l’école théocratique, qui, regardant l’autorité comme une délégation du ciel, comme une représentation visible de Dieu sur la terre, attribuent la même origine au droit de punir. Les lois pénales auront donc pour but non de défendre la société, non de donner satisfaction à la justice dans la mesure où la justice se confond avec l’ordre social, mais de venger la majesté divine outragée dans son représentant terrestre. On conçoit que, dans cette hypothèse, la peine doit être en proportion non-seulement avec l’offense, mais avec le rang sublime de l’offensé.

Voici, après eux, les partisans du droit individuel, c’est-à-dire les disciples de Locke, de Rousseau, de Grotius lui-même, et d’un grand nombre de publicistes Modernes, qui attribuent le droit de punir à la personne humaine, à l’individu, et ne le font passer de ses mains dans celles de la société qu’en vertu d’un contrat, celui-là même qu’on a appelé le contrat social.

Il y a un troisième parti, celui de Kant et des philosophes contemporains, celui des philosophes et des publicistes les plus dévoués à la cause du spiritualisme, qui veut que le droit de punir se fonde uniquement sur la justice ou sur l’harmonie du mal moral et de la souffrance, sur l’expiation infligée au coupable à titre de satisfaction donnée à la conscience. Nous aurons fait connaître l’importance de cette école et les titres qu’elle présente à notre intérêt, quand nous aurons dit qu’elle compte dans son sein M. Cousin, M. Guizot, M. le duc de Broglie et l’auteur du Traité du droit pénal, l’infortuné Rossi.

Enfin, il y a le parti des philanthropes et des médecins, des médecins aliénistes, qui ne voit dans le crime qu’une maladie de l’âme ou un symptôme d’aliénation mentale; qui ne voit dans le criminel qu’un insensé, et dans la peine qu’un moyen de guérison. Divisés eux-mêmes entre eux, et partis de points différents, ils ne s’entendent que sur ce principe unique: la loi pénale doit avoir pour but, non le châtiment, mais l’amendement de ceux que nous regardons faussement comme des coupables.

Nous ne rencontrons donc pas, sur cette question, moins de six opinions différentes:

Les lois pénales reposent sur l’intérêt public;

Les lois pénales reposent sur le droit de légitime défense exercé par la société ;

Les lois pénales sont l’expression d’un droit directement émané du ciel, et un moyen de venger la majesté divine;

Les lois pénales reposent sur un contrat, elles constatent l’abdication du droit de l’individu entre les mains de la société ;

Les lois pénales dérivent du principe de l’expiation morale, du principe de la justice distributive, du principe de la rétribution du mal par le mal;

Enfin, les lois pénales ne doivent être qu’une mesure de charité et de prévoyance, un moyen de guérir une maladie aussi funeste à l’ordre social qu’au malade lui-même.

Philosophie du droit pénal

Подняться наверх